27 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.026

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00759

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Vérification et admission des créances - Contestation d'une créance - Tribunal compétent pour trancher la contestation sérieuse - Appel - Cour d'appel se prononçant sur l'irrégularité de la déclaration de créance - Compétence exclusive du juge-commissaire - Conséquence - Excès de pouvoir

Il résulte de l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, que lorsque le juge-commissaire constate qu'une contestation de créance ne relève pas de son pouvoir juridictionnel, sursoit à statuer sur l'admission de la créance et invite les parties à saisir le juge compétent sur cette contestation, ou lorsque, s'estimant incompétent pour trancher la contestation, il renvoie les parties à saisir le juge compétent, le juge-commissaire demeure seul compétent pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance et admettre ou rejeter la créance. Doit être cassé l'arrêt de la cour d'appel qui, statuant sur l'appel du jugement du tribunal compétent pour trancher une contestation sérieuse portant sur une créance déclarée au passif d'un débiteur en procédure collective, excède ses pouvoirs en disant irrégulière la déclaration de créance pour défaut de justification du pouvoir de son signataire

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Vérification et admission des créances - Juge-commissaire - Pouvoirs exclusifs - Décision de régularité de la déclaration ou d'admission ou de rejet d'une créance

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 octobre 2022




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 759 F-B

Pourvoi n° S 21-15.026




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 OCTOBRE 2022

La société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-15.026 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [X] [W], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Travere Industries,

2°/ à la société Travere Industries, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la société Rioux, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Travere Industries,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Lyonnaise de banque, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2021), la société Lyonnaise de banque (la banque) a consenti à la société Travere Industries (la société Travere) un prêt professionnel.

2. Les 3 novembre 2008 et 23 janvier 2011, la société Travere a été successivement mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, M. [W] et la société Rioux étant désignés co-liquidateurs. La banque a procédé, au titre du prêt, à deux déclarations de créance successives, que la société Travere a contestées. Par une ordonnance du 15 octobre 2012, le juge-commissaire a admis la créance. Par un arrêt du 11 juin 2015, la cour d'appel a infirmé cette ordonnance, dit que le juge-commissaire était dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation qui opposait les parties, sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et ouvert aux parties un délai d'un mois pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.

3. La banque a assigné la société Travere et les liquidateurs devant le tribunal pour trancher la contestation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de dire que les déclarations de créance sont irrégulières et de rejeter ses demandes, alors « que sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet de la créance, ainsi que pour apprécier la régularité de la déclaration de créance ; que par conséquent, le juge-commissaire qui, constatant l'existence d'une contestation ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel, renvoie les parties à mieux se pourvoir et à saisir le juge compétent, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise pour statuer sur la créance en l'admettant ou en la rejetant ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire par ordonnance du 9 octobre 2012, constatant que la banque justifiait de la régularité de sa déclaration et du quantum de sa créance, a prononcé l'admission de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries ; que par arrêt infirmatif du 11 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, constatant que le juge-commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation opposant les parties, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et a invité les parties à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois, à peine de forclusion ; que saisi par la banque, le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 26 juin 2017 a fixé la créance de celle-ci au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne pouvait décider que les déclarations de la banque étaient irrégulières et débouter celle-ci de toutes ses demandes ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de relever d'office son pouvoir juridictionnel pour statuer sur la régularité des déclarations de créances de la banque, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé l'article L 624-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 125 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 12 mars 2014 :

5. Il résulte de ce texte que lorsque le juge-commissaire constate qu'une contestation de créance ne relève pas de son pouvoir juridictionnel, sursoit à statuer sur l'admission de la créance et invite les parties à saisir le juge compétent sur cette contestation, ou lorsque, s'estimant incompétent pour trancher la contestation, il renvoie les parties à saisir le juge compétent, le juge-commissaire demeure seul compétent pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance et admettre ou rejeter la créance.

6. Pour dire que les déclarations de créance sont irrégulières et rejeter les demandes de la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas justifié que le signataire des déclarations successives avait reçu délégation de pouvoir d'ester en justice de la part du représentant légal de la banque ou d'un délégataire ayant reçu lui-même le pouvoir de subdéléguer.

7. En statuant ainsi, alors que la cour d'appel, statuant par son arrêt du 11 juin 2015 avec les pouvoirs du juge-commissaire, était seule compétente pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs de juge compétent pour trancher la contestation sérieuse, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Travere Industries, M. [W] et la société Rioux, ces derniers en leur qualité de liquidateurs de la société Travere Industries, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lyonnaise de banque ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Lyonnaise de banque.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué.

D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.

ALORS QUE sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet de la créance, ainsi que pour apprécier la régularité de la déclaration de créance ; que par conséquent, le juge-commissaire qui, constatant l'existence d'une contestation ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel, renvoie les parties à mieux se pourvoir et à saisir le juge compétent, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise pour statuer sur la créance en l'admettant ou en la rejetant ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire par ordonnance du 9 octobre 2012, constatant que la banque justifiait de la régularité de sa déclaration et du quantum de sa créance, a prononcé l'admission de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries ; que par arrêt infirmatif du 11 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, constatant que le juge-commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation opposant les parties, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et a invité les parties à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois ,à peine de forclusion ; que saisi par la banque, le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 26 juin 2017 a fixé la créance de celle-ci au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne pouvait décider que les déclarations de la banque étaient irrégulières et débouter celle-ci de toutes ses demandes ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de relever d'office son pouvoir juridictionnel pour statuer sur la régularité des déclarations de créances de la banque, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé l'article L 624-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 125 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué

D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.

ALORS D'UNE PART QU' aucune pièce justificative ne doit être exigée à l'appui de l'expédition de l'acte authentique en ce qui concerne les énonciations établissant l'état, la capacité et la qualité de parties lorsque ces énonciations sont certifiées exactes dans l'acte par le notaire ; et que l'analyse certifiée du notaire suffit à établir la capacité juridique dont dispose son auteur pour accomplir l'acte concerné ; que pour juger irrégulières les déclarations de créance de la Société Lyonnaise de Banque au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries, l'arrêt retient qu'à cette déclaration du 18 novembre 2008 est jointe une attestation notariée du 23 janvier 2006 de Me [U] notaire […]attestant que la Lyonnaise de Banque, représentée par M. [C], directeur général adjoint a donné à M. [S] qui exerce les fonctions de chargé de procuration-contentieux les pouvoirs indiqués au verso ; qu'il est indiqué dans cette attestation que M. [C] a reçu pouvoirs de M. [B], président directeur général ; […] mais que cette attestation notariée ne permet pas à la cour de vérifier que M. [C] avait bien reçu délégation de pouvoir d'ester en justice[…] et qu'il pouvait subdéléguer cette prérogative à M. [S] ; qu'en se déterminant ainsi quand la mention portée au bas de l'attestation du 23 janvier 2006 selon laquelle le notaire certifiait la qualité et la capacité de M. [C] incluait nécessairement sa capacité juridique à ester en justice et à déclarer les créances, ainsi qu'à subdéléguer ses pouvoirs, la cour d'appel a violé l'article 2158 ancien du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.

ALORS D'AUTRE PART QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents qui leur sont soumis ; et que constitue une dénaturation par omission le fait de tenir pour inexistante une pièce versée aux débats ; que pour juger que les déclarations de créance de la banque sont irrégulières, l'arrêt retient que l'absence de signature des intéressés et notamment de M. [S] (sur l'attestation notariée du 23 janvier 2006) et de tout autre document ne permet pas de vérifier qu'il est bien le signataire de la déclaration de créance du 18 novembre 2008 ; qu'en statuant ainsi sans prendre en considération et sans analyser les spécimens de signature de M. [S] accompagnés d'une copie de sa carte d'identité versés aux débats par la banque (pièce n° 17) pour les comparer à celle portée sur la déclaration sous le nom de M. [S], la cour d'appel a dénaturé ces documents.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (très subsidiaire)

La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué

D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.

ALORS QUE le juge ne peut méconnaitre l'objet du litige dont il est saisi ; que pour juger irrégulières les déclarations de créance (sic) de la banque, la cour d'appel retient qu'il n'est pas démontré que la seconde déclaration de créance datée du 18 janvier 2011 a été effectuée par un employé de la Lyonnaise de Banque ayant reçu délégation de pouvoir d'y procéder ; qu'en statuant ainsi quand dans le dispositif de ses conclusions, la débitrice se bornait à solliciter le rejet de la créance déclarée par la banque pour irrégularité de la déclaration des créances, laquelle se rapportait exclusivement à la déclaration initiale effectuée le 18 novembre 2008, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.

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