27 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-10.739

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C201111

Titres et sommaires

AVOCAT - Honoraires - Contestation - Procédure - Premier président - Pouvoirs - Etendue - Détermination - Convention d'honoraires - Appréciation du caractère abusif des clauses

Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur

PROTECTION DES CONSOMMATEURS - Clauses abusives - Domaine d'application - Contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs - Cas - Convention d'honoraires d'avocat

POUVOIRS DES JUGES - Premier président - Avocat - Honoraires - Contestation - Convention d'honoraires - Office du juge - Caractère abusif des clauses - Domaine d'application - Client non-professionnel ou consommateur

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 octobre 2022




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1111 F-B

Pourvoi n° H 21-10.739





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022

La société Cabinet Coll, société d'exercice libéral par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-10.739 contre l'ordonnance n° RG : 18/00024 rendue le 27 novembre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Paris (Pôle 2, chambre 6), dans le litige l'opposant à Mme [S] [G], divorcée [K], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cabinet Coll, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [G], divorcée [K], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 27 novembre 2020) et les productions, Mme [G] a confié la défense de ses intérêts, le 20 mars 2014, à la société Cabinet Coll (l'avocat) pour l'assister dans une procédure l'opposant à son époux.

2. Une convention d'honoraires a été conclue le même jour, prévoyant un forfait, non remboursable, de 3 500 euros TTC, en cas de dessaisissement de l'avocat par le client et une clause d'indemnité de dédit prévoyant, dans la même hypothèse, que l'honoraire restant à courir serait dû, plafonné à 2 500 euros HT (3 000 euros TTC).

3. Mme [G] a mis fin au mandat qui la liait à l'avocat par courriel du 6 octobre 2015, confirmé par lettre du 28 décembre 2015.

4. Le 14 avril 2016, elle a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris d'une contestation d'honoraires afin d'obtenir le remboursement des honoraires versés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen qui est irrecevable et sur le second, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. L'avocat fait grief à l'ordonnance de réputer non écrites les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212, alinéa 1er, et L. 241-1 du code de la consommation, de fixer à la somme de 900 euros TTC les honoraires dus à l'avocat, de constater que Mme [G] avait versé à ce dernier la somme de 3 500 euros TTC au titre des honoraires et de condamner en conséquence l'avocat à lui rembourser la somme de 2 600 euros TTC, alors :

« 1°/ que la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats ; qu'il en résulte que le bâtonnier, et sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, le premier président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

2°/ que, subsidiairement, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le déséquilibre significatif doit être apprécié par les juges du fond en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

7. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, [C], C-243/08).

8. Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

9. Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur.

10. C'est donc sans excéder ses pouvoirs que le premier président, qui ne s'est pas prononcé sur la validité du mandat de l'avocat, a retenu que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux conventions d'honoraires d'avocats et a examiné le caractère abusif des clauses de la convention litigieuse.

11. Relevant, ensuite, qu'en l'espèce, les deux clauses, respectivement prévues par les articles III-1 et V-5-5 de la convention d'honoraires, étaient contradictoires quant à leur montant, le premier article prévoyant qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par le client, les honoraires forfaitaires de 3 500 euros TTC restaient dus en totalité et le second que les indemnités de dédit ne pouvaient dépasser 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC, il a retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que ces clauses ont, chacune, pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au contrat, dès lors que, d'une part, l'avocat obtiendrait de sa cliente, le paiement de la totalité des honoraires ou leur quasi-totalité alors qu'il n'avait effectué que deux prestations sur les six qu'il s'était engagé à effectuer pour le montant forfaitaire fixé et que les deux montants du dédit apparaissaient disproportionnés avec les diligences réalisées, d'autre part, qu'il n'est nullement prévu, en cas de « dessaisissement » anticipé par l'avocat, une clause de dédit en faveur de la cliente.

12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Cabinet Coll aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cabinet Coll et la condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Cabinet Coll

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La SELASU CABINET COLL fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR réputé non écrite les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212 alinéa 1er et L. 241-1 du Code de la consommation, d'AVOIR fixé à la somme de 900 € TTC les honoraires dus au Cabinet COLL par Madame [G], d'AVOIR constaté que celle-ci avait versé au Cabinet COLL la somme de 3.500 € TTC au titre des honoraires d'AVOIR et condamné en conséquence le Cabinet COLL à rembourser à Madame [G] la somme de 2.600 € TTC ;

ALORS QUE les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats sont soumises au bâtonnier, lequel statue dans un délai de quatre mois prorogeable une fois par décision expresse ; qu'à l'expiration de ces délais, le bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui, et cela même si aucune des parties n'a porté cette réclamation devant le premier président dans le délai d'un mois suivant l'expiration de ces délais, de sorte que la décision qu'il prendrait ultérieurement doit être déclarée nulle ; qu'en l'espèce, le premier président a expressément constaté que Madame [G] avait saisi le bâtonnier « par lettre RAR du 14 avril 2016 et qu'aucune décision n'ayant été rendue dans les mois suivants, elle s'est enquise auprès des services du bâtonnier par courrier RAR du 25 septembre 2017 des suites données à sa saisine du 14 avril 2016 » et que la décision du bâtonnier avait finalement été rendue le 21 décembre 2017, soit postérieurement à son dessaisissement ; qu'il s'en déduit, ainsi que le soutenait l'exposant, que la décision de bâtonnier est nulle ; qu'en jugeant le contraire, le premier Président de la Cour d'appel, qui a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La SELASU CABINET COLL fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR réputé non écrite les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212 alinéa 1er et L. 241-1 du Code de la consommation, d'AVOIR fixé à la somme de 900 € TTC les honoraires dus au Cabinet COLL par Madame [G], d'AVOIR constaté que celle-ci avait versé au Cabinet COLL la somme de 3.500 € TTC au titre des honoraires d'AVOIR et condamné en conséquence le Cabinet COLL à rembourser à Madame [G] la somme de 2.600 € TTC ;

1°/ ALORS QUE la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats ; qu'il en résulte que le bâtonnier, et sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, le premier Président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

2°/ ET ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le déséquilibre significatif doit être apprécié par les juges du fond en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier Président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du Code de la consommation ;

3°/ ET ALORS ENFIN, SUBSIDIAIREMENT, QUE lorsqu'à la date de dessaisissement de l'avocat, il n'a pas été mis fin au mandat par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, la convention préalable d'honoraires cesse d'être applicable et les honoraires correspondant à la mission partielle effectuée par l'avocat jusqu'à cette date doivent être appréciés en fonction des seuls critères définis par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'ainsi les honoraires sont fixés en tenant compte des usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences effectuées ; qu'à cet égard, le bâtonnier ou, sur recours, le premier président, ne saurait porter une appréciation sur la qualité du travail effectué par l'avocat pour fixer lesdits honoraires ; qu'en l'espèce, le premier Président, pour évaluer les honoraires dus par Madame [G] au Cabinet COLL, a relevé que si l'affaire était complexe en raison de son caractère international, l'avocat n'avait toutefois pas fait état dans son projet de requête en divorce de la Convention franco-marocaine de 1981 pourtant applicable dès lors que Madame [G] est de nationalité marocaine ; qu'en portant ainsi un jugement sur la pertinence des recherches effectuées par le Cabinet COLL pour déterminer le montant des honoraires qui lui étaient dus, le premier Président a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

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