27 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.425

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C201098

Titres et sommaires

FONDS DE GARANTIE - Actes de terrorisme et autres infractions - Indemnisation - Actes de terrorisme - Qualité à agir - Victime par ricochet - Cas - Proche d'une victime directe ayant survécu

Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci. Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Bénéficiaires - Ayants droit de la victime - Conditions - Préjudice personnel - Cas - Actes de terrorisme - Victime directe ayant survécu - Qualité à agir des proches

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 octobre 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1098 FS-B

Pourvoi n° G 21-24.425




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022

1°/ M. [D] [P], domicilié [Adresse 1],

2°/ Mme [F] [X], domiciliée [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° G 21-24.425 contre l'arrêt n° RG : 20/00817 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :

1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à Mme [K] [N], épouse [P], domiciliée [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [P] et Mme [X], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, Mme Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.

2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [P] et Mme [X], sa fille, l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (…) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :

4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.

5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.

7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.

8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.

9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.

10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.

11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.

12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.

13. Pour dire M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.

14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [D] [P] et Mme [F] [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [P] et Mme [X] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [P] et Mme [X]

M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel,

Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (…) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 7), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances.

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