26 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-23.150

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00618

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Organes - Juge-commissaire - Compétence - Exclusion - Cas - Revendication d'un droit de propriété né postérieurement à l'ouverture de la procédure collective

Il résulte de la combinaison des articles L. 624-9, L. 624-16, rendus applicables à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, et R. 662-3 du code de commerce que le juge-commissaire n'est compétent pour connaître de la revendication des biens mobiliers que lorsque le demandeur se prévaut d'un droit de propriété né antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. La revendication d'un droit de propriété né postérieurement à celle-ci relève de l'application des dispositions du code civil

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Patrimoine - Revendication - Action en revendication - Droit de propriété né postérieurement à l'ouverture de la procédure collective - Droit commun

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2022




Cassation partielle sans renvoi


Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 618 F-B

Pourvoi n° B 20-23.150






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022

La société MJ synergie, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international, a formé le pourvoi n° B 20-23.150 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant à la société And Plast, dont le siège est [Adresse 2] (Andorre), société de droit étranger, défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société MJ synergie, ès qualités, les observations écrites de Me [F] (ayant radié sa constitution le 29 septembre 2021, après le dépôt du mémoire en défense), pour la société And Plast, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 octobre 2020), la société DPI international (la société DPI) a été mise en redressement judiciaire le 31 mai 2017. Les sociétés AJ partenaires et MJ synergie ont été désignées respectivement administrateur judiciaire et mandataire judiciaire.

2. Pendant la période d'observation du redressement judiciaire, en septembre et décembre 2017, la société DPI a commandé des outillages à la société And Plast pour un montant total de 355 600 euros. Ces marchandises ont été vendues avec une clause de réserve de propriété, acceptée par le dirigeant de la société DPI le 9 février 2018. La livraison des biens vendus a eu lieu fin février 2018.

3. Le 1er juin 2018, un jugement a arrêté le plan de cession de la société DPI et prononcé sa liquidation judiciaire.

4. Le 21 juin 2018, la société And Plast a revendiqué les matériels auprès du liquidateur qui a refusé d'acquiescer, puis, le 30 juillet 2019, elle a saisi le juge-commissaire qui s'est déclaré incompétent.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de retenir la compétence du juge-commissaire puis, sur opposition, du tribunal, alors « que l'action en revendication d'un bien meuble exercée en vertu d'une créance née postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective, assortie d'une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, est soumise au droit commun ; qu'elle ne peut dès lors être exercée que devant le juge de droit commun, et non devant le juge de la procédure collective ou le juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la revendication exercée par la société And Plast relevait de la compétence du
juge-commissaire, en tant que juridiction de premier ressort de la procédure
collective, exclusivement compétente en matière de revendication ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la revendication était exercée par la société And Plast en vertu d'une clause de réserve de propriété associée à une créance née pendant la période d'observation, ce qui impliquait que cette revendication, liée à une créance qui n'était pas soumise à la discipline imposée par l'ouverture de la procédure collective, relevait de la compétence du juge de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 624-9, L. 624-17, L. 641-14, R. 621-21, R. 624-13 et R. 662-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 624-9, L. 624-16 rendus applicables à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, et R. 662-3 du code de commerce :

6. Il résulte de la combinaison de ces textes que le juge-commissaire n'est compétent pour connaître de la revendication des biens mobiliers que lorsque le demandeur se prévaut d'un droit de propriété né antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. La revendication d'un droit de propriété né postérieurement à celle-ci relève de l'application des dispositions du code civil.

7. Pour déclarer le juge-commissaire compétent, l'arrêt retient que les dispositions relatives à la revendication des biens meubles n'excluent pas l'hypothèse d'une revendication dont la cause est née durant la période d'observation, que la société And Plast n'entend pas exercer le recours de droit commun du code civil, la marchandise n'étant ni perdue, ni volée. Il ajoute que les effets de la clause de réserve de propriété relèvent de la juridiction de la procédure collective, qui connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, en application de l'article R. 662-3 du code de commerce.

8. En statuant ainsi, alors que la liquidation judiciaire de la société DPI prononcée par le jugement du 1er juin 2018 ne constituait pas une procédure collective nouvelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable le recours exercé par la société And Plast et rejeté la demande reconventionnelle de la société DPI international, l'arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement rendu le 16 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, en ce qu'il a déclaré non fondé le recours exercé par la société And Plast et en ce qu'il a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge-commissaire du 20 décembre 2018 et en ce qu'il s'est déclaré incompétent ;

Condamne la société And Plast aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société And Plast et la condamne à payer à la société MJ synergie, en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société MJ synergie, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la compétence était dévolue au juge-commissaire en premier ressort et au tribunal de commerce statuant sur opposition, pour statuer sur l'action en revendication de la part de la société And Plast relativement aux biens commandés par la société DPI International lors de la période d'observation, et, en conséquence, d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix et d'avoir condamné la société MJ Synergie, ès qualités, à verser à la société And Plast la somme de 359.650 € ;

1°) Alors que l'action en revendication d'un bien meuble exercée en vertu d'une créance née postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective, assortie d'une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, est soumise au droit commun ; qu'elle ne peut dès lors être exercée que devant le juge de droit commun, et non devant le juge de la procédure collective ou le juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la revendication exercée par la société And Plast relevait de la compétence du juge-commissaire, en tant que juridiction de premier ressort de la procédure collective, exclusivement compétente en matière de revendication (arrêt, p. 5 § 1 à 4) ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la revendication était exercée par la société And Plast en vertu d'une clause de réserve de propriété associée à une créance née pendant la période d'observation, ce qui impliquait que cette revendication, liée à une créance qui n'était pas soumise à la discipline imposée par l'ouverture de la procédure collective, relevait de la compétence du juge de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 624-9, L. 624-17, L. 641-14, R. 621-21, R. 624-13 et R. 662-3 du code de commerce ;

2°) Alors qu' en jugeant que la société And Plast n'entendait pas exercer un recours de droit commun, « surtout pas celui visé par l'article 2276 invoqué par DPI, qui est relatif à la revendication de celui qui a perdu ou auquel a été volé une chose, notions étrangères au présent litige » (arrêt, p. 4 § 7), la cour d'appel a violé l'article 2276 du code civil, anciennement l'article 2279 du même code, qui fonde toute action en revendication d'un bien mobilier corporel individualisé.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix, de l'avoir condamnée à verser, ès qualités, à la société And Plast la somme de 359.650 € et d'avoir en conséquence rejeté sa demande reconventionnelle à l'encontre de la société And Plast ;

Alors que peuvent être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété ; que néanmoins, pour être opposable à la procédure collective, cette clause doit avoir été convenue librement entre les parties dans un écrit établi au plus tard au moment de la livraison ; que tel n'est pas le cas si l'acceptation de la clause est obtenue par une partie par l'effet d'une contrainte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le dirigeant de la société DPI International avait accepté une clause de réserve de propriété sur les marchandises acquises de la société And Plast dans un écrit établi le 9 février 2018 (arrêt, p. 5 § 7) et que la contrainte ayant conduit à la signature de cette clause n'était pas démontrée (arrêt, p. 6 § 6) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 14), si la signature de la clause de réserve de propriété n'avait été demandée par la société And Plast qu'après la conclusion des contrats de vente avec la société DPI International, en empêchant la livraison effective des marchandises à cette dernière, et si ce comportement avait contraint la société DPI International, alors en période d'observation dans le cadre d'une procédure collective, à accepter la clause de réserve de propriété afin d'éviter un trop grand retard de livraison de ses propres clients, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du code de commerce.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix, et de l'avoir condamnée à verser, ès qualités, à la société And Plast la somme de 359.650 € ;

1°) Alors que les termes du litige sont fixés par les écritures respectives des parties ; qu'en l'espèce, la société And Plast sollicitait, dans le dispositif de ses écritures, à titre principal, que soit ordonnée « la restitution des biens existants en nature dans les locaux de la société DPI International et/ou dans les mains de tiers sous acquéreurs à concurrence de la somme de 359.650 € », et à titre subsidiaire, à défaut de reprise en nature sous quinze jours, la restitution des biens revendiqués à hauteur du prix de vente, soit la somme de 359.650 €, en accordant « le cas échéant le statut de créance privilégiée de l'article L. 622-13 [lire L. 622-17] à cette créance » (concl. adv., p. 16) ; que la société And Plast ne demandait pas la condamnation de la société MJ Synergie, ès qualités, à lui payer la somme de 359.650 € au titre de sa créance née postérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire ; qu'en condamnant néanmoins la société MJ Synergie, ès qualités, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € « au titre d'une créance privilégiée » (arrêt, p. 7 § 10), la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°) Alors qu'en toute hypothèse, dans le cadre d'un redressement judiciaire converti en liquidation judiciaire, les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture et répondant aux conditions prévues à l'article L. 622-17 du code de commerce, lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, sont payées par privilège avant toutes les autres créances, sans préjudice des droits de rétention opposables à la procédure collective, à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure, de celles qui sont garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent code et de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ; que lorsque de telles créances sont garanties par une clause de réserve de propriété, et que les biens visés par cette clause ne se retrouvent pas en nature dans l'actif du débiteur, cette stipulation ne confère aucun avantage particulier à son titulaire à l'encontre de ce débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € « au titre d'une créance privilégiée » (arrêt, p. 7 § 10), en vertu de l'article L. 622-17 du code de commerce et compte tenu de la clause de réserve de propriété stipulée sur les marchandises dont la vente était à l'origine de la créance de la société And Plast (arrêt, p. 6 § 9) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que cette clause de réserve de propriété ne conférait à cette société aucun avantage particulier à l'encontre du débiteur en liquidation judiciaire, et notamment ne permettait pas sa condamnation à payer la société And Plast par priorité aux créanciers privilégiés, la cour d'appel a violé l'article L. 622-17 du code de commerce ;

3°) Alors que, subsidiairement, peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens objet d'une clause de réserve de propriété qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement d'ouverture ; qu'en l'espèce, la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, faisait valoir, à titre subsidiaire (concl., p. 15), qu'à supposer possible la revendication sur le fondement du droit des procédures collectives, elle ne pouvait pas intervenir en nature puisque les marchandises en cause avaient été intégrées dans des moules revendus aux clients de la société DPI International avant la conversion en liquidation judiciaire ; qu'elle ajoutait qu'un report de la clause de réserve de propriété sur le prix de ces marchandises ne pourrait se concevoir que sur la part de ce prix n'ayant pas encore été réglée à la société DPI International (concl., p. 16) ; que la cour d'appel a condamné la société MJ Synergie, ès qualités, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € après avoir jugé que, les marchandises n'étant plus présentes en nature dans le patrimoine de la société débitrice, il convenait de reporter les effets de la revendication de la société And Plast sur le prix de vente non réglé (arrêt, p. 6) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses constatations qu'elle pouvait seulement constater le report de la clause de réserve de propriété sur la part du prix non payé par les sous-acquéreurs à la société DPI International, et non condamner son liquidateur judiciaire, sur l'actif disponible, à hauteur du montant total de la créance, la cour d'appel a violé les articles L. 622-17 et L. 624-18 du code de commerce.

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