25 octobre 2022
Cour d'appel de Lyon
RG n° 20/00285

1ère chambre civile B

Texte de la décision

N° RG 20/00285 - N° Portalis DBVX-V-B7E-MZSJ









Décision du

Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 18 décembre 2019



RG : 15/06597







SAS GIV



C/



[L]

[F]

SAS ASSISTANCE MECANIQUE SERVICE (AMS)

SCP [I] [U] - [Z] [U] - [Z] [B] TE

SCI LAC DES SAPINS II





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 25 Octobre 2022





APPELANTE :



La SAS GIV

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocats au barreau de LYON, toque : 938









INTIMÉS :



M. [P] [L]

né le 07 Janvier 1945 à [Localité 10] (69)

[Adresse 6]

[Localité 8]



Représenté par la SELARL CABINET JEAN MARC HOURSE, avocats au barreau de LYON, toque : 346





M. [Y] [F], pris en sa qualité de liquidateur de la SCI LAC DES SAPINS II

[Adresse 4]

[Localité 9]



non constitué





La Société ASSISTANCE MECANIQUE SERVICE (AMS)

[Adresse 3]

[Localité 10]



Représentée par la SELARL CASTANCE AVOCATS, avocats au barreau de LYON, toque : 1641





La SCP [I] [U] - [Z] [U] - [Z] [B] notaires associés.

[Adresse 7]

[Localité 10]



Représentée par la SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, toque : 1813

Assistée de la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocats au barreau de LYON, toque : 719



La SCI LAC DES SAPINS II prise en la personne de son liquidateur M. [F] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 8]



non constituée







******





Date de clôture de l'instruction : 02 Décembre 2021



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Septembre 2022



Date de mise à disposition : 25 Octobre 2022







Audience tenue par Olivier GOURSAUD, président, et Bénédicte LECHARNY, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,



assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier



A l'audience, Bénédicte LECHARNY a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller





Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




****

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE



Suivant bail commercial du 11 août 2010, la SCI Lac des Sapins II a donné en location à la société Assistance Mécanique Service (AMS), qui exerce une activité de courtage en assurances, des locaux à usage de bureaux situés [Adresse 3]).



Par courrier recommandé daté du 13 janvier 2015, Maître [U] [I], notaire à [Localité 10], a informé la société AMS du fait que son bailleur avait trouvé un acquéreur pour les locaux qu'elle louait et lui a précisé les conditions de la vente envisagée. Faisant référence à l'article L 145-46-1 du code de commerce, il lui a notifié son droit de préemption, lui demandant de lui faire savoir dans le délai d'un mois si elle entendait ou non acquérir l'immeuble.



Par courriers recommandés des 22 janvier et 6 février 2015, la société AMS a notifié au notaire son souhait de faire jouer son droit de préemption.



Par télécopie du 9 février 2015, Maître [I] a indiqué à la société AMS, d'une part, qu'une erreur avait été commise lors de l'envoi de l'offre de préemption, «alors qu'il n'existait aucun pacte de préférence dans l'acte, et que le droit de préemption légal prévu par la loi «Pinel» ne s'applique pas pour les bureaux», d'autre part, qu'un acte de vente avait été régularisé le 16 janvier 2015 par ses soins au profit d'un tiers acquéreur.



Par acte d'huissier du 10 février 2015, la société AMS a informé son bailleur et la SCP [A] [Z], [U] [I] et [U] [Z] qu'elle entendait faire valoir son droit de préemption sur les locaux loués, conformément à la notification préalable du notaire et aux dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, et qu'elle acceptait l'offre de vente aux prix et conditions énoncés.



Après un nouvel échange de courriers tenant notamment à l'existence ou non d'un droit de préemption et à l'exercice de celui-ci par la locataire, la société AMS a fait citer la SCI Lac des Sapins II, la société GIV, acquéreur des locaux, Maître [I], M. [P] [L], ancien associé dirigeant de la SCI Lac des Sapins II, et M. [Y] [F], ancien gérant associé et liquidateur amiable de la SCI Lac des Sapins II, à comparaître devant le tribunal de grande instance de Lyon afin d'obtenir l'annulation de la vente, le prononcé de la vente forcée en sa faveur et l'indemnisation de son préjudice.



Par jugement du 18 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a :

- déclaré recevable l'action de la société AMS,

- dit que la mise en cause de la SCI Lac des Sapins II est irrecevable,

- prononcé la nullité de l'acte de vente passé le 16 janvier 2015 entre la SCI Lac des Sapins II et la société GIV,

- prononcé judiciairement la vente forcée en faveur de la société AMS desdits locaux au prix de 150 000 euros,

- condamné la société GIV à rembourser à la société AMS le montant des loyers réglés entre ses mains, soit une somme totale de 112 625,80 euros au titre de son occupation des locaux du 2ème trimestre 2015 au 15 octobre 2019,

- dit et jugé que ce montant viendra en déduction du prix d'achat versé par la société GIV,

- condamné la société GIV à verser à la société AMS la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société AMS à verser à M. [L] et M. [F] la somme de 1 500 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté du surplus des demandes,

- condamné la société GIV aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.



Par déclaration du 13 janvier 2020, la société GIV a interjeté appel du jugement.



Par ordonnance de référé du 6 juillet 2020, le premier président a rejeté les demandes d'arrêt ou d'aménagement de l'exécution provisoire du jugement formées par la société GIV et l'a condamnée à payer à la société AMS la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ordonnance du 15 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel formé contre la SCP [A] [Z], [U] [I] et [U] [Z].



Par conclusions notifiées le 17 mars 2021, la société GIV demande à la cour de :

- la déclarer recevable en son appel, fins et prétentions,

- infirmer le jugement entrepris, et statuant de nouveau,



A titre principal,

- juger que les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce applicables aux cessions intervenues à compter du 18 décembre 2014 n'ont pas vocation à régir la cession intervenue le 7 novembre 2014 et réitérée le 16 janvier 2015 entre la société GIV et la SCI Lac des Sapins II,

- juger que la vente fût parfaite à la date du 7 novembre 2014, date de la promesse synallagmatique de vente,

- juger que la condition suspensive de la purge du droit de préemption fût un événement arrivé à la date de la promesse synallagmatique et que la vente fût parfaite à la date du 7 novembre 2014,

- dire que les parties par la promesse synallagmatique se sont définitivement engagées à la date du 7 novembre 2014, soit avant l'entrée en vigueur de la loi Pinel,



En conséquence,

- juger que le droit de préemption, dont la société AMS se prévaut, n'a pas lieu de s'appliquer et que Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, a commis une faute, dans l'exécution de sa mission, en notifiant la vente de l'immeuble le 13 janvier 2015 à la société AMS, sans en avoir l'obligation, ni avoir reçu le mandat de le faire,

- juger que la société AMS commet une faute à l'égard de la société GIV en persistant dans sa démarche, alors qu'elle ne pouvait pas bénéficier du droit de préemption tel que prévu par la loi Pinel,

- condamner solidairement la société AMS et Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages du fait de l'impossibilité d'avoir pu vendre le bien durant la procédure,

- condamner la société AMS au paiement des loyers à compter du 2 avril 2015, soit la somme de 130 906 euros à la date des conclusions d'appel n°1, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir,



A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour estimerait que la société AMS peut bénéficier d'un droit de préemption,

- juger que Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, a commis une faute délictuelle à son égard,

- condamner Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 350 000 euros au titre du préjudice subi de la perte de chance de vendre l'immeuble au prix d'environ 500 000 euros,

- condamner Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi par la société GIV,

- condamner Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, ou qui mieux le devra, à lui payer les frais financiers générés par le prêt, à savoir les intérêts et la cotisation d'assurance que la société GIV paye, en pure perte, depuis le 5 février 2015, soit 13 120,70 euros au titre du contrat de prêt souscrit par la société GIV,

- condamner Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, ou qui mieux le devra à devoir la somme de 130 906 euros à la date du 02 avril 2020, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir,

- juger qu'elle n'a commis aucune faute de nature délictuelle à l'encontre de la société AMS,

- dire que les loyers qui viendront en compensation du prix de vente seront exprimés hors taxes,

- ordonner la compensation entre le prix de vente réglé par la société GIV et les loyers HT payés par la société AMS au cours de l'exécution du bail,

- condamner, à défaut, Maître [I], ès qualités d'associé de la SCP, ou qui mieux le devra, à la relever et garantir des condamnations qui seraient mises à sa charge,



En tout état de cause,

- débouter la société AMS de sa demande de condamnation à la somme de 15 000 euros au titre d'un préjudice matériel et moral,

- débouter la société AMS de sa demande de condamnation à hauteur de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la violation de son droit de préemption,

- condamner la société AMS, ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de l'instance et de ses suites, dont distraction au profit de Maître Laffly, Lexavoué [Localité 10], sur son affirmation de droit.



Par conclusions notifiées le 1er juin 2021, la société AMS demande à la cour de :

- débouter l'appelante et les autres co-intimés de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions présentées à son encontre,



A titre principal,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente passée le 16 janvier 2015 entre la SCI Lac des Sapins II et la société GIV,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé judiciairement la vente forcée en faveur de la société AMS desdits locaux,



Ce faisant,

- dire et juger que la vente intervenue le 16 janvier 2015 entre la SCI du Lac des Sapins II et la société GIV a été passée en violation du droit de préemption de la société AMS au sens de l'article L.145-43-1 du code de commerce,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que les loyers versés par la société AMS à compter du 2ème trimestre 2015 devront venir en déduction du prix d'achat à verser par elle et établir un compte définitif entre les parties AMS et GIV,



En conséquence,

- condamner la société GIV à rembourser à la société AMS le montant des loyers réglés entre ses mains, soit une somme totale de 87 107,40 euros TTC, montant à actualiser depuis le jugement de première instance,

- condamner en outre la société GIV à rembourser à la société AMS la caution versée à l'entrée dans les lieux, soit 3 500 euros outre la TVA supportée par AMS au titre de la taxe foncière et des charges réglées entre les mains de son bailleur pendant la même période de location du bien pour un montant de 4 163,07 euros, soit un montant total de 7 663,07 euros TTC,

- condamner en outre in solidum les défendeurs à verser à AMS la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait de la violation de son droit de préemption,



A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que le notaire, Maître [I], la SCI Lac des Sapins II, M. [L], son dirigeant, et M. [F], pris en sa qualité à la fois d'ancien associé - dirigeant puis de liquidateur amiable de la SCI Lac des Sapins II, et enfin la société GIV ont commis des fautes civiles conjointes engageant leurs responsabilités civiles à l'égard de la société AMS qui est bien fondée à demander réparation intégrale de son préjudice et que leur condamnation devra nécessairement être prononcée in solidum,



En conséquence,

- condamner tous les défendeurs à réparer in solidum le préjudice subi par la société AMS du fait de la violation de son droit de préemption par son bailleur par l'allocation d'une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts,



En tout état de cause,

- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société AMS à régler un article 700 du code de procédure civile à MM. [F] et [L],

- débouter l'appelante et les autres intimés de l'intégralité de leurs demandes formulées à titre reconventionnel compte tenu du bien-fondé de l'action de la société AMS,

- condamner in solidum tous les défendeurs à régler à la société AMS la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter en outre les entiers frais et dépens de l'instance distraits au profit de la SELARL Castance avocats, représentée par Maître Julie Daniel, avocat au Barreau de Lyon sur son affirmation de droit.



Par conclusions notifiées le 25 août 2021, M. [L] demande à la cour de :



1) Sur la procédure :

- dire et juger irrecevable la mise en cause de la SCI Lac des Sapins,

- confirmer le jugement sur ce point,



2) Sur sa mise en cause :

- dire et juger qu'il ne peut être tenu au paiement d'une dette non exigible à la date de la cession de ses parts sociales,

- en conséquence débouter AMS de toute réclamation,

- confirmer le jugement sur ce point,



3) Sur le droit de préférence :

- réformer le jugement sur ce chef de demande,

- dire et juger que la nouvelle disposition légale n'est pas applicable à la vente intervenue entre la SCI Lac des Sapins et la société GIV puisque celle-ci était parfaite à la date du 7 novembre 2014,

- dire et juger que le droit de préférence au profit de AMS n'a pu rentrer dans le champ contractuel au moment de la signature du compromis, deux mois avant l'application de la loi,

- dire et juger non applicable en l'espèce la réforme et le droit de préemption au bénéfice du locataire,

- dire et juger que l'activité de bureau ne bénéficie pas du droit de préférence,

- dire et juger qu'une erreur de plume émanant d'une étude notariale ne peut faire naître un droit qui n'a pas été prévu par la loi,



4) Sur la garantie du notaire :

- s'il y a lieu, réformer le jugement sur ce point,

- condamner Maître [I], notaire associé de la SCP [Z] et [I], à le relever et garantir de toute condamnation éventuelle, y compris au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile,



5) En toute hypothèse :

- dire et juger que le préjudice de la société AMS s'élève à l'euro symbolique,

- la condamner, ou qui de droit, aux entiers dépens outre une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [F] et la SCI Lac des Sapins II n'ont pas constitué avocat ni conclu.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 décembre 2021.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.






MOTIFS DE LA DÉCISION



1. Sur la mise en cause de la SCI Lac des Sapins II



C'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré la mise en cause de la SCI Lac des Sapins II irrecevable au motif que la société avait été dissoute le 4 mars 2015, soit antérieurement à son assignation.



Le jugement est confirmé sur ce point.



2. Sur les demandes formées contre le notaire



Les demandes formées par les sociétés GIV et AMS et par M. [L] contre Maître [I], notaire, sont irrecevables, la cour n'étant pas saisi d'un appel contre ce dernier, non visé par la déclaration d'appel.



3. Sur la demande d'annulation de la vente conclue entre la SCI Lac des Sapins II et la société GIV



La société GIV fait valoir essentiellement que :

- la vente du 7 novembre 2014 est valide, puisqu'il n'existait pas de droit de préemption au profit de la société AMS à cette date, la loi Pinel ne s'appliquant qu'aux intentions de cessions postérieures au 19 décembre 2014 ;

- la vente était définitive dès le 7 novembre 2014 étant donné, d'une part, que la promesse vaut vente et, d'autre part, que la signature de l'acte authentique n'est que la réitération de la volonté des parties et permet simplement de satisfaire aux formalités légales ;



- l'ensemble des conditions suspensives ont été réalisées avant l'entrée en vigueur de la loi Pinel ; la condition suspensive relative au droit de préemption, lequel était inexistant à la date du compromis, n'avait pas à être réalisée, et la position du tribunal qui a déporté la date de réalisation de la condition suspensive est donc contestable ;

- la société AMS soutient pour la première fois dans ses conclusions d'appel qu'elle tient son droit de préemption de la notification faite par le notaire, alors qu'elle indiquait jusqu'alors en bénéficier en vertu des dispositions légales du code du commerce ; aucun droit de préemption contractuel n'existe en vertu du bail et le prétendu droit de préemption ouvert par le notaire est inexistant ; le notaire n'avait reçu aucun mandat de la venderesse de proposer le bien à sa locataire ; l'erreur de droit du notaire est opposable à la société AMS.



La société AMS réplique qu'elle bénéficiait bien d'un droit de préemption et que la vente du 16 janvier 2015 est intervenue en fraude de ce droit. Elle fait valoir essentiellement que :

- le bail qu'elle a conclu avec la SCI Lac des Sapins II relève du champ d'application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce introduit par la loi Pinel ;

- elle exerce une activité commerciale par détermination de la loi et bénéficie donc automatiquement du droit de préemption ouvert par la loi Pinel ;

- la loi Pinel est applicable au cas d'espèce puisque la réitération de la vente est postérieure à son entrée en vigueur ;

- le simple constat de ce que le droit de préemption a été ouvert au locataire par le notaire réfute les considérations relatives à l'application de la loi dans le temps de la loi Pinel, et ce constat a déjà été fait en première instance ;

- l'exercice du droit de préemption fait partie des conditions suspensives de la promesse litigieuse et les autres conditions suspensives n'étaient pas encore réalisées lors de l'entrée en vigueur de la loi Pinel ; notamment, la société GIV n'était pas encore constituée à la date de la signature de la promesse et ne peut donc sérieusement soutenir que la vente était d'ores et déjà parfaite à cette date ;

- la notification du droit de préemption qui lui a été adressée le 13 janvier 2015 par le notaire a pleinement emporté le bénéfice pour elle de se prévaloir de cette offre de vente, ce qu'elle a fait dans le délai d'un mois prévu par le texte ; la formalité réalisée par le notaire n'a pas été accomplie par erreur puisque la société AMS est bien titulaire d'un droit de préemption sur le bien objet de la vente ;

- à supposer qu'il s'agisse d'une erreur, le caractère inexcusable de celle-ci la rend inopposable au locataire qui s'est porté acquéreur de bonne foi.



M. [L] fait valoir que :

- la vente a eu lieu avant l'entrée en vigueur de la loi Pinel et que l'acte réitératif n'a fait que confirmer le caractère parfait de la vente, l'ensemble des conditions suspensives ayant été réalisées ;

- une jurisprudence constante de la Cour de cassation fait application du caractère rétroactif de l'obligation souscrite lorsque les conditions suspensives sont réalisées, conformément à l'article 1179 du code civil ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, à la date du compromis, les parties signataires n'ont pu concevoir un droit de préemption au profit du locataire puisque la loi n'était pas applicable ;

- la nature des locaux ne permet pas d'invoquer l'article L. 145-46-1 du code de commerce, l'activité de la société AMS n'étant pas commerciale ni artisanale, l'agencement même du local ne permettant pas l'accès à une clientèle véritablement commerciale ;

- le notaire a rectifié son erreur dès le 9 février 2015 et une erreur de plume n'a pas pu donner naissance à un droit qui n'est pas prévu par la loi.



Sur ce,



Selon l'article L. 145-46-1 du code du commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi «Pinel», lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer.



Selon l'article 21, III, de la loi précitée, l'article 14 de cette loi, qui a institué le droit de préemption au bénéfice du locataire en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal, s'applique à toute cession d'un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi.



Cette disposition, interprétée à la lumière des travaux parlementaires, doit être entendue comme signifiant que l'article L. 145-46-1 du code de commerce s'applique à toute cession conclue six mois après la promulgation de la loi, soit le 18 décembre 2014. En effet, si la loi a été publiée au Journal officiel du 19 juin 2014, elle a été promulguée le 18 juin 2014.



Selon l'article 1583 du code civil, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.



Encore, l'article 1589 du même code dispose que la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.



Enfin, selon l'article 1179, dans rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce, la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l'engagement a été contracté.



En l'espèce, il est mentionné dans le compromis de vente du 7 novembre 2014 :

«1) Le vendeur a, pour sa part, définitivement consenti à la vente et [...] est d'ores et déjà débiteur de l'obligation de transférer la propriété au profit de l'acquéreur aux conditions des présentes et sous réserve de la réalisation des conditions suspensives ci-dessous visées,



2) l'acquéreur a également, pour sa part, définitivement consenti à l'acquisition et [...] est d'ores et déjà débiteur de l'obligation de payer le prix de vente au vendeur tél qu'indiqué aux présentes et sous réserve de la réalisation des conditions suspensives ci-dessous visées,

[...]

Sous la seule réserve de la réalisation des conditions suspensives ci-dessous, les présentes conventions lient les parties définitivement, conformément à l'article 1589 du code civil, le report du transfert de propriété étant une simple modalité de la présente vente.

Elles seront réitérées par acte authentique AU PLUS TARD LE 13 FÉVRIER 2015.».



Le compromis énonce les trois conditions suspensives suivantes :



- «condition suspensive du rapport, à la diligence du notaire du vendeur, d'un renseignement hypothécaire ou d'une fiche d'immeuble délivré depuis moins de deux (2) mois lors de la signature de l'acte de vente et couvrant une période trentenaire ne révélant pas d'inscriptions pour un montant supérieur au prix»



- «condition suspensive de la renonciation par leur titulaire ou substitué à tout droit de préemption et/ou pacte de préférence susceptible de frapper les biens»



- «condition suspensive de la délivrance d'un certificat d'urbanisme d'information ne révélant pas de contrainte susceptible de porter atteinte à la valeur du bien vendu».



Il n'est pas démontré par la société AMS que les première et troisième conditions suspensives n'auraient pas été réalisées.



S'agissant de la deuxième condition, la cour observe que le 7 novembre 2014, lorsque le compromis de vente a été signé, l'article L. 145-46-1 du code de commerce n'était pas applicable de sorte que la société AMS n'était titulaire d'aucun droit de préemption sur les biens vendus. Il en résulte que lorsque l'article L. 145-46-1 est entré en application le 18 décembre 2014, si la vente n'avait pas encore été réitérée, la condition suspensive avait nécessairement été levée, en l'absence d'un quelconque titulaire d'un droit de préemption et/ou d'un pacte de préférence, et la vente était parfaite.



C'est dès lors à tort que les premiers juges ont considéré que l'une des conditions faisait manifestement défaut et que la vente n'était pas parfaite le 7 novembre 2014.



C'est en vain que la société AMS tire argument de ce que la société GIV n'était pas encore constituée à la date de la signature du compris pour en conclure que la vente ne pouvait être parfaite à cette date, alors que la promesse synallagmatique de vente prévoit expressément que l'acquéreur, M. [H] [T], gérant, «aura la faculté de se substituer toute personne morale pour acquérir l'immeuble», et plus particulièrement «la société dénommée GIV actuellement en cours de constitution».

C'est encore à tort que la société AMS fait valoir que la notification d'un droit de préemption qui lui a été adressée le 13 janvier 2015 par le notaire a pleinement emporté le bénéfice pour elle de se prévaloir de cette offre de vente, alors que l'erreur du notaire n'a pas pu avoir pour effet de lui ouvrir un droit dont elle n'était pas titulaire à la date du compromis de vente valant vente.



Au vu de ce qui précède, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à la demande de la société AMS tendant au prononcé la nullité de la vente conclue entre la SCI Lac des Sapins II et la société GIV.



Partant, le jugement est également infirmé en ce qu'il a prononcé la vente forcée en faveur de la société AMS des locaux situés [Adresse 3]) au prix de 150 000 euros et en ce qu'il a condamné la société GIV à rembourser à la société AMS le montant des loyers réglés entre ses mains, soit une somme totale de 112 625,80 euros au titre de son occupation des locaux du 2ème trimestre 2015 au 15 octobre 2019, et dit et jugé que ce montant viendra en déduction du prix d'achat versé par la société GIV.



4. Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société GIV



La société GIV sollicite l'allocation d'une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi découlant de l'impossibilité de proposer l'immeuble à la vente et de solder le prêt afférent à son acquisition pendant tout le cours de la procédure.



Sur ce,



Selon l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce, tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.



En l'espèce, en persistant dans l'exercice d'un droit de préemption dont elle n'était pas titulaire, en poursuivant l'annulation de la vente conclue entre la SCI Lac des Sapins II et la société GIV et en sollicitant le prononcé de la vente forcée à son profit, la société AMS a commis une faute dont il est résulté un dommage pour la société GIV qui n'a pas pu donner suite à la proposition d'acquisition des locaux dont elle avait été destinataire le 27 février 2015.



Si la revente des biens n'est pas définitivement compromise, le retard pris dans cette opération justifie la condamnation de la société AMS à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.



5. Sur l'arriéré locatif



La société GIV sollicite la condamnation de la société AMS au paiement des loyers à compter de la vente réitérée par acte authentique le 16 janvier 2015, soit la somme de 130 906 euros à la date des conclusions d'appel n°1, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir.





Sur ce,



Compte tenu de l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente conclue entre la SCI Lac des Sapins II et la société GIV, la société AMS, locataire de la société GIV, est tenue au paiement des loyers et des charges depuis le 16 janvier 2015.



Au vu du décompte produit par la société GIV, il convient de condamner la société AMS au paiement de la somme de 130 906 euros au titre des loyers échus et impayés entre le 16 janvier 2015 et le 30 juin 2020 (soit la somme de 120 338 euros selon décompte arrêté au 15 octobre 2019, échéance du dernier trimestre 2019 incluse, augmentée de deux échéances de 5 284 euros chacune au titre des deux premiers trimestres de 2020).



En l'absence d'un décompte postérieur et dans la mesure où le décompte produit ne permet pas de déterminer avec précision le montant des loyers et charges appelés chaque trimestre, la cour n'est pas en mesure d'actualiser le montant de la dette au jour du prononcé du présent arrêt. Aussi convient-il de débouter la société GIV de sa demande d'actualisation de la somme au jour de l'arrêt à intervenir.



6. Sur les demandes de dommages-intérêts formées par la société AMS à titre subsidiaire et à titre infiniment subsidiaire en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son droit de préemption



La cour ayant jugé que la société AMS n'était pas titulaire d'un droit de préemption à la date de signature du compromis de vente valant vente, cette dernière est nécessairement déboutée de ce chef de demande.



7. Sur les frais irrépétibles et les dépens



Compte tenu de la solution donnée au litige en cause d'appel, le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.



La société AMS, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Elle est déboutée de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles et condamnée à payer à la société GIV et à M. [L] la somme de 4 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Maître Laffly, Lexavoué Lyon, avocat qui en a fait la demande, est autorisé à recouvrer directement à l'encontre de la société AMS les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société AMS et dit que la mise en cause de la SCI Lac des Sapins II est irrecevable,



L'infirme pour le surplus,



Statuant à nouveau et y ajoutant :



Déclare irrecevables les demandes formées par la société GIV, la société AMS et M. [L] à l'encontre de Maître [I], notaire,



Déboute la société AMS de l'intégralité de ses demandes,



Condamne la société AMS à payer à la société GIV la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts,



Condamne la société AMS à payer à la société GIV la somme de 130 906 euros au titre des loyers échus et impayés entre le 16 janvier 2015 et le 30 juin 2020, échéance du deuxième trimestre 2020 incluse,



Déboute la société GIV de sa demande d'actualisation de la somme au jour de l'arrêt à intervenir,



Condamne la société AMS à payer à la société GIV la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la société AMS à payer à M. [L] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la société AMS aux dépens de première instance et d'appel,



Autorise Maître Laffly, Lexavoué Lyon, avocat, à recouvrer directement à son encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.









LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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