25 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.466

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01317

Titres et sommaires

FICHIERS ET LIBERTES PUBLIQUES - Fichiers ou traitements informatiques - Fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) - Consultation - Agents habilités - Mention - Défaut - Portée

Il résulte des articles 230-10 et R. 40-28 du code de procédure pénale que peuvent notamment accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent, l'habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l'accès. En conséquence, hors le cas où la consultation du traitement est effectuée par un enquêteur, autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d'une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l'accès à ce traitement a été le fait d'un agent désigné à cette fin et spécialement habilité. Le défaut d'une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées. Prononce par des motifs hypothétiques la chambre de l'instruction qui, pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de consultation du TAJ pris du défaut de mention de l'habilitation de l'agent de la police nationale qui a procédé à cette opération, énonce qu'en pratique, l'accès à ce traitement n'est techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, alors qu'il lui appartenait, au besoin par un supplément d'information, de rechercher si l'agent de la police nationale en cause disposait de cette habilitation

Texte de la décision

N° E 22-81.466 F-D

N° 01317


ODVS
25 OCTOBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022


M. [X] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 février 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de vols et tentatives de vol, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 5 mai 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [X] [H], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susvisés le 25 mars 2021, M. [X] [H] a présenté une requête en nullité de pièces de la procédure qui a été enregistrée au greffe de la chambre de l'instruction le 29 juin 2021.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité du contrôle d'identité réalisé dans le cadre de la procédure du commissariat d'Argenteuil, alors « qu'il résulte de l'arrêt attaqué que pour justifier le contrôle de M. [H] les policiers en patrouille ont constaté le 13 juin 2020 à 22 heures 15, alors qu'ils étaient de passage devant un établissement de lavage, la présence d'un groupe de 7 individus qui lavaient cinq motocyclettes de type cross et un quad, tous non immatriculés, ainsi que de deux individus dont M. [H] qui déchargeaient d'un véhicule de marque Mercedes de type camionnette à hayon deux motocross non immatriculées, et constataient également la présence dans la camionnette de deux jerricans desquels émanaient une forte odeur d'essence sans plomb, ce qui n'était pas de nature à caractériser une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'ils avaient commis ou tenté de commettre une infraction, de sorte qu'en retenant néanmoins, pour dire n'y avoir lieu à annuler le contrôle d'identité, que ces éléments étaient de nature à constituer un indice faisant présumer à tout le moins un recel de véhicules et à justifier le contrôle, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 78-2 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

4. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal d'interpellation pris de l'irrégularité du contrôle d'identité dont a, au préalable, fait l'objet M. [H] le 13 juin 2020 à 22 heures 15, l'arrêt attaqué énonce que les policiers, de passage devant un établissement de lavage de véhicules, ont avisé un groupe de sept personnes qui lavaient cinq motocyclettes de type cross et un quad, véhicules non immatriculés, deux de ces personnes, dont l'intéressé, déchargeant ensuite d'une camionnette deux autres motocyclettes de type cross non immatriculées.

5. Les juges ajoutent que les policiers ont également constaté la présence, dans la camionnette, de deux jerricans d'où émanait une forte odeur d'essence sans plomb, de sorte que ces éléments étaient de nature à constituer à l'égard de l'intéressé un indice de commission de l'infraction de recel de vol du fait de l'absence d'immatriculation des véhicules et de leur nombre.

6. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a relevé des raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction, a justifié sa décision.

7. Le moyen doit dès lors être rejeté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, alors :

« 1°/ que l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de requérir la remise d'informations concernant l'enquête doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête préliminaire en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable ; qu'il résulte tant de la procédure que de l'arrêt attaqué que les autorisations données par le procureur de la République en vue de requérir la remise d'informations concernant l'enquête étaient en date des 16 mai 2018 et 13 janvier 2020, de sorte qu'en refusant d'annuler les réquisitions fondées sur ces autorisations, antérieures à l'ouverture de l'enquête sur des faits qui se seraient déroulés dans la nuit du 15 au 16 mai 2020, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 77-1-1 du code de procédure pénale ;

2°/ que les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale sont édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et que leur méconnaissance est constitutive d'une nullité à laquelle les dispositions de l'article 802 du même code sont étrangères ; qu'en écartant la nullité à raison de ce que M. [H] n'apparaîtrait pas sur les enregistrements de vidéo-surveillance ou sur les documents relatifs au certificat d'immatriculation du véhicule [Immatriculation 1], la chambre de l'instruction a méconnu les articles 77-1-1 et 802 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en tout état de cause, il résulte de la procédure que la cote D107 concerne une vidéosurveillance sur laquelle M. [H] a été identifié et la cote D248 concerne des demandes de renseignements auprès de la CAF et de la direction des finances publiques concernant M. [H] ; qu'en écartant la nullité de ces actes sans consacrer aucun motif à l'intérêt pour M. [H] de les critiquer et au grief qu'il subissait, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 77-1-1 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 77-1-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 :

9. Selon ce texte, l'officier ou l'agent de police judiciaire peut, sur autorisation du procureur de la République, requérir des informations intéressant l'enquête de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique. Il en résulte que l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers ou agents de police judiciaire de requérir de telles informations doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable, cette interprétation étant commandée par la nécessité de garantir une direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République.

10. L'irrégularité qui découle de la méconnaissance de cette exigence fait nécessairement grief.

11. Pour rejeter le moyen de nullité des réquisitions délivrées par les officiers de police judiciaire en charge de l'enquête préliminaire entre les 18 mai et 4 juin 2020, pris de l'absence d'autorisation du procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que, si la plupart d'entre elles visent des instructions permanentes du procureur de la République en date des 16 mai 2018 et 13 janvier 2020, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont sollicité « l'autorisation à réquisition conformément à l'article 77-1-1 du code de procédure pénale », en particulier aux fins d'identifier des titulaires de lignes téléphoniques, ainsi que mentionné au procès-verbal d'avis à magistrat du 22 mai, de même qu'ils ont été autorisés à procéder à toutes réquisitions permettant l'identification des auteurs des vols, ainsi que mentionné au procès-verbal d'avis à magistrat du 29 mai, d'où il suit que les réquisitions ont été autorisées par le procureur de la République, qui a ainsi exercé la direction de l'enquête.

12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés, pour les motifs qui suivent.

13. Ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, le procureur de la République a autorisé, dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours, le 29 mai 2020 (D 111), « toutes réquisitions nécessaires permettant l'identification des auteurs des vols », l'autorisation délivrée le 22 mai 2020 (D 51) pour des réquisitions aux fins de géolocalisation de lignes téléphoniques, spécifique, ne pouvant valoir, dès cette date, une telle autorisation générale dans le dossier.

14. Il en résulte qu'avant le 29 mai 2020, les réquisitions qui ne visent aucune autorisation, ou qui visent des autorisations générales et permanentes du procureur de la République non obtenues par l'officier ou l'agent de police judiciaire dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours, sont, s'agissant de celles pour lesquelles le requérant avait qualité pour agir en nullité, irrégulières.

15. La cassation est dès lors encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale, alors :

« 1°/ que l'accès au fichier de traitement des antécédents judiciaires est réservé aux agents des services de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités ; que la chambre de l'instruction qui, pour écarter la nullité tirée de l'absence d'habilitation de l'agent ayant consulté ce fichier, s'est contentée d'affirmer que l'accès n'était en pratique techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en affirmant encore, sans aucune autre forme de motivation qu'aucun grief ne serait circonstancié, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 230-10, R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale :

17. Il résulte des deux premiers de ces textes que peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le traitement d'antécédents judiciaire (TAJ) notamment les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent, l'habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l'accès. En conséquence, hors le cas où la consultation du traitement est effectuée par un enquêteur, autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d'une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l'accès à ce traitement a été le fait d'un agent désigné à cette fin et spécialement habilité. Le défaut d'une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées.

18. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

19. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de consultation du TAJ pris du défaut de mention de l'habilitation de l'agent de la police nationale qui a procédé à cette opération, l'arrêt attaqué énonce qu'en pratique, l'accès à ce traitement n'est techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, de sorte qu'aucune irrégularité n'est caractérisée ni aucun grief circonstancié.

20. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs hypothétiques.

21. En effet, il lui appartenait, au besoin par un supplément d'information, de rechercher si l'agent de la police nationale en cause disposait de l'habilitation lui permettant d'accéder aux informations dont il a fait état dans son rapport.

22. La cassation est dès lors encore encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article 64-1 du code de procédure pénale, alors « que les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel ; qu'en se bornant à constater, pour écarter la nullité tirée de l'absence d'enregistrement de la seconde audition de M. [H], l'existence d'un DVD qui, selon le procèsverbal, supporterait les auditions filmées de ce dernier, sans vérifier par elle-même si l'audition litigieuse y figurait bien, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 64-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 64-1 et 593 du code de procédure pénale :

24. Selon le premier de ces textes, les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel. La violation de cette disposition porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne placée en garde à vue.

25. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de deuxième audition de garde à vue de M. [H], l'arrêt attaqué énonce que, si celui-ci ne mentionne pas, à la différence des trois autres procès-verbaux d'audition, qu'il a été procédé à l'enregistrement de celle-ci, il ne saurait se déduire de l'absence d'une telle mention la violation des dispositions de l'article 64-1, dès lors qu'il ressort de la procédure que l'officier de police judiciaire a placé sous scellé le DVD supportant les auditions filmées de l'intéressé, qu'une copie de ce scellé est annexée à la procédure et qu'il n'est pas invoqué par le requérant l'absence d'enregistrement effectif.

26. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs hypothétiques.

27. En effet, il lui appartenait de s'assurer, au besoin par un supplément d'information, que la deuxième audition de l'intéressé, placé en garde à vue pour crime dans les locaux d'un service de police exerçant une mission de police judiciaire, avait fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

28. La cassation est dès lors encore encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 février 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux réquisitions prises sur le fondement de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, au procès-verbal de consultation du TAJ et au procès-verbal de deuxième audition de garde à vue de M. [H], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux.

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