20 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.801

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C201087

Titres et sommaires

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Mesures d'exécution forcée - Mainlevée - Critères - Mesure inutile ou abusive - Appréciation - Temporalité - Appréciation au jour où le juge statue

Il résulte des articles L. 111-7 et L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution que pour trancher de la demande de mainlevée de la mesure inutile ou abusive, il appartient au juge de l'exécution de se placer au jour où il statue

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 octobre 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1087 F-B

Pourvoi n° X 20-22.801




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022

M. [C] [G], domicilié [Adresse 3]), a formé le pourvoi n° X 20-22.801 contre l'arrêt rendu le 13 octobre 2020 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, contentieux de l'exécution), dans le litige l'opposant à la société Eurocom finances SPF, société anonyme de droit luxembourgeois, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1]), défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [G], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Eurocom finances SPF, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 13 octobre 2020), le 3 mai 2019, la société Eurocom finances SPF a fait dresser un procès-verbal de saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières appartenant à M. [G] dans la société Renaissance 12 sur le fondement d'un acte notarié de prêt du 23 février 2015 pour une certaine somme.

2. M. [G] a contesté cette saisie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses prétentions et de dire que les frais de la saisie contestée sont à sa charge, alors « que le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; que la disproportion ou le caractère abusif d'une mesure d'exécution forcée peut être révélée par des circonstances postérieures à la date à laquelle la mesure a été exercée et le juge de l'exécution doit ordonner la mainlevée d'une mesure d'exécution forcée se révélant, au jour où il statue, abusive ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie, à la requête de la société Eurocom finances, de droits d'associés appartenant à M. [G] dans la société civile Renaissance 12 pour paiement de la somme en principal de 500 000 euros outre pénalités et écarter son caractère abusif ou disproportionné, que ce caractère ne s'appréciant qu'au jour où la mesure avait été exercée, les circonstances postérieurs invoquées par M. [G] sont indifférentes, la cour d'appel a violé l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-7 et L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution :

4. Selon le premier de ces textes, le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance. L'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.

5. Selon le second, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.

6. Il résulte de ces textes que pour trancher la demande de mainlevée de la mesure inutile ou abusive, il appartient au juge de l'exécution de se placer au jour où il statue.

7. Pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie de M. [G], l'arrêt retient qu'il ne peut être sérieusement discuté que, pour apprécier l'abus de saisie allégué ou la disproportion de cette voie d'exécution, la cour doit se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Reims du 3 février 2020 en ce qu'il avait déclaré recevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la société Eurocom finances SPF et rejeté cette exception de nullité, l'arrêt rendu le 13 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne la société Eurocom finances SPF aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurocom finances SPF et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour M. [G]

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. [G] de toutes ses prétentions et dit que les frais de la saisie contestée sont à sa charge ;

AUX MOTIFS QUE - Sur la demande de mainlevée de la saisie pour abus de droit et disproportion : que l'article L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution énonce que le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance ; l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation ; que M. [G] énonce à ce sujet que : - la SA Eurocom Finances SPF a récemment pu bénéficier du règlement en sa faveur d'une somme de 230 000 euros suite à la cession par la SCI Nelson de son actif immobilier, ses parts dans la SC Renaissance 12 sont évaluées à plus de 1 470 000 euros, ce qui est très supérieur au solde de créance d'Eurocom Finances SPF, soit 270 000 euros, - Eurocom Finances SPF est elle-même redevable à la SCI EFP (filiale de la SC Renaissance 12) d'une somme de plus 276 000 euros, - la SA Eurocom Finances SPF a déclaré une créance de 480 000 euros au passif de la SCI EFP actuellement en redressement judiciaire, - la SA Eurocom Finances SPF a engagé d'autres actions pour recouvrer les sommes aujourd'hui réclamées au saisi ; Qu'il ne peut être sérieusement discuté que, pour apprécier l'abus de saisie allégué ou la disproportion de cette voie d'exécution, la cour doit se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée, soit le 3 mai 2019 ; qu'à cette date, le versement à la SA Eurocom Finances SPF d'une somme de 230 000 euros par la SCI Nelson en sa qualité de caution hypothécaire n'était nullement d'actualité puisque le règlement allégué par M. [G] n'a été effectif que le 27 avril 2020 selon courrier du conseil de la société créancière adressé le 7 mai 2020 à maître [B], mandataire judiciaire, M. [G] produisant sous sa pièce n°23 un courrier du 25 juillet 2019 de ce même avocat à maître [X], notaire à [Localité 4], lettre par laquelle maître [I] demande à l'officier ministériel d'adresser à sa cliente le montant de son hypothèque, soit 230 000 euros ; Qu'il s'évince de ces correspondances que le règlement à Eurocom Finances SPF d'une somme de 230 000 euros suite à la réalisation de l'actif de la SCI Nelson est bien un événement postérieur à la saisie querellée, cette donnée factuelle étant par définition insusceptible d'interférer dans l'appréciation de l'utilité de la mesure d'exécution contestée ; Que si M. [G] entend également rappeler que la SA Eurocom Finances SPF est débitrice d'une somme de 276 000 euros envers la SCI EFP suite à un détournement des loyers dus à cette dernière, il s'agit-là aussi d'une donnée postérieure à la saisie querellée dès lors que le demandeur vise l'arrêt de la cour de Reims du 14 mai 2019, cette décision n'étant pas de nature à influencer l'appréciation au jour de sa réalisation de l'utilité ou non de la mesure d'exécution forcée ; Que, par ailleurs, la créance ainsi consacrée au profit de la SCI EFP n'est pas de nature à modifier le décompte de créance repris dans le procès-verbal de saisie du 3 mai 2019, lequel déduit à concurrence des loyers perçus de la SCI EFP une somme en principal de 111 769,61 euros, sauf à augmenter d'autant la dette de la SC Renaissance 12 envers le prêteur s'il ne fallait pas tenir compte de ces loyers perçus de la part de la SCI caution ; Que, sur la déclaration de créance régularisée le 23 avril 2018 par Eurocom Finances SPF au passif de la SCI EFP pour une somme de 480 000 euros à titre privilégié, il ne peut être négligé que le juge-commissaire a entendu, par ordonnance du 24 octobre 2019, surseoir sur la demande d'admission de la créance d'Eurocom, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Reims du 26 mai 2020 ; Qu'ainsi, s'il est exact que la société Eurocom Finances SPF avait, au jour de la saisie contestée, déclaré une créance de 480 000 euros au passif du redressement judiciaire de la SCI SFP, il n'avait pas été statué sur l'admission de cette créance dont le sort ne semble pas encore réglé à ce jour ; Qu'il s'ensuit que la référence de M. [G] à cette déclaration de créance est indifférente dans l'appréciation du caractère abusif ou disproportionné de la voie d'exécution forcée contestée ; Que, de surcroît, les "diverses actions parallèles" engagées par Eurocom pour recouvrer les sommes aujourd'hui réclamées à M. [G] ne sont pas davantage explicitées de sorte que la cour ne peut en apprécier les conséquences sur la saisie critiquée au jour où celle-ci a été opérée ; Qu'enfin, sur la disproportion évoquée par M. [G] entre la créance d'Eurocom Finances SPF et la valeur des droits d'associés saisis, il doit être rappelé que le décompte repris dans le procès-verbal de saisie du 3 mai 2019 mentionne une créance de 499 012,45 euros (déduction faite des 111 769,61 euros obtenus par versement contesté des loyers de la SCI EFP) ; Que si le demandeur estime la valeur de ses droits saisis à la requête d'Eurocom Finances SPF à au-moins la somme de 1 470 000 euros, force est d'observer que la méthode de valorisation telle qu'employée par l'intéressé est pour le moins sommaire et en tous les cas non étayée par d'utiles justificatifs ; Qu'en effet, M. [G] expose que la société Renaissance 12 détient 99,80 % de la SCI EFP, laquelle est propriétaire d'un immeuble valorisé à 1 500 000 euros et créancière d'Eurocom à concurrence de 276 000 euros, ainsi que 12 % de [G] Enterprises par laquelle M. [G] exerce son activité professionnelle aux Etats-Unis, société qui a réalisé en 2019 un chiffre d'affaires de 3 560 000 dollars US ; Que les pièces n°10 et 11 visées par M. [G] ont respectivement trait à une offre d'achat émise par M. [S] au sujet d'un immeuble sis à [Adresse 5] (parcelle [Cadastre 2]) et à une attestation notariale évaluant le bien en juillet 2005 à 1 200 000 euros, aucun de ces documents ne faisant référence à la SCI EFP ; Que, par ailleurs, si le document daté du 10 avril 2017 porte la signature des époux [G] et de M. [S] et mentionne un accord des parties sur un prix de 1 440 000 euros net vendeur, le document n°10 bis reprend une autre offre de M. [S] en date du 31 juillet 2017 pour l'achat du même bien immobilier mais à un prix de 1 000 000 euros net vendeur ; Qu'en outre, la pièce n°29 s'apparente à un extrait de bilan comptable (profit et perte - profit and loss) correspondant à l'exercice de janvier à décembre 2019, pièce rédigée en langue anglaise avec l'intitulé "The Globe Theatre" sans que la cour puisse y saisir sans autre explication le lien avec la société [G] Enterprises ; Qu'en conclusion, aucune certitude ne peut caractériser la valorisation de ses droits d'associé dans la SC Renaissance 12 telle que présentée par M. [G] si bien qu'une comparaison d'une somme de 1 470 000 euros avec la créance d'Eurocom Finances SPF telle que reprise dans le procès-verbal de saisie apparaît des plus hasardeuses ; Qu'en définitive, c'est à bon droit que le premier juge a écarté toute connotation abusive voire disproportionnée de la saisie pratiquée à la demande de la société Eurocom Finances SPF sur les droits d'associé de M. [G] dans la société Renaissance 12 et débouté ce dernier de sa demande de mainlevée de la saisie ;

1) ALORS QUE le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; que la disproportion ou le caractère abusif d'une mesure d'exécution forcée peut être révélée par des circonstances postérieures à la date à laquelle la mesure a été exercée et le juge de l'exécution doit ordonner la mainlevée d'une mesure d'exécution forcée se révélant, au jour où il statue, abusive ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie, à la requête de la société Eurocom Finances, de droits d'associés appartenant à M. [G] dans la société civile Renaissance 12 pour paiement de la somme en principal de 500 000 euros outre pénalités et écarter son caractère abusif ou disproportionné, que ce caractère ne s'appréciant qu'au jour où la mesure avait été exercée, les circonstances postérieurs invoquées par M. [G] sont indifférentes, la cour d'appel a violé l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

2) ALORS QUE le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; qu'en se bornant à retenir, pour en déduire que la saisie n'était pas abusive, que pour apprécier l'abus de saisie ou sa disproportion, elle devait se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions de M. [G], p.17, §2 et s.), si la mesure de saisie initiée par Eurocom finances à l'encontre de M. [G], caution solidaire, ne présentait pas un caractère abusif dès lors qu'elle s'inscrivait dans la lignée du comportement de cette société, n'ayant d'autres fins que de dépouiller M. [G] de ses actifs immobiliers, comportement déjà judiciairement stigmatisé par le juge-commissaire en charge du redressement judiciaire d'une caution hypothécaire du prêt, la Sci EFP, (ordonnance du 6 juillet 2018, p. 3) et par ailleurs sanctionné dans une autre instance constatant que la société Eurocom finances SPF avait soustrait abusivement des loyers dus à la société Sci Efp aux fins d'obtenir paiement de la dette résultant de l'acte notariée du 23 février 2015 (jugement du 3 janvier 2018, p. 7), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QUE si le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance, l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation ; que si la disproportion d'une mesure d'exécution forcée s'apprécie à la date où la mesure litigieuse a été exercée, le juge de l'exécution doit prendre en considération les éléments postérieurs révélant, au jour où il statue, l'existence d'une disproportion ; qu'en retenant, pour écarter la disproportion de la mesure litigieuse fondée sur l'acte notarié de prêt d'une somme de 500 000 euros à la société Renaissance 12 et dirigée contre M. [G], caution solidaire de celle-ci, qu'il convenait de se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée, le 3 mai 2019, de sorte que ne pouvaient être pris en considération dans l'appréciation du caractère disproportionné, ni le règlement à la société Eurocom Finances devenu effectif seulement le 7 mai 2020 d'une somme de 230 000 euros suite à la réalisation de l'actif de la Sci Nelson, caution hypothécaire de la société Renaissance 12, ni la condamnation prononcée par l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 14 mai 2019 du créancier saisissant à verser à la société Efp, également caution hypothécaire de la société Renaissance 12, une somme totale de 276 769 euros à titre de dommages-intérêts, quand ces éléments étaient susceptibles d'établir le caractère disproportionné de la mesure au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution.

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