18 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.934

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01282

Titres et sommaires

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - comparution immédiate - procédure - défèrement devant le procureur de la république - présence de l'avocat - défaut - déclarations spontanées et non incriminantes - respect du droit de se taire - compatibilité

Aucune disposition législative ou conventionnelle n'interdit au procureur de la République, après avoir informé de ses droits la personne présentée devant lui en application de l'article 393 du code de procédure pénale, d'interroger celle-ci et de retranscrire ses déclarations si elle souhaite en faire, l'absence éventuelle de l'avocat régulièrement avisé ayant pour seule conséquence l'impossibilité de fonder une condamnation sur les seuls propos ainsi recueillis. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour annuler partiellement le procès-verbal établi dans ces conditions, retient que l'article 393 du code de procédure pénale doit être interprété, à la lumière de la décision n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011 du Conseil constitutionnel portant sur une rédaction ancienne de ce texte, comme interdisant au procureur de la République de consigner les déclarations faites par la personne hors la présence de son avocat

Texte de la décision

N° P 22-81.934 F-B

N° 1282


MAS2
18 OCTOBRE 2022


CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 OCTOBRE 2022





Le procureur général près la cour d'appel de Douai a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 6e chambre, en date du 1er mars 2022, qui, pour violences en récidive et conduite sans permis, a condamné M. [E] [Y] à deux ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme et a ordonné la révocation d'un sursis.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,



la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [E] [Y] a été poursuivi selon la procédure de comparution immédiate pour des faits de violences en récidive et conduite sans permis.

3. Devant le tribunal correctionnel, le prévenu a soulevé une exception de nullité tirée de l'irrégularité que constituerait la retranscription de déclarations faites hors la présence de son avocat dans le procès-verbal dressé par le procureur de la République en application de l'article 393 du code de procédure pénale.

4. Le tribunal a rejeté l'exception de nullité, déclaré le prévenu coupable et prononcé diverses peines.

5. M. [Y] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 393 et 591 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement fait droit à l'exception de nullité présentée par le prévenu et annulé deux lignes du procès verbal de comparution devant le procureur de la République, au motif qu'il se déduit de l'article 393 du code de procédure pénale et de la décision n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011 du Conseil constitutionnel portant sur ce texte que ce magistrat ne saurait consigner les déclarations de la personne hors la présence de son avocat sans méconnaître les droits de la défense, alors que ladite décision portait sur une rédaction ancienne du texte et que sa rédaction actuelle, issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, en prévoyant le droit à l'assistance d'un avocat et la notification à la personne de son droit de garder le silence, garantit suffisamment les droits de celle-ci pour permettre le recueil de ses déclarations hors la présence de son avocat.


Réponse de la Cour

Vu l'article 393 du code de procédure pénale :

8. Il résulte de ce texte, dans sa version issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, que le procureur de la République qui ordonne le défèrement devant lui d'une personne qu'il envisage de poursuivre en application des articles 394, 395 et 397-1-1 du même code peut, après avoir avisé l'intéressée de son droit de garder le silence et de son droit d'être assistée d'un avocat, recueillir ses observations ou procéder à son interrogatoire.

9. Pour prononcer l'annulation partielle du procès-verbal de comparution devant le procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 393 du code de procédure pénale doivent être interprétées à la lumière des principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011, et que le procureur de la République ne peut dès lors, sauf à méconnaître les droits de la défense, ni interroger la personne ni consigner ses déclarations hors la présence de son avocat.

10. Les juges relèvent qu'en l'espèce, le procès-verbal mentionne que M. [Y], avisé de son droit à l'assistance d'un avocat, a désigné un conseil qui a fait savoir qu'il ne serait pas présent avant l'audience devant le tribunal correctionnel puis, qu'après avoir été informé de son droit de garder le silence, l'intéressé a fait des déclarations qui ont été retranscrites.

11. Ils en déduisent que cette retranscription a causé une atteinte aux droits de la défense faisant nécessairement grief à l'intéressé.

12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés, pour les motifs qui suivent.

13. En premier lieu, les motifs et la réserve d'interprétation énoncés par la décision précitée du Conseil constitutionnel, relatifs à une version ancienne du texte qui ne prévoyait ni droit à l'assistance par un avocat, ni notification du droit au silence, ni possibilité pour le procureur de la République de procéder à l'interrogatoire de la personne, ne sauraient s'imposer à l'interprétation des dispositions en vigueur.

14. En second lieu, aucune disposition législative ou conventionnelle n'interdit au procureur de la République, après avoir informé la personne de ses droits, d'interroger celle-ci et de retranscrire ses déclarations si elle souhaite en faire, l'absence éventuelle de l'avocat régulièrement avisé ayant pour seule conséquence l'impossibilité de fonder une condamnation sur les seules déclarations ainsi recueillies, en application de l'article préliminaire du code de procédure pénale.

15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'annulation partielle du procès-verbal de comparution devant le procureur de la République. Les autres dispositions seront donc maintenues.

17. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 1er mars 2022, en ses seules dispositions relatives à l'annulation partielle du procès-verbal de comparution devant le procureur de la République, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit octobre deux mille vingt-deux.

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