18 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-86.965

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01271

Titres et sommaires

PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT - Protection de la faune et de la flore - Préservation et surveillance du patrimoine biologique - Délit de destruction d'animaux non domestiques d'espèces protégées - Eléments constitutifs - Elément moral

Le délit, prévu par le 1° de l'article L. 415-3 du code de l'environnement, d'atteinte à la conservation des habitats naturels ou espèces animales non domestiques, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 du même code, peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions. En outre, une faute d'imprudence ou négligence suffit à caractériser l'élément moral du délit. Justifie sa décision la cour d'appel qui déclare des prévenus coupables de ce délit pour n'avoir pas satisfait à leurs obligations de reboisement résultant des dérogations préfectorales à l'interdiction de destruction de tels habitats et espèces, qu'ils avaient obtenues en vue de la construction d'un ouvrage d'intérêt public majeur

PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT - Protection de la faune et de la flore - Préservation et surveillance du patrimoine biologique - Délit de destruction d'animaux non domestiques d'espèces protégées - Eléments constitutifs - Abstention de satisfaire aux prescriptions règlementaires ou décisions individuelles


PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT - Protection de la faune et de la flore - Infractions - Mesures prévues par l'article L. 173-5 du code de l'environnement - Remise en état des lieux - Délai - Détermination - Nécessité

Il résulte de l'article L. 173-5 du code de l'environnement que, lorsqu'elle ordonne des mesures destinées à remettre en état les lieux auxquels il a été porté atteinte par les faits incriminés ou à réparer les dommages causés à l'environnement, la juridiction correctionnelle doit impartir à l'auteur de l'infraction un délai pour y procéder et peut assortir sa décision d'une astreinte dont elle fixe le montant et la durée dans les limites déterminées par la loi. Encourt la cassation, la cour d'appel qui omet de fixer la durée de l'astreinte dans la limite d'un an au plus

Texte de la décision

N° M 21-86.965 F-B

N° 1271


MAS2
18 OCTOBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 OCTOBRE 2022




M. [H] [W] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2021, qui, pour infraction au code de l'environnement, a condamné le premier à 15 000 euros d'amende dont 5 000 euros avec sursis, la seconde à 650 000 euros d'amende, a ordonné le remise en état des lieux sous astreinte et une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [H] [W] et de la société [1], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société [1], qui a pour objet social la construction, l'exploitation et la gestion de réseaux de transport de gaz, a construit un gazoduc d'une longueur de plus de 300 kilomètres, mis en service le 1er novembre 2016. De nombreux travaux se sont poursuivis postérieurement jusqu'au cours du mois de novembre 2018, pour la réparation de divers défauts.

3. La réalisation de l'ouvrage a rendu nécessaire le défrichement de zones boisées et la création d'une piste de travail d'une largeur de 30 à 40 mètres selon les secteurs, afin de permettre le passage des engins de travaux publics et la pose de la conduite de gaz. Une bande dite hors sylvandi de 10 mètres de large est restée déboisée afin de permettre l'accès au gazoduc en cas de nécessité.

4. Le projet a fait l'objet des autorisations administratives nécessaires, en particulier deux arrêtés des préfets de l'Aube et de la Haute-Marne, respectivement en date des 21 mai et 12 juin 2014, qui ont dérogé à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et autorisé, sur le fondement de l'article L. 411-2 du même code, jusqu'au 31 décembre 2017, la destruction, l'altération ou la dégradation d'aires de repos ou sites de reproduction d'espèces animales protégées sous réserve de la mise en oeuvre de mesures définies dans le dossier prévu à cet effet.

5. Un procès-verbal de l'[2] ([2]) du 27 novembre 2019, a relevé que, plus de deux ans après le délai imparti par les arrêtés préfectoraux, les zones déboisées n'avaient pas été remises en état sur une superficie de 40,6 hectares. Un contrôle réalisé notamment le 11 mars 2020 a confirmé ces constatations.

6. La société [1] et M. [H] [W], qu'elle emploie comme directeur de projet, ont été cités devant le tribunal correctionnel pour avoir, dans diverses communes énumérées dans la prévention, entre le 1er janvier 2018 et le 11 mars 2020, porté atteinte à la conservation d'habitats naturels, en l'espèce en détruisant 40,6 hectares d'arbres hors bande non sylvandi et en ne les reboisant pas à l'issue des travaux, en violation des prescriptions prévues par les arrêtés préfectoraux de dérogation.

7. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables et ont prononcé sur les intérêts civils.

8. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et sixième branches, et le troisième moyen, pris en sa seconde branche


9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen, pris en ses première et cinquième branches

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt confirmatif attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] et M. [W] coupables d'avoir, entre le 1er janvier 2018 et le 11 mars 2020, porté atteinte à la conservation d'habitats naturels d'espèces animales protégées au titre de l'article L. 411 1 du code de l'environnement, en l'espèce en détruisant 40,6 hectares d'arbres hors bande non sylvandi et en ne les reboisant pas à l'issue des travaux, alors :

« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte et que le délit d'atteinte à la conservation d'habitats naturels est une inf raction de commission ; qu'en se fondant , pour déclarer les prévenus coupables de ce chef, sur le fait que « les travaux de remise en état dans le cadre des mesures de réduction concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'avaient pas été mis en place » et sur la seule « absence de début d'exécution des obligations de la société [1] notamment depuis la fin des travaux du gazoduc », sans caractériser un acte positif de commission d'une atteinte à la conservation d'un habitat naturel, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 du code pénal et L. 415-3 du code de l'environnement ;

5°/ qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'en se fondant , pour déclarer les prévenus coupables du délit d'atteinte à la conservation d'habitats naturels, sur la seule « constat[ation] que les travaux de remise en état dans le cadre des mesures de réduction concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'avaient pas été mis en place » et sur la « négligence » des prévenus, sans caractériser l'intention de commettre le délit poursuivi, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4, 121-3 du code pénal et L. 415 3 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

11. Pour confirmer le jugement ayant déclaré les prévenus coupables, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 411-1, 3°, du code de l'environnement pose le principe d'une protection stricte des habitats naturels et des habitats naturels des espèces protégées en interdisant leur destruction, leur altération ou leur dégradation, mais que l'article L. 411-2 du même code prévoit la possibilité de dérogations afin de permettre la construction de projets nécessaires à l'activé humaine pour des raisons d'intérêt public majeur qu'il définit.

12. Les juges rappellent que la société prévenue a notamment obtenu des dérogations préfectorales aux interdictions, d'une part, d'enlèvement et destruction de spécimens d'espèces animales protégées, d'autre part, d'altération ou dégradation de sites de reproduction ou d'aires de repos d'espèces animales protégées, d'enlèvement et de réimplantation de spécimens d'espèces végétales protégées.

13. Ils ajoutent que cette société s'était, à ce titre, expressément engagée, pour les petits mammifères, à replanter des haies arborées, arbustives et buissonnantes et, pour les oiseaux, à créer un stock de nouveaux arbres favorables à un habitat d'accueil.

14. Ils relèvent que le terme employé dans le dossier établi pour obtenir les dérogations est celui de « plantation » et non celui de « régénération naturelle des végétaux ». Ils retiennent que les possibles échanges avec l'administration sur une régénération naturelle ne peuvent justifier l'absence de début d'exécution des obligations mises à la charge de la société, notamment depuis la fin des travaux, et qu'il résulte des contrôles réalisés entre juin 2018 et le 20 mars 2020 par les agents de l'OFB que les travaux de remise en état concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'ont pas été réalisés.

15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes invoqués au moyen.

16. D'une part, le délit, prévu par le 1° de l'article L. 415-3 du code de l'environnement, d'atteinte à la conservation des habitats naturels ou espèces animales non domestiques, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 du même code, peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions.

17. D'autre part, une faute d'imprudence ou négligence suffit à caractériser l'élément moral du délit.

18. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [1] à payer une amende délictuelle de 650 000 euros et a condamné M. [W] au paiement d'une amende de 15 000 euros et dit qu'il serait sursis partiellement pour un montant de 5 000 euros à l'exécution de cette peine, alors :

« 1°/ que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges ; qu'en se bornant, pour condamner la société [1] à payer une amende délictuelle de 650 000 euros, à énoncer que le « retard pris dans la réalisation des mesures de réduction [...] a[vait] eu et [...] a[vait] toujours à ce jour des conséquences graves pour les espèces protégées identifiées » et que « le préjudice écologique [était] en conséquence important », sans s'expliquer ni sur les ressources et les charges de la société prévenue, ni sur sa situation personnelle, qu'elle devait pourtant prendre en considération au regard de la gravité des faits pour fonder sa décision, la cour d'appel ne l'a pas légalement justifiée au regard des articles 132-1, 132-20 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 485-1 du code de procédure pénale :

20. Selon cet article, en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Il en résulte que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges, en se référant aux éléments qui résultent du dossier et à ceux que le juge a sollicités et recueillis lors des débats.

21. Pour porter l'amende infligée par les premiers juges à la société [1] de 500 000 euros à 650 000 euros, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, que cette société a un casier judiciaire vierge, qu'elle assumait une mission de service public et ne pouvait se comporter avec une telle négligence vis-à-vis de questions environnementales locales et d'un enjeu majeur au regard du contexte sociétal et écologique actuels, d'autre part, que le préjudice sera apprécié en tenant compte de déboisements portant sur 40,6 hectares et du retard inacceptable pris pour les travaux de reboisement mettant d'ores et déjà en péril certaines espèces.

22. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le montant des ressources et des charges de la prévenue, qui était représentée à l'audience, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à l'encontre de la société [1] prise en la personne de son représentant légal la remise en état des lieux auxquels il a été porté atteinte et ce avant le 1er février 2022 et sous astreinte journalière de 3 000 euros à compter du 1er février 2022, alors :

« 1°/ que le délai imparti par le juge pour effectuer des travaux de remise en état ne court qu'à compter du jour où la décision, devenue définitive, est exécutoire ; qu'en ordonnant à la société [1] de remettre les lieux en état « avant le 1er février 2022 », sous astreinte à compter de cette date, quand le délai d'exécution de la remise en état ne pouvait courir avant que la condamnation soit devenue définitive, la cour d'appel, qui a méconnu l'effet suspensif du pourvoi en cassation, a violé les articles L. 173-5 du code de l'environnement, 569 et 708 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'injonction de remise en état peut être assortie d'une astreinte journalière pour une durée d'un an au plus ; qu'en s'abstenant de limiter à une année la durée pendant laquelle l'astreinte pouvait courir, et en prononçant ainsi une astreinte perpétuelle, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé l'article L. 173-5 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 173-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits :

25. Il résulte de ce texte que, lorsqu'elle ordonne des mesures destinées à remettre en état les lieux auxquels il a été porté atteinte par les faits incriminés ou à réparer les dommages causés à l'environnement,
la juridiction correctionnelle doit impartir à l'auteur de l'infraction un délai pour y procéder, et peut assortir sa décision d'une astreinte dont elle fixe le montant et la durée dans les limites déterminées par la loi.

26. L'arrêt attaqué a ordonné à l'encontre de la société [1] la remise en état des lieux auxquels il a été porté atteinte avant le 1er février 2022, sous astreinte journalière de 3 000 euros à compter de cette date.

27. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

28. D'une part, le délai d'exécution de la remise en état ne peut courir avant que la condamnation soit devenue définitive.

29. D'autre part, la cour d'appel a omis de fixer la durée de l'astreinte dans la limite d'un an au plus.

30. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

31. La cassation sera limitée à la peine d'amende prononcée contre la société [1] et à la mesure de remise en état ordonnée à son encontre. Les autres dispositions seront maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 10 novembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'amende prononcée contre la société [1] et à la mesure de remise en état ordonnée à son encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues,

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit octobre deux mille vingt-deux.

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