11 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.654

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01225

Titres et sommaires

EXTRADITION - Etat étranger requérant - Etat non-membre de l'Union européenne - Ressortissant de l'Union européenne - Conditions - Etat du ressortissant mis en mesure de délivrer un mandat d'arrêt européen - Forme de la réponse de l'Etat du ressortissant - Détermination

En application des articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'une demande d' extradition émanant d'un Etat tiers à l'Union européenne, d'un citoyen ressortissant d'un autre Etat membre, de s'assurer que ce dernier Etat a été suffisamment mis en mesure d'exercer, le cas échéant, le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen. L'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité n'a pas l'obligation de rendre une décision formelle, dûment motivée et susceptible d'un recours juridictionnel. Justifie dès lors sa décision la chambre de l'instruction qui émet un avis favorable à une demande d'extradition formée par les Etats-Unis d'Amérique d'un ressortissant luxembourgeois, après avoir constaté que, d'une part, les autorités françaises ont informé les autorités judiciaires luxembourgeoises que cette demande était relative à des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie, l'intéressé étant accusé d'avoir fourni « des services d'espionnage industriel et de blanchiment d'argent » et des informations de police confidentielles aux principaux accusés, ainsi que d'avoir poursuivi ses activités délictuelles au moyen d'une société enregistrée à son nom aux Emirats arabes unis, d'autre part, les autorités luxembourgeoises ont indiqué par courriel ne pas vouloir reprendre les poursuites ni délivrer de mandat d'arrêt européen pour ces faits

Texte de la décision

N° X 22-80.654 F-B

N° 01225


SL2
11 OCTOBRE 2022


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2022



M. [J] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 19 janvier 2022, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement américain, a émis un avis favorable.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [J] [G], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 29 avril 2021, M. [J] [G], ressortissant luxembourgeois, a fait l'objet d'une arrestation provisoire aux fins d'extradition, sur la base d'un mandat d'arrêt délivré le 24 septembre 2020, par une juge d'une cour de district de New York, pour des faits de complot en vue de commettre une fraude électronique et complot en vue de commettre un blanchiment commis courant 2014 à 2019 notamment aux Etats-Unis et au Luxembourg.

3. Le même jour, M. [G] a été placé sous écrou extraditionnel.

4. Le 2 juillet 2021, le procureur général lui a notifié la demande d'extradition transmise par les autorités judiciaires américaines pour ces faits.

5. M. [G] a déclaré ne pas consentir à sa remise.

6. Par arrêt du 21 juillet 2021, la chambre de l'instruction a ordonné, avant dire droit, un complément d'information pour que, d'une part, les autorités luxembourgeoises soient consultées sur l'extradition de leur ressortissant, d'autre part, les autorités américaines précisent les modalités de poursuite et d'exécution des peines relatives aux infractions reprochées à M. [G].

7. Le procureur général a transmis à la chambre de l'instruction des échanges de courriels, datés des 3 et 4 mai 2021, avec les autorités judiciaires luxembourgeoises, aux termes desquels le parquet général du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a indiqué : « je n'entends pas reprendre les poursuites menées contre [J] [G] par les autorités américaines. Par conséquent, je peux vous confirmer que le Luxembourg n'adressera dans ce contexte pas de mandat d'arrêt européen à la France. »

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche


8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.





Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a délivré un avis favorable à l'extradition de M. [G], alors « que l'Etat requis doit transmettre à l'Etat dont la personne a la nationalité, l'ensemble des informations communiquées par l'Etat requérant dans la demande d'extradition ; que la chambre de l'instruction a relevé que « les autorités françaises ont informé (…) les autorités luxembourgeoises de la demande d'arrestation provisoire » et constaté qu'à cette date, les autorités françaises n'étaient pas saisies de la demande d'extradition ; qu'en estimant cependant la procédure régulière, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 14 de la convention des droits de l'homme, 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux, 18 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 591, 593 et 696-8 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les articles 18 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un Etat membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre Etat membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un Etat tiers avec lequel le premier Etat membre a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'Etat membre dont ledit citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier Etat membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009, pourvu que cet Etat membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhin, C-182/15).

11. Elle a précisé que, conformément au principe de coopération loyale, il incombe à l'Etat membre requis d'informer les autorités compétentes de l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'Etat tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition.


12. La CJUE a ajouté qu'il incombe également à l'Etat membre requis de tenir lesdites autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020, By, C-398/19).

13. Cet échange d'informations a pour objet de mettre l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité en mesure d'exercer le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.

14. Une telle interprétation garantit l'exercice du droit à la libre circulation tout en évitant, dans la mesure du possible, le risque que l'infraction poursuivie demeure impunie (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016 précité).

15. Par ailleurs, la CJUE a dit pour droit que pour autant qu'il ait dûment informé l'Etat membre dont la même personne a la nationalité de l'existence de la demande d'extradition, aux conditions rappelées ci-dessus aux paragraphes 11 à 13, l'Etat membre requis peut extrader cette personne sans être tenu d'attendre que l'Etat membre dont elle a la nationalité renonce, par une décision formelle, à l'émission d'un tel mandat d'arrêt, portant à tout le moins sur les mêmes faits que ceux visés dans la demande d'extradition, lorsque ce dernier Etat membre s'abstient de procéder à une telle émission dans un délai raisonnable que lui a accordé à cet effet l'Etat membre requis, tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020 précité).

16. Il s'évince de cette interprétation, justifiée par la mise en oeuvre des mécanismes de coopération et d'assistance mutuelle existant en matière pénale en vertu du droit de l'Union et afin de ne pas retarder indûment la procédure d'extradition, que l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité n'a pas l'obligation de rendre une décision formelle, dûment motivée et susceptible d'un recours juridictionnel.

17. En l'espèce, pour émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce que les autorités judiciaires luxembourgeoises ont été avisées par courriel du 3 mai 2021 de l'interpellation de M. [G], de nationalité luxembourgeoise, au titre d'une demande formelle d'arrestation provisoire des Etats-Unis d'Amérique aux fins d'extradition.

18. Les juges relèvent qu'il y était précisé que l'intéressé a été placé sous écrou extraditionnel pour l'exercice de poursuites pénales au titre d'un mandat d'arrêt décerné le 24 septembre 2020 par une juge américaine pour des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie, OneCoin.

19. Ils ajoutent que les autorités françaises ont précisé aux autorités luxembourgeoises que l'intéressé était plus précisément accusé par les autorités américaines d'avoir fourni « des services d'espionnage industriel et de blanchiment d'argent » et « des informations de police confidentielles aux principaux accusés permettant à l'un des deux fondateurs de la société et du montage pyramidal/système de Ponzi d'échapper à une arrestation », ainsi que « d'avoir poursuivi les activités de OneCoin au moyen d'une société enregistrée à son nom aux Emirats-Arabes-Unis ».

20. Les juges retiennent que par courriel du 4 mai 2021, les autorités luxembourgeoises ont indiqué ne pas vouloir reprendre les poursuites ni délivrer de mandat d'arrêt européen pour ces faits.

21. Ils concluent en substance que les informations communiquées par les autorités françaises sont suffisamment précises quant à l'existence de la demande d'extradition émanant des autorités américaines et quant aux éléments de fait et de droit communiqués par les Etats-Unis d'Amérique à la France, pour permettre aux autorités luxembourgeoises d'exercer des poursuites à l'encontre de M. [G].

22. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

23. En effet, la réception de la demande d'extradition ne pouvait être analysée, en l'espèce, comme un changement pertinent de la situation de M. [G], dès lors que les informations communiquées par le ministre français de la justice, après arrestation provisoire du requérant, mentionnaient expressément l'existence d'une demande d'extradition pour poursuites pénales et étaient suffisamment précises pour permettre aux autorités judiciaires du Luxembourg d'apprécier l'opportunité de délivrer un mandat d'arrêt européen contre lui.

24. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

25. Par ailleurs, s'agissant des questions préjudicielles présentées à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu de transmettre la première qui porte sur l'étendue de l'échange d'informations entre Etats membres, dont la substance est identique à une question à laquelle la CJUE a répondu dans son arrêt du 17 décembre 2020 précité, ni les deuxième et troisième relatives à la forme de la décision de refus de délivrance d'un mandat d'arrêt européen et à l'existence d'un recours contre celle-ci, leur réponse se déduisant de l'arrêt susvisé de la CJUE.


Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

26. Le moyen, en sa secondre branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a délivré un avis favorable à l'extradition de M. [G], alors :

« 2°/ que l'existence d'un « risque » de subir un traitement inhumain et dégradant impose le refus de l'extradition ; qu'après avoir établi la pratique répandue de la détention et de l'isolement cellulaire, la chambre de l'instruction a accordé l'extradition en ce que la détention n'est pas automatiquement prononcée et que ses modalités sont incertaines ; qu'en imposant la certitude que soit prononcé un tel traitement tandis que seul le « risque » de le subir suffit pour refuser l'extradition, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 3 et 6 de la Convention des droits de l'homme, 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

27. La CJUE énonce qu'en l'absence d'émission d'un mandat d'arrêt européen par l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité, l'Etat membre requis peut procéder à son extradition, à condition d'avoir vérifié que cette extradition ne portera pas atteinte aux droits visés à l'article 19, alinéa 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

28. Pour ce faire, cet Etat membre, conformément à l'article 4 de la Charte précitée qui interdit les peines ou les traitements inhumains ou dégradants, ne saurait se limiter à prendre en considération les seules déclarations de l'Etat tiers requérant ou l'acceptation, par ce dernier Etat, de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux. L'autorité compétente de l'Etat membre requis doit se fonder, aux fins de cette vérification, sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, éléments pouvant résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, des décisions judiciaires de l'Etat tiers requérant ainsi que des décisions, des rapports et d'autres documents établis par les organes du Conseil de l'Europe ou relevant du système des Nations unies (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016 précité ; arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C-897/19).


29. En l'espèce, pour écarter le grief tiré du risque de traitement inhumain et dégradant, l'arrêt attaqué énonce, en substance, que les documents produits par la défense, notamment les rapports établis courant 2014 du Comité contre la torture des Nations unies et du Comité des droits de l'homme des Nations unies, ainsi que le rapport pour l'année 2020 du groupe de travail sur la détention arbitraire du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, font état d'inquiétudes et de préoccupations sur des pratiques pénitentiaires et des agressions sur des détenus estimées trop répandues, sans que l'isolement cellulaire ne soit identifié comme systématique.

30. Les juges en déduisent que ces éléments ne constituent pas un tableau objectif, fiable, précis et dûment actualisé des éventuelles conditions de détention de M. [G], détention qui par ailleurs en l'état actuel de la procédure est hypothétique dans son principe et incertaine dans ses modalités.

31. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

32. En effet, elle a exactement retenu qu'aucun élément objectif, fiable, précis et dûment actualisé caractérisait l'existence d'un risque, pour la personne réclamée, d'être soumise à une détention dans des conditions portant atteinte à la dignité humaine.

33. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

34. En l'absence de doute raisonnable, il n'y a pas lieu de transmettre la question préjudicielle présentée à titre subsidiaire portant sur la nécessité, pour l'Etat membre requis, de lancer la procédure de consultation prévue à l'article 17, § 2, de l'accord d'extradition entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique, lorsqu'il n'est pas en mesure de s'assurer que les droits et libertés consacrés par le droit de l'Union seraient garantis en cas d'extradition ou que celle-ci aurait des conséquences manifestement disproportionnées.

35. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze octobre deux mille vingt-deux.

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