6 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.272

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C201031

Titres et sommaires

AVOCAT - Honoraires - Contestation - Procédure - Principe de contradiction - Etendue - Portée

Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Viole l'article 7 du code de procédure civile le premier président d'une cour d'appel qui, pour fixer le montant des honoraires dus à l'avocat, fait application d'un taux horaire correspondant à la moyenne pratiquée par les avocats dans le ressort d'une cour d'appel alors que l'existence de ce taux horaire ne résultait ni des écritures des parties reprises oralement à l'audience, ni des pièces de la procédure

AVOCAT - Honoraires - Montant - Contestation - Procédure - Principe du contradictoire - Respect - Critères de détermination du montant des honoraires - Fixation au regard d'un taux horaire moyen - Possibilité

AVOCAT - Honoraires - Montant - Fixation - Eléments à prendre en considération - Eléments non compris dans les écritures et pièces versées au débat - Possibilité - Cas - Taux horaire moyen pratiqué au sein de la cour d'appel

AVOCAT - Honoraires - Montant - Fixation - Fixation selon un barème - Détermination au regard d'un taux horaire moyen - Méconnaissance de l'office du juge

Texte de la décision

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 octobre 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1031 F-B

Pourvoi n° J 21-15.272




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 OCTOBRE 2022

Mme [J] [I], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-15.272 contre l'ordonnance n° RG 19/17361 rendue le 16 février 2021 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-11 OP), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [O] [W], domiciliée [Adresse 3], associée de la société [Adresse 2],

2°/ à la société [Adresse 2], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [I], de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [W], de la société [Adresse 2], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 août 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 16 février 2021), Mme [I] a chargé en février 2016, Mme [W], avocate associée au sein de la société [Adresse 2] (la société Alpijuris), de la représenter dans une procédure de divorce. Une convention d'honoraires a été conclue le 25 mars 2016, qui prévoyait un honoraire forfaitaire fixe de 3 000 euros HT, couvrant la première instance, un honoraire du même montant pour l'appel, ainsi qu'un honoraire complémentaire de résultat de 10 % HT calculé sur le montant de la prestation compensatoire.

2. Par un jugement du 7 février 2017, un tribunal de grande instance a prononcé le divorce et octroyé à Mme [I] une certaine somme à titre de prestation compensatoire. Mme [I] a relevé appel de ce jugement et confié la défense de ses intérêts à un autre conseil.

3. Le 2 juin 2017, Mme [I] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Draguignan d'une demande tendant à la contestation d'une facture adressée par la société Alpijuris relative à des honoraires de résultat dans la procédure de divorce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. Mme [I] fait grief à l'ordonnance de fixer les honoraires dus à Mme [W], avocate associée de la société Alpijuris, à la somme de 5 680 euros HT, soit 6 816 euros TTC, de constater le paiement à l'avocate de la somme de 3 600 euros TTC, et de dire qu'en conséquence elle devrait payer à Mme [W] un solde d'honoraires de 3 216 euros TTC, alors « que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en retenant un taux horaire moyen de 200 euros HT pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour fixer les honoraires litigieux, quand ce fait n'était pas dans le débat, le premier président a violé l'article 7 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 7 du code de procédure civile :

5. Selon ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat.

6. Pour fixer les honoraires dûs à Mme [W], l'ordonnance retient qu'à défaut de justification de l'acceptation d'un taux horaire de rémunération de 250 euros HT par Mme [I] et d'une complexité particulière du dossier, il sera fait application d'un taux horaire de 200 euros HT correspondant à la moyenne pratiquée par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

7. En statuant ainsi, alors qu'il énonçait que les parties avaient repris oralement à l'audience les termes de leurs écritures et qu'il ne résultait ni de ces écritures ni des pièces de la procédure que le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence est de 200 euros HT, le premier président qui a fondé sa décision sur un fait qui n'était pas dans le débat, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevable le recours formé par Mme [I] à l'encontre de la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Draguignan en date du 2 octobre 2019 et constate le paiement par cette dernière de la somme de 3 600 euros TTC, l'ordonnance rendue le 16 février 2021 entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne Mme [W] et la société [Adresse 2] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [W] et la société [Adresse 2] et les condamne à payer à Mme [I] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme [I]

Madame [I] fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir fixé les honoraires dus par elle à maître [W], avocate associée de la Selarl Alpijuris, à la somme de 5 680 euros hors taxes, soit 6 816 euros toutes taxes comprises, d'avoir constaté le paiement par la cliente à l'avocate de la somme de 3 600 euros toutes taxes comprises et d'avoir dit qu'en conséquence la cliente devrait payer à maître [W] un solde d'honoraires de 3 216 euros toutes taxes comprises ;

1) Alors qu'à défaut de convention d'honoraires, l'honoraire est fixé, selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; qu'en se fondant (ordonnance, p. 3, in fine, à p. 4, in limine), pour fixer les honoraires dus par madame [I] à maître [W], sur les diligences effectuées par cette dernière et l'absence de difficulté de l'affaire, sans s'expliquer, comme il y était invité, sur la situation de fortune de la cliente, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;

2) Alors que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en retenant (ordonnance, p. 4, al. 1er) un taux horaire moyen de 200 euros hors taxes pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour fixer les honoraires litigieux, quand ce fait n'était pas dans le débat, le premier président a violé l'article 7 du code de procédure civile ;

3) Alors, à tout le moins, qu'en ne précisant pas sur quel élément de preuve il se fondait pour considérer (ordonnance, p. 4, al. 1er) que le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence était de 200 euros hors taxes, le premier président a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4) Alors qu'à défaut de convention d'honoraires, l'honoraire est fixé, selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; qu'en se fondant (ordonnance, p. 4, al. 1er) sur le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour fixer les honoraires litigieux, cependant qu'un tel critère n'est pas au nombre de ceux que le juge de l'honoraire est en droit de considérer pour apprécier les honoraires dus, le premier président a violé l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.

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