5 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-12.250

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00566

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Procédure (dispositions générales) - Voies de recours - Exercice - Appel - Jugement qui rejette la demande de report de la date de cessation des paiements - Appel principal formé par le débiteur - Recevabilité (non)

Selon les articles L. 631-8 et L. 641-5 du code de commerce, seuls ont qualité à agir en report de la date de cessation des paiements l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur, ou le ministère public, à l'exclusion du débiteur, qui ne peut donc agir à titre principal à cette fin et ne dispose, lorsqu'il est mis en liquidation judiciaire, que d'un droit propre à défendre à l'action. Il en résulte que le débiteur ne peut former un appel principal contre un jugement qui rejette la demande de report de la date de cessation des paiements formée par l'une des parties qui a qualité pour ce faire

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Ouverture - Cessation des paiements - Report de la date de cessation des paiements - Jugement qui rejette la demande de report - Appel - Appel principal formé par le débiteur - Recevabilité (non)

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 octobre 2022




Cassation partielle et cassation partielle sans renvoi


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 566 F-B

Pourvoi n° Z 21-12.250







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 OCTOBRE 2022

1°/ M. [G] [N], domicilié [Adresse 5],

2°/ la société [G] et [U] [N], société à responsabilité limitée à associé unique, dont le siège est [Adresse 5],

3°/ la société MJ associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée,
dont le siège est [Adresse 6], anciennement dénommée la société [E] [H], en la personne de Mme [E] [H], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société [G] et [U] [N],

ont formé le pourvoi n° Z 21-12.250 contre l'arrêt rendu le 5 février 2019 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile) et l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Entreprise dijonnaise, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 9],

2°/ à M. [R] [T], domicilié [Adresse 2], mandataire judiciaire, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Entreprise dijonnaise,

3°/ à la société RGA expertise & audit, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

4°/ à M. [K] [Z], domicilié [Adresse 3],

5°/ à la société Cléon Martin Broichot & associés, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8],

6°/ à M. [A] [L], domicilié [Adresse 4],

7°/ à M. [O] [I], domicilié [Adresse 7],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [N], de la société [G] et [U] [N] et de la société MJ associés, ès qualités, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société RGA expertise & audit, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Cléon Martin Broichot & associés, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [Z], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [L], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [T], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Dijon, 5 février 2019 et 17 décembre 2020), la société Entreprise dijonnaise (la société ED), détenue par la société holding [G] et [U] [N] (la société BRG), avait pour dirigeants MM. [N], président du conseil d'administration et directeur général, et [I], directeur général délégué.

2. Le 10 juin 2014, la société holding Carpe Diem, dirigée par M. [X], a fait l'acquisition des parts sociales de la société ED, M. [X] devenant président directeur général de celle-ci, tandis que MM. [N] et [I] démissionnaient de leurs fonctions.

3. Le 28 novembre 2014, M. [X] a déclaré la cessation des paiements de la société ED qui, par un jugement du 2 décembre 2014, a été mise en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 31 décembre 2013.

4. Le 3 avril 2015, l'administrateur judiciaire a assigné la société ED, MM. [N] et [I], en leur qualité d'anciens dirigeants de la société débitrice, et la société BRG en report de la date de cessation des paiements au 2 juin 2013.

5. La procédure collective ayant été convertie en liquidation judiciaire le 24 avril 2015, le liquidateur de la société ED, M. [T], a repris cette action.

6. Le 15 avril 2016, M. [N] a appelé en intervention forcée, à l'instance en report, M. [Z] et la société RGA expertise & audit (la société RGA), en leur qualité de commissaires aux comptes de la société débitrice, la société Cléon Martin Broichot et associés (la société Cléon), en qualité d'expert-comptable de la société débitrice, M. [L], en qualité de conciliateur puis de mandataire ad hoc de la société débitrice, afin que le jugement leur soit déclaré opposable. La jonction des procédures a été ordonnée.

7. Un jugement du 31 janvier 2017 a, notamment, déclaré irrecevables ces interventions forcées et rejeté la demande de report de la date de cessation des paiements.

8. La société ED a relevé appel principal de ce jugement, en intimant son liquidateur, M. [N], la société BRG, la société [E] [H] en qualité de mandataire judiciaire de cette dernière, et le ministère public.

9. Sur cet appel principal, le liquidateur a formé un appel incident et M. [N] un appel provoqué, après que ce dernier a de nouveau assigné en intervention forcée les personnes ci-dessus nommées, afin que la décision à intervenir leur soit rendue commune et opposable.

10. Le liquidateur a également relevé appel principal de ce jugement, en intimant la société débitrice ED, M. [N], ainsi que la société BRG et son mandataire judiciaire, la société [E] [H], qui est devenue la société MJ associés puis a été nommée en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette société.

11. Les deux procédures d'appel ont été jointes.

12. Le premier arrêt attaqué, infirmant une ordonnance du conseiller de la mise en état, déclare recevables l'appel principal formé par la société ED, les appels incident et provoqué consécutifs à cet appel, et l'appel principal formé par le liquidateur de cette société.

13. Le second arrêt attaqué, infirmant le jugement entrepris, reporte la date de cessation des paiements de la société ED au 2 juin 2013.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et sur le troisième moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches, ci-après annexés


14. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

15. M. [N], la société BRG et le commissaire à l'exécution du plan de celle-ci font grief au premier arrêt de déclarer recevables l'appel principal formé par la société ED et, en conséquence, celui interjeté par le liquidateur de cette société et ceux incident et provoqué consécutifs à l'appel principal, alors « que le débiteur en procédure collective, qui ne peut agir à titre principal pour faire fixer la date de la cessation des paiements, ne dispose que d'un droit propre à défendre à une action en report de la date de cessation des paiements ; que si ce droit propre inclut celui de faire appel du jugement ayant statué sur une demande de report, il ne permet pas au débiteur de faire appel de la décision ayant rejeté l'action en report de la date de cessation des paiements, un tel appel ne permettant pas de défendre à l'action ; qu'en retenant en l'espèce que la société Entreprise dijonnaise était recevable à interjeter appel du jugement ayant débouté le liquidateur judiciaire de sa demande de report de la date de cessation des paiements, en vertu de son droit propre à défendre à cette action, cependant que ladite action ayant été rejetée par le jugement de première instance, cet appel ne permettait en conséquence pas à la société Entreprise dijonnaise de mettre en oeuvre son droit propre à défendre à une telle action, la cour d'appel a violé l'article L. 631-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 631-8 et L. 641-5 du code de commerce :

16. Selon ces textes, seuls ont qualité à agir en report de la date de cessation des paiements l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur, ou le ministère public, à l'exclusion du débiteur, qui ne peut donc agir à titre principal à cette fin et ne dispose, lorsqu'il est mis en liquidation judiciaire, que d'un droit propre à défendre à l'action. Il en résulte que le débiteur ne peut former un appel principal contre un jugement qui rejette la demande de report de la date de cessation des paiements formée par l'une des parties qui a qualité pour ce faire.

17. Pour déclarer recevable l'appel principal formé par la société ED, le premier arrêt retient qu'il résulte du jugement entrepris que cette société n'a pas défendu à l'action en report de la date de cessation des paiements intentée par son liquidateur, de sorte qu'elle est recevable, en vertu de son droit propre à défendre à une telle action, à interjeter appel de ce jugement.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que le jugement frappé d'appel par la société débitrice avait rejeté la demande de report de la date de cessation des paiements formée par son mandataire puis reprise par son liquidateur, peu important que la débitrice, régulièrement appelée en cause, n'ait pas comparu en première instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

19. M. [N], la société BRG et le commissaire à l'exécution du plan de celle-ci font grief au second arrêt de reporter au 2 juin 2013 la date de cessation des paiements de la société ED et de les condamner à payer à cette dernière et à son liquidateur des indemnités de procédure, alors « que la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; que cette impossibilité doit être précisément caractérisée à la date de la cessation des paiements retenue, le juge devant se fonder sur des éléments contemporains de cette date, sans pouvoir justifier sa décision au regard d'un état du passif exigible et de l'actif disponible soit antérieur, soit postérieur à la date retenue ; qu'en l'espèce, pour reporter la date de la cessation des paiements de la société Entreprise dijonnaise au 2 juin 2013, soit dix-huit mois avant le jugement d'ouverture de la procédure du 2 décembre 2014, la cour d'appel s'est fondée sur l'état du passif exigible et de l'actif disponible de la société débitrice au 31 décembre 2012, en relevant notamment que "concernant la situation de l'actif réalisable et du passif exigible de la seule société ED" "au 31 décembre 2012", "l'actif réalisable s'établissait à 10 574 K euros pour un passif exigible de 13 355 K euros, soit une insuffisance d'actif circulant de - 2 781 K€", qu'"il existe une situation financière obérée à fin 2012" et que "la situation de ED était irrémédiablement compromise dès le 31 décembre 2012 et qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements dès le 30 juin 2013" ; qu'en concluant qu' "il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à tort les premiers juges ont rejeté la demande de report de la date de cessation des paiements formée par M. [T] ès qualités, et qu'il convient de faire droit à cette requête en fixant cette date du 2 juin 2013", sans jamais indiquer quels étaient l'actif disponible et le passif exigible de la société Entreprise dijonnaise à la date du 2 juin 2013, et en déduisant l'état de cessation des paiements de l'entreprise d'éléments non contemporains de la date retenue, et en outre majoritairement antérieurs aux mesures de restructuration mises en oeuvre par M. [N] dès le second semestre 2012 et durant tout le premier semestre 2013, avec notamment la conclusion d'un protocole d'accord constaté par ordonnance du président du tribunal de commerce de Dijon du 7 mai 2013, à l'issue d'une procédure de conciliation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 631-1 et L. 641-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 631-1, alinéa 1er, L. 631-8, alinéa 2, et L. 641-1, IV du code de commerce :

20. Il résulte de la combinaison de ces textes que la date de cessation des paiements, qui est fixée en liquidation judiciaire comme en matière de redressement judiciaire, ne peut être reportée qu'au jour où le débiteur était déjà dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le juge saisi d'une demande de report doit donc, pour apprécier cette situation, se placer, non au jour où il statue, mais à celui auquel est envisagé le report de la date de cessation des paiements.

21. Pour reporter la date de cessation des paiements de la société ED au 2 juin 2013, le second arrêt, après avoir reproduit une partie des constatations figurant dans le rapport établi par M. [W], technicien désigné par le juge-commissaire, constate, d'abord, que, selon ce technicien, la situation de la société débitrice était irrémédiablement compromise dès le 31 décembre 2012 et que cette société se trouvait en état de cessation des paiements dès le 30 juin 2013, que les trois moratoires successifs accordés par la CCSF en avril 2013, janvier 2014 et juin 2014 ont eu pour seule conséquence une augmentation régulière des dettes fiscales et sociales, dans la mesure où le premier moratoire a permis de geler 1 418 000 euros de dettes qui ont atteint 1 780 000 euros en juin 2014, et où l'échéance de 100 000 euros qui devait être versée en mars 2014 n'a pas été honorée, ce qui confirme l'état de cessation des paiements.

22. L'arrêt constate, ensuite, au vu du rapport établi le 21 octobre 2013 par le cabinet Grant Thornton, que ce dernier conclut qu'il existait une situation financière obérée à fin de l'année 2012, que la dégradation s'est accentuée au premier semestre 2013 avec des fonds propres négatifs de 1,5 millions d'euros, et que « de fait la société pourrait se trouver en état de cessation des paiements en cas de mise en demeure de régler des dettes sociales échues (0,6 millions hors CCSF au 30 juin 2013) et/ou de dettes fournisseurs échues estimées à 1,2 millions d'euros (ce point restant à parfaire). »

23. L'arrêt retient, en outre, que M. [W] ne s'est pas contenté d'une simple analyse des pièces comptables de la société ED, puisqu'il joint à son rapport un document interne portant sur la trésorerie réelle jusqu'à fin mai 2012 et faisant apparaître, déjà en janvier 2012, un retard de paiement des fournisseurs de 584 000 euros et de 1 255 000 euros en mai 2012, ce qui semble corroborer les conclusions du cabinet Grant Thornton. L'arrêt ajoute que M. [W] a détaillé l'ensemble des assignations et relances adressées à la société débitrice au cours du second semestre 2012, ces procédures portant sur 440 321,92 euros et concernant des factures datées de mars à décembre 2012, et qu'il a également analysé les mises en demeure, relances, traites et chèques rejetés au cours du premier semestre 2013 concernant des fournisseurs impayés depuis plusieurs mois pour un montant total de 624 663,06 euros. L'arrêt précise encore que M. [W] s'est livré à l'analyse de l'évolution des dettes fiscales et sociales de la société ED, ce dont il ressort notamment qu'en 2013, les précomptes salariaux n'étaient pas payés à leur date d'exigibilité, que les soldes dûs à l'URSSAF, échus depuis plusieurs mois, atteignaient 971 000 euros le 30 avril 2013 et 826 000 euros le 31 mai suivant, les échéanciers accordés n'étant pas respectés, et que l'URSSAF a déclaré au passif une créance de 1 520 000 euros, dont 521 000 euros correspondent à des dettes antérieures au mois de juin 2013 et impayées au jour de l'ouverture de la procédure collective.

24. L'arrêt retient par ailleurs que, s'agissant des concours bancaires invoqués par M. [N] et la société BRG, le cabinet Grant Thornton relève que, dès la fin de 2012, la trésorerie de la société ED était proche du maximum autorisé, soit de 2 millions d'euros, qu'au 30 juin 2013, les retards de règlement atteignaient 2 678 000 d'euros, que concernant les avances de trésorerie consenties par OSEO sur les chantiers publics, notamment pour un montant de 346 000 euros au cours du seul second trimestre 2013, le seul fait que la société ED les ait sollicitées est symptomatique d'un état de cessation des paiements, puisqu'elles ne s'expliquent que par une recherche de trésorerie, et que s'agissant, enfin, des fonds provenant de la vente du siège social de la société ED, M. [N] et la société BRG indiquent eux-mêmes que cette dernière a remis à la société débitrice la somme totale de 985 000 euros, ce qui lui a permis de procéder à divers paiements de dettes, de sorte que ces fonds ne constituent plus un actif disponible.

25. L'arrêt retient, enfin, que le fait que la société ED ait bénéficié d'aides postérieurement au mois de juin 2013 et de procédures de conciliation, y compris en juillet 2014, est indifférent.

26. L'arrêt déduit de l'ensemble de ces éléments qu'il convient de reporter la date de cessation des paiements au 2 juin 2013.

27. En statuant par de tels motifs, impropres à caractériser l'état de cessation des paiements à la date du 2 juin 2013 qu'elle retenait, en l'absence de toute précision quant à l'actif disponible et au passif exigible à cette date, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

28. En premier lieu, même si le litige sur la fixation de la date de cessation des paiements, qui ne peut être qu'unique, est par nature indivisible au sens des articles 552 et 553 du code de procédure civile, la cassation du premier arrêt sur le fondement du premier moyen, lequel ne critique que la recevabilité de l'appel principal formé par la société ED, n'est pas, à elle seule, de nature à entraîner l'irrecevabilité de l'appel incident du liquidateur, ni celle de l'appel provoqué de M. [N], pas plus que celle de l'appel principal du liquidateur, dès lors que les arrêts attaqués ne comportent aucune précision quant au point de départ des délais pour former ces appels et à la date à laquelle ces appels ont été formés.

29. La portée de la cassation du premier arrêt étant donc limitée à l'irrecevabilité de l'appel principal formé par la société ED, la première branche du troisième moyen, qui se prévaut d'une cassation du second arrêt par voie de conséquence, n'est pas fondée, en l'absence d'éléments permettant d'affirmer que les autres appels sont, eux aussi, irrecevables.

30. En second lieu, ainsi que le proposent les demandeurs au pourvoi, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

31. La cassation partielle prononcée à l'égard du premier arrêt n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur la recevabilité de l'appel principal formé par la société ED.

Demande de mise hors de cause

32. Il y a lieu de mettre hors de cause M. [Z], la société RGA et la société Cléon, dont la présence devant la cour de renvoi n'est pas nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevable l'appel principal de la société Entreprise dijonnaise, l'arrêt rendu le 5 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi sur ce point ;

Déclare irrecevable l'appel principal formé par la société Entreprise dijonnaise contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dijon le 31 janvier 2017 (RG n° 2015 003581) ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement entrepris qui a débouté M. [T], en qualité de liquidateur de la société Entreprise dijonnaise, de l'ensemble de ses prétentions, en ce qu'il reporte la date de cessation des paiements de cette société au 2 juin 2013, en ce qu'il ordonne la publicité de l'arrêt, en ce qu'il statue sur les dépens et en ce qu'il condamne M. [N], la société [G] et [U] [N] et la société MJ associés, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette dernière, à payer à M. [T], ès qualités, et à la société Entreprise dijonnaise des indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Met hors de cause M. [Z], la société RGA expertise & audit, et la société Cléon Martin Broichot & associés ;

Condamne M. [T], en qualité de liquidateur de la société Entreprise dijonnaise, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [T], ès qualités, et par M. [N], la société [G] et [U] [N] et la société MJ associés, cette dernière en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société [G] et [U] [N], et condamne M. [N] à payer à M. [Z], à la société RGA expertise & audit, à la société Cléon Martin Broichot & associés et à M. [L], la somme de 3 000 euros chacun ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du cinq octobre deux mille vingt-deux et signé par Mme Vaissette, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour M. [N], la société [G] et [U] [N] et la société MJ associés, en la personne de Mme [E] [H], agissant en qualité de commissaire à l'éxécution du plan de redressement de la société [G] et [U] [N].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [N], la société BRG et la société MJ & Associés, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société BRG, font grief à l'arrêt attaqué du 5 février 2019, infirmatif de ce chef, d'avoir déclaré recevables l'appel principal formé par la société Entreprise Dijonnaise, ainsi qu'en conséquence celui interjeté par Me [T] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Entreprise Dijonnaise et ceux incident et provoqué consécutifs à l'appel principal ;

ALORS QUE le débiteur en procédure collective, qui ne peut agir à titre principal pour faire fixer la date de la cessation des paiements, ne dispose que d'un droit propre à défendre à une action en report de la date de cessation des paiements ; que si ce droit propre inclut celui de faire appel du jugement ayant statué sur une demande de report, il ne permet pas au débiteur de faire appel de la décision ayant rejeté l'action en report de la date de cessation des paiements, un tel appel ne permettant pas de défendre à l'action ; qu'en retenant en l'espèce que la société Entreprise Dijonnaise était recevable à interjeter appel du jugement ayant débouté le liquidateur judiciaire de sa demande de report de la date de cessation des paiements, en vertu de son droit propre à défendre à cette action, cependant que ladite action ayant été rejetée par le jugement de première instance, cet appel ne permettait en conséquence pas à la société Entreprise Dijonnaise de mettre en oeuvre son droit propre à défendre à une telle action, la cour d'appel a violé l'article L. 631-8 du Code de commerce.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

M. [N], la société BRG et la société MJ & Associés, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société BRG, font grief à l'arrêt attaqué du 17 décembre 2020 d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes d'intervention forcée formées par M. [N] à l'encontre de MM. [Z] et [I], de la société RGA, de la société Cléon Martin Broichot et Associés et de M. [L] ;

ALORS QU'un tiers peut être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement ; que l'intérêt de la partie agissant en intervention forcée aux fins de déclaration de jugement commun est établi lorsque cette partie dispose contre le tiers d'un droit d'agir au principal qui lui confère un intérêt à se prévaloir à son encontre de l'autorité de la décision rendue ; que tel est le cas de l'ancien dirigeant d'une société en liquidation judiciaire, attrait dans une instance en report de la date de la cessation des paiements de celle-ci, qui a un intérêt à voir déclarer commun le jugement à intervenir sur cette date aux différentes personnes l'ayant assisté dans sa gestion de la société et susceptibles d'engager leur responsabilité à ce titre ; que la publication de ce jugement, qui a exclusivement lieu en cas de report de la date de cessation des paiements, ne peut priver l'ancien dirigeant de son intérêt à agir en intervention forcée, le jugement pouvant également rejeter la demande de report, et ne faire dans ce cas l'objet d'aucune publication de nature à le rendre opposable aux tiers ; qu'en retenant en l'espèce, pour décider que M. [N] ne justifiait d'aucun intérêt à mettre en cause, dans l'instance contentieuse sur le report de la date de la cessation des paiements de la société Entreprise Dijonnaise, les différents intervenants l'ayant assisté dans sa gestion de cette société, que « si la date de cessation des paiements est modifiée à l'issue de la présente procédure, la décision sera, par application des dispositions du code de commerce, mentionnée au registre du commerce et des sociétés auprès duquel la SA Entreprise Dijonnaise est immatriculée, et sera également publiée au BODACC, cette publication le rendant opposable aux tiers », cependant que, dans l'hypothèse inverse, la décision ne ferait l'objet d'aucune publication, ce qui suffisait à établir l'intérêt de M. [N] à mettre en cause les personnes visées aux fins de déclaration de jugement commun, la cour d'appel a violé l'article 331, alinéa 2, du Code de procédure civile.

TROISIEME ET DERNIER MOYEN DE CASSATION

M. [N], la société BRG et la société MJ & Associés, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société BRG, font grief à l'arrêt attaqué du 17 décembre 2020, infirmatif de ce chef, d'avoir reporté au 2 juin 2013 la date de cessation des paiements de la société Entreprise Dijonnaise et de les avoir condamnés à verser à Me [T], ès-qualités de liquidateur de la société Entreprise Dijonnaise, et à cette dernière la somme de 2.000 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles ;

1°/ ALORS QUE, en application de l'article 624 du Code de procédure civile, la cassation à intervenir, sur le premier moyen de cassation, de l'arrêt du 5 février 2019 ayant déclaré à tort recevables les appels interjetés à l'encontre du jugement du 31 janvier 2017, entrainera par voie de conséquence celle de l'arrêt du 17 décembre 2020, qui a statué au fond ;

2°/ ALORS QUE la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; que cette impossibilité doit être précisément caractérisée à la date de la cessation des paiements retenue, le juge devant se fonder sur des éléments contemporains de cette date, sans pouvoir justifier sa décision au regard d'un état du passif exigible et de l'actif disponible soit antérieur, soit postérieur à la date retenue ; qu'en l'espèce, pour reporter la date de la cessation des paiements de la société Entreprise Dijonnaise au 2 juin 2013, soit dix-huit mois avant le jugement d'ouverture de la procédure du 2 décembre 2014, la cour d'appel s'est fondée sur l'état du passif exigible et de l'actif disponible de la société débitrice au 31 décembre 2012, en relevant notamment que « concernant la situation de l'actif réalisable et du passif exigible de la seule société ED » « au 31 décembre 2012 », « l'actif réalisable s'établissait à 10 574 K€ pour un passif exigible de 13 355 K€, soit une insuffisance d'actif circulant de - 2 781 K€ », qu'« il existe une situation financière obérée à fin 2012 » et que « la situation de ED était irrémédiablement compromise dès le 31 décembre 2012 et qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements dès le 30 juin 2013 » ; qu'en concluant qu'« il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à tort les premiers juges ont rejeté la demande de report de la date de cessation des paiements formée par Me [T] ès-qualité, et qu'il convient de faire droit à cette requête en fixant cette date du 2 juin 2013 », sans jamais indiquer quels étaient l'actif disponible et le passif exigible de la société Entreprise Dijonnaise à la date du 2 juin 2013, et en déduisant l'état de cessation des paiements de l'entreprise d'éléments non contemporains de la date retenue, et en outre majoritairement antérieurs aux mesures de restructuration mises en oeuvre par M. [N] dès le second semestre 2012 et durant tout le premier semestre 2013, avec notamment la conclusion d'un protocole d'accord constaté par ordonnance du président du tribunal de commerce de Dijon du 7 mai 2013, à l'issue d'une procédure de conciliation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 631-1 et L. 641-1 du Code de commerce ;

3°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; que les sommes pour lesquelles le débiteur bénéficie de moratoires de paiement de la part de ses créanciers ne doivent pas être prises en compte dans le passif exigible ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté l'existence de moratoires de paiement accordés à la société Entreprise Dijonnaise par ses créanciers, en relevant que « les retards de règlement des dettes fiscales et sociales ont régulièrement progressé, conduisant la CCSF à accorder en avril 2013 un premier moratoire pour 1 418 K€ », que « les trois moratoires successifs accordés par la CCSF en avril 2013, janvier 2014 et juin 2014 ont eu pour seule conséquence une augmentation régulière des dettes fiscales et sociales dans la mesure où le premier moratoire a permis de geler 1 418 K€ de dettes qui ont atteint 1 780 K€ en juin 2014 », « qu'il existe d'autres dettes sociales (0,6 M€ fin juin 2013) dont certaines d'entre elles ne font alors pas l'objet d'un moratoire amiable (PROBTP) » ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions d'appel des exposants, si la déduction des sommes bénéficiant de ces moratoires de paiement du montant du passif exigible ne permettait pas de conclure à l'absence de cessation des paiements de la société Entreprise Dijonnaise à la date du 2 juin 2013, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 631-1 et L. 641-1 du Code de commerce ;

4°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; que les réserves de crédit dont le débiteur bénéficie de la part de ses créanciers ne doivent pas être prises en compte dans le passif exigible, peu important par ailleurs qu'elles puissent être ou non intégrées dans l'actif disponible à hauteur du montant non utilisé ; qu'en se bornant à énoncer en l'espèce que, « concernant les concours bancaires, le cabinet Grant Thornton lui-même relève que, dès la fin de 2012, la trésorerie de ED était proche du maximum autorisé de 2 M€ » et que ces réserves de crédit ne pouvaient dont être intégrées à l'actif disponible, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions des exposants (p. 24) si, compte tenu de ces concours bancaires, les découverts bancaires à la clôture des comptes annuels, intégrés par le rapport de M. [W] dans le passif exigible, ne devaient pas au contraire en être exclus, faute de toute exigibilité à la date du 2 juin 2013, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 631-1 et L. 641-1 du Code de commerce ;

5°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE les conclusions d'appel des exposants faisaient valoir que la société Entreprise Dijonnaise bénéficiait de crédits fournisseurs de la part de ses cocontractants réguliers, comme les sociétés Dijon Béton et Doras, ce que le technicien a ignoré en intégrant les retards concernant ces fournisseurs dans le passif exigible (conclusions p. 40) ; qu'en décidant que la société Entreprise Dijonnaise était en cessation des paiements au 2 juin 2013, sans répondre à ce moyen déterminant des écritures d'appel des exposants, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

6°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE les conclusions d'appel des exposants faisaient également valoir qu'un certain nombre des dettes fournisseurs de la société Entreprise Dijonnaise n'étaient pas exigibles, dans la mesure où elles revêtaient un caractère contentieux en conséquence de litiges avec les fournisseurs concernés, et que le technicien les avaient indûment prises en compte dans le passif exigible, comme pour le cas du retard fournisseur Sol Nove (conclusions, p. 40) ; qu'en décidant que la société Entreprise Dijonnaise était en cessation des paiements au 2 juin 2013, sans répondre à ce moyen déterminant des écritures d'appel des exposants, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

7°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'une avance en compte courant, qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé, ne constitue pas un passif exigible supplémentaire ; qu'en retenant en l'espèce que « concernant enfin les fonds provenant de la vente du siège social de ED, les consorts [N] indiquent eux-mêmes que BRG a remis à ED au total 985 000 €, soit deux avances de 492 500 € chacune, qui ont été versées pour l'une sur le compte ouvert à la Caisse d'Epargne et pour l'autre sur son compte à la Banque Rhône-Alpes, que ces sommes lui ont permis de procéder à divers règlements de dettes, et que ces écritures ont été comptabilisées au crédit du compte-courant de BRG dans les livres de ED » et que « si ED a utilisé ces fonds pour payer des dettes, ils ne constituent plus un actif disponible, ce d'autant plus que, dès lors que ces 985 000 € figurent au crédit du compte-courant de BRG, ils correspondent non pas un actif, mais plutôt une dette pour ED », sans constater que le remboursement de ces avances avait été demandé, la cour d'appel a violé les articles L. 631-1 et L. 641-1 du Code de commerce ;

8°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; que les avances de trésorerie sont des réserves de crédit qui doivent être incluses dans l'actif disponible, sauf à ce qu'il soit établi qu'elles constituent un soutien anormal à la société débitrice, ayant pour seul but de maintenir artificiellement son activité et de retarder l'ouverture de la procédure collective ; qu'en retenant en l'espèce, « quant aux avances de trésorerie consenties par OSEO sur les chantiers publics notamment pour un montant de 346 000 € au cours du seul second trimestre 2013, (que) le seul fait qu'ED les a sollicitées est symptomatique d'un état de cessation des paiements puisqu'elles ne s'expliquent que par une recherche de trésorerie », sans constater qu'il était établi que ces avances constituaient un soutien anormal à la société Entreprise Dijonnaise, ayant pour seul but de maintenir artificiellement son activité et de retarder l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 631-1 et L. 641-1 du Code de commerce.

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