5 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-12.542

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100706

Titres et sommaires

EXPERT JUDICIAIRE - Mesure d'expertise - Obligations - Restitution de pièces communiquées par les parties - Limite - Détermination - Portée

Il résulte des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil, et 243 du code de procédure civile que l'expert se fait communiquer par les parties les pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'au terme de ses opérations, il lui incombe, sauf dispense des parties, de leur restituer les pièces non dématérialisées

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 octobre 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 706 FS-B

Pourvoi n° S 21-12.542







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 OCTOBRE 2022

M. [T] [S], domicilié centre hospitalier d'[Localité 4], [Adresse 3], a formé le pourvoi n° S 21-12.542 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [R] [D], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Mme [N] [D], domiciliée [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [S], de la SCP Richard, avocat de M. [R] [D] et de Mme [N] [D], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 décembre 2020), M. [R] [D], agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de sa fille, Mme [N] [D], qui a présenté, lors de sa naissance, le 10 avril 1992, une dystocie des épaules et conservé des lésions d'un plexus brachial, a saisi la juridiction administrative pour voir reconnaître la responsabilité de l'établissement de santé public où avait eu lieu l'accouchement.

2. M. [S] (l'expert) a été désigné en qualité de médecin expert par la juridiction administrative et a déposé son rapport.

3. Après avoir vainement sollicité la restitution des pièces qu'ils avaient communiquées à l'expert lors des opérations d'expertise, M. [R] [D] et Mme [N] [D] l'ont assigné en responsabilité et indemnisation de leur préjudice moral.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'expert fait grief à l'arrêt de dire qu'il a commis une faute et de le condamner à payer des dommages-intérêts à M. [R] [D] et à Mme [N] [D], alors « que l'expert judiciaire auquel ont été remis des copies de pièces composant le dossier médical d'un patient, n'est pas tenu de les conserver et de les restituer ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], médecin, en sa qualité d'expert désigné par la cour administrative d'appel de Marseille, la cour d'appel a énoncé qu'il ne conteste pas avoir reçu des consorts [D], pour l'exécution de sa mission, des documents médicaux afférents au suivi de [N] [D], victime d'une lésion du plexus brachial droit à sa naissance ni ne pas être en mesure de démontrer qu'il leur a restitués, à l'issue de sa mission, de sorte que le fait de s'en être dessaisi, sans s'assurer de l'accord des consorts [D] consacre une négligence fautive ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que « les textes qui réglementent la mission de l'expert sont muets quant au devenir des documents que les justiciables confient à l'expert pour l'exécution de sa mission » et tout en constatant que seules des copies avaient été remises à l'expert judiciaire, ce dont il résultait qu'il n'avait pu commettre de faute en ne les conservant pas, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil, et 243 du code de procédure civile que l'expert se fait communiquer par les parties les pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'au terme de ses opérations, il lui incombe, sauf dispense des parties, de leur restituer les pièces non dématérialisées.

7. Après avoir relevé que l'expert ne contestait pas avoir reçu les pièces nécessaires à la réalisation de la mesure, et ne pas avoir été en mesure de les restituer, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'en se dessaisissant des pièces médicales remises par M. [R] [D] et Mme [N] [D] sans s'assurer de leur accord, l'expert avait commis une faute.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [S] et le condamne à payer à M. [R] [D] et à Mme [N] [D] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. [S].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [T] [S] reproche à l'arrêt attaqué, D'AVOIR dit qu'il a commis une faute à l'origine d'un préjudice moral pour Mme [N] [D] et M. [R] [D] et, en conséquence, DE L'AVOIR condamné à payer à Mme [N] [D] la somme de 7 000 euros et à M. [R] [D] la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

ALORS QUE l'expert judiciaire auquel ont été remis des copies de pièces composant le dossier médical d'un patient, n'est pas tenu de les conserver et de les restituer ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], médecin, en sa qualité d'expert désigné par la cour administrative d'appel de Marseille, la cour d'appel a énoncé qu'il ne conteste pas avoir reçu des consorts [D], pour l'exécution de sa mission, des documents médicaux afférents au suivi de [N] [D], victime d'une lésion du plexus brachial droit à sa naissance ni ne pas être en mesure de démontrer qu'il leur a restitués, à l'issue de sa mission, de sorte que le fait de s'en être dessaisi, sans s'assurer de l'accord des consorts [D] consacre une négligence fautive ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que « les textes qui réglementent la mission de l'expert sont muets quant au devenir des documents que les justiciables confient à l'expert pour l'exécution de sa mission » et tout en constatant que seules des copies avaient été remises à l'expert judiciaire, ce dont il résultait qu'il n'avait pu commettre de faute en ne les conservant pas, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [T] [S] reproche à l'arrêt attaqué, D'AVOIR dit qu'il a commis une faute à l'origine d'un préjudice moral pour Mme [N] [D] et M. [R] [D] et, en conséquence, DE L'AVOIR condamné à payer à Mme [N] [D] la somme de 7 000 euros et à M. [R] [D] la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

1°) ALORS QUE le préjudice seulement éventuel ne saurait donner lieu à indemnisation ; que la cour d'appel, pour retenir la responsabilité de M. [S], a énoncé que les « copies de pièces médicales » perdues étaient « destinées à permettre aux consorts [D] de justifier, dans le cadre des démarches administratives et judiciaires afférentes au handicap, de l'étendue de celui-ci », et que leur préjudice moral était « établi, dès lors que cette perte les a contraints à de nouvelles démarches, par ailleurs incertaines compte tenu de l'ancienneté des documents, dans un contexte particulièrement douloureux », étant souligné que « la possibilité » qu'ils ont de « se prévaloir devant les juridictions ou les administrations, de la partie "I les faits" du rapport d'expertise, (…), n'est pas de nature à ôter toute consistance à leur préjudice, dès lors que ce document, s'il peut les aider dans leurs démarches, ne peut totalement se substituer à des pièces médicales », pour en conclure que « la disparition de ces documents » les a « privés d'éléments déterminants » ; qu'en statuant par de tels motifs, d'où il ne ressort pas que la perte des copies des pièces médicales transmises à M. [S] aurait préjudicié aux intérêts des consorts [D] devant le tribunal de l'incapacité, faute de toute référence à une décision émanant de cette juridiction fondée sur l'insuffisance des pièces produites, la cour d'appel, qui a réparé un préjudice seulement éventuel, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE celui qui réclame l'indemnisation d'un préjudice doit en faire la preuve ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 6), M. [S] a fait valoir que le médecin-recours des consorts [D], le docteur [E], avait « été manifestement détenteur du dossier puisqu'il est reconnu que sa communication a été faite par son intermédiaire » comme il le lui écrivait dans un courrier du 28 janvier 2014 (pièce n° 5) ; qu'il a également invoqué (concl., p. 9-10) un courrier du 4 février 2014 dans lequel le docteur [E] a écrit aux consorts [D] que l'expert « possède une copie de la totalité (du) dossier que je lui avais envoyé pour votre expertise » (pièce n° 12), ainsi qu'un courrier de M. [D] du 17 septembre 2011 (pièce n° 13) dans lequel il lui a écrit : « Veuillez m'excusez de ce dossier complétement désordonné. Je n'ai pu, après en avoir fait la copie tout remettre en ordre... » ; qu'enfin, il a invoqué les propres conclusions des consorts [D] (p. 11-12), dans lesquelles ils affirmaient que les « documents » qui lui avaient été communiqués étaient « des copies », mais que « leur collection, leur recensement et leur organisation en un dossier d'expertise contribuent à en faire un travail original », toutes pièces établissant que le dossier médical qui lui avait été transmis n'était composé que de copies, dont la perte ne pouvait avoir causé de dommage aux consorts [D], puisqu'ils en détenaient eux-mêmes la copie et que les pièces originales étaient détenues par le docteur [E] ; qu'en estimant cependant que « le fait pour M. [S], expert, qui avait reçu des pièces médicales dans le cadre d'une mission d'expertise, de s'en être dessaisi sans avoir préalablement pris la peine de s'assurer auprès des consorts [D], de leur accord en vue de cette destruction, consacre une négligence fautive », étant précisé que les pièces en cause étaient « particulièrement anciennes et d'origines diverses, dont la collecte nécessiterait de nombreuses et coûteuses démarches », sans se prononcer sur les chefs de conclusions de M. [S] et les pièces invoquées à leur appui établissant l'absence de tout préjudice subi par les consorts [D], M. [D] disposant des pièces dont il avait fait les copies, pour les remettre à M. [S], et dont les originaux étaient détenus par le docteur [E], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°) ALORS, en toute hypothèse, QUE celui qui réclame l'indemnisation d'un préjudice doit en faire la preuve ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 9), M. [S], après avoir rappelé que les consorts [D] « indiquent que la jeune [N] a initié une procédure par devant le pôle social du tribunal de grande instance afin de voir réévalué son handicap » et « prétendent ne pas être en mesure d'obtenir gain de cause en raison de l'absence des documents sur la période précitée », a fait valoir que, « s'agissant d'une réévaluation, cette dernière se fonde nécessairement sur son état de santé actuel » et que « l'évaluation de son état actuel ne peut se faire que sur la base des documents médicaux actualisés et non sur ses antécédents » ; que, pour retenir la responsabilité civile de M. [S], la cour d'appel a énoncé que les « copies de pièces médicales » perdues étaient « destinées à permettre aux consorts [D] de justifier, dans le cadre des démarches administratives et judiciaires afférentes au handicap, de l'étendue de celui-ci », et que leur préjudice moral était « établi, dès lors que cette perte les a contraints à de nouvelles démarches, par ailleurs incertaines compte tenu de l'ancienneté des documents, dans un contexte particulièrement douloureux », étant souligné que « la possibilité » qu'ils ont de « se prévaloir devant les juridictions ou les administrations, de la partie "I les faits" du rapport d'expertise, (…), n'est pas de nature à ôter toute consistance à leur préjudice, dès lors que ce document, s'il peut les aider dans leurs démarches, ne peut totalement se substituer à des pièces médicales », pour en conclure que « la disparition de ces documents » les a « privés d'éléments déterminants » ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur les chefs de conclusions par lesquels M. [S] faisait valoir que le tribunal de l'incapacité devait seulement se prononcer sur l'état de santé actuel de Mme [D], de sorte la perte des copies des pièces médicales qui lui avaient été remises ne pouvait avoir causé de préjudice aux consorts [D], la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

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