28 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-11.101

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01083

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1083 F-D

Pourvoi n° A 21-11.101




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

M. [C] [U], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-11.101 contre l'arrêt rendu le 23 octobre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la Régie des transports métropolitains (la RTM), établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La Régie des transports métropolitains a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [U], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie des transports métropolitains, après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Prache, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 octobre 2020), M. [U] a été engagé à compter du 11 octobre 2010 par l'établissement public industriel et commercial Régie des transports métropolitains (la RTM) en qualité de chef de projets, statut agent de maîtrise.

2. Après avoir saisi, le 7 juillet 2015, la juridiction prud'homale de demandes pour obtenir le statut de cadre et le paiement de sommes à titre de rappels de prime d'ancienneté et de salaire, il a été licencié pour faute grave le 28 décembre 2015.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en nullité du licenciement et, en conséquence, de ses demandes en réintégration sous astreinte et paiement de rappels de salaire pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration, alors « qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que c'était à l'occasion de l'action en justice du salarié que la RTM avait constaté la production sans autorisation de bulletins de salaire de cinq de ses salariés, constitutive selon elle de manquements de l'intimé à ses obligations contractuelles, et l'avait licencié pour avoir usé de manoeuvres frauduleuses et déloyales pour obtenir lesdits bulletins ensuite utilisés dans le cadre de l'action en justice intentée contre l'employeur, et que le licenciement notifié pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où les manoeuvres ainsi imputées au salarié n'étaient ni démontrées, ni même décrites, a néanmoins, pour débouter le salarié de sa demande en nullité du licenciement, en réintégration sous astreinte et en paiement de rappels de salaire, énoncé que les motifs du licenciement étaient suffisamment explicites pour que les circonstances de la découverte des bulletins de salaire litigieux et donc d'une fraude induite par l'employeur ne soient pas confondues avec eux, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait au contraire que le licenciement était en lien avec l'exercice par le salarié de son droit d'ester en justice et était nul, violant ainsi l'alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. »

Réponse de la Cour

Vu l'alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 :

4. Il résulte de ces textes qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur.

5. Pour débouter le salarié de ses demandes formées au titre de la nullité du licenciement, l'arrêt retient qu'il est manifeste que c'est à l'occasion de l'action en justice de l'intéressé que l'employeur a constaté notamment la production sans autorisation de bulletins de salaire de cinq de ses salariés, constitutive selon lui de manquements du salarié à ses obligations contractuelles. Il ajoute que les motifs du licenciement sont suffisamment explicites pour que les circonstances de la découverte des bulletins de salaire litigieux - et donc d'une fraude induite par l'employeur - ne soient pas confondues avec eux.
6. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement reprochait au salarié d'avoir produit dans le cadre de l'instance prud'homale les bulletins de salaires de cinq de ses collègues obtenus frauduleusement, la cour d'appel, qui devait en déduire que la seule référence dans la lettre de rupture à la procédure contentieuse engagée par le salarié contre son employeur était constitutive d'une atteinte à la liberté fondamentale d'ester en justice, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande en nullité du licenciement et de ses demandes subséquentes en réintégration et paiement de rappels de salaires, entraîne la cassation des chefs de dispositif disant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [U] de ses demandes tendant à obtenir la requalification au statut de cadre coefficient 390, la reconnaissance d'une inégalité de traitement à son encontre, la condamnation de l'établissement public industriel et commercial Régie des transports métropolitains à lui payer un rappel de prime d'ancienneté et des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et pour résistance abusive de l'employeur, condamne la Régie des transports métropolitains aux dépens et à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne l'établissement public industriel et commercial Régie des transports métropolitains aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'établissement public industriel et commercial Régie des transports métropolitains et le condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [U], demandeur au pourvoi principal
M. [U] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande en nullité du licenciement et, en conséquence, de ses demandes en réintégration sous astreinte et paiement de rappels de salaire pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration ;
ALORS QU' est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que c'était à l'occasion de l'action en justice de M. [U] que la RTM avait constaté la production sans autorisation de bulletins de salaire de cinq de ses salariés, constitutive selon elle de manquements de l'intimé à ses obligations contractuelles, et l'avait licencié pour avoir usé de manoeuvres frauduleuses et déloyales pour obtenir lesdits bulletins ensuite utilisés dans le cadre de l'action en justice intentée contre l'employeur, et que le licenciement notifié pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où les manoeuvres ainsi imputées au salarié n'étaient ni démontrées, ni même décrites, a néanmoins, pour débouter le salarié de sa demande en nullité du licenciement, en réintégration sous astreinte et en paiement de rappels de salaire, énoncé que les motifs du licenciement étaient suffisamment explicites pour que les circonstances de la découverte des bulletins de salaire litigieux et donc d'une fraude induite par l'employeur ne soient pas confondues avec eux, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait au contraire que le licenciement était en lien avec l'exercice par le salarié de son droit d'ester en justice et était nul, violant ainsi l'alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.






MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Régie des transports métropolitains, demanderesse au pourvoi incident
L'EPIC REGIE DES TRANSPORTS METROPOLITAINS (RTM) fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur [U] était sans cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR en conséquence condamnée à lui payer les sommes de 12.820,32 € au titre de l'indemnité de préavis, outre 1.282,03 € au titre des congés payés y afférents, 10.576,76 € d'indemnité de licenciement, 30.000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'AVOIR ordonné le remboursement aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage payées à Monsieur [U] dans la limite de six mois ;
1. ALORS QU' un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a connaissance à l'occasion de ses fonctions ; que commet une faute susceptible de justifier un licenciement, le salarié qui appréhende des bulletins de salaire de collègues de travail sans leur autorisation ou celle de l'employeur et sans qu'il ait pu en avoir connaissance à l'occasion de ses fonctions ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que Monsieur [U] avait appréhendé les bulletins de paie de cinq de ses collègues sans leur autorisation en vue de les produire en justice, et qu'il n'en avait pas eu accès dans le cadre de l'exercice de ses fonctions ; qu'en se fondant sur le motif inopérant selon lequel l'EPIC RTM ne rapportait pas la preuve du caractère frauduleux de l'appropriation, cependant qu'elle avait constaté que les bulletins de paie en cause avaient été obtenus sans l'accord des salariés concernés ni accord de l'employeur et que l'intéressé n'y avait pas eu accès dans l'exercice de ses fonctions, ce qui suffisait à caractériser son comportement déloyal, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1222-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1235-1 du Code du travail, ensemble l'article 9 du Code de procédure civile ;
2. ALORS QU' un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a connaissance à l'occasion de ses fonctions ; qu'en se bornant à constater que les bulletins de salaire appréhendés avaient été produits par Monsieur [U] dans le cadre de l'instance prud'hommale l'opposant à l'EPIC RTM sans constater ni faire ressortir que cette production était strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense, quand l'intéressé disposait de moyens reconnus par la loi et la jurisprudence pour assurer efficacement ses droits en l'absence de communication d'éléments seulement détenus par son employeur, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1235-1 du Code du travail, ensemble l'article 9 du Code de procédure civile ;
3. ALORS QUE l'appréhension et la production en justice de bulletins de paie de salariés qui ne l'ont pas autorisée et ont même protesté constitue une atteinte à leur vie privée ; qu'en refusant de considérer que le comportement de Monsieur [U], qui avait produit en justice les bulletins de paie de cinq collègues de travail sans leur autorisation et sans les avoir anonymisés, constituait un fait fautif portant atteinte à leur vie privée quels que soient les moyens utilisés pour les appréhender, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1222-1, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1235-1 du Code du travail, ensemble les articles 9 du Code de procédure civile et 9 du Code civil.

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