28 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-10.785

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01039

Texte de la décision

SOC.

ZB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1039 F-D

Pourvoi n° H 21-10.785




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

La Fédération nationale des industries chimiques CGT (FNIC-CGT), dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 21-10.785 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Cytec Process Materials, société à responsabilité limitée,
2°/ à la société Solvay opérations France, société par actions simplifiée,
3°/ à la société Solvay-Fluorés France, société par actions simplifiée,

ayant toutes trois leur siège [Adresse 2],

4°/ à la société Solvay, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4] (Belgique),

5°/ à la société Solvay Specialty Polymers France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

6°/ à la société Performance polyamides, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

7°/ à la société Solvay Energy services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

8°/ à la société Rhodia opérations, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

9°/ à la société Rhodia laboratoire du futur, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération nationale des industries chimiques CGT, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Cytec Process Materials, Solvay opérations France, Solvay-Fluorés France, Solvay, Solvay Specialty Polymers France, Performance Polyamides, Solvay Energy services, Rhodia opérations et Rhodia laboratoire du futur, après débats en l'audience publique du 29 juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 novembre 2020), il a été conclu au sein de l'unité économique et sociale Solvay France, composée des sociétés Solvay Fluores France, Cytec Process Materials, Rhodia laboratoire du futur, Rhodia opérations, Solvay, Solvay Energy services, Solvay Opérations France, Solvay Speciality Polymers France et Performance Polyamides, le 5 décembre 2017, l'accord sur la rénovation du dialogue social au sein de l'unité économique et sociale Solvay France, prévoyant, à son article 17.1, le remboursement, par ces sociétés et par l'intermédiaire des syndicats et d'un officier ministériel, aux salariés syndiqués, du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l'impôt sur le revenu.
2. Après avoir saisi le tribunal de grande instance par acte du 22 novembre 2017, la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC) CGT a sollicité l'annulation de cet article 17.1.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. La FNIC-CGT fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'annulation de l'article 17.1 de l'accord d'adaptation du 5 décembre 2017 sur la rénovation du dialogue social au sein de l'unité économique et sociale Solvay France, alors :

« 1°/ qu'un accord collectif peut prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix, ne permet pas à l'employeur de connaître l'identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu'aux syndicats non représentatifs dans l'entreprise ; qu'en écartant le grief tiré de ce que la disposition litigieuse ne bénéficie qu'aux syndicats représentatifs aux motifs qu'un tel critère n'est pas illicite et que la différence de traitement ainsi instituée est justifiée par une raison objective et matériellement vérifiable, la cour d'appel a violé l'article L. 2141-7 du code du travail, ensemble le principe d'égalité entre les organisations syndicales ;

2°/ qu'un accord collectif peut prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles ; que le montant de la participation de l'employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d'indépendance visé à l'article L. 2121-1 du code du travail ; qu'en jugeant valable le dispositif conventionnel institué par l'article 17.1 de l'accord d'adaptation du 5 décembre 2017 sur la rénovation du dialogue social, quand ce dernier dispose que l'employeur ''prend à charge le montant correspondant au reste à charge (après déduction au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques - IRPP) des adhérents après paiement de leur cotisation syndicale'', la cour d'appel a violé l'article L. 2121-1 du code du travail, ensemble l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen, pris en sa deuxième branche

4. Les sociétés composant l'unité économique et sociale Solvay France contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent que la critique de l'article 17.1 de l'accord du 5 décembre 2017 en ce que celui-ci prévoit la prise en charge par l'employeur du montant des cotisations syndicales correspondant au reste à charge après déduction au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques est nouvelle.

5. Cependant, le moyen est de pur droit.

6. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe d'égalité et l'article L. 2121-1 du code du travail :

7. Un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l'activité syndicale dans l'entreprise, et dans ce cadre, en vue d'encourager l'adhésion des salariés de l'entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix, ne permet pas à l'employeur de connaître l'identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu'aux syndicats non représentatifs dans l'entreprise.

8. Toutefois, le montant de la participation de l'employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d'indépendance visé à l'article L. 2121-1 du code du travail.

9. Pour reconnaître la validité de l'article 17.1 de l'accord du 5 décembre 2017, l'arrêt retient, d'abord, que ce texte instaure la possibilité pour les adhérents d'obtenir de leur syndicat le remboursement de la part de reste à charge au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Il énonce, ensuite, que le fait de créer un dispositif plus favorable pour les organisations syndicales représentatives ne constitue pas un critère illicite au regard des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail, que le même article 17.1 accorde un avantage à ces organisations sans priver les autres organisations syndicales des moyens qui leur sont légalement attribués et que cette différence de traitement est justifiée par une raison objective et matériellement vérifiable qui est de préserver l'indépendance syndicale et d'inciter à l'engagement syndical, particulièrement pour renouveler les membres des organisations syndicales compte-tenu des perspectives démographiques de départ de nombreux adhérents.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond en prononçant l'annulation de l'article 17.1 de l'accord du 5 décembre 2017.

13. Les conséquences manifestement excessives que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter en raison tant des effets que cet article a produit et des situations qui se sont constituées lorsqu'il était en vigueur, s'agissant des adhérents bénéficiaires qui ont versé leurs cotisations aux organisations syndicales représentatives en considération du remboursement du reste à charge, que de l'intérêt général s'attachant à un maintien temporaire de ses effets, justifient que, en application de l'article L. 2262-15 du code du travail, la même annulation ne produise ses effets que pour les cotisations versées à compter du 1er janvier 2024.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC) CGT relative à l'annulation de l'article 18.1 de l'accord du 31 mai 2016 sur la rénovation du dialogue social au sein de l'unité économique et sociale Solvay France, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ANNULE l'article 17.1 de l'accord d'adaptation du 5 décembre 2017 sur la rénovation du dialogue social au sein de l'unité économique et sociale Solvay France ;

DIT que cette annulation produira ses effets pour les cotisations annuelles versées à compter du 1er janvier 2024, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date du présent arrêt sur le même fondement ;

Condamne les sociétés Solvay Fluores France, Cytec Process Materials, Rhodia laboratoire du futur, Rhodia opérations, Solvay, Solvay Energy services, Solvay Opérations France, Solvay Speciality Polymers France et Performance Polyamides, composant l'unité économique et sociale Solvay France, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel de Paris ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Solvay Fluores France, Cytec Process Materials, Rhodia laboratoire du futur, Rhodia opérations, Solvay, Solvay Energy services, Solvay Opérations France, Solvay Speciality Polymers France et Performance Polyamides, composant l'unité économique et sociale Solvay France, et les condamne à payer à la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC) CGT la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la Fédération nationale des industries chimiques CGT

La fédération syndicale FNIC-CGT fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, de l'AVOIR déboutée de sa demande tendant à voir juger nul l'article 17.1 de l'accord d'adaptation du 5 décembre 2017 sur la rénovation du dialogue social au sein de l'unité économique et sociale Solvay France.

1° ALORS QU'un accord collectif peut prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix, ne permet pas à l'employeur de connaître l'identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu'aux syndicats non représentatifs dans l'entreprise ; qu'en écartant le grief tiré de ce que la disposition litigieuse ne bénéficie qu'aux syndicats représentatifs aux motifs qu'un tel critère n'est pas illicite et que la différence de traitement ainsi instituée est justifiée par une raison objective et matériellement vérifiable, la cour d'appel a violé l'article L. 2141-7 du code du travail, ensemble le principe d'égalité entre les organisations syndicales.

2° ALORS QU'un accord collectif peut prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles ; que le montant de la participation de l'employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d'indépendance visé à l'article L. 2121-1 du code du travail ; qu'en jugeant valable le dispositif conventionnel institué par l'article 17.1 de l'accord d'adaptation du 5 décembre 2017 sur la rénovation du dialogue social, quand ce dernier dispose que l'employeur « prend à charge le montant correspondant au reste à charge (après déduction au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques - IRPP) des adhérents après paiement de leur cotisation syndicale », la cour d'appel a violé l'article L. 2121-1 du code du travail, ensemble l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3° ALORS QU'en se bornant à relever qu'aucune donnée à caractère personnel n'est transmise à l'officier ministériel, notamment en ce qui concerne le montant du crédit d'impôt et le revenu brut de chaque salarié, transmission que l'accord d'adaptation du 5 décembre 2017 sur la rénovation du dialogue social ne prévoit pas, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, que le dispositif, en ce qu'il prévoit la prise en charge du « montant correspondant au reste à charge (après déduction au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques - IRPP) des adhérents », implique la communication et le traitement de données personnelles devant dès lors respecter le cadre légal et réglementaire applicable à un tel traitement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifié par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 et 9 du règlement 2016/679 du 27 avril 2016.

4° ALORS QU'aux termes de l'article 17-1 de l'accord d'adaptation sur la rénovation du dialogue social au sein de l'UES Solvay France en date du 5 décembre 2017, « chaque organisation syndicale communique à un officier ministériel (notaire ou huissier de justice) choisi d'un commun accord, le nombre actualisé de ses membres et le montant de leurs cotisations annuelles au titre de la période considérée » ; qu'en disant valable cette disposition sous la réserve que l'officier ministériel respecte strictement la confidentialité des informations qui lui sont transmises, la cour d'appel, qui a ajouté au texte une condition que celui-ci n'a pas prévu, a violé l'article susvisé.

5° ALORS QU'aux termes de l'article 17-1 de l'accord d'adaptation sur la rénovation du dialogue social au sein de l'UES Solvay France en date du 5 décembre 2017, « chaque organisation syndicale communique à un officier ministériel (notaire ou huissier de justice) choisi d'un commun accord, le nombre actualisé de ses membres et le montant de leurs cotisations annuelles au titre de la période considérée » ; qu'en disant valable cette disposition sous la réserve que l'officier ministériel respecte strictement la confidentialité des informations qui lui sont transmises, ce dont il résultait que les dispositions de l'accord n'étaient pas suffisantes pour garantir que le dispositif conventionnel ne permette pas à l'employeur de contrôler l'influence des syndicats et partant ne pas porter atteinte à la liberté syndicale, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient nécessairement, a violé l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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