28 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.673

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100695

Titres et sommaires

CAUTIONNEMENT - Caution - Action des créanciers contre la caution - Responsabilité du créancier envers la caution - Manquement à l'obligation de mise en garde - Obligation de mise en garde - Proportionnalité de l'engagement - Critère d'appréciation - Biens et revenus à considérer - Détermination

Lorsqu'une caution invoque un manquement de la banque à son devoir de mise en garde en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les parts sociales dont elle est titulaire au sein de la société cautionnée doivent être prises en considération pour apprécier ses capacités financières au jour de son engagement

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 695 F-B

Pourvoi n° G 21-14.673







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

La société Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-14.673 contre l'arrêt rendu le 3 février 2021 par la cour d'appel de Toulouse (2e Chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [H] [E], divorcée [M], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à la société Magcerdur, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société Compagnie Européenne de garanties et cautions (CEGC), société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

Mme [E] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

défenderesses à la cassation.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société lCompagnie Européenne de garanties et cautions, de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [E], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Midi-Pyrénées (la banque) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile immobilière Magcerdur (la SCI) et la société Compagnie européenne de garanties et de caution (la caution professionnelle).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 février 2021), par acte du 6 juin 2014, la banque a consenti à la SCI un prêt immobilier de 296 795 euros, garanti par le cautionnement solidaire de la caution professionnelle ainsi que de Mme [E] (la caution) dans la limite de la somme de 385 833,50 euros.

3. Le 7 octobre 2015, à la suite de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt, la banque a prononcé la déchéance du terme.

4. Après avoir payé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle a assigné la SCI et la caution en paiement, lesquelles ont appelé la banque en intervention forcée et garantie, en invoquant une disproportion de l'engagement de caution et un manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, dont l'examen est préalable

Enoncé du moyen

5. La caution fait grief à l'arrêt de la condamner solidairement avec la SCI à payer à la caution professionnelle la somme de 303 457,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015 avec capitalisation des intérêts de retard par année entière, alors « qu'il résulte de l'article L. 332-1 du code de la consommation qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que la sanction ainsi prévue prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire ; que pour faire droit à la demande formée par la caution professionelle au titre de son recours personnel à l'égard de la caution et condamner cette dernière in solidum avec la SCI au paiement de la somme de 303 457,84 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, l'arrêt attaqué retient que la caution n'était pas « fondée à opposer à son cofidéjusseur les exceptions qu'elle aurait pu opposer à la banque, notamment au titre du caractère disproportionné de son engagement de caution (…) » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 332-1 du code de la consommation, ensemble les articles 2305 et 2310 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation et l'article 2310 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :

6. Aux termes du premier de ces textes, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

7. Selon le second, lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette, a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion.

8. Il en résulte que la sanction prévue au premier de ces textes prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire, que ce soit sur le fondement de leur recours subrogatoire ou personnel.

9. Pour condamner la caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu'elle a acquittées, l'arrêt retient que celle-ci ne peut se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal, comme la disproportion de l'engagement de la caution.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la caution la somme de 303 457,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015, alors « que les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de souscription de son engagement ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que l'engagement de la caution n'était pas adapté à ses capacités financières, que cette dernière avait des revenus de 3 500 euros, comprenant 500 euros de revenus locatifs, et des charges constituées de remboursement de prêts personnels pour 1 295 euros et de remboursement d'un emprunt immobilier pour 1 500 euros ainsi qu'un patrimoine immobilier de 330 000 euros constitué par sa maison d'habitation grevé d'un emprunt immobilier de 234 000 euros, de sorte que les charges mensuelles de remboursement, qui s'élevaient à 2 795 euros, représentaient 79,85 % des revenus de la caution tandis que son patrimoine net s'élevait à 96 000 euros, soit à un montant inférieur à son engagement souscrit dans la limite de la somme de 385 833,50 euros, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI, lesquelles devaient être prises en compte lors de l'appréciation du patrimoine de la caution à la date de souscription de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

12. Il résulte de ce texte que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

13. Les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.

14. Pour condamner la banque à payer à la caution des dommages-intérêts en réparation d'un manquement au devoir de mise en garde, l'arrêt retient que, si l'opération ne comportait pas de risque excessif pour la SCI, en revanche, la caution, qui n'était pas avertie, avait souscrit un engagement disproportionné à ses biens et revenus, dès lors qu'elle disposait d'un revenu mensuel de 3 500 euros, qu'elle remboursait des prêts à hauteur de 2 795 euros par mois, qu'elle était propriétaire d'un bien immobilier constituant sa résidence principale grevé d'un emprunt et que son patrimoine, net de 96 000 euros, était largement inférieur à l'engagement souscrit dans la limite de 385 833,50 euros.

15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI cautionnée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la SCI Magcerdur à payer à la société Compagnie européenne de garanties et de caution la somme de 303 457,84 euros au titre du crédit souscrit auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi Pyrénée, avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, et en ce qu'il dit que les intérêts échus des capitaux produiront des intérêts, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;



Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées, demanderesse au pourvoi principal.

La Caisse d'épargne et de prévoyance Midi-Pyrénées fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [E] la somme de 303.457,84 €, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015 ;

1°) ALORS QUE dans le dispositif de ses conclusions d'appel (p. 40), Mme [E] demandait à la cour d'appel de « constater la violation de l'obligation de mise en garde de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées dans la souscription du contrat de prêt à l'égard de la Sci Magcerdur et de l'engagement de caution de Mme [H] [E] » et, en conséquence, de « condamner la Caisse d'épargne à verser à la Sci Magcerdur et à Mme [E] la somme de 151.728,84 € » ; qu'en condamnant la Caisse d'épargne et de prévoyance Midi-Pyrénées à payer à Mme [E] la somme de 303.457,84 € pour manquement à son devoir de mise en garde, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et a ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de souscription de son engagement ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que l'engagement de Mme [E] n'était pas adapté à ses capacités financières, que cette dernière avait des revenus de 3.500 €, comprenant 500 € de revenus locatifs, et des charges constituées de remboursement de prêts personnels pour 1.295 € et de remboursement d'un emprunt immobilier pour 1.500 € ainsi qu'un patrimoine immobilier de 330.000 € constitué par sa maison d'habitation grevé d'un emprunt immobilier de 234.000 €, de sorte que les charges mensuelles de remboursement, qui s'élevaient à 2.795 €, représentaient 79,85 % des revenus de la caution tandis que son patrimoine net s'élevait à 96.000 €, soit à un montant inférieur à son engagement souscrit dans la limite de la somme de 385.833,50 €, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si Mme [E] n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la Sci Magcerdur, lesquelles devaient être prises en compte lors de l'appréciation du patrimoine de la caution à la date de souscription de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°) ALORS QU'en tout état de cause le dommage résultant du manquement de la banque à son obligation de mise en garde de la caution consiste en une perte de chance de ne pas contracter dont la réparation doit être mesurée à la chance perdue mais ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en énonçant, pour condamner la Caisse d'épargne à payer à Mme [E] la somme de 303.457,84 €, correspondant à la somme qui avait été mise à sa charge au profit de la CGEC, que la banque avait manqué à son obligation de mise en garde et qu'il devait être estimé, compte tenu de l'importance des sommes garanties par rapport aux revenus et biens de Mme [E] que, dûment mise en garde, cette dernière n'aurait pas accordé sa garantie et qu'ainsi, elle n'aurait pas subi le recours de la CGEC, la cour d'appel, qui n'a ainsi pas condamné la banque à indemniser la caution à hauteur de la chance perdue mais à hauteur de la totalité de l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. Moyen produit par la Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour Mme [E], demanderesse au pourvoi incident.

Mme [H] [E] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée solidairement avec la SCI Magcerdur à payer à la société CGEC la somme de 303 457, 84 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015 avec capitalisation des intérêts de retard par année entière ;

Alors qu'il résulte de l'article L. 332-1 du code de la consommation qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que la sanction ainsi prévue prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire ; que pour faire droit à la demande formée par la CGEC au titre de son recours personnel à l'égard de Mme [E] et condamner cette dernière in solidum avec la SCI Magcerdur au paiement de la somme de 303 457, 84 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, l'arrêt attaqué retient que Mme [E] n'était pas « fondée à opposer à son cofidéjusseur les exceptions qu'elle aurait pu opposer aÌ la banque, notamment au titre du caractère disproportionné de son engagement de caution (…) » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 332-1 du code de la consommation, ensemble les articles 2305 et 2310 du code civil.

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