22 septembre 2022
Cour d'appel d'Amiens
RG n° 20/04944

2EME PROTECTION SOCIALE

Texte de la décision

ARRET

N° 684





CPAM DE L'ARTOIS





C/



[V]







EW





COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2022



*************************************************************



N° RG 20/04944 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H36K



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D' ARRAS (Pôle Social) EN DATE DU 16 juillet 2020





PARTIES EN CAUSE :





APPELANT





La CPAM DE L'ARTOIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 6]

[Localité 3]





Représentée et plaidant par Mme Fozia MAVOUNGOU dûment mandatée









ET :





INTIMEE





Madame [T] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[Localité 4]





Représentée et plaidant par Me Françoise BERTRAND, avocat au barreau de BETHUNE













DEBATS :



A l'audience publique du 04 Novembre 2021 devant Mme Elisabeth WABLE , Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 03 Février 2022.



Le délibéré de la décision initialement prévu au 03 Février 2022 a été prorogé au 22 Septembre 2022.



GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :



Mme Elisabeth WABLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:



Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,



qui en ont délibéré conformément à la loi.





PRONONCE :



Le 22 Septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.




*

* *



DECISION





Vu le jugement rendu le 16 juillet 2020, par lequel le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras, statuant dans le litige opposant Mme [T] [E] à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, a :



- débouté Mme [T] [E] de ses demandes visant à la prise en charge de sa maladie au titre du tableau 15 ter des maladies professionnelles

- renvoyé le dossier à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois pour instruction de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée, hors tableau des maladies professionnelles sur le fondement de l'article L.461-1 alinéa 7 du code de la sécurité sociale,

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens,



Vu la notification du jugement le 31 août 2020 à la CPAM de l'Artois et l'appel relevé par celle-ci le 25 septembre 2020,



Vu les conclusions visées le 4 novembre 2021 et soutenues oralement à l'audience du 4 novembre 2021, par lesquelles la CPAM de l'Artois prie la cour de :



- la déclarer bien fondée en son appel,

- la recevoir dans ses fins, moyens et conclusions,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Arras en date du 16 juillet 2020 uniquement en ce qu'il a renvoyé le dossier pour instruction de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée hors tableau des maladies professionnelles sur le fondement de l'article L46l-1 alinéa 7 du code de la sécurité sociale,

- dire n'y avoir lieu à sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Vu les conclusions visées le 4 novembre 2021 et soutenues oralement à l'audience du 4 novembre 2021, par lesquelles Mme [T] [E] prie la cour de :



- reconnaître le caractère professionnel de sa maladie reprise au tableau de maladie professionnelle n°15 ter, de tumeur de la vessie G1PT1 et lui - accorder tous les droits qui en découlent,

- subsidiairement, ordonner une expertise médicale pour déterminer l'origine professionnelle de la maladie déclarée,

- condamner la CPAM de l'Artois à lui payer une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la CPAM de l'Artois en tous les frais et dépens,




***



SUR CE LA COUR,



Mme [T] [E], salariée dans l'industrie textile en qualité d'ouvrière de presse , a effectué le 8 juillet 2016 une déclaration de maladie professionnelle faisant état d'une tumeur de la vessie.



A l'appui de cette déclaration, Madame [T] [E] a produit un certificat médical en date du 1er juillet 2016 mentionnant la découverte d'un « carcinome urothélial p Ta G1 », ainsi qu'un certificat médical en date du 27 septembre 2016 ainsi rédigé: « ...Madame [T] [E] aurait été en contact avec des produits chimiques de teinture textile dans les années 1971-1972.. Son médecin de l'époque étant en retraite depuis de nombreuses années, il est impossible d'avoir d'autres précisions »



Après avoir procédé à l'instruction de cette demande au titre du tableau 15 ter des maladies professionnelles, la CPAM de l'Artois , par courrier en date du 18 juillet 2017 a notifié à Madame [T] [E] une décision de refus de prise en charge de la maladie « tumeur de l'épithélium urinaire » au titre du tableau n°15 ter, au motif que la preuve de l'exposition au risque provoqué par les amines aromatiques et leurs sels n'était pas rapportée.



Contestant cette décision, Mme [T] [E] a saisi la commission de recours amiable de l'organisme, puis le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras qui, par jugement du 16 juillet 2020, a statué comme indiqué précédemment.



La CPAM de l'Artoissollicite l'infirmation du jugement déféré uniquement en ce qu'il a renvoyé le dossier à la caisse primaire pour instruction de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle hors tableau sur le fondement de l'article L 461-1 alinéa 7 du code de la sécurité sociale.



Elle fait valoir que Mme [T] [E] ayant souscrit une déclaration de maladie professionnelle faisant état d'un carcinome urothélial, il convient de se référer au tableau n°15 ter relatif aux lésions prolifératives de la vessie provoquées par certaines amines aromatiques et leurs sels, que malgré les recherches effectuées au stade de l'instruction du dossier, la preuve n'a pas été rapportée de l'exposition de l'interessée au risque tel que défini dans le tableau en cause, et qu'elle ne peut ainsi bénéficier de la présomption d'imputabilité.



Elle indique que les éléments du dossier ne permettent pas de caractériser une exposition au risque visé et que la pathologie en cause ne saurait être instruite au titre d'une maladie hors tableau, dès lors que la tumeur de la vessie se trouve désignée par les tableaux des maladies professionnelles 15 ter et 16 bis.



En réponse, Mme [T] [E] conclut à titre principal à la reconnaissance de la maladie professionnelle déclarée au titre du tableau n°15 ter.



Elle indique qu'elle a travaillé durant onze années auprès du [5] en qualité de presseuse , sur du tissu teint qui dégageait des fumées toxiques au contact de la vapeur, et que c'est suite à cette exposition à des produits toxiques dans le cadre de son travail qu'elle a présenté une tumeur de la vessie devant être déclarée comme étant une maladie professionnelle.



Elle se prévaut des rapports médicaux d'urologues établissant un lien entre la tumeur de la vessie dont elle est atteinte et l'intoxication chimique due à la manipulation des textiles dans l'industrie.



Elle observe que la liste des travaux visés au tableau 15 ter n'est qu'indicative etqu'un salarié atteint d'un cancer de la vessie peut prétendre à une reconnaissance au titre des maladies professionnelles, même si son activité n'est pas listée au tableau.



Elle ajoute que dans le cadre de l'instruction de sa demande, la CARSAT a établi un avis précisant qu'elle avait été vraisemblablement exposée au perchloroéthylène alors qu'elle était salariée pour la société [5] », que ce produit peut être à l'origine de cancers de la vessie, et qu'il a été conseillé par la CARSAT de présenter le dossier au CRRMP au titre d'une maladie hors tableau.



Elle soutient que la caisse primaire ne pouvait rejeter sa demande en omettant d'évoquer la reprise de sa maladie au titre de l'alinéa 4 « maladie hors tableau », qu'il appartenait à la caisse d'orienter son dossier dans ce sens et non pas de lui notifier un refus reprenant seulement les maladies du tableau 15 ter.



Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.



***



*Sur le caractère professionnel de la maladie déclarée :



Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.



Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.



Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.



Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Selon l'article L.461-2 du même code, d es tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d'intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l'emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d'origine professionnelle.



Dans sa rédaction issue du décret n°2012-936 du 1er août 2012, le tableau 15 ter des maladies professionnelles est relatif aux « lésions prolifératives de la vessie provoquées par les amines aromatiques suivantes et leurs sels : 4-aminobiphényle et sels (xénylamine) ; 4,4'-diaminobiphényle et sels (benzidine) ; 2-naphtylamine et sels ; 4,4'-méthylène bis (2-chloroaniline) et sels (MBOCA) ; 3,3'-diméthoxybenzidine et sels (o-dianisidine) ; 3,3'-diméthylbenzidine et sels (o-tolidine) ; 2-méthylaniline et sels (o-toluidine) ; 4-chloro-2-méthylaniline et sels (p-chloro-o-toluidine) ; auramine (qualité technique) ; colorants suivants dérivés de la benzidine : CI direct black 38, CI direct blue 6, CI direct brown 95 ».

S'agissant de la désignation de la maladie, le tableau vise la tumeur primitive de l'épithélium urinaire (vessie, voies excrétrices supérieures ) confirmée par examen histopathologique ou cytopathologique.



Le tableau prévoit un délai de prise en charge de trente ans, sous réserve d'une durée d'exposition de cinq ans, et une liste indicative de travaux susceptibles de provoquer les pathologies en cause, à savoir les travaux exposant aux amines aromatiques visées, soit :



travaux de synthèse de colorants dans l'industrie chimique, de préparation et de mise en 'uvre des colorants dans la fabrication d'encres et de peintures, de fabrication d'élastomères techniques en polyuréthanes ou en résines époxy utilisant la 4,4'-méthylène bis (2-chloroaniline) et ses sels (MBOCA), notamment comme durcisseur, ainsi que de pesage, de mélangeage et de vulcanisation dans l'industrie du caoutc Pour bénéficier des dispositions de l'article L.461-1 précité, l'exposition à l'un des produits chimiques limitativement énumérés par le tableaun°15 ter doit être établie. houc, particulièrement avant 1955.



En l'espèce, s'il est indiscuté que la pathologie dont est atteinte Mme [T] [E], à savoir une tumeur de la vessie, correspond à la désignation de la maladie visée au tableau n°15 ter des maladies professionnelles, la preuve n'a pas été rapportée au cours de l'instruction du dossier d'une exposition au risque correspondant à l'intitulé du tableau 15 ter, à savoir une exposition aux amines aromatiques et leurs sels.



En effet, aux termes de la fiche colloque médico-administratif du 13 juin 2017, le médecin conseil a mentionné que l'exposition au risque telle que prévue au tableau en cause n'était pas démontrée.



En outre, dans le cadre de l'enquête effectuée, l'ingénieur conseil de la CARSAT a précisé: « ... nous ne possédons pas d'élément permettant de confirmer une exposition aux amines aromatiques au sens du tableau 15 ter.. », en ajoutant que la maladie pouvait être dûe à un autre agent nocif, à savoir le perchloroethylène utilisé dans le nettoyage à sec des textiles.



Eenfin les témoignages de deux anciennes collègues de Mme [T] [E], produits aux débats, n'identifient pas les amines aromatiques comme étant à l'origine de la pathologie déclarée, non plus que les certificats médicaux produits.



Il en résulte que c'est à juste raison que la décision déférée a dit que Mme [T] [E] devait être déboutée de sa demande de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée au titre du tableau n°15 ter des maladies professionnelles.



La décision déférée sera confirmée de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise médicale, la nature de la pathologie n'étant pas discutée.



*Sur le renvoi du dossier à la CPAM pour instruction dans le cadre d'une maladie « hors tableau » :





En vertu des dispositions de l'article L.461-1 précité, si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.



En vertu de ce texte, peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.



En l'espèce, la tumeur de la vessie est visée par le tableau 15 ter des maladies professionnelles, tandis que la caractérisation conforme de la pathologie présentée par Mme [T] [E] n'est pas contestée par la caisse primaire.



Par ailleurs, les conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas en cause dans le présent litige.



C'est donc à tort que les premiers juges ont renvoyé le dossier devant la caisse primaire pour instruction de la demande de reconnaissance de la maladie dans le cadre d'une maladie hors tableau, alors que les conditions visées à l'article L 461-1 alinéa 5 devenu alinéa 7 du code de la sécurité sociale n'étaient pas réunies.



La décision déférée sera infirmée de ce chef.





* Sur les frais irrépétibles :



Les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'équité.



Mme [T] [E], qui succombe en ses prétentions, sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.



* Sur les dépens :



Le décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 (article 11) ayant abrogé l'article R.144-10 alinéa 1 du code de la sécurité sociale qui disposait que la procédure était gratuite et sans frais, il y a lieu de mettre les dépens de la procédure d'appel à la charge de la partie perdante, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.



Mme [T] [E], qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel.



PAR CES MOTIFS



La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,



CONFIRME le jugement entrepris excepté en ce qu'il a renvoyé le dossier de Mme [T] [E] devant la caisse primaire pour instruction hors tableau de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie



STATUANT A NOUVEAU de ce seul chef ET Y AJOUTANT,



DIT n'y avoir lieu à renvoi du dossier de Mme [T] [E] devant la caisse primaire pour instruction hors tableau de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie



DEBOUTE Mme [T] [E] de ses demandes contraires



DEBOUTE Mme [T] [E] de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel,



CONDAMNE Mme [T] [E] aux dépens d'appel.







Le Greffier,Le Président,

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