21 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-11.382

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00951

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2022




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président




Arrêt n° 951 F-D

Pourvoi n° F 21-11.382




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

Le comité social et économique de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]), dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits du CHSCT de la [5], a formé le pourvoi n° F 21-11.382 contre l'ordonnance rendue en la forme des référés le 21 janvier 2021 par le président du tribunal judiciaire de Paris, dans le litige l'opposant à l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]), établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat du comité social et économique de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]), de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]), après débats en l'audience publique du 15 juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (président du tribunal judiciaire de Paris, 21 janvier 2021), rendue en la forme des référés, l'établissement public [11] a décidé de confier à compter du 9 janvier 2018 l'exploitation de sa salle de cinéma La Géode à la société Cinémas Gaumont Pathé, eu égard aux difficultés d'exploitation de cette salle de cinéma et à l'importance des investissements à réaliser pour la redynamiser. Cette concession a eu pour conséquence de permettre à la société Cinémas Gaumont Pathé d'occuper une partie d'un bâtiment adjacent au cinéma La Géode, dénommé [Adresse 3], et d'entraîner la relocalisation des personnels d'[11] présents dans ce bâtiment. Deux procédures d'information-consultation ont été effectuées vis à vis de la représentation du personnel d'[11] sur ce projet de déménagement, respectivement en septembre 2018 - février 2019 et en avril 2019-juin 2019, les personnels concernés devant être répartis dans les locaux respectivement dénommés [Adresse 9], [Adresse 4], [Adresse 6] et [Adresse 10].

2. Lors d'une réunion ordinaire du 10 octobre 2019, ayant notamment pour ordre du jour :« Point 7 : information du CHSCT [5] sur le déménagement des salarié.e.s de [Adresse 7], avancement des travaux et des aménagements de [Adresse 10], [Adresse 4], [Adresse 6], [Adresse 9] - calendrier et modalités des déménagements et du matériel de [Adresse 7] », les membres élus du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la [5] (le CHSCT) ont voté à l'unanimité le recours à un expert, confiant l'exercice de cette mission à la société Attention Travail.

3. Contestant cette résolution, l'établissement [11] a, par acte d'huissier de justice signifié le 24 octobre 2019, assigné le comité social et économique d'[11] (le CSE), venant aux droits et obligations du CHSCT, devant le président du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le CSE fait grief à l'ordonnance d'annuler la délibération adoptée le 10 octobre 2019 par le CHSCT, ayant voté le recours à un expert agréé par le ministère du travail en matière de risques psychosociaux en application des dispositions de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et confié cette mission à la société Attention Travail, alors :

« 1°/ que le CSE d'[11] a indiqué dans ses écritures que l'expertise a été prise en application de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail relatif à un projet important, que l'établissement [11] s'est borné à contester le caractère important du projet, que l'ordonnance constate que la délibération du 10 octobre 2019 porte sur le « déménagement des salariés de [Adresse 7], avancement des travaux et des aménagements de [Adresse 10], [Adresse 4], [Adresse 6] et [Adresse 9] », qu'elle mentionne à plusieurs reprises le terme de « projet » et en jugeant cependant que « l'ensemble de ces éléments ne permet pas de distinguer s'il s'agit d'un vote de recours à expert pour projet important ou en allégation d'une situation de risque grave », au motif inopérant que la délibération précitée ne vise explicitement ni l'article L. 4614-12, 1°, relatif au risque grave, ni l'article L. 4614-12, 2°, relatif au projet important, le président du tribunal judiciaire qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations pour refuser de se prononcer sur la légitimité du recours à l'expertise, a violé l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail alors applicable ;

2°/ que saisi d'un litige sur la décision du CHSCT de recourir à une mesure d'expertise prise sur le fondement de l'article L. 4614-12, 2°, le juge est tenu d'en apprécier la nécessité ; qu'en l'espèce, le CSE d'[11] a soutenu que la mesure d'expertise avait été prise en application de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail relatif à un projet important , que la mise en oeuvre du projet de déménagement et la relocalisation sur plusieurs sites des personnels et des équipements du [Adresse 3], soit de la Direction des éditions et transmédia (DET), avaient généré une modification et une dégradation des conditions de travail des salariés qui y étaient affectés, qu'étaient intervenus de multiples changements concernant tant les nouveaux lieux de travail que les outils de travail, que de plus, les risques relatifs au déménagement n'avaient pas été évalués ; qu'en ne vérifiant pas si ces éléments n'étaient pas de nature à caractériser un projet important de nature à justifier l'expertise décidée le 10 octobre 2019 par le CHSCT de la [5], le président du tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail alors applicable ;

3°/ que le CHSCT peut décider de recourir à un expert lors de la mise en oeuvre d'un projet de déménagement lorsque celle-ci génère une altération des conditions de travail des salariés, quand bien même cette décision aurait été formalisée en dehors de toute procédure d'information-consultation que le CSE d'[11] a fait valoir qu'au jour de la délibération du 10 octobre 2019, la mise en oeuvre du projet de déménagement pour lequel il avait été consulté, avait généré par ses atermoiements pendant deux ans, une altération des conditions de travail des salariés restés dans l'incertitude de leur avenir à l'origine d'un état de stress important, que les élus du CHSCT avaient découvert qu'il y avait eu des changements qui n'avaient pas été évoqués lors de la consultation en juin 2019 ; qu'en considérant qu'était nulle la résolution du CHSCT de recourir à un expert agréé au motif que cette décision a été formalisée en dehors de toute procédure d'information-consultation régulièrement engagée, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne peut recourir à une mission d'expertise que dans le cadre et dans les conditions prévues par l'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable.

6. C'est dès lors à bon droit que le président du tribunal judiciaire a annulé la délibération du CHSCT ayant voté le recours à une mission d'expertise dans des termes ne permettant pas de définir si elle se justifiait par un risque grave, en application du 1° de l'article L. 4614-12 du code du travail, ou par un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, en application du 2° du même article.

7. Il en résulte que le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. Le CSE fait grief à l'ordonnance de rejeter sa demande de prise en charge de ses frais de défense judiciaire à l'occasion de l'instance par l'établissement [11] et de le condamner aux entiers dépens de l'instance, alors « que selon l'article L. 4614-13 du code du travail, applicable en la cause, sauf abus, l'employeur doit supporter les frais de contestation de la procédure d'expertise décidée par le CHSCT ; qu'en rejetant la demande du CSE d'[11] venant aux droits du CHSCT de la [5] de sa demande de prise en charge des frais de procédure par l'établissement Univescience qui a contesté la décision d'expertise du 10 octobre 2019 prise par le CHSCT aux motifs inopérants que le CSE d'[11] a poursuivi la défense en justice de cette ancienne délibération du CHSCT et qu'il dispose d'un budget propre, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-13 du code du travail, alors applicable. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article 9, V, de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, lorsqu'il est fait application des dispositions prévues au I du présent article, ainsi que pendant la durée des mandats en cours, les dispositions des titres Ier et II du livre III relatives aux délégués du personnel et au comité d'entreprise, les dispositions du titre VIII du livre III sur le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les dispositions du titre IX du livre III sur le regroupement par accord des institutions représentatives du personnel, les dispositions du titre X du livre III sur les réunions communes des institutions représentatives du personnel ainsi que les dispositions du titre Ier du livre VI de la quatrième partie, relatives au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail demeurent applicables dans leur rédaction en vigueur à la date de publication de la présente ordonnance.

10. Il en résulte que dès lors que l'instance a été engagée postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et postérieurement à la mise en place du comité social et économique, les mandats des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail n'étant plus en cours, les dispositions de l'article L. 4614-13, dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, ne s'appliquent plus aux frais de l'expertise et aux frais de défense y afférents.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'ordonnance se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le comité social et économique de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]) aux dépens ;

Rejette la demande du comité social et économique de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]) au titre de l'article L. 4614-13 du code du travail et rejette la demande de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11]) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour le comité social et économique de l'établissement public du [8] et de la [5] ([11])

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le CSE d'[11] fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR annulé la délibération adoptée le 10 octobre 2019 par le CHSCT de la de la [5], ayant voté le recours à un expert agréé par le Ministère du travail en matière de risques psychosociaux en application des dispositions de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et confié cette mission à la société Attention Travail ;

1°- ALORS QUE le CSE d'[11] a indiqué dans ses écritures que l'expertise a été prise en application de l'article L. 4614-12 2° du code du travail relatif à un projet important, que l'établissement [11] s'est borné à contester le caractère important du projet, que l'ordonnance constate que la délibération du 10 octobre 2019 porte sur le « déménagement des salariés de [Adresse 7] , avancement des travaux et des aménagements de [Adresse 10], [Adresse 4], [Adresse 6] et [Adresse 9] », qu'elle mentionne à plusieurs reprises le terme de « projet » et en jugeant cependant que « l'ensemble de ces éléments ne permet pas de distinguer s'il s'agit d'un vote de recours à expert pour projet important ou en allégation d'une situation de risque grave », au motif inopérant que la délibération précitée ne vise explicitement ni l'article L.4614-12 1° relatif au risque grave, ni l'article L. 4614-12 2° relatif au projet important, le président du tribunal judiciaire qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations pour refuser de se prononcer sur la légitimité du recours à l'expertise, a violé l'article L.4614-12 2° du code du travail alors applicable ;

2° - ALORS QUE saisi d'un litige sur la décision du CHSCT de recourir à une mesure d'expertise prise sur le fondement de l'article L. 4614-12 2° , le juge est tenu d'en apprécier la nécessité ; qu'en l'espèce, le CSE d'[11] a soutenu que la mesure d'expertise avait été prise en application de l'article L. 4614-12 2° du code du travail relatif à un projet important , que la mise en oeuvre du projet de déménagement et la relocalisation sur plusieurs sites des personnels et des équipements du [Adresse 3], soit de la Direction des éditions et transmédia (DET), avaient généré une modification et une dégradation des conditions de travail des salariés qui y étaient affectés, qu'étaient intervenus de multiples changements concernant tant les nouveaux lieux de travail que les outils de travail, que de plus, les risques relatifs au déménagement n'avaient pas été évalués ; qu'en ne vérifiant pas si ces éléments n'étaient pas de nature à caractériser un projet important de nature à justifier l'expertise décidée le 10 octobre 2019 par le CHSCT de la [5], le président du tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 2° du code du travail alors applicable ;

3°- ALORS QUE le CHSCT peut décider de recourir à un expert lors de la mise en oeuvre d'un projet de déménagement lorsque celle-ci génère une altération des conditions de travail des salariés, quand bien même cette décision aurait été formalisée en dehors de toute procédure d'information-consultation ; que le CSE d'[11] a fait valoir qu'au jour de la délibération du 10 octobre 2019, la mise en oeuvre du projet de déménagement pour lequel il avait été consulté, avait généré par ses atermoiements pendant deux ans, une altération des conditions de travail des salariés restés dans l'incertitude de leur avenir à l'origine d'un état de stress important, que les élus du CHSCT avaient découvert qu'il y avait eu des changements qui n'avaient pas été évoqués lors de la consultation en juin 2019 ;qu'en considérant qu'était nulle la résolution du CHSCT de recourir à un expert agréé au motif que cette décision a été formalisée en dehors de toute procédure d'information-consultation régulièrement engagée, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-12-2° du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le CSE d'[11] fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR rejeté sa demande de prise en charge de ses frais de défense judiciaire à l'occasion de l'instance par l'établissement [11] et de l'avoir condamné aux entiers dépens de l'instance ;

ALORS QUE selon l'article L. 4614-13 du code du travail, applicable en la cause, sauf abus, l'employeur doit supporter les frais de contestation de la procédure d'expertise décidée par le CHSCT ; qu'en rejetant la demande du CSE d'[11] venant aux droits du CHSCT de la [5] de sa demande de prise en charge des frais de procédure par l'établissement Univescience qui a contesté la décision d'expertise du 10 octobre 2019 prise par le CHSCT aux motifs inopérants que le CSE d'[11] a poursuivi la défense en justice de cette ancienne délibération du CHSCT et qu'il dispose d'un budget propre, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-13 du code du travail, alors applicable.

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