21 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-21.416

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00512

Titres et sommaires

REFERE - Mesures conservatoires ou de remise en état - Conditions - Exclusion - Circonstances rendant impossible le fonctionnement normal d'une société et la menaçant d'un péril imminent

Viole l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile, en ajoutant une condition non prévue par ce texte, la cour d'appel qui, pour la désignation d'un mandataire ad hoc, chargée de représenter une société dans le cadre d'une instance l'opposant à ses fournisseurs, exige la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de cette société et la menaçant d'un péril imminent

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - Administrateur ad hoc - Désignation - Conditions - Détermination


REFERE - Ordonnance - Modification ou rapport - Fait nouveau - Applications diverses - Désignation d'un mandataire ad hoc - Circonstances rendant impossible le fonctionnement normal d'une société et la menaçant d'un péril imminent - Nécessité (non)

Il résulte de l'application combinée des articles 488, alinéa 2, et 873, alinéa 1, du code de procédure civile, qu'une ordonnance de référé rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc faite sur le seul fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée s'il existe des circonstances nouvelles caractérisant l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite. Viole ces textes une cour d'appel, qui pour déclarer irrecevable une demande tendant à rapporter un arrêt de cour d'appel ayant refusé de désigner un mandataire ad hoc, exige que les circonstances nouvelles invoquées à cet effet rendent impossible le fonctionnement normal de la société ou la menacent d'un péril imminent

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - Administrateur ad hoc - Désignation - Conditions - Détermination

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2022




Cassation partielle


M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 512 F-B

Pourvoi n° S 20-21.416




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

M. [S] [X], domicilié [Adresse 2], [Localité 3], agissant en sa double qualité d'associé et de gérant de la société U-Web, a formé le pourvoi n° S 20-21.416 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société U 10 Corp, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 4],

2°/ à la société U-Web, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 5],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [X], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat des sociétés U 10 Corp et U-Web, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 octobre 2020), rendu en matière de référé, la société U 10 Corp (la société U 10) est associée majoritaire de la société à responsabilité limitée U-Web ayant pour gérant et coassocié minoritaire M. [X].

2. Par un arrêt du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé, une cour d'appel a, infirmant une ordonnance de référé du 7 juillet 2016, débouté M. [X] de sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U 10 et voter en ses lieu et place aux assemblées générales de la société U-Web.

3. Par un acte du 7 février 2020, M. [X] a saisi, en référé, un président de tribunal de commerce, d'une part, d'une nouvelle demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U 10 et voter en ses lieu et place aux assemblées générales de la société U-Web, d'autre part, d'une demande tendant, au cas où il serait évincé de ses fonctions de gérant, à sa désignation, ou celle de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre d'une instance judiciaire opposant celle-ci à ses fournisseurs, également filiales de la société U 10. Les sociétés U 10 et U-Web lui ont notamment opposé, s'agissant de la première demande, l'absence de circonstances nouvelles, et, s'agissant de la seconde demande, l'absence de dommage imminent.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [X] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de sa désignation et, très subsidiairement, de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme, alors « que la désignation d'un mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce n'est pas subordonnée à l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent mais uniquement à la preuve d'un dommage imminent ou d'un trouble illicite ; qu'en énonçant "qu' il est de principe que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent" puis en rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc formée par M. [X] au motif que "rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U 10 et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril son existence", la cour d'appel a statué par motifs impropres et ainsi violé l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :

5. Selon ce texte, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

6. Pour dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre d'une instance judiciaire l'opposant à ses fournisseurs, l'arrêt, après avoir constaté que M. [X] forme sa demande sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, et énoncé que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent, retient que si la nomination envisagée du nouveau gérant de la société U-Web est susceptible d'avoir une influence sur les choix procéduraux de cette société, s'agissant des suites de la procédure l'opposant à la société U 10, rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U 10 et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril l'existence de la société U-Web, et que la mésentente entre les associés n'emporte pas péril pour les intérêts sociaux.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel qui, ajoutant aux conditions prévues par la loi, a exigé la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de cette société et la menaçant d'un péril imminent pour désigner, en référé, un mandataire ad hoc, a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. M. [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci, alors « que l'ordonnance de référé ayant rejeté la désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée dès lors qu'il existe des circonstances nouvelles de nature à caractériser un dommage imminent ou un trouble illicite ; que pour déclarer irrecevable la demande formée par M. [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 au motif qu' "il n'allège et a fortiori ne démontre, ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U 10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, lesquelles circonstances sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc", la cour d'appel, réduisant à tort la notion de circonstances nouvelles à ces deux hypothèses, a violé les articles 488 et 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 488, alinéa 2, et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :

9. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une ordonnance de référé rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc faite sur le seul fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée s'il existe des circonstances nouvelles caractérisant l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite.

10. Pour déclarer irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé de représenter la société U 10 et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, l'arrêt, après avoir constaté que la même demande avait été rejetée par arrêt du 18 octobre 2016, statuant en matière de référé, et exactement énoncé que M. [X] devait, en conséquence, justifier de circonstances nouvelles en application de l'article 488 du code de procédure civile, retient qu'il n'allègue et a fortiori ne démontre ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U 10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et, de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web, dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, et que ces circonstances, qui s'apprécient à compter de la date de la première ordonnance rendue par le juge des référés le 7 juillet 2016, sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui, pour déclarer irrecevable la demande de M. [X] visant à modifier ou rapporter en référé l'arrêt du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé, ayant refusé de désigner un mandataire ad hoc pour la société U 10, a exigé que les circonstances nouvelles invoquées à cet effet rendent impossible le fonctionnement normal de cette société ou la menacent d'un péril imminent, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de M. [X] de sa désignation et, très subsidiairement, de celle de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme, en ce qu'il déboute M. [X] de sa demande de consignation d'une provision ad litem en vue de la rémunération de ce mandataire ad hoc et en ce qu'il déclare irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 Corp avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci, l'arrêt rendu le 20 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne les sociétés U 10 Corp et U-Web aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés U 10 Corp et U-Web et les condamne à payer à M. [X] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [X].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Monsieur [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de la société U-Web et [S] [X], de désignation de [S] [X] et très subsidiairement de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme.

1°/ ALORS QUE la désignation d'un mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce n'est pas subordonnée à l'existence de de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent mais uniquement à la preuve d'un dommage imminent ou d'un trouble illicite ; qu'en énonçant qu' « il est de principe que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent » puis en rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc formée par Monsieur [X] au motif que « rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U-10 Corp et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril son existence », la cour d'appel a statué par motifs impropres et ainsi violé l'article 873 du Code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties que le juge ne saurait modifier sans les dénaturer ; qu'en énonçant pour rejeter la demande formée par Monsieur [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans une procédure judiciaire pendante l'opposant à des sociétés du groupe U-10, « qu'il convient donc de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de [S] [X] et de la société U-Web de désignation d'un administrateur ad hoc pour la société U-Web et de leur demande de consignation d'une provision ad litem en vue de sa rémunération » ; alors que dans le dispositif de ses conclusions, Monsieur [X] demandait de « désigner Monsieur [S] [X] en qualité de mandataire ad hoc et très subsidiairement tout autre professionnel, avec pour mission de : représenter la société U-Web dans la procédure actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui viendrait à être saisie d'une procédure qui en serait la suite et/ou la conséquence, et de la conduire jusqu'à son terme », la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et partant violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Monsieur [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 Corp avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci

ALORS QUE l'ordonnance de référé ayant rejeté la désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée dès lors qu'il existe des circonstances nouvelles de nature à caractériser un dommage imminent ou un trouble illicite ; que pour déclarer irrecevable la demande formée par Monsieur [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U-10 au motif qu'« il n'allège et a fortiori ne démontre, ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, lesquelles circonstances sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc », la Cour d'appel, réduisant à tort la notion de circonstances nouvelles à ces deux hypothèses, a violé les articles 488 et 873 du Code de procédure civile.

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