21 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.965

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00511

Titres et sommaires

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - Parts sociales - Cession - Clause de garantie du passif - Passif couvert - Etendue - Condamnation de la société cédée à une indemnité de requalification - Origine antérieure à la cession des titres - Portée - Indemnité à la charge du cédant

Ayant retenu que la condamnation, par la juridiction prud'homale, d'une société au paiement d'une indemnité de requalification de contrats de mission irréguliers en un contrat à durée indéterminée, avait son origine dans la conclusion, avant la cession des titres de cette société, du premier contrat de mission irrégulier, une cour d'appel juge à bon droit que cette indemnité est, en vertu de la garantie de passif stipulée au contrat de cession, à la charge du cédant


SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - Parts sociales - Cession - Clause de garantie du passif - Passif couvert - Exclusion - Indemnité due par la société cédée - Fait générateur postérieur à la cession - Applications diverses - Cessation d'une relation de travail que la société cédée a prolongée après la cession

Viole l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la cour d'appel qui condamne, au titre d'une garantie de passif stipulée dans un contrat de cession de parts sociales, le cédant à supporter le passif supplémentaire résultant de la condamnation, par la juridiction prud'homale, de la société cédée à payer une indemnité légale de licenciement, une indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu'il résulte de ses constatations que ces condamnations ont pour fait générateur la cessation, assimilable à un licenciement, d'une relation de travail que la société cédée a prolongé au-delà du dernier contrat de mission conclu avant la cession des titres, en concluant, après la cession, deux nouveaux contrats de mission irréguliers

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 511 F-B

Pourvoi n° C 20-18.965









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

La société Financial Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-18.965 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2020 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Gama Invest, société à responsabilité limitée,

2°/ à la société ECT2S, société par actions simplifiée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Financial Holding, de la SARL Cabinet Briard, avocat des sociétés Gama Invest et ECT2S, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 29 juin 2020), la société Financial Holding a, par un acte du 12 juin 2014, cédé à la société Gama Invest l'intégralité des actions qu'elle détenait dans le capital de la société ECT2S. Elle a, le même jour, consenti une garantie d'actif et de passif à la société Gama Invest.

2. Par plusieurs contrats de mission successifs, les deux derniers conclus après le 12 juin 2014, une entreprise de travail temporaire a mis un salarié, M. [J], à la disposition de la société ECT2S pour une période totale allant du 20 juillet 2009 au 29 août 2014.

3. Un conseil de prud'hommes a, par un jugement du 3 juin 2018, prononcé la requalification de l'ensemble des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009 et a condamné la société ECT2S, contrôlée par la société Gama Invest, en sa qualité d'entreprise utilisatrice, à payer à M. [J] des sommes au titre de l'indemnité de requalification, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4. La société Financial Holding ayant refusé de mettre en oeuvre la garantie d'actif et de passif, les sociétés Gama Invest et ECT2S l'ont assignée en paiement des sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité de requalification, de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés-payés afférents, de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de 700 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure prud'homale, mises à la charge de la société ECT2S par le conseil de prud'hommes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, en tant qu'elle fait grief à l'arrêt de condamner la société Financial Holding à verser des sommes au titre de l'indemnité de requalification et des frais irrépétibles de la procédure prud'homale

Enoncé du moyen

5. La société Financial Holding fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'avait condamnée à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S la somme de 1 740,50 euros à titre d'indemnité de requalification, à la suite de la requalification du contrat de M. [J], et celle de 700 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure prud'homale, alors « qu'en se bornant à retenir, pour la condamner à supporter l'indemnité de requalification des contrats d'intérim de M. [J] en contrat à durée indéterminée, ainsi que les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées au salarié, que son droit à requalification était né de la reconduction irrégulière de ses missions d'intérim antérieurement à la cession, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si les deux renouvellements de missions effectués par le cessionnaire postérieurement à la cession n'avaient pas directement contribué à ce passif, ce qui était de nature à exclure la garantie du cédant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir rappelé que, selon l'article 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, et relevé qu'il ressort du jugement du conseil de prud'hommes du 3 juin 2018 que la méconnaissance de ces dispositions par la société ECT2S a entraîné la requalification de l'ensemble de la relation contractuelle avec M. [J] en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009, date du premier contrat de mission irrégulier, l'arrêt retient que le droit à requalification est né avant la cession de l'entreprise accompagnée de la convention de garantie de passif litigieuse. Il retient encore que le passif supplémentaire invoqué est lié à la requalification du contrat et non à la décision de licenciement elle-même, étant observé que M. [J] aurait pu obtenir cette requalification en dehors de toute procédure de licenciement et avant même la cession.

7. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il se déduit que la condamnation de la société ECT2S au paiement d'une indemnité de requalification et aux frais irrépétibles de l'instance prud'homale, avait son origine dans la conclusion, le 20 juillet 2009, du premier contrat de mission irrégulier, et non dans celle de deux nouveaux contrats de mission postérieurement à la cession des titres, la cour d'appel a, à bon droit, condamné la société Financial Holding à rembourser aux sociétés Gama Invest et ECT2S, en vertu de la garantie de passif, le montant de l'indemnité de requalification et des frais irrépétibles.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche, en tant qu'elle fait grief à l'arrêt de condamner la société Financial Holding à verser des sommes au titre de l'indemnité de requalification et des frais irrépétibles de la procédure prud'homale

9. Le moyen, qui se borne à critiquer la condamnation de la société Financial Holding au paiement des indemnités dues au titre du licenciement du salarié, est inopérant en tant qu'il fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de la somme de 1 740,50 euros à titre d'indemnité de requalification et de celle de 700 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure prud'homale.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche, en tant qu'elle fait grief à l'arrêt de condamner la société Financial Holding à payer des sommes au titre de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés-payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Enoncé du moyen

10. La société Financial Holding fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'avait condamnée à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S les sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés payés afférents, et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la suite de la requalification du contrat de M. [J], alors « que les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à un salarié ont pour fait générateur la rupture de son contrat ; qu'en condamnant la société Financial Holding à supporter les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à M. [J], bien qu'elle ait constaté que la rupture de la relation de travail, qui constituait le fait générateur de ces indemnités, était postérieure à la cession, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 16 février 2016 :

11. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

12. Pour condamner la société Financial Holding au paiement des sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, de 348 euros au titre des congés-payés afférents et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir énoncé qu'en application de l'article L. 1251-5 du code du travail, un contrat de mission ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, relève que le conseil de prud'hommes a, au motif de la méconnaissance de ces dispositions, requalifié l'ensemble des contrats de mission conclus sur la période allant du 20 juillet 2009 au 29 août 2014 en un contrat à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009, date du premier contrat de mission irrégulièrement motivé par un accroissement temporaire d'activité. L'arrêt retient qu'il est établi que les missions irrégulières se sont succédé durant cinq ans et que la faute à l'origine de la condamnation de la société ECT2S était constituée dès la reconduction d'une succession de contrats de mission. L'arrêt en déduit que le passif supplémentaire est lié à la requalification des contrats de mission et que, le droit à requalification étant né avant la cession de l'entreprise accompagnée de la convention de garantie de passif litigieuse, c'est à tort que la société Financial Holding soutient que le passif de la société ECT2S aurait une origine imputable à des faits postérieurs à la cession du 12 juin 2014.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la société ECT2S, alors sous le contrôle de la société Gama Invest, avait fait le choix de prolonger la relation de travail avec le salarié en concluant deux nouveaux contrats de mission, dont il lui appartenait de s'assurer de la régularité, puis de mettre fin à cette relation le 29 août 2014, ce dont il se déduisait que la condamnation de la société ECT2S au paiement de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse avait pour fait générateur la cessation, assimilable à un licenciement, d'une relation de travail que cette société avait prolongée au-delà du terme du dernier contrat de mission conclu avant la cession des titres, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. Il résulte de ce qui précède que les sociétés ECT2S et Gama Invest sont mal fondées à réclamer, au titre de la garantie de passif, la prise en charge, par la société Financial Holding, des conséquences pécuniaires de la cessation de la relation de travail avec M. [J], assimilable à un licenciement, dès lors que cette cessation a eu lieu le 29 août 2014, postérieurement à la cession des titres.

17. Leur demande à ce titre sera rejetée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne la société Financial Holding à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S les sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés-payés afférents, et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre des conséquences de la requalification du contrat de M. [J], l'arrêt rendu le 29 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande des sociétés Gama Invest et ECT2S tendant à la condamnation de la société Financial Holding à leur payer les sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés-payés afférents, et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Financial Holding.

La société Financial Holding fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'avait condamnée à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S la somme de 18 453 euros au titre des conséquences de la requalification du contrat de M. [C] [J] ;

1° ALORS QU'en se bornant à retenir, pour condamner l'exposante à supporter l'indemnité de requalification des contrats d'intérim de M. [J] en contrats à durée indéterminée, ainsi que les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées au salarié, que son droit à requalification était né de la reconduction irrégulière de ses missions d'intérim antérieurement à la cession, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si les deux renouvellements de missions effectués par le cessionnaire postérieurement à la cession n'avaient pas directement contribué à ce passif, ce qui était de nature à exclure la garantie du cédant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code ;

2° ALORS QU'en toute hypothèse, les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à un salarié ont pour fait générateur la rupture de son contrat ; qu'en condamnant l'exposante à supporter les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à M. [J], bien qu'elle ait constaté que la rupture de la relation de travail, qui constituait le fait générateur de ces indemnités, était postérieure à la cession, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code.

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