20 septembre 2022
Cour d'appel de Bordeaux
RG n° 21/03686

1ère CHAMBRE CIVILE

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 20 SEPTEMBRE 2022



RP





N° de rôle : N° RG 21/03686 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFZU









S.C.E. DU CHATEAU D'[Localité 2]





c/



[R] [D]



























Nature de la décision : AU FOND





















Notifié aux parties par LRAR le :





Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : décision rendue le 15 juin 2021 par le Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle de COURBEVOIE (OP20-1617) suivant recours en date du 28 juin 2021



DEMANDERESSE :



S.C.E. DU CHATEAU D'[Localité 2] société civile titulaire de la marque française 'CHATEAU D'AIGUILLE' marque verbale déposée le 9/03/2019 sous le numéro 4532290, inscrite au RCS de Libourne sous le numéro 339615478, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis '[Adresse 3]



représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Eric AGOSTINI de la SELARL ERIC AGOSTINI ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX





DEFENDEUR :



[R] [D]

né le 9 Novembre 1941 à [Localité 5]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 4]



représenté par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Caroline LAMPRE, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX





EN PRESENCE DE :



INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]



régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception

représenté par Madame [L] [W], juriste, munie d'un pouvoir spécial





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 juin 2022 en audience publique, en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Roland POTEE, président chargé du rapport, et Bérengère VALLEE, conseiller,



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Vincent BRAUD, conseiller,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE





Ministère Public :



L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 19 mai 2022.





ARRÊT :



- contradictoire



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.






* * *





EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE



M. [R] [D] a déposé, le 19 février 2020, la demande d'enregistrement n°4 625 401 portant sur le signe verbal CHÂTEAU L'AIGUILLE DU PIN, destiné à distinguer les produits suivants : 'vins d'appellation d'origine protégée'.



Le 10 mai 2020, la société civile d'exploitation ( SCE ) [Adresse 3] a formé opposition à l'enregistrement de cette marque, sur la base de la marque verbale CHATEAU D'[Localité 2] déposée le 9 mars 2019 sous le n°4 532 290 et portant sur les produits suivants:'vins d'appellation d'origine protégée provenant de l'exploitation exactement dénommée [Adresse 3]'.



Le 11 mai 2020, l'INPI a adressé au déposant une objection provisoire à enregistrement, portant sur des irrégularités de fond constatées dans la demande d'enregistrement, assortie d'une proposition de régularisation réputée acceptée par son titulaire à défaut d'observations pour y répondre dans le délai imparti.



Au cours de la phase d'instruction, des observations écrites ont été échangées.



Par décision du 15 juin 2021, l'INPI a rejeté l'opposition.



Par déclaration enregistrée au greffe le 28 juin 2021, la SCE [Adresse 3] a formé un recours contre la décision rendue par l'INPI.



Par conclusions déposées le 16 mars 2022, elle demande à la cour de :

- juger que la marque Château L'Aiguille du Pin n° 4625401 porte atteinte à la marque Château d'[Localité 2] n° 4532290 sur le fondement de l'art. L713-2 2° du code de la propriété intellectuelle,





- en conséquence, annuler la décision de M.le Directeur Général de l'INPI OP 20-1617-NOA en date du 15 juin 2021,

- condamner M. [R] [D] à payer à la [Adresse 3] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'art. 700 du code de procédure civile.



Par conclusions déposées le 17 décembre 2021, M. [R] [D] prie la cour de:

- déclarer recevable et mal fondé le recours formé par la Société [Adresse 3],

- constater que bien que relevant de la même classe 33, les produits désignés sont de nature différente,

- constater qu'en matière viti-vinicole, l'appréciation de la similarité ne peut pas se fonder sur l'appartenance à une même classe administrative, les classes administratives n'ayant pas de valeur juridique,

- constater qu'en effet la production de propriétés viticoles privatives et dotées de l'autonomie culturale, n'est pas interchangeable, s'agissant de productions individuelles, fruits de micro-terroirs uniques,

- constater que le contexte de l'exploitation des marques est extérieur à l'appréciation des produits,

- En conséquence et premièrement, infirmer la décision prise par M.le directeur de l'INPI le 15 juin 2021, en ce qu'elle a conclu à la similarité des produits en cause,

- juger qu'il n'y a pas de similarité entre les produits marqués.

- juger que l'INPI s'est exactement adonné à une appréciation d'ensemble en tenant compte des éléments essentiels et dominants des signes en cause,

- constater que l'appelante ne peut pas détacher le terme AIGUILLE de l'ensemble verbal et indissociable qui compose la marque contestée CHATEAU L'AIGUILLE DU PIN,

- constater que la marque CHATEAU L'AIGUILLE DU PIN compose un ensemble verbal indissociable et différend de la marque CHATEAU D'[Localité 2],

- constater que les jurisprudences citées en page 11 adverse et non communiquées, ne sont pas assimilables au cas présent,

- constater que les éléments essentiels des marques en cause CHATEAU D'[Localité 2] et CHATEAU L'AIGUILLE DU PIN se distinguent verbalement et visuellement,

- constater que les éléments essentiels des marques en cause CHATEAU D'[Localité 2] et CHATEAU L'AIGUILLE DU PIN se distinguent phonétiquement,

- constater que les éléments essentiels des marques en cause CHATEAU D'[Localité 2] et CHATEAU L'AIGUILLE DU PIN se distinguent intellectuellement,

- juger que l'INPI s'est exactement adonné à une appréciation d'ensemble en tenant compte de de l'absence de notoriété du CHATEAU D'[Localité 2],

- constater que l'INPI a déjà reconnu que le CHATEAU D'[Localité 2] n'était pas notoire,

- constater que la notoriété ne peut pas compenser uen absence de similitude,

- constater que l'appelante en peut ps substituer un risque d'association indirect et même virtuel, à un risque de confusion objectif, au prétexte d'une famille de marques,

- En conséquence et deuxièmement, confirmer la décision prise par M.le Directeur de l'INPI le 15 juin 2021en ce qu'elle reconnu l'absence de similarité entre les marques en cause,

- juger que la marque « CHATEAU L'AIGUILLE DU PIN » n°'4 625 401 ne constitue pas l'imitation de la marque CHATEAU D'[Localité 2] n°4 532 290,

- rejeter l'opposition 20-1617,

- condamner la partie adverse à verser 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civil et aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP GAUTIER FONROUGE.



Par courrier transmis au greffe le 14 mars 2022, le directeur général de l'INPI a présenté ses observations récapitulatives, dans lesquelles il rappelle que le recours contre une décision d'opposition est un recours en annulation, que la cour ne peut donc pas 'infirmer la décision en ce qu'elle a conclu à la similarité des produits' comme le demande M. [D] et qu'au fond, les produits en cause relèvent tous de la catégorie générale des vins et que le risque de confusion invoqué entre les signes n'est pas établi.



Le 19 mai 2022, le ministère public a rendu un avis tendant à la confirmation de la décision de l'INPI, tant sur la similitude des produits en cause, que sur l'absence de risque de confusion entre les marques.



L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 21 juin 2022.



L'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 juin 2022.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la recevabilité des demandes de M.[D]



Il convient de rappeler d'abord que les demandes de 'constater' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 954 du code de procédure civile mais tout au plus le rappel des moyens exposés dans les conclusions et qu'elle n'appelent donc pas de réponse en tant que telles.



S'agissant ensuite de la demande d'infirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a conclu à la similarité des produits en cause, le présent recours étant un recours en annulation en vertu des dispositions de l'article R 411-19 du code de la propriété intellectuelle, c'est à bon droit que le directeur de l'INPI relève l'irrecevabilité de cette demande, en l'absence d'effet dévolutif du recours.



Sur la similarité des produits



M.[D] expose que:

- enracinée dans la production du cru châtelain, la marque de château est indissociablement liée aux vins issus d'un micro terroir privatif,

-étant l'expression la plus individualisée d'une AOP, déjà distincte et non interchangeable avec une autre AOP, chaque marque de château révèle « l'ADN » d'un domaine et une personnalité viticole propre au sein de son appellation.

-en conséquence, il est impossible de prétendre que les produits en cause, qui relèvent d'AOP différentes et sont de surcroît des « caractères » viticoles indépendants et uniques, puissent être identiques ou similaires.

-l'appartenance à la catégorie des vins n'entraîne ni une communauté de genre, ni une communauté de nature.



Il est cependant acquis en jurisprudence que la similitude des produits repose sur le fait que les produits concernés ont la même nature, la même fonction ou la même destination .



Comme le font valoir l'INPI et la SCE du Chateau d'[Localité 2], si l'exploitation viticole dont sont issus les vins leur confère une identité, des qualités particulières et le bénéfice d'appelations d'origine spécifiques, ces caractéristiques ne modifient pas la nature et la fonction de ces produits qui relèvent tous de la catégorie générale des vins de sorte que les "vins d'appellation d'origine provenant de l'exploitation exactement dénommée Château d'Aiguilhe" invoqués à l'appui de l'opposition, et les "vins d'appellation d'origine protégée" de la demande contestée sont des produits identiques ou similaires au sens des dispositions de l'article

L713-2 .2° du code de la propriété intellectuelle.



Sur la similarité des signes



La comparaison des signes est faite par une appréciation globale fondée, s'agissant des similitudes visuelles, auditives et conceptuelles, sur une impression d'ensemble, en tenant compte des éléments distinctifs et dominants des marques en cause.



Le terme ' château 'est dépourvu de distinctivité de sorte que les termes à retenir au titre de l'analyse des marques en conflit sont D'[Localité 2] et AIGUILLE DU PIN.



Le signe critiqué ne constituant pas la reproduction identique de la marque antérieure, il convient, pour ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des marques en cause, de se fonder sur l'impression d'ensemble qu'elles produisent, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants afin de rechercher s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du consommateur moyen, étant précisé que ce risque de confusion comprend le risque d'association, le consommateur percevant le cas échéant qu'il est en présence de deux marques différentes, mais leur attribue tout de même une origine commerciale commune, considérant qu'elle ne sont que des déclinaisons.



En l'espèce, la SCE du Chateau d'[Localité 2] considère que le risque de confusion de la marque contestée avec la sienne a été mal apprécié par l'INPI alors que ce risque résulte:

- de l'impression d'ensemble produites par les signes en cause, le seul fait pour le consommateur de référence de voir arriver dans le commerce un Château d'Aiguille du Pin lui faisant immédiatement rattacher le Château d'[Localité 2] à la catégorie d'aiguilles qu'évoque celui-là.

- de la comparaison graphique et visuelle en ce que le consommateur d'attention moyenne

confronté aux signes [Localité 2] et AIGUILLE retiendra essentiellement la séquence commune AIGUIL/E, la différence tenant à la présence dans la marque première de la lettre H, qui plus est

en finale, ne pouvant, à elle seule, gommer la forte similitude graphique relevée.

- de la comparaison phonétique d'où il ressort qu'AIGUILLE et [Localité 2] doivent se prononcer à l'identique, s'agissant de noms propres, comme le préconise l'Académie française.

- de la comparaison intellectuelle puisque le public de référence confronté à la marque ' Château L'AIGUILLE DU PIN ' retiendra surtout l'élément verbal ' L'AIGUILLE' positionné à l'attaque et accordera moins d'importance aux éléments qui le suivent.

- du fait que la marque antérieure présente un caractère distinctif important, notamment en raison de sa notoriété et de l'existence d'une famille de cette marque, ce qui aggrave le risque de confusion.



Toutefois, comme le soutiennent l'INPI et M.[D], s'agissant de l'impression d'ensemble du signe contesté, il ne peut être soutenu que le consommateur moyen détache le terme ' aiguille' de l'ensemble verbal ' L'aiguille du Pin' qui possède une signification propre et immédiatement identifiable dans lequel le terme 'Aiguille' n'est pas spécialement mis en évidence par rapport à l'élément verbal 'du pin' qui , au contraire, le définit clairement comme la feuille aiguë d'un conifère, de sorte que le public concerné n'a pas de raison d'isoler le mot 'aiguille' au sein du signe contesté pour l'associer au mot 'aiguilhe' de la marque antérieure.



Par ailleurs, il apparaît que les signes en cause présentent de notables différences d'abord au plan visuel puisqu'ils se distinguent par leur longueur et leur orthographe ( D'[Localité 2] et L'AIGUILLE DU PIN) et par la particularité de la terminaison en ' LHE' du mot [Localité 2], ensuite au plan phonétique, le consommateur pouvant hésiter sur la prononciation du mot [Localité 2] et les signes en cause comportant un nombre de syllabes et une sonorité finale différents.



Sur le plan conceptuel, il est clair que la marque déposée par M.[D] renvoie sans ambiguité à une feuille de conifère résineux alors que le mot 'D'[Localité 2]', avec cette orthographe terminale rare en français, évoque beaucoup plus un nom propre, surtout avec la particule nobiliaire, qu'une aiguille au sens large du terme, mot qui peut d'ailleurs désigner des choses très variées et distinctes des seuls aiguilles de pin comme des aiguilles de montre, le sommet en pointe d'une montagne, une aiguille à tricoter ou l'aiguille d'une seringue.



Enfin, quand bien même la notoriété de la marque antérieure serait établie, ce que conteste M.[D], c'est à juste titre que l'INPI rappelle que cette notoriété ne peut pallier l'absence du risque de confusion , qu'elle ne peut constituer qu'un facteur d'aggravation de ce risque et que dans le cas présent, les différences notables constatées entre les marques en litige ne peuvent être compensées par la connaissance de la marque antérieure.



Il en est de même de la famille de marque invoquée par la requérante qui se réfère aux marques 'Seigneurs d'[Localité 2]' et 'Comte d'[Localité 2]', celles ci ne pouvant être prises en compte, pour l'appréciation du risque de confusion, que dans l'hypothèse où les marques en conflit présentent une certaine similitude, ce qui n'est pas le cas dans la présente espèce.



Le recours contre la décision attaqué sera en conséquence rejeté.



La SCE du Chateau d'[Localité 2] versera à M.[D] une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et elle supportera les dépens.



PAR CES MOTIFS



LA COUR



Déclare irrecevable la demande formée par M. [R] [D] aux fins d'infirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a conclu à la similarité des produits en cause;



Rejette le recours formé par la SCE du Chateau d'[Localité 2] contre la décision du directeur général de l'INPI du 15 juin 2021;

Condamne la SCE du Chateau d'[Localité 2] à verser à M.[D] une indemnité de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile;



Condamne la SCE du Chateau d'[Localité 2] aux dépens qui pourront être recouvrés par le conseil de M.[D] dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile;



Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception par le greffe de la cour aux parties à l'instance et au directeur général de l'INPI.





Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier,Le Président,

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