13 septembre 2022
Cour d'appel de Riom
RG n° 20/00383

Chambre Sociale

Texte de la décision

13 septembre 2022



Arrêt n°

CV/NB/NS



Dossier N° RG 20/00383 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FL7N



[D] [W]



/



S.A.R.L. TROUCELIER FILS

Arrêt rendu ce TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Président



Mme Claude VICARD, Conseiller



Mme Frédérique DALLE, Conseiller



En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé



ENTRE :



Mme [D] [W]

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représenté par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Christophe BRINGER de la SCP AIMONETTI BLANC BRINGER MAZARS, avocat au barreau d'AVEYRON, avocat plaidant



APPELANTE



ET :



S.A.R.L. TROUCELIER FILS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Vincent VINOT de la SELARL SYNAPSE AVOCATS, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant



INTIMEE





Après avoir entendu, Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 02 mai 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 05 juillet 2022, par mise à disposition au greffe, date à laquelle les parties ont été informées que la date de ce prononcé était prorogée au 13 septembre 2022 conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.


FAITS ET PROCÉDURE :



La SARL TROUCELIER & FILS est une entreprise familiale spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers réguliers de voyageurs dont le siège social est situé à [Localité 4].



Mme [D] [W] a été engagée le 07 septembre 2011 en qualité de conducteur routier par la SARL TROUCELIER & FILS suivant un contrat de travail à durée déterminée prolongé jusqu'au 31 décembre 2012.



A compter du 1er janvier 2013, la relation de travail, régie par la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, s'est poursuivie sous contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, puis à temps complet à compter du 1er juillet 2013.



Le 11 février 2014, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à Mme [W] un avertissement pour des excès de vitesse.



Par courrier recommandé du 28 juillet 2014, l'employeur lui a adressé un rappel à l'ordre concernant la manipulation du chronotachygraphe.



Par courrier du 13 août 2014, il a notifié à la salariée un nouvel avertissement pour manquement grave à ses obligations professionnelles, lequel a été contesté par l'intéressée.



Le 7 janvier 2015, la salariée a informé l'employeur de son inscription sur la liste des conseillers du salarié arrêtée par le préfet.



Le 20 janvier 2015, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes du Puy- En- Velay en annulation des sanctions disciplinaires, résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et paiement de diverses sommes tant au titre de l'exécution que de la rupture du contrat de travail.



Le 29 janvier 2015, la SARL TROUCELIER & FILS a de nouveau notifié à Mme [W] un avertissement pour un manquement grave à ses obligations professionnelles.



Par courrier recommandé du 20 février 2015, Mme [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, motifs pris des nombreux manquements de l'employeur à ses obligations légales et contractuelles.



Par jugement du 23 janvier 2020, le conseil de prud'hommes du Puy- en- Velay a:

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [W] produit les effets d'une démission ;

- dit que Mme [W] a été remplie de l'ensemble de ses droits par la SARL TROUCELIER & FILS ;

- débouté en conséquence Mme [W] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [W] à payer à la SARL TROUCELIER & FILS les sommes suivantes :

* 489,73 euros à titre d'indemnité correspondant à la durée de préavis non effectué,

* 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des dépens de l'instance et d'exécution.



Le 25 février 2020, Mme [W] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 30 janvier 2020.



La procédure d'appel a été clôturée le 4 avril 2022 et l'affaire appelée à l'audience de la chambre sociale du 02 mai 2022.



PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :



Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 octobre 2020, Mme [W] conclut à l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- prononcer l'annulation des avertissements notifiés les 11 février et 13 août 2014 ;

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul pour violation du statut protecteur ;

- condamner la SARL TROUCELIER & FILS à lui payer les sommes suivantes :

* 682,50 euros au titre de l'indemnité de requalification des CDD en CDI,

* 10.918,19 euros à titre de rappels de salaire pour requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein, outre 1.091,82 euros au titre des congés payés afférents;

* 2.772,72 euros à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires, outre 277,27 euros au titre des congés payés afférents;

* 3.447,01 euros à titre de rappel d'indemnisation des coupures, outre 344,70 euros au titre des congés payés afférents;

* 487,33 euros à titre de contrepartie obligatoire en repos;

* 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'altération de sa santé mentale;

* 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale;

* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul;

* 3.917,91 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 391,79 euros au titre des congés payés afférents;

* 66.604,30 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur;

* 1.338,61 euros à titre d'indemnité de licenciement;

* 11.753,73 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;

* 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamner la SARL TROUCELIER & FILS aux entiers dépens.



Mme [W] soutient tout d'abord, s'agissant de sa demande en requalification des CDD en CDI, qu'elle pourvoyait durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise; que, contrairement à ce qui est avancé par l'employeur, sa demande à ce titre n'est pas prescrite, puisqu'elle avait jusqu'au 14 juin 2015 pour agir; que le nouveau délai biennal de prescription a en effet commencé à courir à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale ne puisse excéder la durée quinquennale prévue par la loi antérieure.



Elle indique ensuite que les manquements de l'employeur à la réglementation sur le travail à temps partiel justifient la requalification de son contrat de travail en temps plein. Elle affirme n'avoir jamais eu connaissance ni dans le contrat, ni dans un planning mensuel, de la répartition des jours travaillés. Elle précise qu'elle n'était avertie qu'au dernier moment du travail à réaliser et qu'elle se tenait ainsi à la disposition permanente de l'employeur.



Elle soutient ensuite que la totalité des indemnisations pour temps de coupure ne lui a pas été payée, ni les congés payés afférents, en contestant toute incorporation de l'indemnisation des coupures dans sa rémunération mensuelle.



Elle objecte également que la totalité des heures supplémentaires effectuées, de juillet 2013 à décembre 2014, ne lui a pas été réglée, ni les congés payés afférents. Elle conteste toute erreur de manipulation de son chronotachygraphe et indique que contrairement à ce que soutient l'employeur, le décompte du temps de travail à la quatorzaine n'était pas appliqué dans l'entreprise; qu'enfin, elle n'a pas été remplie de la totalité de ses droits à contrepartie obligatoire en repos.



Elle souligne également que l'employeur n'a pas respecté les durées maximales de travail et d'amplitude; que le rapport de contrôle de l'inspectrice du travail démontre le non- respect des règles légales et réglementaires à ce sujet.



Elle soutient que l'employeur a modifié à plusieurs reprises et à son insu les données enregistrées par le chronotachygraphe de façon à minorer les heures effectuées; que cette modification unilatérale et illicite du temps de travail effectif a été également constatée par l'inspectrice du travail lors d'un contrôle; que de tels agissements caractérisent l'infraction de travail dissimulé.



Elle ajoute que la mise à jour des pratiques illicites de la SARL TROUCELIER & FILS n'a pas été sans conséquences pour elle et ses collègues; qu'elle a ainsi été victime de représailles de la part de l'employeur qui l'a sanctionnée à plusieurs reprises pour cette unique raison et dans le but d'obtenir son départ; que l'employeur ayant détourné son pouvoir disciplinaire, les avertissements des 11 février et 13 août 2014, notifiés pour des faits au demeurant prescrits, doivent être annulés.



Elle soutient enfin avoir été victime de discrimination syndicale en ce que l'employeur a usé abusivement de son pouvoir d'organisation en modifiant ses conditions de travail sans solliciter son accord exprès, alors qu'elle venait de se porter candidate aux élections professionnelles dans l'entreprise.



Elle fait valoir que les nombreux actes de déloyauté imputables à l'employeur ont fini par entraîner une grande souffrance mentale, dont elle demande réparation, et revêtent une gravité suffisante pour justifier une prise d'acte aux torts de ce dernier, produisant les effets d'un licenciement nul.



Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 31 juillet 2020, la SARL TROUCELIER & FILS conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande en conséquence à la cour de :

- juger que la demande de requalification des CDD en CDI est prescrite;

- débouter Mme [W] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 489,73 euros au titre du préavis ;

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



L'intimée soutient, s'agissant de la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, que celle-ci se heurte à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail. Elle ajoute que l'accroissement temporaire d'activité, sur l'année 2012, est pleinement justifié, et consacre le bien-fondé du recours au contrat à durée déterminée dont a bénéficié Mme [W].



Elle objecte ensuite, s'agissant de la requalification du temps partiel en temps complet, que Mme [W] était affectée sur des lignes régulières, de sorte que ses plannings horaires étaient connus à l'avance; que son planning variait en fonction des propres disponibilités de l'intéressée, qui avait une autre activité auprès de l'association Yvonne MALZAC.



Concernant l'indemnisation des coupures et des heures supplémentaires, elle fait valoir que la salariée bénéficiait d'une rémunération forfaitaire incluant 17,33 heures supplémentaires ainsi que les majorations éventuelles pour amplitudes, coupures et travail de nuit.



Concernant la demande au titre du repos compensateur, elle soutient que la salariée a commis des erreurs de décompte de ses temps de repos compensateur et que ses prétentions sont erronées.



Elle indique ensuite que les sanctions adressées à Mme [W] sont toutes justifiées, cette dernière ayant commis de nombreux excès de vitesse. Elle ajoute que le comportement au travail de la salariée était inacceptable, inconscient et préjudiciable pour l'entreprise.



Elle objecte que la salariée ne rapporte nullement la preuve d'une quelconque discrimination en raison de sa candidature à des élections professionnelles et ajoute qu'une simple modification de son planning ne saurait caractériser une telle situation.



L'intimée soutient enfin que la prise d'acte de rupture du contrat de travail s'apparente bien à une démission, ceci avec les obligations en découlant notamment en terme de préavis. Elle rétorque que Mme [W] ne démontre pas des manquements de nature à justifier une rupture immédiate de son contrat de travail.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.










MOTIFS DE LA DECISION :



1°- Sur la requalification de la relation salariale en contrat de travail à durée indéterminée :



Mme [W] sollicite la requalification de la relation salariale en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 07 septembre 2011, motifs pris de l'absence de preuve d'un accroissement temporaire d'activité.



* Sur la prescription de l'action :



L'article L. 1471- 1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige et issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, énonce que 'toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit'.



La loi n° 2013- 504 du 14 juin 2013 a réduit à deux ans la prescription des actions portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail.



Il ressort cependant des dispositions transitoires de cette loi édictées en son article 21-V, et de l'article 2222 alinéa 2 du code civil, que ces nouvelles dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, date de promulgation de la loi précitée, sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.



En l'espèce, Mme [W] a été engagée par la SARL TROUCELIER & FILS selon contrat de travail à durée déterminée du 07 septembre 2011, renouvelé par avenant du 1er janvier 2012 jusqu'au 31 décembre 2012.



En cas de non respect du motif de recours à un CDD, le délai de prescription court à compter du terme du dernier contrat, soit en l'espèce à compter du 1er janvier 2013.



La salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée le 20 janvier 2015, soit avant le 16 juin 2015, date d'expiration du délai biennal de prescription et sans que la durée totale du délai d'action n'ait excédé l'ancienne prescription quinquennale.



Il s'ensuit que l'action de Mme [W] n'est pas prescrite et doit être déclarée recevable.





* Sur la réalité du motif de recours au CDD:



Aux termes de l'article L. 1242-1 du code du travail,'le contrat à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise'.



L'article L. 1242- 2 du même code précise qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants: remplacement d'un salarié, accroissement temporaire d'activité, emplois saisonniers et emplois d'usage ou dans le cadre de la politique de l'emploi.



Le contrat de travail à durée déterminée doit comporter la définition précise de son motif et le cas légal de recours auquel celui-ci correspond. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. En cas de litige sur le motif du recours au contrat à durée déterminée, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée. Le contrat à durée déterminée ne peut comporter qu'un seul motif de recours, à peine de requalification en contrat à durée indéterminée.



La cause de recours au contrat à durée déterminée s'apprécie à la date de conclusion du contrat de travail. Le juge ne peut retenir un autre motif de recours que celui mentionné dans le contrat de travail écrit.



S'agissant de la réalité du motif énoncé dans le contrat, l'accroissement temporaire d'activité s'entend d'une augmentation ponctuelle, pouvant être régulière ou cyclique, de l'activité habituelle de l'entreprise, qui ne peut y faire face avec son effectif permanent et a ainsi besoin, de façon inhabituelle et limitée dans le temps, d'un renfort.



En l'espèce, il est constant que Mme [W] a été engagée sous contrat de travail à durée déterminée pour accroissement temporaire d'activité à compter du 07 septembre 2011, renouvelé par avenant du 1er janvier 2012 jusqu'au 31 décembre 2012.



Il ressort de l'extrait K bis produit aux débats que la SARL TROUCELIER & FILS exerce une activité de transports routiers de marchandises pour compte d'autrui et de transports publics de voyageurs.



Pour rapporter la preuve d'un accroissement temporaire d'activité, l'intimée a produit aux débats des extraits de son bilan pour les années 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 ainsi qu'un relevé mensuel de son chiffre d'affaires entre les mois d'août 2011 et avril 2014 (pièces n° 52 et 52 ter).



L'entreprise a généré un chiffre d'affaires en augmentation constante entre 2010 et 2013:

- au 30 juin 2010: 1.608 885 euros

- au 30 juin 2011: 1.851 807 euros

- au 30 juin 2012: 2.344 769 euros

- au 30 juin 2013: 2.608 597 euros

- au 30 juin 2014: 2.544 889 euros



Les documents produits aux débats révèlent aussi que le chiffre d'affaires de l'entreprise a enregistré la plus forte progression (plus de 25%) entre les 30 juin 2011 et 30 juin 2012 et que le chiffre d'affaires généré par l'activité de transports publics de voyageurs sur des lignes régulières sur laquelle était affectée Mme [W], a quasiment doublé entre septembre 2011 et septembre 2012.



Ce pic important d'activité concomitant au recrutement de Mme [W] a pu légitimer un recours au contrat à durée déterminée durant cette période, d'autant que l'employeur, tirant ensuite les conséquences de l'augmentation constante et durable de son chiffre d'affaires, a finalement engagé Mme [W] sous contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2013.





Aussi, la cour, estimant que la preuve d'un surcroît brutal d'activité est suffisamment rapportée, rejette la demande en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 07 septembre 2011 et celle subséquente en paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 1245- 2 du code du travail, le jugement déféré étant ainsi confirmé sur ces points.





2°- Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein :



L'article L. 3123- 14 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que 'le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne :

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif de travail conclu en application des articles L. 3123-25 et suivants, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;



2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;



3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;



4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.'



A défaut d'écrit ou de mention de la durée du travail de référence, de sa répartition et du volume d'heures complémentaires, le contrat est présumé conclu à temps complet. Il s'agit toutefois d'une présomption simple que l'employeur peut combattre en apportant la preuve d'une part, de la durée exacte, hebdomadaire ou mensuelle, de travail convenue, d'autre part, que le salarié avait connaissance des rythmes de travail et ne devait pas rester à sa disposition permanente.



Il résulte par ailleurs de la combinaison de l'article L.3121-10 du code du travail, qui fixe la durée légale du travail effectif à trente-cinq heures par semaine civile, et de l'article L.3123-17 du même code, selon lequel les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou de la durée fixée conventionnellement, ces deux articles pris dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qu'un contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet, lorsque le salarié travaille trente-cinq heures ou plus au cours d'une semaine, quand bien même le contrat aurait fixé la durée de travail convenue sur une période mensuelle (Soc., 15 septembre 2021, pourvoi n° 19-19.563).



En l'espèce, l'avenant au contrat de travail à durée déterminée en date du 1er janvier 2012 et le contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er janvier 2013 stipulent une embauche à temps partiel à raison d'un horaire mensuel de 65 heures.



Le CDI précise en outre 'qu'une éventuelle modification de cette répartition pourra intervenir, sous réserve du respect d'un délai de prévenance de trois jours ouvrés, en cas de variations d'activité nécessitant la présence de Mme [W] sur d'autres créneaux de temps que ceux visés ci- dessus, ou pour pallier à une absence de personnel, ou enfin par accord entre les parties. Il peut être effectué des heures complémentaires au- delà du temps de travail ci- dessus défini, dans la limite du tiers de l'horaire contractuel'.



Mme [W] sollicite la requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps plein du 1er janvier 2012 au 31 mai 2013 en faisant valoir qu'elle n'a jamais eu connaissance, ni dans son contrat ni dans un planning mensuel, de la répartition exacte des jours travaillés dans la semaine et dans le mois, de sorte qu'elle n'était pas en mesure de prévoir son rythme de travail et devait se tenir à la disposition constante de l'employeur.



Elle ajoute que la durée hebdomadaire de travail a été portée au niveau, voire au- delà de la durée d'un temps plein de 35 heures hebdomadaires.



Sur ce dernier point, il ressort des propres relevés de temps établis par l'entreprise (pièce appelante n° 30) qu'à deux reprises au cours du mois d'octobre 2012, la durée de travail de Mme [W] a été portée au- delà de la durée d'un temps plein de 35 heures hebdomadaire (38h 63 pour la semaine n° 40 du 1er au 07 octobre 2012, 35h20 pour la semaine n° 41 du 08 au 14 octobre 2012).



Il s'ensuit que le contrat de travail à temps partiel doit, au moins à compter de ce dépassement, être requalifié en contrat de travail à temps complet.



Pour la période antérieure du 1er janvier au 30 septembre 2012, Mme [W] ne démontre ni même n'allègue un dépassement de la durée légale de travail.



L'employeur établit en outre qu'elle était affectée sur des lignes régulières de transport de voyageurs dans le cadre de correspondances SNCF, de sorte qu'elle bénéficiait d'horaires réguliers qui lui permettaient d'occuper un autre emploi auprès de l'association Yvonne MALZAC.



Aussi, la cour, infirmant le jugement entrepris, requalifie le contrat de travail à temps partiel en temps complet à compter du 1er octobre 2012.



Au vu des éléments d'appréciation mis à sa disposition, la cour chiffre le rappel de salaires entre les 1er octobre 2012 et 31 mai 2013 comme suit:



salaire à temps plein de 1592,53 euros X 8 mois = 12.740,24 euros, dont il convient de déduire les salaires de base et heures complémentaires perçus au prorata de huit mois à hauteur de 7.602,29 euros



soit un solde restant dû de 5.117,95 euros bruts, majoré de la somme de 511,79 euros bruts au titre des congés payés afférents.





3°- Sur les demandes en paiement relatives à l'exécution du contrat de travail :



* Sur le rappel de salaires sur heures supplémentaires et congés payés afférents:



La durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine, soit 151.67 heures par mois.



L'article L. 3171-4 du code du travail dispose par ailleurs 'qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...)'.



Il résulte ainsi de ces dispositions légales qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées ci-dessus. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.



En l'espèce, Mme [W] produit aux débats les données des temps enregistrés par le chronotachygraphe (pièce n° 30), un relevé des temps de travail établi par l'employeur (pièce n° 8), un relevé des temps établi par elle (pièces n° 7 et 12) et des feuilles de calcul des heures majorées faisant apparaître pour chaque semaine de la période comprise entre les 1er juillet 2013 et 31 décembre 2014 (pièces n° 14 et 15) le nombre d'heures de travail réalisées et la répartition, selon leur majoration, des heures supplémentaires accomplies.



Il ressort de ces documents que la salariée serait créancière de:

* Pour la période de juillet à décembre 2013:

- 0,40 heures supplémentaires non rémunérées à 125 %

- 72,36 heures supplémentaires non rémunérées à 150%



* Pour l'année 2014 :

- 0,53 heures supplémentaires non rémunérées à 125% de janvier à juin

- 75,61 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de janvier à juin



- 5,61 heures supplémentaires non rémunérées à 125 % de juillet à décembre

- 19,05 heures supplémentaires non rémunérées à 150 % de juillet à décembre.



Les éléments fournis par la salariée sont suffisamment précis et détaillés pour permettre à l'employeur de les discuter et d'y répondre utilement.



Pour dénier la créance d'heures supplémentaires réclamées, la SARL TROUCELIER & FILS fait valoir que le temps de travail se décompte à la quatorzaine et non à la semaine.



Le contrat de travail à temps complet de Mme [W] conclu le 03 juin 2013 stipule en son article V que la salariée percevra un salaire brut à périodicité mensuelle de 1.821,36 euros pour un horaire mensuel de travail de 169 heures; qu'en tout état de cause, sur un mois complet de travail, sa rémunération ne pourra être inférieure à 1.950 euros, majorations pour ancienneté, indemnisation au titre de l'amplitude, des coupures incluses et du travail de nuit; que le cas échéant, une indemnité différentielle sera accordée de manière à lui permettre de percevoir la somme précédemment indiquée.



Le contrat indique également que Mme [W] s'engage à effectuer toutes les heures supplémentaires demandées par son employeur et ce, sur simple demande. En cas de réalisation d'heures majorées supplémentaires, celles- ci seront décomptées et payées conformément aux dispositions légales et conventionnelles applicables, étant précisé qu'elles s'imputeront sur l'indemnité différentielle.



La convention collective des transports routiers prévoit la possibilité de décompter la durée du travail et les heures supplémentaires sur deux semaines consécutives, par quatorzaine, si cette période comporte au moins trois jours de repos.



Cependant, l'employeur ne démontre pas, par la production de sa pièce n° 63 détaillant le calcul des heures supplémentaires rémunérées en 2014, qu'il a opéré un décompte de la durée du travail et des heures supplémentaires par quatorzaine, conformément à la convention collective.



La salariée reproche également à la SARL TROUCELIER & FILS d'avoir procédé unilatéralement au retraitement des données brutes du chronotachygraphe et d'avoir ainsi décompté et rémunéré un nombre d'heures inférieur à celui enregistré.



Interrogé sur ce point le 04 novembre 2014 par l'inspection du travail, l'employeur n'a pas contesté, dans son courrier en réponse du 05 mars 2015, avoir procédé à un retraitement des données brutes enregistrées mais a imputé les écarts de décompte aux erreurs de manipulation du sélecteur d'activités du chronotachygraphe par les salariés (pièce intimée n° 60), en expliquant, annexes à l'appui non produites devant la cour, que les autres conducteurs de la société desservant la même ligne que Mme [W] n'accomplissait pas le même volume horaire qu'elle.



Il ne justifie toutefois pour Mme [W] que de deux rappels à l'ordre, intervenus les 31 décembre 2012 et 28 juillet 2014, pour des défauts de manipulation du sélecteur d'activités commis les 27 avril et 20 juillet 2012 ainsi que le 06 juin 2014 (pièces intimée n° 58 et 24).



Il ne démontre par ailleurs aucunement avoir rectifié les données brutes des chronotachygraphes à l'issue d'une analyse contradictoire avec la salariée, ni même l'avoir informée du retraitement des données et de la minoration subséquente des heures décomptées et rémunérées, de telles indications n'apparaissant nullement dans le document de synthèse d'activité annexé chaque mois au bulletin de paie.



Dans ces conditions et faute d'avoir respecté cette procédure contradictoire rappelée par l'inspection du travail dans son courrier du 04 novembre 2014, la salariée est fondé à solliciter le paiement des heures de travail résultant des données brutes du chronotachygraphe.



Pour autant, il ressort de l'analyse croisée des bulletins de paie et des décomptes établis par la salariée sur les données brutes enregistrées par le chronotachygraphe (pièces appelante n° 7, 12 et 30), que:



* Pour le second semestre de l'année 2013 :

- l'employeur a modifié à de très nombreuses reprises les données brutes du chronotachygraphe entre août et mi- décembre 2013;



- le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelant n° 7) révèle que la salariée a effectué pour la période considérée 224,67 heures supplémentaires dont 141,31 majorées à 25 % et 83,36 majorées à 50%;



- les bulletins de salaire établissent que l'employeur a rémunéré 164,98 heures supplémentaires majorées à 25 % et 11 heures supplémentaires majorées à 50%.



L'employeur est ainsi débiteur de 72,36 heures supplémentaires majorées à 50 %, soit de la somme de 1.163,54 euros, dont il convient de déduire la somme de 317,17 euros représentant 23,67 heures supplémentaires majorées à 25 % indûment réglées, soit un solde restant dû de 846,37 euros bruts.



* Pour l'année 2014:

- l'employeur a modifié quasiment chaque mois les données brutes du chronotachygraphe;



- le décompte des heures supplémentaires réalisées au vu des données brutes du chronotachygraphe (pièce appelante n° 12) révèle que la salariée a effectué 234,93 heures supplémentaires dont 134,73 majorées à 25 % et 100,20 majorées à 50%;



- les bulletins de salaire établissent que l'employeur a rémunéré 252,22 heures supplémentaires majorées à 25 % et 62,85 heures supplémentaires majorées à 50%.



L'employeur a indûment réglé 117,49 heures supplémentaires majorées à 25 %, soit la somme de 1.574,37 euros, compensant la somme due au titre des 37,35 heures supplémentaires non rémunérées majorées à 50 % à hauteur de 600,59 euros.



La salariée n'est donc pas fondée à réclamer un rappel de salaires sur heures supplémentaires pour l'année 2014.



En définitive, la SARL TROUCELIER & FILS sera condamnée à payer à Mme [W] la somme totale de 846,37 euros bruts à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires pour l'année 2013, outre celle de 84,63 euros bruts au titre des congés payés afférents.



Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a intégralement débouté la salariée de ce chef de demande.



* Sur l'indemnisation des coupures et congés payés afférents:



L'article 7 de l'Accord du 18 avril 2002 relatif à l'ARTT, attaché à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, prévoit :



'7.3. Indemnisation des coupures et de l'amplitude

(...)

2.a. Indemnisation des coupures:



Les coupures comprises entre 2 vacations et situées dans un lieu autre que le lieu d'embauche (lieu de la première prise de service journalière y compris le domicile) sont indemnisées de la manière suivante :



- coupures dans un dépôt aménagé dédié aux conducteurs de l'entreprise: indemnisation à 25 % du temps correspondant. Par dépôt aménagé, on entend un local chauffé disposant au minimum d'une salle de repos avec table et chaises et de sanitaires à proximité ;



- coupures dans tout autre lieu extérieur et pour les journées intégralement travaillées dans les activités occasionnelles et touristiques : indemnisation à 50 % du temps correspondant.

(...)

2.c. Cas particulier:



Dans le cas particulier où le salarié bénéficie d'une rémunération effective fixée sur la base d'un horaire théorique déterminé, cette rémunération effective comprend tous les éléments de rémunération, y compris les sommes versées au titre de l'indemnisation des coupures et, sous réserve d'un accord d'entreprise ou d'établissement, les sommes versées au titre de l'indemnisation de l'amplitude visées ci-dessus jusqu'à concurrence de la rémunération correspondant à cet horaire théorique de référence. Pour ce qui concerne l'indemnisation des coupures et de l'amplitude, la période de référence pour le calcul de l'imputation sur l'horaire garanti en cas d'insuffisance d'horaire est la semaine ou la quatorzaine. Une autre période de référence pour cette imputation peut être fixée par accord d'entreprise ou d'établissement.'



En l'espèce, Mme [W] sollicite un rappel de salaire sur indemnisation des coupures prises à l'extérieur de l'entreprise entre les 1er janvier 2012 et 30 septembre 2014 (cf pièces n° 11, 12 et 13).



Ses contrats de travail à durée déterminée et à durée indéterminée, à temps partiel puis à temps complet, stipulent tous un salaire minimal mensuel incluant les indemnisations au titre de l'amplitude et des coupures. L'indemnité différentielle accordée n'a pas pour objet d'indemniser de façon forfaitaire les coupures et les amplitudes mais simplement de garantir le salaire minimal prévu.



La SARL TROUCELIER &FILS n'est donc pas fondée à se prévaloir du paiement d'une indemnité différentielle pour invoquer une indemnisation forfaitaire des coupures.



Si elle démontre par ailleurs avoir mis à disposition des conducteurs de l'entreprise, à compter du 1er janvier 2012, un local aménagé à [Localité 5], au [Localité 6] et à [Localité 3] (pièces n° 56 et 57) de nature à justifier une indemnisation à hauteur de 25 % du temps correspondant, il ressort des bulletins de paie de la période comprise entre les 1er janvier 2012 et juin 2014, qu'elle a néanmoins indemnisé les coupures de Mme [W] à hauteur de 50% du temps correspondant, à l'exception des mois suivants : janvier, juillet et novembre 2012, avril, juillet, août, septembre, octobre, novembre et décembre 2013, mois durant lesquels aucune indemnisation des coupures n'a été versée. Ce que l'inspection du travail a d'ailleurs relevé pour les mois de juillet à octobre 2013 dans son courrier du 04 novembre 2014.



A compter du mois de juillet 2014, les bulletins de paie font une distinction entre les coupures indemnisées à 25 % et celles indemnisées à 50%, à l'exception des mois d'octobre, novembre et décembre 2014 durant lesquels aucune indemnisation n'a été versée ni n'est au demeurant réclamée.



Après comparaison des relevés des temps enregistrés sur le chronotachygraphe et des temps retenus par l'employeur après retraitement, ladite comparaison ne faisant pas apparaître de différences majeures, et compte tenu des indemnisations de coupure versées par l'employeur, la cour ne fera droit aux demandes de rappel de salaires que pour les seuls mois où aucune indemnisation de coupure n'est intervenue, soit:



- pour les mois de janvier, juillet et novembre 2012: 39,12 heures indemnisées à 50% du temps correspondant, soit l'équivalent de 19,56 heures X taux horaire de 10,50 euros = 205,38 euros



- pour les mois d'avril, juillet et août 2013 : 99,05 heures indemnisées à 50% du temps correspondant, soit l'équivalent de 49,52 heures X taux horaire de 10,51 euros = 520,50 euros



- pour les mois de septembre, octobre, novembre et décembre 2013:155,16 heures indemnisées à 50% du temps correspondant, soit l'équivalent de 77,58 heures X taux horaire de 10,72 euros = 831,65 euros.



Aussi, la cour, infirmant le jugement entrepris, condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à Mme [W] la somme totale de 1.557,53 euros bruts à titre de rappel de salaires sur indemnisation des coupures, outre celle de 155,75 euros au titre des congés payés afférents.





* Sur la contrepartie obligatoire en repos:



L'article L. 3121-11 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 applicable au litige, énonce que 'des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.



Une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l'article L. 3121-22. Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu'une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent.



A défaut d'accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel et les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel (...)'.



La loi précitée du 20 août 2008 dispose par ailleurs en son article 18 IV que 'la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l'article L. 3121-11 du code du travail dans la rédaction issue de la présente loi est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.'



L'article 5-3 de l'Accord du 18 avril 2002 relatif à l'ARTT, attaché à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, fixe le contingent annuel d'heures supplémentaires à 130 heures.



Chaque heure supplémentaire effectuée au- delà de ce contingent ouvre donc droit à une contrepartie obligatoire en repos de 50 % : il n'est pas discuté en effet que l'entreprise ne compte pas plus de 20 salariés.



En l'espèce, Mme [W] sollicite le paiement d'une indemnité compensant les contreparties obligatoires en repos non prises en 2013.



Les décomptes établis par la salariée sur les données brutes enregistrées par le chronotachygraphe (pièce n° 7 pour l'année 2013), et sa feuille de calcul de la contrepartie obligatoire en repos (pièce n° 14) font apparaître qu'elle a accompli 82,67 heures supplémentaires au- delà du contingent annuel lui ayant ouvert 41,34 heures de contrepartie obligatoire en repos.



L'employeur ne produit aucun élément contredisant utilement cette réclamation, tant dans son principe que dans quantum.



Aussi, la cour, infirmant le jugement entrepris qui, pour rejeter la demande, s'est fondé à tort sur des repos compensateurs pris au titre de l'année 2014, fait droit à la demande en paiement de Mme [W] à hauteur de la somme de 487,33 euros bruts incluant les congés payés afférents.







* Sur la demande en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé:



Les articles L. 8221-1 et suivants du code du travail prohibent le travail totalement ou partiellement dissimulé par dissimulation d'activité ou par dissimulation d'emploi salarié.



L'article L. 8221-5 énonce qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :



1° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;



2° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;



3° soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci.



Aux termes de l'article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5, en cas de rupture de la relation de travail, peut prétendre au paiement d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.



La dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.



En l'espèce, Mme [W] fait valoir que l'employeur a unilatéralement modifié les temps enregistrés par le chronotachygraphe de façon à minorer les heures effectuées.



La SARL TROUCELIER & FILS ne conteste pas avoir procédé à une correction et minoration des temps enregistrés par le chronotachygraphe au cours des années 2013 et 2014.



Elle allègue des mauvaises manipulations par la salariée de son appareil chronotachygraphe sans toutefois démontrer la réalité de cette pratique constante de Mme [W] qui n'a été rappelée à l'ordre que deux fois.



De même, elle ne justifie aucunement avoir informé la salariée de la correction des temps enregistrés, les relevés de temps communiqués chaque mois en annexe du bulletin de paie ne faisant nullement état des modifications apportées aux temps enregistrés.



Le fait pour l'employeur d'avoir corrigé et sciemment omis de payer la totalité des heures de travail enregistrées, sans avoir dûment informé la salariée de l'existence d'un retraitement des données brutes de son chronotachygraphe, caractérise suffisamment l'élément intentionnel du travail dissimulé.



En conséquence, la cour, infirmant le jugement frappé d'appel, condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à Mme [W] la somme de 11.753,73 euros correspondant à six mois de salaire.







* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail et d'amplitude:



En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées dans le dispositif.



Dans le corps de ses écritures (pages 13 et 14), Mme [W] sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du stress engendré par le non respect des durées maximales de travail et d'amplitude.



Ce chef de demande n'a toutefois pas été repris dans le dispositif des écritures.



La cour ne statuera donc pas sur cette demande, au surplus formulée pour la première fois en cause d'appel.





* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour discrimination syndicale:



Selon l'article L.2141-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, 'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.'



L'article L. 2141-8 énonce que 'les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-7 sont d'ordre public. Toute mesure prise par l'employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts'.



La discrimination syndicale, directe ou indirecte, est également prohibée par l'article L. 1132-1 du code du travail.



Aux termes de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



Sont nuls de plein droit toute disposition ou tout acte contraire au principe de non discrimination. Le salarié victime a droit à des dommages et intérêts réparant le préjudice subi.



En l'espèce, Mme [W] soutient avoir été victime de discrimination syndicale de la part de l'employeur qui a modifié entre les 19 et 25 mai 2014, soit un mois après sa candidature aux élections professionnelles, ses horaires de travail de façon à la faire travailler partiellement de nuit et ce, sans obtenir son accord préalable.





Il est constant que Mme [W], adhérente du syndicat CGT, a été candidate aux élections des délégués du personnel organisées au sein de l'entreprise au mois d'avril 2014.



Il est tout aussi constant que l'employeur a modifié les horaires de travail de l'intéressée du 19 au 25 mai 2014, en lui imposant un passage d'un horaire de jour à un horaire partiel de nuit.



Si l'employeur aurait dû solliciter et obtenir l'accord préalable de la salariée qui bénéficiait de la protection liée aux mandats de représentation durant six mois à compter de sa candidature aux élections professionnelles, cette modification très temporaire de ses horaires de travail, de surcroît acceptée par l'intéressée dans un courrier adressé à l'employeur le 19 mai 2014, ne saurait suffire à caractériser, de par son caractère ponctuel, des faits laissant supposer une discrimination syndicale.



Mme [W] n'explicite par ailleurs nullement la nature du préjudice qui aurait résulté de cette modification très circonscrite dans le temps de son planning de travail.



La cour confirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [W] de ce chef de demande.





* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour altération de la santé mentale résultant de la détérioration des conditions de travail:



Mme [W] sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation des souffrances morales endurées du fait des multiples actes de déloyauté de l'employeur et de la détérioration de ses conditions de travail.



Il est constant que la SARL TROUCELIER & FILS a refusé à Mme [W] la prise de repos compensateurs entre les 27 et 31 octobre 2014.



Néanmoins, les motifs de refus fournis par l'employeur dans ses courriers des 22 octobre et 20 novembre 2014 (pièces intimée n° 35 et 37) apparaissent fondés et ne sont pas déniés par la salariée.



En outre, Mme [W] rapporte insuffisamment la preuve d'une altération de son état de santé: les certificats médicaux respectivement établis les 19 et 27 novembre 2014 par son médecin traitant et le médecin du travail, faisant état d'un syndrome anxio- dépressif, sont contredits par un certificat médical du même médecin du travail constatant le 18 décembre 2014 l'absence de tout syndrome dépressif.



La preuve d'un abus de pouvoir de l'employeur et d'un préjudice en ayant résulté n'étant pas rapportée, la cour, par confirmation du jugement entrepris, rejette la demande en paiement de dommages et intérêts formulée par Mme [W].











4°- Sur la demande en annulation des avertissements notifiés les 11 février et 13 août 2014:



Aux termes de l'article L. 1331- 1 du code du travail, 'constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération'.



La loi ne définit pas la faute de nature à déboucher sur une sanction disciplinaire. Elle se borne à autoriser l'employeur à sanctionner 'tout agissement considéré par lui comme fautif'. De manière générale, la faute résulte du non- respect de la discipline par le salarié ou de l'exécution volontairement défectueuse de son travail.



Ainsi, une mauvaise exécution des tâches confiées, dès lors qu'elle n'est pas répétée ou régulière et ne procède pas d'une volonté délibérée de mal faire, ne saurait être qualifiée de faute.



Il entre dans l'office du juge de vérifier, au vu des données de l'espèce, que la sanction est justifiée et proportionnée à la gravité de la faute reprochée au salarié, à défaut de quoi l'article L. 1333-2 du code du travail lui confère le pouvoir de prononcer l'annulation de la sanction infligée par l'employeur.



L'article L.1333-1 du même code précise que 'l'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.



Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.'



Enfin, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au- delà d'un délai de deux mois courant à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.



Néanmoins, si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction au- delà du délai de deux mois, l'employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique.



* Sur l'avertissement du 11 février 2014:



Le 11 février 2014, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à Mme [W] un avertissement pour des dépassements de la vitesse maximale autorisée commis les 27 janvier, 21 avril, 04 mai, 05 mai, 06 mai, 02 juin, 22 juin, 08 juillet, 25 juillet, 04 août, 13 août, 14 août, 18 août, 22 août, 29 août, 1er septembre, 05 septembre, 06 septembre, 30 septembre, 29 novembre, 19 décembre et 20 décembre de l'année 2013.



La cour relève tout d'abord que la matérialité des excès de vitesse reprochés est établie et n'est pas discutée.



Les dépassements de vitesse commis les 19 et 20 décembre 2013, le dernier ayant donné lieu à l'établissement d'une contravention, n'étaient pas prescrits au moment de la notification de l'avertissement.



Pour justifier du caractère proportionné de la sanction prononcée, l'employeur pouvait à bon droit rappeler les précédents excès de vitesse, certes prescrits, mais démontrant le caractère réitéré du comportement de la salariée.



Les nombreux dépassements de vitesse maximale autorisée commis par la salariée avec un véhicule de transport de voyageurs présentent un caractère indubitablement fautif que la notification d'un avertissement n'a pas sanctionné de manière disproportionnée.



C'est donc à bon escient que les premiers juges ont rejeté la demande en annulation de cet avertissement.



* Sur l'avertissement du 13 août 2014 :



Le 13 août 2014, la SARL TROUCELIER & FILS a notifié à Mme [W] un deuxième avertissement à la suite d'une plainte d'un usager. Il lui est reproché de ne pas avoir attendu une cliente, qui avait déposé sa valise dans le bus puis était allée acheter un billet au guichet en raison d'un dysfonctionnement du terminal de paiement électronique.



Le message de plainte de la cliente (pièce n° 79 bis) adressé à l'employeur établit la matérialité des faits reprochés qui, au regard de la violation des règles de l'entreprise prévoyant dans cette situation un délai d'attente du client de 45 minutes et de l'atteinte ainsi portée à l'image de la société, revêtaient un caractère suffisamment fautif pour justifier le prononcé d'un avertissement.



La cour confirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a également rejeté la demande d'annulation de cet avertissement.





5°- Sur la rupture du contrat de travail :



* Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail:



Le salarié qui reproche à son employeur des manquements à ses obligations peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail. La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur. La prise d'acte est une modalité de rupture du contrat de travail réservée au seul salarié.



La prise d'acte n'est soumise à aucun formalisme et peut intervenir à tout moment, y compris pendant la période d'essai. Si la prise d'acte n'est soumise à aucun formalisme particulier et n'a pas à être précédée d'une mise en demeure de l'employeur, elle doit toutefois être adressée directement à l'employeur.



Si le salarié est tenu de signifier à l'employeur sa volonté de rompre, il n'est pas, en revanche, tenu de lui notifier les raisons de sa prise d'acte, c'est-à-dire les faits ou les manquements qui, à ses yeux, la justifient. Les motifs de la prise d'acte, éventuellement mis en avant par le salarié dans un courrier notifiant à l'employeur la rupture de son contrat, ne fixent pas les limites du litige.



La prise d'acte de la rupture entraîne immédiatement la cessation du contrat de travail, de sorte que le salarié n'est pas tenu d'exécuter un préavis.



C'est au jour de la prise d'acte de la rupture que la relation contractuelle prend fin. Dans la mesure où la prise d'acte de la rupture n'est soumise à aucun formalisme, sous réserve d'être directement notifiée à l'employeur, c'est à la date où le salarié exprime ou signifie à celui-ci sa volonté de rompre que la relation contractuelle prend fin. En cas de notification écrite postale, la date de prise d'effet de la rupture du contrat de travail est donc la date d'envoi du courrier de prise d'acte à l'employeur.



La rupture du contrat de travail qu'entraîne immédiatement la prise d'acte libère non seulement le salarié de l'obligation de fournir une prestation de travail, mais également l'employeur de toutes les obligations liées à l'exécution de la relation contractuelle. L'employeur n'est donc plus tenu, dès la date à laquelle intervient la prise d'acte, au versement d'une rémunération ou à une quelconque forme d'indemnisation, y compris l'indemnité complémentaire pour maladie.



La rupture du contrat de travail par prise d'acte du salarié n'est justifiée qu'en cas de manquements suffisamment graves de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, ce qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Les juges du fond doivent examiner l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués par le salarié, sans se limiter aux seuls griefs mentionnés dans la lettre de rupture. Toutefois, le salarié ne peut pas invoquer un fait qu'il ignorait au moment de la rupture.



C'est en principe au salarié de rapporter la preuve des manquements qu'il invoque et le doute sur la réalité des faits allégués profite à l'employeur.



En l'espèce, Mme [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans un courrier notifié à l'employeur le 20 février 2015, libellé comme suit:



'Madame,

En raison de nombreux manquements à vos obligations d'employeur, j'ai été obligée de saisir le conseil de prud'hommes.

L'échec de la tentative de conciliation a montré que vous ne souhaitez pas régulariser ma situation, notamment en ce qui concerne mes demandes de rappel de rémunération.

Je suis actuellement en arrêt maladie car je subis des représailles de votre part qui se sont traduites récemment par une nouvelle notification d'un avertissement infondé.

Afin de faire cesser vos agissements, je vous indique que je prends acte de la rupture de mon contrat de travail et que je quitterai l'entreprise le 28 février 2015. (...)'



A l'appui de sa prise d'acte, Mme [W] reproche à l'employeur d'avoir modifié les temps de travail enregistrés à son insu et d'avoir manqué à ses obligations légales en matière d'indemnisation des coupures, de contreparties obligatoires en repos, de paiement des heures supplémentaires et de respect des durées maximales hebdomadaires de travail.



S'agissant de ce dernier point, il est constant que lors de son contrôle en date du 04 novembre 2014, l'inspection du travail a constaté, s'agissant de Mme [W]:

- six dépassements de la durée maximale de service de 48 heures entre les 15 juillet et 15 décembre 2013;

- un dépassement de la durée de service maximale de 09 heures dans l'amplitude, le dimanche 04 août 2013;

- des interruptions de services insuffisantes dans l'amplitude.



L'employeur ne produit aucun élément contredisant utilement les constatations de l'inspection et justifiant du respect des durées maximales de travail prévues par le droit interne.



En outre, il a été précédemment jugé que la SARL TROUCELIER & FILS n'avait pas rapporté la preuve du caractère contradictoire du retraitement et de la minoration des heures de travail enregistrées, de sorte qu'elle a été condamnée au paiement de rappels de salaires sur heures supplémentaires, contreparties obligatoires en repos et indemnisation de coupures.



Les manquements réitérés de l'employeur à ses obligations légales en matière de durée, de décompte et de rémunération du temps de travail présentent un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail et fonder une prise d'acte.



* Sur les effets de la prise d'acte et la violation du statut protecteur :



Lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.



La violation du statut protecteur ouvre droit au paiement d'une indemnité forfaitaire égale aux salaires que le salarié aurait dû percevoir entre la date de la rupture et l'expiration de la période de protection en cours



Lorsqu'au jour de sa prise d'acte, le salarié ne bénéficiait pas d'un statut protecteur, la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.



Les salariés exerçant un mandat extérieur à l'entreprise sont protégés à condition d'avoir informé l'employeur de ce mandat avant la survenance de la rupture.



Le conseiller du salarié bénéficie de la même protection que les délégués syndicaux pour toute rupture de son contrat de travail (Soc., 27 janvier 2010, pourvoi n° 08-44.376). En vertu de l'article L. 2411- 3 du code du travail, la protection s'applique pendant la durée du mandat de trois ans et 12 mois après la cessation des fonctions, à condition de les avoir exercées pendant au moins un an.



En l'espèce, il est constant que Mme [D] [W] a été inscrite sur la liste des conseillers du salarié par arrêté préfectoral du 30 décembre 2014.



Il est tout aussi constant qu'elle a dûment informé l'employeur de son mandat par courrier recommandé expédié le 08 janvier 2015.



Elle ne peut toutefois revendiquer le bénéfice du statut protecteur, dès lors qu'elle n'avait pas exercé son mandat depuis au moins un an au moment de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail le 20 février 2015.



Il s'ensuit que la prise d'acte de Mme [W], qui ne bénéficiait pas d'un statut protecteur au moment de sa survenance, doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.



En conséquence, la cour infirme le jugement critiqué en ce qu'il a dit que la prise d'acte de Mme [W] produit les effets d'une démission mais le confirme en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité pour violation du statut protecteur.





6°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :



* Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents:



L'article L. 1234-1 du code du travail prévoit que 'lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;



2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;



3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.



Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.'



L'article L. 1234-5 du même code précise que 'lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L.1235-2.'



Mme [W], qui avait plus de deux ans d'ancienneté et pouvait prétendre à un préavis de deux mois, est fondée, en application de ces textes, à réclamer la somme non critiquée dans son quantum de 3.917,91 euros bruts, outre 391,79 euros bruts au titre des congés payés afférents.



Le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ce chef de demande.





* Sur la demande reconventionnelle de l'employeur en paiement du préavis:



La salariée, dont la prise d'acte n'a pas produit les effets d'une démission, n'était pas tenue d'accomplir un préavis.



La cour infirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [W] à payer à l'employeur une indemnité compensatrice de 489,73 euros.





* Sur l'indemnité de licenciement :



En application de l'article L.1234-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, 'le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.'



L'article R. 1234- 2 du même code, dans sa version applicable, énonce que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté.



L'article R. 1234- 4 précise par ailleurs que 'le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;



2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.'



En application de ces textes, Mme [W], qui comptait 26 mois d'ancienneté, est fondée à réclamer une indemnité de licenciement de 7



La cour infirme le jugement critiqué en ce qu'il a débouté la salariée de ce chef de demande.





* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:



En application des articles L.1235-3 et L.1235- 5 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, les salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise de onze salariés et plus ont droit à une indemnité au moins égale à leurs six derniers mois de salaire.



En l'espèce, compte tenu du montant de la rémunération mensuelle brute versée à Mme [W] (1.958,95 euros), de son âge au jour de son licenciement (47 ans), de son ancienneté à cette même date (26 mois), la cour alloue à la salariée la somme de 12.000 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.





7°- Sur les frais irrépétibles et dépens:



Au vu des développements précédents, il apparaît que l'action en justice introduite par Mme [W] était pour partie fondée. Le jugement déféré sera dès lors infirmé, en ce qu'il a débouté l'appelante de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamné cette dernière à payer à la SARL TROUCELIER & FILS la somme de 100 euros à ce titre, outre les dépens de première instance.



La SARL TROUCELIER & FILS, partie qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à Mme [W] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code précité et ce, en sus des entiers dépens de première instance et d'appel.





PAR CES MOTIFS,



La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,



Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [D] [W]:

- de sa demande en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 07 septembre 2011 et de celle subséquente en paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 1245- 2 du code du travail;



- de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour discrimination syndicale;



- de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour altération de la santé mentale résultant de la détérioration de ses conditions de travail;



- de sa demande en annulation des avertissements notifiés les 11 février et 13 août 2014;



- de sa demande en paiement d'une indemnité pour violation du statut protecteur;



Infirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions;



Statuant à nouveau,



Requalifie le contrat de travail à temps partiel en temps complet à compter du 1er octobre 2012;



Condamne en conséquence la SARL TROUCELIER & FILS à payer à Mme [D] [W] la somme de 5.117,95 euros bruts à titre de rappel de salaires sur requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet entre les 1er octobre 2012 et 31 mai 2013, outre 511,79 euros bruts au titre des congés payés afférents;



Condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à Mme [D] [W] au titre de l'exécution du contrat de travail :

- 846,37 euros bruts à titre de rappels de salaires sur heures supplémentaires, outre 84,63 euros bruts au titre des congés payés afférents;



- 1.557,53 euros bruts à titre de rappels de salaires sur indemnisation des coupures, outre 155,75 euros au titre des congés payés afférents;



- 487,33 euros bruts à titre d'indemnité compensant les contreparties obligatoires en repos non prises en 2013, incluant les congés payés afférents;



- 11.753,73 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;



Dit que la prise d'acte de la rupture de la relation de travail de Mme [W], qui ne bénéficiait pas d'un statut protecteur au moment de sa survenance, s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse;



Condamne en conséquence la SARL TROUCELIER & FILS à payer à Mme [D] [W] les sommes suivantes au titre de la rupture du contrat de travail :

- 3.917,91 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 391,79 euros bruts au titre des congés payés afférents;



- 783,58 euros bruts à titre d'indemnité de licenciement;



- 12.000 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;



Déboute la SARL TROUCELIER & FILS de sa demande reconventionnelle en paiement d'un préavis;



Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail et d'amplitude;



Déboute la SARL TROUCELIER & FILS de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;



Condamne la SARL TROUCELIER & FILS à payer à Mme [W] la somme de 2.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles d'instance et d'appel;



Condamne la SARL TROUCELIER & FILS aux entiers dépens de première instance et d'appel;



Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.





Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.



Le greffier, Le Président,











N. BELAROUI C. RUIN

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