14 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-13.967

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00913

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 septembre 2022




Rejet


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 913 F-D

Pourvoi n° R 21-13.967




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 SEPTEMBRE 2022

M. [T] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-13.967 contre l'arrêt rendu le 24 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société L.Hotel - Hotel Lutetia, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société L.Hotel-Hotel Lutetia, après débats en l'audience publique du 9 juin 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2021), M. [P] a été engagé en qualité de chef des cuisines par la société Hôtel Lutetia (la société) à compter du 1er mars 1991.

2. Le 26 août 2008, il a été désigné délégué syndical et le 6 novembre suivant représentant syndical.

3. S'estimant victime d'une discrimination syndicale, il a, le 7 décembre 2012, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts et de rappels de salaire.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de primes pour les années 2008 à 2014 et de le condamner au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles, alors :

« 1° / que de la nature d'une prime dépend son régime juridique ; qu'en déboutant le salarié de sa demande de rappel de rémunération variable pour les années 2008 à 2014, sans avoir préalablement recherché et qualifié la prime d'objectifs litigieuse, le salarié soutenant devant elle qu'il s'agissait d'une prime contractualisée dès l'origine quand la société soutenait que la prime aurait été "discrétionnaire" jusqu'en 2007, puis, aurait été "une prime sur objectifs contractuelle non garantie", la cour d'appel qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur les dispositions applicables au litige, a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que la rémunération variable sur objectifs doit être calculée en application de critères préalablement définis, objectifs, indépendants de la volonté de l'employeur, ne faisant pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et suffisamment clairs pour qu'il soit possible d'en vérifier la bonne application ; qu'en déboutant le salarié de sa demande aux motifs que "le plan de rémunération signé chaque année par le salarié expliquait clairement ce qu'était le GOP ainsi que les conditions d'attribution de la prime", sans avoir recherché si, bien qu'étant expliqué clairement, le GOP, base de calcul de la rémunération du salarié sur objectifs collectifs et individuels, qui était défini comme "correspondant au résultat brut d'exploitation – tel que défini dans le Uniform System of accounts sans prise en compte des redevances sièges. Si en cours d'année, des changements dans les affectations comptables sont effectués, ces affectations seront prises en compte et un GOP recalculé sera le nouvel objectif", ne constituait pas un critère invérifiable dans la mesure où il était susceptible d'être modifié en cours d'exercice en fonction de changements d'affectations comptables au bon vouloir de l'employeur, ce dont il résultait qu'il n'était pas suffisamment clair pour en vérifier la juste application, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1103, devenu 1134, du code civil et L. 1221-1 du code du travail ;

3°/ qu'en ne recherchant pas si, comme le soutenait le salarié sans ses conclusions d'appel, le GOP ou revenu brut d'exploitation qui correspond au montant du chiffre d'affaires de la société auquel sont retranchés le montant des achats et services hors taxe, les impôts et taxes et le coût de la masse salariale, n'était pas un critère dépendant des libres choix de dépense de l'employeur, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'un critère objectif, indépendant de sa volonté, susceptible de justifier du calcul de la rémunération variable du salarié sur objectifs collectifs et individuels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1103, devenu 1134, du code civil et L. 1221-1 du code du travail ;

4°/ que la prime qui n'est pas discrétionnaire et dont le paiement est rendu obligatoire par le contrat de travail, ne peut être unilatéralement supprimée ou suspendue par l'employeur ; qu'en déboutant le salarié de sa demande aux motifs qu' "il avait été décidé de ne pas mettre en oeuvre le plan de rémunération variable en 2009 du fait de l'impact de la crise hôtelière sur les résultats de l'hôtel" ce qui justifiait pour cette année-là le non-paiement de la prime d'objectifs, quand la société admettait qu'il existait dans l'entreprise une prime sur objectifs versée aux salariés selon une périodicité annuelle en application d'un plan de rémunération variable préalablement établi par l'employeur et signé par le salarié, ce dont il résultait que la société ne pouvait unilatéralement décider de supprimer, pour une année, le principe même du paiement d'une part variable de rémunération, la cour d'appel a violé les articles 1103, anciennement 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Ayant, d'abord, relevé, par motifs adoptés, qu'aucune rémunération variable n'était prévue au contrat de travail du salarié, et, par motifs propres, que, depuis 2006, les primes étaient fixées conformément à un plan de rémunération variable annuel remis à chaque fois au salarié et signé par ses soins, la cour d'appel a fait ressortir que les primes annuelles étaient versées chacune en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur pris pour l'année, écartant ainsi qu'elles aient été contractualisées dès l'origine.

7. Ayant, ensuite, retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que le plan de rémunération signé chaque année par le salarié expliquait clairement ce qu'était le Gross operating profit (le GOP) ainsi que les conditions d'attribution de la prime, que les objectifs individuels étaient fixés avec le salarié et que les rapports des commissaires aux comptes sur la période de 2008 à 2014 certifiaient les comptes annuels et appréciaient nécessairement dans leur intégralité la régularité et la sincérité de toutes leurs composantes, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche non demandée invoquée par le moyen pris en sa deuxième branche, a fait ressortir que les primes étaient déterminées au regard de critères objectifs qui ne dépendaient pas de la seule volonté de l'employeur.

8. Ayant, enfin, constaté qu'en 2009, il avait été décidé de ne pas mettre en oeuvre de plan de rémunération variable du fait de l'impact de la crise hôtelière sur les résultats de l'hôtel, la cour d'appel a pu en déduire que, faute de plan, la demande en paiement d'une prime au titre de cette année n'était pas fondée.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour discrimination et de le condamner au paiement d'une indemnité au titre de frais irrépétibles, alors « que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur les deux premiers moyens, en ce qu'ils critiquent les chefs de dispositifs de l'arrêt qui a débouté le salarié de ses demandes de rappel de prime variable et de dommages-intérêts pour harcèlement moral emportera, par voie de conséquence et en application de l'article 625 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté l'intéressé de sa demande en indemnisation du préjudice résultant de la discrimination syndicale dont il avait été l'objet. »

Réponse de la Cour

11. Le rejet des deux premiers moyens prive de portée ce moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour M. [P]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [P] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement d'un rappel de primes pour les années 2008 à 2014 et de l'avoir condamné au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

1°) que de la nature d'une prime dépend son régime juridique ; qu'en déboutant M. [P] de sa demande de rappel de rémunération variable pour les années 2008 à 2014, sans avoir préalablement recherché et qualifié la prime d'objectifs litigieuse, le salarié soutenant devant elle qu'il s'agissait d'une prime contractualisée dès l'origine quand la société Hotel Lutetia soutenait que la prime aurait été « discrétionnaire » jusqu'en 2007, puis, aurait été « une prime sur objectifs contractuelle non garantie », la cour d'appel qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur les dispositions applicables au litige, a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°) que la rémunération variable sur objectifs doit être calculée en application de critères préalablement définis, objectifs, indépendants de la volonté de l'employeur, ne faisant pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et suffisamment clairs pour qu'il soit possible d'en vérifier la bonne application ; qu'en déboutant le salarié de sa demande aux motifs que « le plan de rémunération signé chaque année par M. [P] expliquait clairement ce qu'était le GOP ainsi que les conditions d'attribution de la prime », sans avoir recherché si, bien qu'étant expliqué clairement, le GOP, base de calcul de la rémunération du salarié sur objectifs collectifs et individuels, qui était défini comme « correspondant au résultat brut d'exploitation – tel que défini dans le Uniform System of accounts sans prise en compte des redevances sièges. Si en cours d'année, des changements dans les affectations comptables sont effectués, ces affectations seront prises en compte et un GOP recalculé sera le nouvel objectif », ne constituait pas un critère invérifiable dans la mesure où il était susceptible d'être modifié en cours d'exercice en fonction de changements d'affectations comptables au bon vouloir de l'employeur, ce dont il résultait qu'il n'était pas suffisamment clair pour en vérifier la juste application, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1103, devenu 1134, du code civil et L. 1221-1 du code du travail ;

3°) qu'en ne recherchant pas si, comme le soutenait M. [P] sans ses conclusions d'appel, le GOP ou revenu brut d'exploitation qui correspond au montant du chiffre d'affaires de la société auquel sont retranchés le montant des achats et services hors taxe, les impôts et taxes et le coût de la masse salariale, n'était pas un critère dépendant des libres choix de dépense de l'employeur, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'un critère objectif, indépendant de sa volonté, susceptible de justifier du calcul de la rémunération variable du salarié sur objectifs collectifs et individuels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1103, devenu 1134, du code civil et L. 1221-1 du code du travail.

4°) que la prime qui n'est pas discrétionnaire et dont le paiement est rendu obligatoire par le contrat de travail, ne peut être unilatéralement supprimée ou suspendue par l'employeur ; qu'en déboutant M. [P] de sa demande aux motifs qu'« il avait été décidé de ne pas mettre en oeuvre le plan de rémunération variable en 2009 du fait de l'impact de la crise hôtelière sur les résultats de l'hôtel » ce qui justifiait pour cette année-là le non-paiement de la prime d'objectifs, quand la société Hôtel Lutetia admettait qu'il existait dans l'entreprise une prime sur objectifs versée aux salariés selon une périodicité annuelle en application d'un plan de rémunération variable préalablement établi par l'employeur et signé par le salarié, ce dont il résultait que la société ne pouvait unilatéralement décider de supprimer, pour une année, le principe même du paiement d'une part variable de rémunération, la cour d'appel a violé les articles 1103, anciennement 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

M. [P] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour le préjudice résultant du harcèlement moral et d'une somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles ;

1°) que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge, dans un premier temps, d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative et dans un second temps, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la prime d'objectifs qui n'est pas discrétionnaire, ne peut être supprimée pour une année par décision unilatérale de l'employeur ; qu'en jugeant que l'absence de versement de sa prime annuelle sur objectifs qui était un élément dont elle avait préalablement retenu qu'il permettait de présumer d'un harcèlement moral subi par M. [P], était objectivement justifié par l'employeur aux motifs que cette suppression « relève de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur », la cour d'appel a violé les articles 1103, anciennement 1134, du code civil, L. 1221-1, L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

2°) qu'il appartient à l'employeur d'apporter la preuve que chacun des faits retenus par le juge comme étant de nature à laisser présumer un harcèlement moral, est justifié par des éléments objectifs étrangers au harcèlement ; qu'en écartant le harcèlement moral dont elle avait pourtant jugé qu'il était présumé, aux motifs que les éléments médicaux produits par le salarié aux débats « ne permettent pas d'établir que le préjudice allégué pourrait être imputé à l'hôtel ni encore moins qu'ils seraient la conséquence d'un harcèlement commis au sein de l'hôtel antérieurement au licenciement », la cour d'appel qui a imposée à M. [P] d'apporter un élément de - 4 – preuve qui ne lui incombait pas, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour la discrimination dont il avait été victime en raison de ses activités de représentant du personnel et de l'avoir condamné au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

1°) que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur les deux premiers moyens, en ce qu'ils critiquent les chefs de dispositifs de l'arrêt qui a débouté M. [P] de ses demandes de rappel de prime variable et de dommages-intérêts pour harcèlement moral emportera, par voie de conséquence et en application de l'article 625 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande en indemnisation du préjudice résultant de la discrimination syndicale dont il avait été l'objet ;

2°) lorsque le juge retient que le salarié établit des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale à son endroit, la matérialité des faits n'est plus discutable par l'employeur qui doit les justifier par des éléments objectifs étrangers à toutes discrimination ; qu'en retenant, d'une part, que M. [P] établissait une différence de traitement en matière d'évolution salariale avec les autres salariés de l'Hôtel Lutetia et particulièrement avec les autres membres du Codir dont il faisait partie pour en déduire que cette différence laissait supposer l'existence d'une discrimination syndicale à son endroit, tout en retenant, d'autre part, que l'Hôtel Lutetia démontrait qu'aucune différence dans l'évolution de la rémunération du salarié par rapport à ses collègues de travail n'était établie pour en déduire que l'employeur présentait des raisons objectives de nature à écarter la discrimination, la cour d'appel qui a statué par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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