15 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.908

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C201002

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 septembre 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1002 F-D

Pourvoi n° P 21-14.908




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2022

M. [U] [X], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-14.908 contre l'arrêt rendu le 8 février 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Macif mutualité, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la société Maaf assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [X], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Maaf assurances, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 février 2021), M. [X] a été victime, le 6 mars 2010, d'un accident de la circulation après avoir été percuté par un véhicule assuré par la société Maaf assurances (l'assureur), alors qu'il pilotait un scooter.

2. Un juge des référés, saisi par M. [X], a ordonné une expertise médicale.

3. Après le dépôt du rapport d'expertise, M. [X] a assigné, notamment, l'assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, devant un tribunal de grande instance pour obtenir la réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [X] fait grief à l'arrêt de fixer son préjudice, à la suite des faits dont il a été victime le 6 mars 2010, à la somme de 130 597,90 euros et de limiter la condamnation de l'assureur à due concurrence, à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec les intérêts au taux légal, sur cette somme, à compter du jugement ainsi que les intérêts au double du taux de l'intérêt légal, sur ce même montant, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 6 novembre 2014 et jusqu'au jour où l'arrêt serait devenu définitif, alors « que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; qu'en considérant que l'accident du 6 mars 2010 n'était pas la seule cause qui avait provoqué l'affection issue du syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial bilatéral préexistant et que le tribunal avait donc pu, à bon droit, réduire le droit à indemnisation de M. [X] dans la proportion estimée par l'expert, à savoir 25 %, quand pourtant elle constatait que le syndrome préexistant à l'accident, inconnu de M. [X], avait été décompensé et révélé par l'accident du 6 mars 2010, la cour d'appel n'a pas tiré toutes les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

6. Il résulte de ce principe que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

7. Pour limiter le droit à indemnisation de la victime compte tenu de son état préexistant, l'arrêt constate que la critique de l'appelant porte sur l'imputabilité à l'accident du syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial droit dont il souffre, qui s'est compliqué d'une phlébite du membre supérieur droit apparue le 30 août 2011.

8. L'arrêt relève ensuite que, selon l'expert, le lien entre le sinistre initial et ce syndrome, constaté secondairement, est discutable puisque les complications et le traitement de celui-ci ne seraient que partiellement imputables au sinistre initial, dès lors que cette pathologie préexistante bilatérale s'est décompensée, en partie par les « anomalies statiques et les contractions musculaires de l'épaule droite », mais également, pour une autre partie, par la déformation, non imputable au sinistre initial, de l'articulation sterno-claviculaire droite, qualifiée « exostose sur l'articulation sternale ».

9. L'arrêt ajoute que, pour l'expert, les anomalies statiques et les contractures musculaires de l'épaule droite permettent d'établir un lien entre le sinistre initial et la décompensation temporaire à droite du syndrome préexistant, mais jusqu'au 11 juin 2012 seulement, date à partir de laquelle seules les séquelles d'un traumatisme de l'extrémité interne de la clavicule droite ont été à l'origine de « l'évolution de la décompensation du syndrome du défilé », ce pourquoi l'expert n'a imputé que pour 25 %, à l'accident, la trombophlébite obstructive de la veine sous-clavière moyenne droite en rapport avec ce syndrome, prise en charge à compter du 30 août 2011.

10. L'arrêt retient enfin que dès lors que deux causes ont concouru à la révélation, après l'accident, des effets néfastes de ce syndrome, si l'une disparaît tandis que la seconde subsiste, l'affection ne peut plus être imputée qu'à cette dernière.

11. En statuant ainsi, alors que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. L'arrêt a limité le droit à indemnisation de la victime, compte tenu de son état préexistant, en réparation des postes des frais divers, de la perte de gains professionnels actuels, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent.

13. L'arrêt ne sera donc cassé qu'en ce qu'il a confirmé le jugement qui, dans son dispositif, a fixé, d'une façon détaillée, les préjudices correspondant aux cinq postes précités et en ce qu'il a, en conséquence, fixé à la somme de 130 597,90 euros en tout le préjudice subi par M. [X].

14. Les autres postes de préjudice sur lesquels il a été statué et le chef de dispositif qui a rejeté la demande de dommages-intérêts ne seront, dès lors, pas atteints par la cassation.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement qui avait rejeté la demande d'indemnisation formée au titre du poste de la perte de gains professionnels futurs, fixé le préjudice subi par M. [X] aux sommes de 4 524 euros pour le poste des frais divers, 7 875,30 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, 50 000 euros pour le poste de l'incidence professionnelle et 18 560 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, et, en conséquence, condamne la société Maaf assurances à payer à M. [X] la somme de 130 597,90 euros avec les intérêts au double du taux de l'intérêt légal, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 6 novembre 2014 et jusqu'au jour où l'arrêt sera devenu définitif, l'arrêt rendu le 8 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Condamne la société Maaf assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Maaf assurances et la condamne à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [X]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [X] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir fixé son préjudice, à la suite des faits dont il a été victime le 6 mars 2010, à la somme de 130.597,90 euros et d'avoir, par conséquent, limité la condamnation de la société MAAF Assurances à la somme de 130.597,90 euros à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, cette somme avec intérêts au taux légal à compter du jugement ainsi que les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de 130.597,90 euros, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 6 novembre 2014 et jusqu'au jour où l'arrêt serait devenu définitif ;

1°) Alors que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; qu'en considérant que l'accident du 6 mars 2010 n'était pas la seule cause qui avait provoqué l'affection issue du syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial bilatéral préexistant et que le tribunal avait donc pu, à bon droit, réduire le droit à indemnisation de M. [X] dans la proportion estimée par l'expert, à savoir 25 %, quand pourtant elle constatait que le syndrome préexistant à l'accident, inconnu de M. [X], avait été décompensé et révélé par l'accident du 6 mars 2010, la cour d'appel n'a pas tiré toutes les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil ;

2°) Alors, subsidiairement, que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; qu'en considérant que l'accident du 6 mars 2010 n'était pas la seule cause qui avait provoqué l'affection issue du syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial bilatéral préexistant et que le tribunal avait donc pu, à bon droit, réduire le droit à indemnisation de M. [X] dans la proportion estimée par l'expert, à savoir 25 %, sans rechercher, comme cela lui était pourtant demandé (p. 12, in fine et p. 42), si le syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial bilatéral se serait décompensé en l'absence du traumatisme accidentel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

M. [X] reproche à l'arrêt à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à obtenir une somme de 351.584 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs ;

1°) Alors que les juges du fond ne doivent pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en affirmant, après avoir constaté que M. [X] avait présenté une fracture de la base du pouce de la main gauche à la suite de l'accident du 6 mars 2010, que la proposition d'aménagement du poste de travail formulée le 26 février 2019 n'est pas motivée et ne permet donc pas de tenir pour établi que l'impossibilité pour M. [X] d'occuper un emploi à temps complet soit la conséquence directe de l'accident, quand il résulte de cette proposition que M. [X] ne peut travailler que 4h30 par jour et qu'il ne peut pas produire des mouvements de force avec la main gauche (production n° 4), la cour d'appel a dénaturé la proposition d'aménagement du poste de travail formulée le 26 février 2019, en violation du principe susvisé ;

2°) Alors que les juges du fond ne doivent pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en affirmant qu'« il n'est toutefois pas établi ni même soutenu que [U] [X] ait subi de ce fait [douleurs éprouvées au pouce gauche] une perte de gains professionnels » (arrêt attaqué, p. 11), quand M. [X] faisait pourtant valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'il avait « été contraint de décliner plusieurs offres d'emploi et il [avait] été mis fin à certaines missions car il se plaignait de façon régulière de sa douleur à son pouce gauche, comme l'atteste l'ancien employeur, le 27 juillet 2015 » (p. 24) et qu'il faisait « des efforts conséquents, puisqu'il [devait] travailler pour subvenir à ses besoins, mais ses chances d'obtenir un emploi stable, ou bien de multiples emplois intérimaires, [étaient] obérées du fait de ses seules qualifications de travailleur manuel et de ses blessures, principalement son pouce gauche » (p. 28), la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de M. [X], en violation du principe susvisé.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

M. [X] reproche à l'arrêt à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à voir la société MAAF Assurances à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du défaut d'offre ;

Alors que le préjudice de la victime d'un accident de la circulation résulte de la seule la présentation par l'assureur d'une offre d'indemnité insuffisante, à laquelle est assimilée l'absence d'offre ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de M. [X] tendant à voir la société MAAF Assurances à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du défaut d'offre, que M. [X] ne justifiait pas du préjudice allégué à concurrence de 3.000 euros, après pourtant avoir retenu que l'offre d'indemnité de 47.721,90 euros, comparée au préjudice fixé à la somme de 130.597,90 euros, était manifestement insuffisante, la cour d'appel n'a pas tiré toutes les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 211-14 du code des assurances.

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