14 septembre 2022
Cour d'appel de Lyon
RG n° 19/08920

8ème chambre

Texte de la décision

N° RG 19/08920

N° Portalis DBVX-V-B7D-MYU4









Décision du

Tribunal de Grande Instance de SAINT ETIENNE

Au fond

du 03 décembre 2019



RG : 17/02198







SAS BANQUE EUROPÉENNE DU CRÉDIT MUTUEL



C/



[N]

[P]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



8ème chambre



ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2022







APPELANTE :



SAS BANQUE EUROPÉENNE DU CRÉDIT MUTUEL (BECM)

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par Me Jean-Laurent REBOTIER de la SELAS AGIS, avocat au barreau de LYON, toque : 538









INTIMÉS :



Mme [M] [N]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Christophe [U] de la SELARL [U]-ROCHER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE





Me [F] [P] notaire associé de la SCP [F] [P] JACQUES MICHAUDET ALAIN COURTET

[Adresse 6]

[Localité 3]



Représenté par Me Joël TACHET de la SCP TACHET, AVOCAT, avocat au barreau de LYON, toque : 609









******



Date de clôture de l'instruction : 07 Juin 2021



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 01 Juin 2022



Date de mise à disposition : 14 Septembre 2022



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Christine SAUNIER-RUELLAN, président

- Karen STELLA, conseiller

- Véronique MASSON-BESSOU, conseiller



assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier



A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.



Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Karen STELLA, conseiller, en application de l'article 456 du code de procédure civile, le président étant empêché, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




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EXPOSÉ DU LITIGE





Durant l'année 2014, le promoteur-vendeur LES TERRASSES DU PARC DES FEUILLANTINES (ci-après TPF) a entrepris la construction d'un programme immobilier de logements destinés à être vendus en l'état futur d'achèvement sur un terrain sis [Adresse 1] (42).



Par acte du 25 juin 2014, la banque européenne du crédit mutuel (BECM) a consenti à la société TPF une garantie financière d'achèvement de l'immeuble en se portant caution solidaire avec le promoteur des sommes nécessaires à l'achèvement de l'immeuble. Le 26 juin 2014, elle lui a accordé un crédit-promoteur de 900 000 euros. Les deux actes ont prévu comme condition déterminante et essentielle de l'engagement du prêteur de délivrer la garantie l'obligation d'un rappel dans les contrats de vente de l'obligation pour l'acquéreur de verser ses acomptes sur un compte spécial, tout autre paiement n'étant pas libératoire.





Par acte notarié du 4 septembre 2014, conclu par devant Maître [F] [P], notaire à [Localité 3], la société TPF a vendu à [M] [N] en l'état futur d'achèvement les lots 2 et 23 de l'ensemble pour 268 896,31 euros.



La réception s'est faite avec réserves le 19 juin 2015.



Par jugement du 9 décembre 2015, le tribunal de commerce de SAINT-ETIENNE a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au profit de la société TPF. Son passif est de plus de 2,3 millions d'euros.



Le 16 décembre 2015, la BECM a réclamé à Madame [N] la somme de 63 110 euros.



Le 23 février 2016, la BECM a adressé par lettre recommandée avec accusé de réception précisant qu'après vérification des éléments transmis le 23 décembre 2015, il est apparu que deux versements de 26 889,63 euros et de 22 775,92 euros ne lui sont pas parvenus.



Par courrier du 10 mars 2016, par lettre recommandée avec accusé de réception et mail, madame [N] a exposé qu'elle n'était redevable que de la somme de 13 442,82 euros, les autres sommes ayant été payées au groupe Crédit Mutuel.



Par acte d'huissier du 4 juillet 2017, la SAS BECM a assigné madame [N] devant le tribunal de grande instance de SAINT ETIENNE aux fins de paiement du solde du prix de vente.







Par acte d'huissier du 11 juillet 2018, la défenderesse a appelé en la cause le notaire Maître [P].



Les deux procédures ont été jointes.



La BECM a notamment sollicité au visa des articles L 110-4, L 622-25-1 du code de commerce, 2240, 2356 à 2366du code civil, R 261-1 et R 261-21 du code de construction et de l'habitation de la condamner à lui payer 63 110, 36 euros au titre du solde du prix de vente portant intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 décembre 2015.



La défenderesse a conclu au visa de l'article L 218-2 du code de la consommation mais également des articles 2262, 1240 du code civil :



A titre principal, in limine litis,


à l'irrecevabilité de la demande en paiement pour cause de prescription ;




Au fond,


au débouté des demandes de la BECM ;




A titre subsidiaire, elle a demandé de :




constater que les désordres réservés de l'appartement qui s'élèvent à la somme de 17 250,11 euros devront être déduits des éventuelles condamnations à venir,

dire que Maître [P] a commis une faute en n'attirant pas spécialement son attention sur son obligation de verser les acomptes sur le compte centralisateur de la BECM,

dire qu'il sera en conséquence tenu de la relever et garantir de toutes les condamnations pouvant intervenir à son encontre ;




En tout état de cause,




à la condamnation de la BECM et de Maître [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.




Maître [P] a conclu au rejet des demandes de Madame [N] et à sa condamnation aux frais et dépens.





Suivant jugement en date du 3 décembre 2019, le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE a :




déclaré irrecevable l'action de la BECM,

condamné la BECM aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile,

débouté les parties du surplus de leurs demandes.




Le tribunal a :




fait application de l'article L 137-2 du code de la consommation devenu L 218-2 selon lequel l'action des professionnels se prescrit par deux ans pour les biens et services qu'ils fournissent aux consommateurs,

jugé que la garantie financière donnée sous forme de caution solidaire des sommes dues pour l'achèvement de l'immeuble est un service financier fourni aux consommateurs acquéreurs en VEFA,

le point de départ est, suivant l'accord des parties, le 19 juin 2015 date de livraison du bien,

l'ouverture de la procédure collective de la société TPF est sans incidence sur l'écoulement de la prescription,





Madame [N] a déclaré sa créance auprès du mandataire-liquidateur à hauteur de la somme de 39 981,11 euros. Ainsi, il n'y a pas de reconnaissance de dette interruptive de prescription, une partie de la créance portant sur des sommes non échues et éventuelles,

la déclaration de la propre créance de la BECM à la procédure collective le 18 janvier 2016 au titre du crédit promoteur et de la garantie d'achèvement ne serait opposable au tiers suivant L 622-25-1 du code de commerce s'agissant d'une sûreté réelle en garantie de la dette du débiteur qu'à la condition de prouver que le nantissement ait été notifié au débiteur ce qui n'est pas le cas car l'acte de vente n'a effectué aucune reprise des dispositions du contrat de prêt consenti au promoteur-vendeur, uniquement celles de l'acte de garantie d'achèvement qui a mis en place un dispositif de paiement des fractions du prix de vente par l'acquéreur sur un compte centralisateur mais sans mécanisme conventionnellement identifié de nantissement,

l'assignation du 4 juillet 2017 est tardive et l'action prescrite.






Appel a été interjeté à l'encontre de l'entier dispositif lui faisant grief par déclaration électronique du 24 décembre 2019 par le conseil de la SAS BECM.



Madame [N] a assigné en appel provoqué le notaire Maître [P].





Suivant le dernier état des conclusions dites n°3 notifiées par RPVA le 28 janvier 2021, la BECM demande à la Cour de :



vu les articles L 110-4, L 622-25-1 du code de commerce, 2243 et 2240 du code civil, 1121 (devenu 1205 et 1206 nouveaux du code civil), 1199 (devenu 1312 du code civil) et R 261-1 et R 261-21 du CCH,




réformer le jugement,




et statuant à nouveau,




dire et juger recevables et bien fondées ses demandes





condamner Madame [N] à lui payer la somme de 63 110,36 euros au titre du solde du prix de vente portant intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 décembre 2015,





débouter Madame [N] de ses demandes,





la condamner à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens avec « sic » distraction au profit de Maître Jean-Laurent REBOTIER, avocat sur son affirmation de droit.




La BECM fait notamment valoir que :



Madame [N] a payé la somme de 205 785,95 euros sur le prix d'acquisition s'élevant à 268 896,31 euros. Elle n'a pas déféré à sa mise en demeure du 16 décembre 2015 faite par lettre recommandée avec accusé de réception ni à celle du 23 février 2016. Son conseil lui a dit que seule la somme de 13 000 euros reste due mais le refus s'impose du fait des réserves.



Pourtant elle est bénéficiaire d'une stipulation pour autrui consentie par la société TPF. Elle n'a pas fourni de bien ou de service à Madame [N]. La prescription biennale des consommateurs ne lui est pas applicable. La prescription est celle de droit commun de 5 ans. En outre, la prescription biennale n'est pas applicable car le solde a bien été payé mais sur un mauvais compte. Il s'agit de deux sommes de 26 889,63 euros et de 22 775,92 euros.



En outre, il existe une reconnaissance de dette interruptive de prescription au sens de l'article 2240 du code civil : le paiement ayant été effectué mais sur un mauvais compte. Elle n'a pas fait preuve de négligence car elle ne pouvait pas connaître avec précision les dates de paiement des acomptes qui étaient fonction de l'avancement des travaux. Le délai de prescription ne peut courir avant la découverte dudit paiement, soit avant le 10 mars 2016.



Concernant le solde du prix de vente, ce n'est pas la date de livraison qui est à retenir car Madame [N] a conditionné son paiement à la levée des réserves. La BECM a financé les travaux d'achèvement au titre de sa garantie financière suivant protocole du 19 janvier 2017. Son assignation du 4 juillet 2017 n'est pas tardive.



La stipulation pour autrui consentie par Madame [N] à la BECM l'a rendue redevable solidairement avec la société TPF du prix de vente à due concurrence de sa créance sur le vendeur-promoteur. Elle-même a déclaré sa créance à la procédure collective. La prescription est interrompue à l'égard de tous les débiteurs de la dette suivant les articles 2234 et 2245 du code civil.



La BECM a bien qualité et intérêt pour agir bien que non partie au contrat de vente. La banque a consenti un prêt et une garantie financière d'achèvement et comme condition essentielle, les acomptes devaient lui être versés sur un compte centralisateur par chèque à son ordre ou par virement sur un compte ouvert pour le promoteur-vendeur dans ses livres. Cette centralisation figurait dans les actes de vente. Madame [N] s'y est engagée dans l'acte authentique de vente en son article 3.5.



La clause mentionnée dans le contrat de vente s'analyse comme une stipulation pour autrui. Le paiement intervenu au mépris de cette clause directement au profit du promoteur-vendeur est inopposable. La banque peut donc en réclamer le paiement (civ 1ère 4 juillet 2007).



Madame [N] a manqué à son obligation contractuelle. Cette stipulation pour autrui a bien été acceptée par le vendeur-promoteur dans les actes conclus avec elle et avec cette acheteuse.



Le droit direct découlant de l'article R 261-21 du CCH concerne uniquement le solde du prix de vente à la suite de la mise en 'uvre de la garantie d'achèvement. Le fait qu'elle bénéficie d'un nantissement de créance n'est pas un frein c'est lui qui fonde la stipulation pour autrui et l'action en paiement pour violation de ladite stipulation contractuelle.



Le paiement effectué de 49 665,55 euros à monsieur [R] n'a pas été libératoire. Ces deux versements ne lui sont pas opposables car en violation d'une stipulation claire qui lui a été lue devant notaire et ses trois premiers versements ont été correctement orientés. La déclaration de créance de la BECM n'emporte pas renonciation à la stipulation pour autrui. La somme d'un montant de 869 461,29 euros a été déclarée au titre du solde dû pour le prêt du promoteur à la date de la procédure collective. Cette somme ne concerne pas l'acquéreur. La déclaration de créance pour 200 000 euros, à titre privilégié, a été faite au titre de la garantie financière d'achèvement. Cette somme sera diminuée du montant des paiements à intervenir par les débiteurs cédés. Si la société TPF a commis une faute en fournissant un RIB inexact, Madame [N] peut se retourner contre elle à raison de ses fautes personnelles. Sa garantie se limite à une garantie d'achèvement au plan financier. L'immeuble est aujourd'hui achevé. Il ne peut être opposé d'exception d'inexécution.



Madame [N] n'a toujours pas réglé le solde du prix de vente de 13 444,81euros. Le mandataire liquidateur n'est pas celui qui peut lui réclamer. La BECM n'entend pas appréhender un actif de la procédure collective au détriment des autres créanciers. Le garant qui fait finir les travaux est le seul fondé à percevoir le paiement du solde du prix encore éventuellement dû par les acquéreurs, le constructeur en procédure collective n'étant titulaire d'aucune créance à ce titre contre l'acquéreur.



Madame [N] prétend pour s'opposer au paiement du solde du prix de vente que des réserves n'ont pas été levées pour la somme de 17 250,11 euros. Or, elle se prévaut de sommes correspondant en réalité à des réserves portant non sur les parties privatives mais sur les parties communes. Elle produit un devis de peinture de 2 169 euros. Les copropriétaires, dont fait partie Madame [N], se sont d'ailleurs reconnus satisfaits et remplis de leurs droits au titre de la garantie et le paiement a emporté mainlevée de la garantie financière d'achèvement. Le SCOP et les copropriétaires ont renoncé irrévocablement à toutes autres prétentions et indemnités de la société BECM pour quelque cause que ce soit, nées ou à naître. En outre, la couvertine, les extérieurs, les honoraires de l'économiste, de l'architecte et du bureau d'études ont été pris en charge dans le protocole d'accord au titre de la garantie. Or, les dommages biennaux sont indemnisés par la garantie dommage ouvrage. Sa propre garantie n'est pas valable pour les vices de construction et les désordres relevant du domaine des assurances obligatoires. La notion d'achèvement ne recouvre pas le parachèvement. Les réserves en l'espèce ne sont pas substantielles. L'appartement répond à sa destination. Le garant n'a pas l'obligation de délivrance du vendeur. Elle a d'ailleurs fait procéder à l'achèvement en payant la somme de 92 000 euros.



Sa créance est certaine, liquide, exigible.



Elle n'a commis aucune négligence dans l'impayé car la BECM n'intervenait pas dans le suivi du chantier. Elle était uniquement informée de l'état d'avancement des travaux pour débloquer les fonds. Elle n'avait pas d'obligation de vigilance ou de suivi financier lot par lot des acquéreurs. Elle n'était pas en mesure de savoir quand la TPF a fait un appel de fonds. Elle n'est pas constructeur, uniquement garant financier de l'achèvement de l'ouvrage. Madame [N] a contribué par sa faute à son préjudice en ne vérifiant pas que le RIB était différent du numéro de compte de son acte de vente.





Suivant ses dernières conclusions n°2 notifiées par RPVA le 28 janvier 2021, [M] [N] demande à la Cour vu les articles L 218-2 du code de la consommation mais des articles 2262, 1240 et 1205 du code civil, de :




au principal confirmer le jugement sur les dépens et l'irrecevabilité de l'action de la BECM ;




Y ajouter




la condamner à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel « sic » distraits au profit de Maître [D] [U] de la SELARL [U] ROCHER avocat sur son affirmation de droit qui sollicite le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;




A titre subsidiaire en cas d'infirmation,




débouter la BECM de ses demandes,

la condamner à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel « sic » distraits au profit de Maître [D] [U] de la SELARL [U] ROCHER avocat sur son affirmation de droit qui sollicite le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;




A titre infiniment subsidiaire,




constater que les désordres réservés de l'appartement de Madame [N] s'élèvent à la somme de 17 250,11 euros à déduire des éventuelles condamnations à venir,





dire que Maître [P] a commis une faute en n'attirant pas spécialement son attention sur son obligation de verser les acomptes sur le compte centralisateur de la BECM,





dire qu'il sera tenu en conséquence de la relever et garantir de toutes les condamnations prononcées,





le condamner à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel « sic » distraits au profit de Maître Christophe [U] de la SELARL [U] ROCHER avocat sur son affirmation de droit qui sollicite le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,




Madame [N] soutient notamment que :




elle a versé les deux sommes litigieuses sur le compte ouvert au nom de TPF au CMS. Le premier appel de fonds date du 30 septembre 2014 et le second du 18 mai 2014 sur la base d'un RIB erroné. La prescription de deux ans est acquise comme l'a indiqué le tribunal. La banque a changé de fondements juridiques. Si elle a une SPA, elle ne pourrait pas avoir fourni un service financier. Or elle s'est portée caution solidaire de TPF au profit des acquéreurs pour les sommes nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage. Elle ne peut sérieusement prétendre qu'elle a fourni une reconnaissance de dette. Par ailleurs, la BECM n'a pas pu découvrir uniquement le 10 mars 2016 qu'elle n'avait pas reçu les paiements. Elle disposait des actes de vente et des échéances de paiement. Dans son contrat de prêt elle a eu connaissance des procès-verbaux de prise de possession et pouvait contrôler l'état d'avancement de la promotion. Sa déclaration de créances est conservatoire et obligatoire. Il ne s'agit pas d'une reconnaissance de dette. Elle n'a pas eu connaissance du nantissement de créance. La déclaration de créance de la BECM ne lui est pas opposable. En outre ses paiements correspondent à son acte de vente et sont libératoires. Elle ne doit pas les 5% en raison des réserves. Elle fournit tous les justificatifs (courriers, constat d'huissier, déclaration de créance...). Il y a exception de compensation inhérente au contrat initial entre le stipulant et le promettant.




Le notaire n'a pas rempli son obligation de renseignement. Elle n'a pas fait la différence entre les deux comptes surtout que le notaire connaissait la GFA. Les termes n'ont pas été libellés de manière apparente.





Suivant ses dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2020, Maître [F] [P] demande à la Cour de :




statuer ce que de droit sur l'appel de la BECM.




Dans l'hypothèse d'une confirmation du jugement dont appel, déclarer l'appel provoqué à son encontre sans objet.



Subsidiairement, en cas de condamnation de Madame [N] :



vu l'article 1240 du code civil,




la débouter en l'absence de faute et de perte de chance démontrées au regard des conditions dans lesquelles elle a reconnu avoir procédé au paiement demandé par le vendeur,





en cas d'indemnisation, la fixer en fonction de l'importance de la perte de chance effectivement démontrée par elle de s'acquitter différemment de deux acomptes représentant un total de 49 665,61 euros à l'exclusion du solde de prix volontairement retenu,





la condamner aux entiers dépens de l'appel provoqué et dire qu'en application à l'article 699 du code de procédure civile, la SCP TACHET pourra les recouvrer directement pour ceux dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision,





la condamner à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.




Le notaire fait notamment valoir, qu'en cas de condamnation de Madame [N] au profit de la BECM, sa responsabilité s'analyse au regard de l'adéquation de l'information donnée à l'acquéreur en VEFA quant aux modalités de paiement des appels de fonds postérieurs à la signature de l'acte authentique. En page 12, l'acte contient des mentions claires pour fractions de prix à payer soit par chèque à ordre de la BECM soit par virement vers un compte centralisateur ouvert au nom du vendeur dans les livres de la BECM. En page 13, existe un § sur la domiciliation de paiement compte financier centralisateur : pour le solde du prix, il doit être fait obligatoirement à destination d'un compte spécifique et désigné. En pages 17,18 et 19, sont rappelées les interventions de la BECM dans l'opération notamment sur la centralisation avec avertissement que toute autre façon de payer ne sera pas libératoire pour l'acquéreur concerné. Un paiement incorrect n'éteint pas la dette. Le fait que le représentant de la société TPF ait 'uvré pour détourner les fonds en trompant les acquéreurs à qui un autre RIB a été fourni et que Madame [N] n'ait pas fait attention ne saurait être imputable au notaire qui a donné une information claire au moment de la signature de l'acte. L'acte lui a été lu avant signature ce qui est une mention faisant foi jusqu'à inscription de faux. Elle a également pu prendre aisément connaissance du projet d'acte adressé par lettre recommandée avec accusé de réception le 1er juillet 2014 soit deux mois avant. Au surplus, le manquement à une obligation de conseil produit uniquement un préjudice de perte de chance. Madame [N] doit faire la démonstration qu'une information supplémentaire et postérieure aurait permis de la faire agir différemment et notamment en vérifiant la concordance du RIB. Or, le premier appel de fonds, du 30 septembre 2014, soit moins d'un mois après la signature de l'acte prouve qu'elle n'a pas tiré les conséquences de l'information donnée quelques jours plus tôt. Le 2nd appel de fonds est du 18 mai 2015. La façon dont elle a payé est ignorée. Le solde du prix qui n'a pas été payé ne concerne pas le débat relatif à la garantie du notaire.





Pour l'exposé des moyens développés par les parties, il sera fait référence conformément à l'article 455 du code de procédure civile à leurs écritures déposées et débattues à l'audience du 1er juin 2022 à 9 heures.



A l'audience, les conseils des parties ont pu faire leurs observations et/ou déposer ou adresser leurs dossiers respectifs. Puis, l'affaire a été mise en délibéré au 14 septembre 2022.








MOTIFS



A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour « constater » ou « dire et juger » ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4,5,31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.



Il résulte des dispositions de l'article 9 de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, complété par la loi du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance, que les contrats ayant été conclus avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de la réforme, ils demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public. Les articles du code civil visés dans le présent arrêt seront dans leur version ancienne.





Sur l'irrecevabilité de l'action en paiement du solde du prix de vente initiée par la BECM



Selon l'article L 137-2 du code de la consommation devenue à droit constant L 218-2 lors de l'entrée en vigueur de la réforme du 14 mars 2016 soit le 1er juillet 2016, l'action des professionnels, pour les biens et services qu'elles fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.



Ce texte, contrairement à ce que soutient la BECM, lui est applicable en l'espèce, étant une professionnelle en matière financière ayant pris l'engagement de fournir, à certaines conditions, une garantie financière d'achèvement, à un particulier qui a acquis, un bien immobilier en l'état futur d'achèvement et sans que ce bien soit destiné à une activité professionnelle. Il s'agit d'un texte de portée générale régissant la prescription biennale s'appliquant aux services de toutes natures fournis à des consommateurs sont suffisamment larges pour s'appliquer à la demande en paiement du prix du contrat de vente en l'état futur d'achèvement s'agissant des impayés.



Il s'agit d'une fin de non-recevoir qui, si elle est accueillie, entraîne l'irrecevabilité de la demande en paiement sans examen au fond.



Ainsi, si le consommateur commet un défaut de paiement, l'action en paiement doit être engagée dans les deux ans sauf cause de suspension ou d'interruption de la prescription.



L'acte de vente litigieux prévoit de manière expresse une stipulation pour autrui en page 19. La stipulation pour autrui se définit comme le fait pour un contractant appelé le stipulant de faire promettre à l'autre, le promettant, d'accomplir une prestation au profit d'un tiers, le bénéficiaire qui doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l'exécution de la promesse. Par cette convention, le promettant s'engage, dès la formation du contrat, à remplir une obligation envers un tiers-bénéficiaire. Dès que ce tiers l'a acceptée, la stipulation pour autrui devient irrévocable en application de l'article 1121 du code civil.



En page 13 de l'acte de vente, il est expressément prévu que pour les fractions du prix payables à terme, le vendeur devra notifier, par lettre recommandée avec accusé de réception, à l'acquéreur la réalisation des événements dont dépend l'exigibilité des fractions du prix stipulées payables à terme. Chacune de ces fractions devra être payée dans les 15 jours de la notification entre les mains de la partie venderesse mais au moyen d'un chèque libellé à l'ordre de la BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL ou au moyen d'un virement effectué au crédit du compte de la société venderesse ouvert dans les livres de la BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL sous le numéro 11899.00233.000201136001, mention en gras dans le texte.



L'acheteuse a été dûment informée (page 17) de la caution solidaire de la BECM au titre de l'achèvement du lot et il est précisé que l'acceptation de l'acquéreur de la stipulation pour autrui doit être constatée dans l'acte de vente (page 19), ces deux pages ayant été dûment relues et paraphées selon les énonciations du notaire instrumentaire.



L'article 3.5.1 du contrat de vente sur la centralisation prévoit que « il est expressément rappelé que toutes les sommes que l'emprunteur pourrait percevoir au titre de l'opération envisagée et notamment celles correspondant à toutes les fractions de paiements des prix de vente dus par les acquéreurs, au titre des actes de vente, portant sur tout ou partie de l'immeuble, devront être remises au prêteur sur un compte spécifique à l'opération ouvert au nom de l'emprunteur dans les livres du prêteur sous le numéro 11899.00233.000201136001 . A cet égard chaque acte de vente devra comporter l'obligation pour l'acquéreur concerné de payer par chèque à l'ordre du prêteur ou de virer sur ce compte spécifique à l'opération toutes les sommes dues à l'emprunteur au titre de l'acte de vente concerné. Tout versement effectué en violation de cette disposition ne sera pas libératoire pour l'acquéreur concerné. Cette disposition est une condition essentielle et déterminante de l'engagement du prêteur de délivrer la garantie.



Ainsi, la BECM a nécessairement accepté cette stipulation de la société TPF en sa faveur puisqu'elle a signé un acte de prêt et un acte de garantie financière d'achèvement antérieurement à l'acte de vente définissant ce que les actes de vente devaient comporter comme énonciations pour qu'elle accepte de délivrer sa garantie solidaire financière d'achèvement en faveur de l'acquéreur.



Il est donc indéniable que tout paiement fait sur un autre compte, quand bien même le promoteur-vendeur aurait envoyé un RIB différent, n'est pas libératoire.



Le défaut de paiement n'est donc pas contestable pour la somme payée sur un autre compte d'un montant de 49 665,55 euros s'agissant des fractions du prix avant solde restant dû à la livraison.





La BECM soutient que les paiements faits sur un mauvais compte par madame [N] sont des reconnaissances de dette interruptives de prescription. Elle prétend qu'elle n'en a été informée que le 10 mars 2016. Or, si ces paiements étaient interruptifs c'est à la date à laquelle ils ont été réellement effectués peu important la date, purement potestative, alléguée par la banque BECM quant à la connaissance de ce fait. Le représentant de la caisse d'épargne, établissement gérant d'emprunt immobilier de Madame [N], a attesté, le 10 mars 2016, que la somme à hauteur de 22 775,92 euros a fait l'objet d'un chèque en date du 21 mai 2015, établi au nom de la société TPF, le chèque étant encaissé le 28 mai 2015 sur un compte des établissements CRÉDIT MUTUEL différent du compte centralisateur, la somme de 26 889,63 euros ayant fait l'objet d'un virement sur un compte différent du compte centralisateur le 16 octobre 2014.



Au demeurant, il ne peut être sérieusement soutenu que la BECM ne connaissait pas les dates des appels de fonds car son acte de prêt (page 12, articles 3.3.3 et 3.4 de la pièce 8 de la BECM) a prévu que les procès-verbaux de prise de possession par les acquéreurs lui étaient communiqués avec possibilité pour le prêteur de contrôler l'état d'avancement de la promotion immobilière.



S'agissant de la demande visant le solde du prix de vente à hauteur de 13 442,82 euros, du fait de la stipulation pour autrui conclue par la société TPF et Madame [N] en faveur de la BECM, le point de départ de la prescription biennale doit être la date de la livraison de l'appartement puisque les derniers 5% devaient être versés suivant l'acte de vente (page 6) à la remise des clefs. Le fait que Madame [N] ait fini par conditionner son paiement à la réalisation des travaux n'a pas pour effet juridique de déplacer le point de départ d'une prescription. Cette information signifie uniquement qu'elle contestait devoir une telle somme en raison des réserves non levées.



La livraison du bien a eu lieu le 19 juin 2015 avec réserves et remise des clefs, le procès-verbal étant signé par le vendeur et l'acquéreur.



Quoiqu'il en soit, même en prenant la date la plus tardive, celle des paiements ou celle de la livraison de l'appartement du 19 juin 2015, l'assignation en paiement litigieuse du 4 juillet 2017 est tardive, n'ayant pas été faite dans le délai de deux ans s'il n'existe aucune cause démontrée par la BECM d'interruption ou de suspension de la prescription au sens de l'article 2224 du code civil.



A titre liminaire, il ne résulte ni du nantissement d'une créance, ni d'une déclaration de créance à la procédure collective d'un promoteur-vendeur défaillant, ni de l'existence de la garantie financière d'achèvement le fait que la BECM aurait renoncé à la stipulation pour autrui en sa faveur pour le paiement de toutes les fractions de prix.



A juste titre, les premiers juges ont pointé qu'aucun nantissement de créance opposable n'a été notifié au débiteur de la créance nantie pour en déduire que la déclaration de créance de la BECM à la procédure collective de la société TPF le 18 janvier 2016 n'emportait pas interruption de prescription, les conditions de l'article L 622-25-1 du code de commerce n'étant en aucun cas réunies.



La BECM ne peut pas non plus soutenir que Madame [N] a établi une reconnaissance de dette pour la somme de 13 442, 82 euros, interruptive de prescription, dans son courrier du 10 mars 2016 puisqu'une reconnaissance de dette doit figurer dans un acte écrit comportant la mention manuscrite en chiffres et en lettres du montant de la dette ainsi que l'identification non équivoque du créancier. A défaut de comporter toutes les mentions exigées par l'article 1326 du code civil, l'écrit revendiqué comme reconnaissance de dette par le créancier supposé ne vaut pas preuve mais simple commencement de preuve par écrit. Dès lors, le courrier du 10 mars 2016 ne peut pas avoir interrompu la prescription biennale le 10 mars 2016 au sens de l'article 2240 du code civil. Au surplus, comme Madame [N] a choisi de séquestrer cette somme chez le notaire, il ne peut se déduire de cet écrit qu'elle a pris un engagement de payer la BECM de manière non équivoque.





En appel, la BECM a soulevé un nouveau moyen juridique soulevé au titre de la stipulation pour autrui, qui résulte de manière non ambiguë des actes de vente en l'état futur d'achèvement s'agissant du paiement des fractions du prix. Elle pense pouvoir utiliser ce moyen de droit pour prétendre pouvoir bénéficier des dispositions de l'article 2234 du code civil suivant lequel la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Or, il y a lieu de rappeler que le tiers bénéficiaire de la stipulation pour autrui a un droit direct contre le promettant car il est créancier de l'obligation du promettant dès le jour de la formation du contrat. Ainsi, la procédure collective du stipulant est sans effet car sa créance n'est jamais entrée dans le patrimoine du stipulant. La stipulation pour autrui n'a pas pour effet de créer un lien de solidarité qui ne se présume pas. Ainsi, la BECM ne démontre aucun empêchement légal, conventionnel ou tiré de la force majeure pouvant avoir eu un effet sur le cours de la prescription biennale qui est acquise depuis le 19 juin 2017.



Ainsi, la Cour confirme, par motifs adoptés et propres, le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'irrecevabilité de la demande en paiement de la BECM.





Sur l'appel provoqué de Madame [N] à l'encontre de Maître [F] [P]



La demande en paiement de la BECM contre Madame [N] étant irrecevable, il y a lieu de déclarer sans objet l'appel provoqué de Madame [N] à l'encontre de Maître [F] [P].





Sur les demandes accessoires



Succombant tant en première instance qu'en appel, la BECM doit supporter les entiers dépens. La Cour confirme sa condamnation aux dépens de première instance. La Cour la condamne à supporter les entiers dépens d'appel.



La Cour autorise Maître [D] [U] de la SELARL [U] ROCHER, avocat qui en a fait la demande expresse, non pas à distraire, terme qui n'est plus en vigueur depuis des dizaines d'années, mais à recouvrer directement les dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.



En équité, la Cour condamne la BECM à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel à Madame [N].



La Cour déclare sans objet les demandes de Madame [N] au titre des dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Maître [F] [P], son appel provoqué étant déclaré sans objet et ses demandes étant formulées à titre infiniment subsidiaire.



La Cour déboute Maître [F] [P] de ses demandes au titre des dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Madame [N] dans la mesure où celle-ci a été contrainte par l'effet de l'appel de la BECM à l'attraire en justice en cas d'infirmation du jugement déféré, et de la demande de Maître [F] [P], dans le dispositif des ses dernières conclusions, à solliciter ces condamnations accessoires dans l'hypothèse où subsidiairement Madame [N] était condamnée au bénéfice de la BECM, ce qui n'a pas été le cas.



La Cour déboute la BECM de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.













PAR CES MOTIFS



La Cour,



confirme par motifs adoptés et propres le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'irrecevabilité de la demande en paiement de la BECM à l'encontre de Madame [N],



déclarer sans objet l'appel provoqué de Madame [N] à l'encontre de Maître [F] [P],



confirme la condamnation de la BECM aux dépens de première instance,



y ajoutant, la condamne à supporter les entiers dépens d'appel,



autorise Maître [D] [U] de la SELARL [U] ROCHER à recouvrer directement les dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,



condamne la BECM à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel à Madame [N],



déclare sans objet les demandes de Madame [N] au titre des dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Maître [F] [P],



déboute Maître [F] [P] de ses demande au titre des dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Madame [N],



déboute la BECM de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.





LE GREFFIER KAREN STELLA, CONSEILLER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

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