13 septembre 2022
Cour d'appel de Caen
RG n° 19/03538

1ère Chambre civile

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 19/03538 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GOZ2

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance d'ARGENTAN du 28 Novembre 2019

RG n° 18/00935







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2022





APPELANTES :



Madame [O] [J]

née le [Date naissance 3] 1982 à [Localité 13] (61)

[Adresse 4]

[Localité 8]



La Compagnie d'assurances MATMUT SAM substituée aux droits d' AMF ASSURANCES

[Adresse 14]

[Localité 16]

prise en la personne de son représentant légal



représentées et assistées de Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN





INTIMÉS :



Monsieur [D], [M], [V] [R]

né le [Date naissance 10] 1965 à [Localité 17] (61)

[Adresse 9]

[Localité 13]



Madame [X], [P], [G] [Z] épouse [R]

née le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 13] (61)

[Adresse 9]

[Localité 13]



Monsieur [B], [N], [A] [R]

né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 13] (61)

Ayant élu domicile chez Me Patrick LEPELLETIER

[Adresse 11]

[Localité 13]







Monsieur [U], [S], [W] [R]

né le [Date naissance 6] 1997 à [Localité 13] (61)

[Adresse 15]

[Localité 12]



Tous représentés et assistés de Me Patrick LEPELLETIER, avocat au barreau D'ARGENTAN





L'Etablissement CPAM 14

[Adresse 5]

[Localité 7]

pris en la personne de son représentant légal



non représenté, bien que régulièrement assigné







COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GANCE, Conseiller,



DÉBATS : A l'audience publique du 10 mai 2022



GREFFIER : Mme COLLET



ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 13 Septembre 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier






* * *

EXPOSE DU LITIGE



Le 7 mars 2014, Monsieur [D] [R] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Madame [O] [J], assurée auprès de la compagnie Assurances Mutuelles des Fonctionnaires (AMF).



Une expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance d'Argentan le 21 juillet 2016, qui a octroyé à Monsieur [R] une provision de 5.000,00 €.





A la suite du dépôt du rapport d'expertise qui fixe la consolidation au 2 octobre 2016, Monsieur [R], son épouse et ses deux enfants, [B] et [U] ont assigné Madame [J], son assureur et la CPAM du Calvados devant le tribunal de grande instance d'Argentan afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.



Par jugement du 28 novembre 2019, le tribunal a :



- déclaré Madame [J] entièrement responsable des préjudice subis par [D], [X], [B] et [U] [R],



- dit que les AMF doivent garantir Madame [J] de toutes les condamnations prononcées à son encontre,



- débouté Monsieur [D] [R] de sa demande au titre du préjudice d'agrément,



- condamné solidairement Madame [J] et les AMF à verser à Monsieur [R] la somme totale de 565.003,99 € dont à déduire les indemnités provisionnelles déjà versées à hauteur de 16.469,87 €,



- condamné solidairement Madame [J] et les AMF à payer à Madame [R] la somme de 5.000,00 €, à [U] [R] la somme de 3.000,00 € et à [B] [R] la somme de 1.500,00 € au titre de leurs préjudices d'affection,



- dit que l'ensemble de ces sommes emporteront intérêts à compter du jugement,



- condamné solidairement Madame [J] et les AMF à verser aux consorts [R] unis d'intérêts, la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



- ordonné l'exécution provisoire,



- condamné in solidum Madame [J] et les AMF aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître LEPELLETIER,



- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires comme précisé aux motifs.



Le 23 décembre 2019, la compagnie AMF et Madame [J] ont interjeté appel de la décision.



Aux termes de leurs premières conclusions en date du 13 mars 2020, elles ont limité leur appel à l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs.



Aux termes de leurs dernières écritures en date du 25 avril 2022, la MATMUT venant aux droits d'AMF et Madame [J], maintiennent la demande de réformation du jugement sur ce point et demande à la cour de :



- fixer l'indemnisation de Monsieur [D] [R] au titre de sa perte de gains professionnels futurs sous l'angle d'une perte de chance, à la somme de 108.080,25 € après déduction de la rente accident du travail versée par la CPAM pour 39.636,72 € :



* perte de chance de gains de revenus d'activités professionnelles de la consolidation à l'âge de la retraite prise à 61 ans : 51.219,49 €,



* perte de chance de gains sur sa pension de retraite à compter de 61 ans : 56.860,76 €,



- réduire en toute hypothèse à titre subsidiaire, l'indemnité allouée à ce titre par le tribunal,



- condamner en tant que de besoin, Monsieur [R] à procéder à la restitution de la différence des sommes versées par la MATMUT en exécution de la décision soit 565.003,99 € et les indemnités qui lui ont été octroyées définitivement au titre de la liquidation de son préjudice corporel,



- autoriser la MATMUT à procéder à la déconsignation des sommes séquestrées à la limite de la différence des sommes qui seront allouées à Monsieur [R] au titre de la liquidation de son préjudice corporel et des versements effectués par elle,



- confirmer pour le surplus le jugement,



- débouter en conséquence, Monsieur [R] du surplus de ses autres demandes, fins et prétentions,



- condamner tout succombant au paiement d'une somme de 1.500,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Aux termes de leurs dernières écritures en date du 1er avril 2022, les consorts [R] forment un appel incident et concluent à :



- la condamnation in solidum de Madame [J] et la société MATMUT SAM à payer à Monsieur [D] [R] la somme de 312.573,03 €, déduction étant faite de la somme de 39.636,72 € correspondant au capital représentatif de la rente accident du travail payée par la CPAM, au titre des pertes de gains professionnels futurs,



- la condamnation in solidum de Madame [J] de la société MATMUT SAM à payer à Monsieur [D] [R] la somme de 10.000,00 € au titre de son préjudice d'agrément,



- la confirmation du jugement pour le surplus,



- la condamnation in solidum de Madame [J] de la société MATMUT SAM à payer à Monsieur [D] [R] la somme de 6.500,00 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,



- l'irrecevabilité ou au rejet de toutes les demandes fins et conclusions adverses.



La CPAM du Calvados a adressé à la cour, une lettre reçue le 27 janvier 2020 indiquant qu'elle avait été désintéressée de ses débours.



Elle n'a pas constitué avocat.



Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 avril 2022.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur les pertes de gains professionnels futurs



Les appelantes qui avaient initialement fait appel du jugement en toutes ses dispositions, le limite désormais au calcul des pertes de gains professionnels futurs.



Elle soutiennent qu'en l'absence d'une incapacité totale de reprise d'une activité professionnelle, alors que le tribunal a par ailleurs indemnisé l'incidence professionnelle, il ne saurait y avoir lieu à indemnisation des pertes de gains professionnels futurs totaux et à titre viager, mais au titre d'une perte de chance à hauteur de 50%.



Elles critiquent également le salaire de référence retenu par le tribunal qui correspond à un salaire brut et estiment qu'ayant commencé à travailler à 18 ans, Monsieur [R] est éligible à un départ à la retraite à 61 ans et non 65 ou 67 ans.



Ce dernier reconnaît que le calcul de ce poste de préjudice doit se faire sur deux périodes, la première jusqu'à l'âge de la retraite, soit 65 ans sur la base d'un salaire de référence de 20.000,00 € comprenant divers avantages dont il bénéficiait, la seconde à compter du 30 avril 2030 compte tenu de la réduction de ses droits à la retraite.



La perte de gains professionnels futurs résulte de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi.



Il est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle, le revenu de référence étant toujours le revenu net annuel imposable avant l'accident.



Il convient alors de distinguer deux périodes, la première de la consolidation à la décision, la seconde, à compter de la décision, calculée en fonction de l'âge de la victime au jour de la décision.



Monsieur [D] [R] est né le [Date naissance 10] 1965. Il sera donc âgé de 57 ans au jour de l'arrêt.



L'âge actuel de départ à la retraite est fixé à 62 ans. Il n'y a donc pas lieu de se baser sur la prolongation de l'âge de départ à la retraite à 65 ans qui est aujourd'hui purement hypothétique.



Dans la mesure où Monsieur [D] [R] qui a été licencié pour inaptitude - peu important qu'il ait refusé des propositions de reclassement et ne soit pas inapte à tout emploi - n'a pas retrouvé d'emploi, il a droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice sans qu'il y ait lieu à indemnisation sous la forme d'une perte de chance.



Le salaire de référence à retenir est celui que percevait la victime au moment de l'accident.



Il a perçu pour l'année 2013, un revenu net imposable de 19.238,33 € (soit 1.603,20 € par mois) auquel il n'y a pas lieu de rajouter diverses indemnités au titre des chèques déjeuners et primes de nettoyage qui sont liées au contrat de travail et ne sont pas dues dès lors qu'il est rompu, ainsi qu'à la participation et intéressement qui figurent nécessairement dans son revenu imposable





Sa perte mensuelle de salaire s'élève donc à 1.603,20 € - 145,55 € (rente AT mensuelle) = 1.457,65 € (soit 17.491,80 € par an), étant indiqué, ce qui n'est pas contesté par les appelantes, que l'allocation d'aide au retour à l'emploi qu'il a perçue jusqu'au 31 mars 2020 ne donnant pas lieu à recours subrogatoire n'a pas à être imputée sur l'indemnité due à la victime.



Soit du 2 octobre 2016 au 13 septembre 2022, des arrérages échus de :



1.457,65 € X 70,5 mois = 102.764,32 €



Pour le calcul des arrérages à échoir, il convient de distinguer la période allant de la date de l'arrêt jusqu'à l'âge de la retraite (62 ans), puis la période postérieure, étant ici relevé que l'indemnisation de l'incidence professionnelle par le tribunal qui n'est pas contestée par les appelantes ne concerne pas la perte de droits à la retraite mais uniquement l'impossibilité de reprendre un emploi équivalent et la perte de promotion professionnelle.



- arrérages à échoir du 14 septembre 2022 au 30 avril 2027 date à laquelle Monsieur [R] aura 62 ans calculés sur la base du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2018 :



17.491,80 (perte annuelle) X 4,791 (euro de rente temporaire) = 83.803,21 €



- perte de droits à la retraite pour un départ à 62 ans (cf pièces n°53 à 56) : CARSAT = 7.179,36 € net par an + retraites complémentaires = 1.145,50 € net par an = 8.324,86 € par an



soit 8.324,86 € X 19,268 (euro de rente viagère) = 160.403,40 €



Il convient de déduire du total obtenu de 346.970,93 € le solde de la rente accident du travail qui sera perçue après la date de la présente décision après soustraction de la partie de la rente déduite au titre des arrérages échus, soit un solde de 31.187,42 €



Le calcul est le suivant :



102.764,32 + (83.803,21 + 160.403,40) - 31.187,42 = 315.783,51 €



Monsieur [R] limitant sa demande pour ce poste de préjudice à 312.573,03 €, c'est à cette somme que sera fixé le montant des pertes de gains professionnels futurs.





Le jugement qui lui avait alloué la somme de 494.212,47 € sera donc infirmé de ce chef.



Sur le préjudice d'agrément



Monsieur [R] a fait appel incident sur la disposition du jugement l'ayant débouté de sa demande au titre du préjudice d'agrément au motif qu'il serait déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent s'agissant de la perte de qualité de vie et des troubles dans les conditions d'existence.



Il soutient qu'il pratiquait de façon intensive le bricolage, le jardinage, le footing et le cyclisme avant l'accident du 7 mars 2014, activités qu'il ne peut plus pratiquer et sollicite l'allocation d'une somme de 10.000,00 € en réparation de ce préjudice.



Il est constant que le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs.



Il s'agit d'un préjudice spécifique, distinct du troubles dans les conditions d'existence ou la perte de qualité de vie indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent.



L'expert judiciaire précise qu'existait un état antérieur concernant le genou gauche, et n'a retenu comme séquelles qu'une raideur rachidienne active avec douleurs justifiant la prise de traitement antalgique régulier, ainsi qu'une limitation modérée de la rotation externe de l'épaule gauche avec baisse de force musculaire.



Il a relevé l'existence d'un préjudice d'agrément relatif aux activités de jardinage et bricolage avec port de charge, et précise qu'il n'y a pas de contre-indication à la pratique du footing en rapport avec les faits.



Il ne fait pas mention de l'impossibilité de pratiquer le vélo au titre ce poste de préjudice.



Au vu de ces éléments, il convient d'allouer à Monsieur [R], une somme de 3.000,00 €.



Sur la demande de restitution formée par la MATMUT



La MATMUT indique avoir versé à Monsieur [D] [R] des provisions à hauteur de 21.469,87 €, ainsi qu'au titre de l'exécution provisoire, 243.534,12 € (hors article 700) et avoir séquestré la somme de 300.000,00 € qu'elle demande à être autorisée à déconsigner.



Il résulte des quittances provisionnelles versées aux débats par la MATMUT que c'est un total de 16.469,87 € qu'elle a versé à titre de provision entre le 1er juillet 2014 et le 9 octobre 2018 et non 21.469,87 €.



Les consorts [R] reconnaissent le versement le 13 mars 2020 d'une somme de 259.262,53 € au titre du principal à laquelle il convient d'ajouter les provisions versées, soit un total de 275.732,40 €, étant précisé qu'il n'y a pas lieu à ce stade de tenir compte de la somme versée le 4 mai 2020 au titre des intérêts.



Le total des sommes allouées par le tribunal puis par la cour après infirmation sur les pertes de gains professionnels futurs et le préjudice d'agrément, s'élève à 395.864,55 € hors article 700 (386.364,55 € au titre du préjudice corporel de Monsieur [D] [R]; 5.000,00 € pour Madame [R] ; 3.000,00 € pour [U] [R] et 1.500,00 € pour [B] [R]).



La MATMUT reste donc devoir hors article 700, la somme de 120.132,15 €.



Elle sera donc déboutée de sa demande de restitution, mais sera autorisée à déconsigner les sommes séquestrées pour procéder à ce règlement.



Sur les frais irrépétibles et les dépens



L'équité commande d'allouer aux consorts [R] une somme de 3.000,00 € au titre des frais irrépétibles d'appel et de débouter les appelantes de leur demande à ce titre.



Succombant à titre principal, les appelantes seront condamnées aux dépens.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant dans la limite de sa saisine, publiquement, par arrêt réputé contradictoire rendu en dernier ressort,



INFIRME le jugement du tribunal de grande instance d'Argentan du 28 novembre 2019 en ce qu'il a débouté Monsieur [D] [R] de sa demande au titre du préjudice d'agrément, et a condamné Madame [O] [J] et les AMF à lui verser la somme de 494.212,47 € au titre de la perte de gains professionnels futurs,



LE CONFIRME pour le surplus



Statuant à nouveau et y ajoutant,



FIXE à la somme de 312.573,03 € l'indemnité due après déduction de la rente accident du travail, au titre des pertes de gains professionnels futurs,



FIXE à la somme de 3.000,00 € l'indemnité due au titre du préjudice d'agrément,



CONSTATE que déduction des sommes déjà versées (hors article 700 et intérêts), la MATMUT reste devoir à Monsieur [D] [R] la somme de 120.132,15 €,



En conséquence,



DÉBOUTE la MATMUT de sa demande restitution,



CONDAMNE in solidum la MATMUT et Madame [O] [J] à payer à Monsieur [D] [R] la somme de 120.132,15 € au titre du solde de son préjudice corporel,



AUTORISE la MATMUT à déconsigner les sommes séquestrées pour procéder au règlement de la somme de 120.132,15 €,



CONDAMNE in solidum la MATMUT et Madame [O] [J] à payer à Monsieur [D] [R] la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



DÉBOUTE la MATMUT et Madame [O] [J] de leur demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE in solidum la MATMUT et Madame [O] [J] aux dépens.



LE GREFFIERLE PRÉSIDENT









M. COLLETG. GUIGUESSON

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.