13 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-87.452

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00907

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Pouvoirs du juge - Ecoutes téléphoniques - Transcription de la conversation entre un avocat et son client - Validité - Cas

S'il résulte de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale que l'interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense de son client s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci, n'encourt pas la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui rejette le moyen de nullité de la transcription de l'appel téléphonique d'un avocat à la compagne de son client pour l'informer du défèrement de celui-ci et lui fixer rendez-vous au tribunal, cette transcription ayant eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation sur le véhicule de cette dernière


INSTRUCTION - Ordonnances - Criminalité organisée - Procédure - Perquisitions - Locaux d'habitation - Perquisitions nocturnes - Régularité - Conditions - Ordonnance écrite - Ordonnance formalisée avant la perquisition et comportant les motifs la justifiant

Il résulte des articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée. Encourt dès lors la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour rejeter le moyen de nullité de trois perquisitions effectuées au domicile des personnes mises en examen en dehors des heures légales, relève que les mesures ont été verbalement autorisées par le juge d'instruction vu l'urgence et la possible déperdition de preuves, que le magistrat a transmis le lendemain son ordonnance d'autorisation qui a été annexée aux procès-verbaux et qui est motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires et ne peuvent être réalisées durant les heures légales

Texte de la décision

N° R 21-87.452 F-B

N° 00907


SL2
13 SEPTEMBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022



MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre eux, notamment, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure.

Par ordonnance en date du 7 février 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen notamment des chefs précités, MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K] ont présenté des demandes d'annulation d'actes de la procédure.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen


3. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation des procès-verbaux faisant état des conversations téléphoniques interceptées entre Mme [I] [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], des procès-verbaux de mise en place et d'exploitation du dispositif de géolocalisation du véhicule Ford Fiesta immatriculé [Immatriculation 1] et des actes subséquents, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale que ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation des procès-verbaux relatant les conversations téléphoniques interceptées entre Mme [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], et des actes subséquents, que « la lecture du procès-verbal coté D 110 révèle que celui-ci a pour objet une surveillance et qu'il ne s'agit pas d'un procès-verbal de retranscription d'une conversation téléphonique au sens des dispositions de l'article 101 du code de procédure pénale », quand il ressortait de cet acte qu'y était transcrite la teneur d'une conversation entre Mme [D] et l'avocat de M. [K], la chambre de l'instruction a dénaturé ce procès-verbal et violé les articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'interdiction de transcription posée par l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale n'est pas limitée aux seules conversations avocat-client mais s'étend aux échanges entre un avocat et un proche de son client, lorsque la conversation concerne les droits de la défense dudit client ; qu'en retenant, pour rejeter la requête tendant à l'annulation des procès-verbaux transcrivant les conversations téléphoniques interceptées entre Mme [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], qu'il n'est pas établi que cet avocat assure la défense de Mme [D], motif impropre à justifier le maintien à la procédure des transcriptions litigieuses, la chambre de l'instruction a violé les articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que devant la chambre de l'instruction, M. [K] faisait valoir que l'avocat dont les propos avaient été enregistrés et transcrits était également celui de sa compagne Mme [D] ; qu'en se bornant, pour écarter la demande d'annulation des procès-verbaux de transcription et des actes subséquents, qu'il ne ressortait pas de la conversation interceptée que « cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique susvisée ainsi placée sous surveillance », sans rechercher, indépendamment de l'écoute elle-même, si l'avocat n'était pas celui de Mme [D], la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

5. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal relatant l'appel téléphonique d'un avocat, intercepté sur la ligne de la compagne de M. [K], l'informant du défèrement de celui-ci et lui donnant rendez-vous au tribunal, l'arrêt attaqué énonce que ce procès-verbal a pour objet une surveillance et qu'il ne s'agit pas d'un procès-verbal de transcription d'une conversation téléphonique.

6. Les juges ajoutent qu'il ne ressort pas de ce procès-verbal que cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique surveillée.

7. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

8. En effet, d'une part, si l'interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense de son client s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci, les échanges litigieux relatifs au défèrement de M. [K] au tribunal et au rendez-vous pris entre l'avocat et la compagne de celui-ci n'ont été rapportés que pour rendre compte des circonstances ayant permis la localisation du véhicule de cette dernière et l'installation sur celui-ci d'un dispositif de géolocalisation, de sorte que le procès-verbal en cause a eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension des investigations.

9. D'autre part, ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, la compagne de M. [K] n'avait pas encore été placée en garde à vue dans le dossier au moment où s'est tenu l'échange téléphonique litigieux et n'était pas partie à la procédure au moment où la chambre de l'instruction a statué, de sorte que cette conversation avec l'avocat ne pouvait relever de l'exercice des droits de sa défense.

10. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation des procès-verbaux d'interpellation de MM. [H], [J] et [V], des procès-verbaux des perquisitions réalisées à leurs domiciles respectifs et des actes subséquents, alors :

« 1°/ que le juge d'instruction ne peut autoriser les enquêteurs à perquisitionner des locaux d'habitation en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale que par ordonnance écrite et motivée préalable à la perquisition ; qu'en affirmant que les perquisitions réalisées au domicile de MM. [H], [J] et [V] dans la nuit du 7 au 8 février 2021 respectivement à 3 heures 15, 2 heures 25 et 2 heures 26, ainsi que les interpellations de ces derniers, avaient pu être autorisées par une ordonnance écrite établie postérieurement aux opérations de perquisition dès lors que cette ordonnance écrite serait venue « régulariser » une « autorisation verbale » qui aurait été donnée par le juge avant les perquisitions, la chambre de l'instruction a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 706-91, 706-92, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'une autorisation de perquisition en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale ne saurait être motivée rétrospectivement par des considérations relatives aux découvertes, saisies ou interpellations effectuées au cours de cette perquisition que les « éléments de fait et de droit » motivant l'autorisation doivent nécessairement être antérieurs à la perquisition qu'au cas d'espèce la chambre de l'instruction a elle-même constaté que l'ordonnance écrite d'autorisation du juge d'instruction était en particulier motivée par l'interpellation, au cours des perquisitions, de MM. [H], [J] et [V] ; qu'en rejetant néanmoins la demande d'annulation des perquisitions et interpellations, la chambre de l'instruction a derechef violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 706-91, 706-92, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale :

12. Il résulte de ces textes que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée.

13. Pour rejeter le moyen de nullité des perquisitions effectuées aux domiciles respectifs de MM. [H], [V] et [J] le 8 février 2021 respectivement à 3 heures 15, 2 heures 26 et 2 heures 25, l'arrêt attaqué énonce que, selon le procès-verbal établi le 7 février à 20 heures, les officiers de police judiciaire ont reçu un appel téléphonique du juge d'instruction les autorisant verbalement à effectuer des perquisitions de nuit, vu l'urgence et la possible déperdition de preuves et leur indiquant régulariser son autorisation en leur transmettant une ordonnance dès le lendemain.

14. Les juges ajoutent que cette ordonnance, dont l'existence n'est pas mise en cause et qui figure en procédure, a bien été transmise aux enquêteurs qui l'ont annexée à leurs procès-verbaux de perquisition et qu'elle est motivée par référence à des éléments tant de fait que de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires et qu'elles ne peuvent être réalisées durant les heures légales.

15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.

16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.





PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant rejeté les moyens de nullité des procès-verbaux d'interpellation de MM. [H], [V] et [J] et de perquisition de leurs domiciles, ainsi que l'ensemble des actes subséquents y faisant référence, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux.

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