7 septembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-12.114

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C300607

Titres et sommaires

VENTE - Nullité - Action en nullité - Immeuble - Action consécutive à l'annulation de la préemption urbaine - Intérêt à agir - Acquéreur évincé

Lorsque, après s'être acquitté, en application de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, de son obligation de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire, qui y a renoncé, le titulaire du droit de préemption propose cette acquisition à l'acquéreur évincé, qui l'accepte, celui-ci n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue avec l'ancien propriétaire à compter de la date de la conclusion de la promesse de vente

URBANISME - Droit de préemption urbain - Vente d'un immeuble - Annulation de la décision de préemption - Action en annulation de la vente - Intérêt à agir

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 septembre 2022




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 607 FS-B

Pourvoi n° B 21-12.114




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022

La société Voestalpine Rotec GMBH, en qualité de mandataire ad hoc de la société Voestalpine Rotec France, dont le siège est [Adresse 3] (Autriche), a formé le pourvoi n° B 21-12.114 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Sofiadis, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la commune d'[Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La société Sofiadis a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation également annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Voestalpine Rotec GMBH, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Sofiadis, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2018), par acte du 22 juin 2010, la société Voestalpine Rotec France (la société VARF), propriétaire d'un immeuble situé sur le territoire de la commune d'[Localité 4], a consenti à la société Le Bouraq, devenue la société Sofiadis, un bail dérogatoire assorti d'une promesse unilatérale de vente au prix de 1 300 000 euros.

2. Le 13 février 2012, la commune a notifié sa décision d'exercer son droit de préemption.

3. Le 23 février 2012, dans le délai imparti par la promesse, qui avait été prorogé, la société Sofiadis a levé l'option.

4. Selon acte authentique du 14 décembre 2012, la société VARF a vendu l'immeuble à la commune.

5. Par un arrêt confirmatif du 26 juin 2015, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Paris a annulé la décision de préemption.

6. La société VARF ayant refusé la rétrocession du bien, qui lui avait été proposée conformément aux dispositions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la commune l'a proposé à la société Sofiadis, avec laquelle elle a conclu, le 8 septembre 2015, une promesse de vente.

7. La société Sofiadis a assigné la société VARF et la commune pour faire annuler la vente du 14 décembre 2012 et faire déclarer parfaite la vente qu'elle avait précédemment conclue avec la société VARF.

8. La société VARF ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés, la société Voestalpine Rotec GmbH (la société Voestalpine) a été désignée en qualité de mandataire ad hoc pour la représenter.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. La société Sofiadis fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer parfaite la vente à son profit de l'immeuble par la société VARF aux conditions de la promesse du 23 février 2012, alors :

« 1°/ que l'annulation de la préemption exercée de manière illicite implique que le préempteur soit réputé ne jamais avoir été propriétaire du bien ; que ce préempteur n'a pu, en conséquence, transférer valablement le bien litigieux, puisqu'il en a jamais eu la propriété ; que, pourtant, après avoir constaté que, à la suite de l'annulation de la préemption « la commune d'[Localité 4] est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien », la cour d'appel a retenu que la société Sofiadis avait « acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme organisant le sort du bien acquis à la suite d'une décision de préemption déclarée nulle ou illégale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui excluent la qualité de propriétaire de la commune, tout en reconnaissant que la commune ait pu valablement transférer la propriété du bien à la société Sofiadis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme ;

2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la force obligatoire du contrat s'impose tant aux parties qu'au juge, qui en est le garant ; que la cour d'appel a annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune redonnant force obligatoire à l'acte initialement conclu entre la société VARF et la société Sofiadis, acheteur évincé ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que le 23 février 2012 la société Sofiadis avait demandé au vendeur la réalisation de la vente à son bénéfice ; qu'elle a pour autant refusé de prononcer le perfectionnement de la vente ; qu'en statuant ainsi, en privant l'acte de sa force obligatoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1134 dans sa rédaction applicable à la cause, devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. Ayant relevé qu'à la suite de la mise en oeuvre de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la société Sofiadis avait, le 8 septembre 2015, conclu avec la commune une promesse de vente, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société n'était plus fondée à réclamer l'exécution de la promesse de vente portant sur ce même immeuble, que lui avait consentie la société VARF le 22 juin 2010.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société Voestalpine, ès qualités, fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société Sofiadis et d'annuler la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune, alors « que dans le cas où l'ancien propriétaire a renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition du bien dont la décision de préemption a été annulée, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien ; qu'il était constant en l'espèce que la société VARF avait renoncé à l'acquisition que lui avait proposée la commune après l'annulation de décision de préemption, et que la commune était restée en conséquence seule propriétaire de l'immeuble dont elle devait proposer l'acquisition à la société Sofiadis, ce qu'elle avait fait, une promesse ayant été signée entre les parties ; qu'en énonçant de façon erronée et contradictoire, pour annuler la vente conclue entre la société VARF et la commune, que celle-ci était réputée ne jamais avoir été propriétaire du bien, et que la société Sofiadis avait acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 213-11-1 du code de l'urbanisme :

13. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

14. En application du second, lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption doit proposer l'acquisition du bien en priorité aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel, et, en cas de renonciation expresse ou tacite de ceux-ci à l'acquisition, à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration d'intention d'aliéner.

15. Il résulte de ces textes que, lorsque, après s'être acquitté de son obligation de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire, qui y a renoncé, le titulaire du droit de préemption propose cette acquisition à l'acquéreur évincé, qui l'accepte, celui-ci n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue avec l'ancien propriétaire à compter de la date de la conclusion de la promesse de vente.

16. Pour déclarer recevable la demande de la société Sofiadis et annuler la vente conclue entre la commune et la société VARF, l'arrêt retient que, en sa qualité d'acquéreur évincé à la suite de la décision, ultérieurement annulée, de la commune d'exercer son droit de préemption sur le bien, la société Sofiadis a intérêt à agir en annulation de la vente conclue entre la commune et la société VARF et que sa demande en annulation est donc recevable.

17. L'arrêt ajoute que la vente conclue entre la société VARF et la commune en application d'une décision administrative qui a été annulée doit être elle-même déclarée nulle et que, en conséquence de cette annulation, la commune est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société Sofiadis avait conclu une promesse de vente avec la commune, ce dont il résultait qu'elle n'était plus recevable à agir en annulation de la vente conclue entre la société VARF et cette commune, demeurée propriétaire en dépit de l'annulation de la décision de préemption, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. Du seul fait qu'elle a conclu, le 8 septembre 2015, une promesse de vente avec la commune, la société Sofiadis n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la commune et la société VARF.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Sofiadis et annule la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société Voestalpine Rotec France et la commune d'[Localité 4] portant sur l'immeuble à usage industriel et de bureaux situé à [Adresse 5], l'arrêt rendu le 16 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE irrecevable la demande en annulation de la vente conclue le 14 décembre 2012 formée par la société Sofiadis ;

REJETTE le pourvoi incident ;

Condamne la société Sofiadis aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Voestalpine Rotec GMBH (demanderesse au pourvoi principal)

La société Voestalpine Rotec GmbH fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la demande de la société Sofiadis et d'avoir annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune d'[Localité 4] ;

ALORS QUE dans le cas où l'ancien propriétaire a renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition du bien dont la décision de préemption a été annulée, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien ; qu'il était constant en l'espèce que la société VARF avait renoncé à l'acquisition que lui avait proposée la commune d'[Localité 4] après l'annulation de décision de préemption, et que la commune était restée en conséquence seule propriétaire de l'immeuble dont elle devait proposer l'acquisition à la société Sofiadis, ce qu'elle avait fait, une promesse ayant été signée entre les parties ; qu'en énonçant de façon erronée et contradictoire, pour annuler la vente conclue entre la société VARF et la commune d'[Localité 4], que celle-ci était réputée ne jamais avoir été propriétaire du bien, et que la société Sofiadis avait acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L.213-11-1 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L.213-11-1 du code de l'urbanisme.
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour la société Sofiadis (demanderesse au pourvoi incident)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Sofiadis de sa demande tendant à voir déclarer parfaite la vente à son profit de cet immeuble par la société Voestalpine Rotec France aux conditions de la promesse du 24 février 2012.

Alors que l'annulation de la prémption exercée de manière illicte implique que le préempteur soit réputé ne jamais avoir été propriétaire du bien ; que ce préempteur n'a pu, en conséquence, transférer valablement le bien litigieux, puisqu'il en a jamais eu la propriété ; que, pourtant, après avoir constaté que, à la suite de l'annulation de la préemption « la Commune d'[Localité 4] est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien », la cour d'appel a retenu que la société Sofiadis avait « acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme organisant le sort du bien acquis à la suite d'une décision de préemption déclarée nulle ou illégale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui excluent la qualité de propriétaire de la commune, tout en reconnaissant que la commune ait pu valablement transférer la propriété du bien à la société Sofiadis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme ;

Alors que, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la force obligatoire du contrat s'impose tant aux parties qu'au juge, qui en est le garant ; que la cour d'appel a annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société Voestalpine Rotec France et la commune d'[Localité 4] redonnant force obligatoire à l'acte initialement conclu entre la société Voestalpine Rotec France et la société Sofiadis, acheteur évincé ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que le 23 février 2012 la société Sofiadis avait demandé au vendeur la réalisation de la vente à son bénéfice ; qu'elle a pour autant refusé de prononcer le perfectionnement de la vente ; qu'en statuant ainsi, en privant l'acte de sa force obligatoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1134 dans sa rédaction applicable à la cause, devenu 1103 du code civil ;

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