1 septembre 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/03180

Pôle 4 - Chambre 3

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 3



ARRET DU 01 SEPTEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03180 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBPK7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Décembre 2019 -Tribunal d'Instance de Paris - RG n° 1118212809





APPELANTE



Madame [E] [S] veuve [P]

née le 1er novembre 1965 à [Localité 2] (TURQUIE)

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée et assistée par Me Laurent AYGUN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0738

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/009810 du 13/03/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)







INTIMES



Monsieur [I] [O]

né le 12 janvier 1980 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Madame [J] [O]

née le 12 mai 1983 à KORBA (TUNISIE)

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentés par Me Jean-paul YILDIZ de la SELEURL YZ AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794

Assistés par Me Nathan BUSSYdu cabinet RESLEX, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794



















COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Bérengère DOLBEAU, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

François LEPLAT, président de chambre

Anne-Laure MEANO, présidente assesseur

Bérengère DOLBEAU, conseillère



Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE





ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par François LEPLAT, Président de Chambre et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




*****

EXPOSÉ DU LITIGE



Par contrat de location à usage d'habitation conclu le 15 mars 1985, M.[Y] [T] a donné à bail à M. [C] [P] un appartement à usage d'habitation situé [Adresse 1], moyennant un loyer mensuel de 1700 francs, outre les charges.



Le bail a fait l'objet d'un renouvellement entre les parties le 21 mai 1991, à effet au 15 mars 1991, pour une durée de trois années.



Par acte extrajudiciaire du 9 janvier 2017, la SARL Montely, propriétaire, a délivré un congé pour vendre à M. [C] [P] à l'échéance du 14 mars 2018, avec offre d'acquisition.

Ce congé s'inscrit dans le cadre d'une vente de plus de 10 logements dans l'ensemble immobilier.



Par acte de vente du 8 novembre 2017, M. [I] [O] et Mme [J] [O] ont acquis de la SARL Montely l'appartement.



Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er mars 2018, M. [I] [O] et Mme [J] [O] ont invité M. [C] [P] à quitter volontairement les lieux loués au 14 mars 2018.



En l'état du maintien dans les lieux de l'intéressé, M. [I] [O] et Mme [J] [O] l'ont fait assigner par acte d'huissier du 3 mai 2018 devant le tribunal d'instance de Paris pour obtenir la validation du congé et son expulsion des lieux occupés.



M. [C] [P] est décédé le 14 juillet 2018.



Indiquant avoir appris l'existence de Mme [E] [P], épouse de M. [C] [P] à l'audience du 25 octobre 2018 au cours de laquelle celle-ci a sollicité un renvoi pour faire valoir sa défense, M. [I] [O] et Mme [J] [O] l'ont fait assigner par acte d'huissier du 20 décembre 2018 à l'effet de lui rendre le jugement à venir opposable.

Par jugement contradictoire entrepris du 12 décembre 2019 le tribunal d'instance de Paris a ainsi statué :

Constate la validité du congé délivré le 9 janvier 2017 à l'échéance du 14 mars 2018 ;

Dit que Mme [E] [P] est déchue de tout titre d'occupation des locaux loués et occupant sans droit ni titre des lieux situés [Adresse 1];

Ordonne l'expulsion des lieux occupés de Mme [E] [P] et de tous occupants de son chef, passé un delai de deux mois, suivant la signification du commandement d'avoir à quitter les lieux, conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Rappelle que le sort des meubles est régi par les articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamne Mme [E] [P] à payer à M. [I] [O] et Mme [J] [O] une indemnité mensuelle d'occupation de 564,69 euros par mois outre régularisation éventuelle de charges, jusqu'à la libération effective des lieux ;

Ordonne la communication à M. Le Préfet de Paris de la présente décision ;

Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires ;

Condamne Mme [E] [P] aux dépens de l'instance ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.



Vu l'appel interjeté le 11 février 2020 par Mme [E] [S] veuve [P] ;



Mme [P] a quitté les lieux le 2 septembre 2021.



PRÉTENTIONS DES PARTIES



Vu les écritures remises au greffe le 15 mars 2021 par lesquelles Mme [E] [S] veuve [P], appelante, demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu le 12 décembre 2019 enregistrée sous le numéro RG 11/18-212809;

A titre principal :

Déclarer inopposable à Mme [E] [P] le congé pour vendre délivré le 9 janvier 2017 à M. [C] [P] ;

Débouter M. [I] [O] et Mme [J] [O] de toutes leurs demandes ;

A titre subsidiaire :

Prononcer la nullité du congé pour vendre délivré le 9 janvier 2017 ;

Déclarer le bail reconduit jusqu'au 15 mars 2024 ;

Réserver les frais et dépens ;

En tout état de cause :

Condamner M. Et Mme [O] à payer à Mme [S] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Vu les dernières écritures remises au greffe le 19 novembre 2021 au terme desquelles M. [I] [O] et Mme [J] [O], intimés, demandent à la cour de :

Déclarer recevables et bien fondées leurs demandes ;

En conséquence :

Confirmer le jugement du Tribunal d'instance de Paris du 12 décembre 2019 en toutes ses dispositions ;

Juger valable et bien fondé le congé signifié à M. [C] [P] le 9 janvier 2017 avec effet au 14 mars 2018 ;

Juger ledit congé opposable à Mme [E] [P] ;

En conséquence :

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de Mme [E] [P] ;

Constater le défaut d'acceptation de l'offre de vente dans le délai imparti ;

Dire et juger par conséquent Mme [E] [P] déchue de son titre d'occupation et privée de son droit au maintien dans les lieux passé le 14 mars 2018 ;

Constater que Mme [E] [P] a quitté les lieux le 2 septembre 2021 ;





Condamner Mme [E] [P] à payer à M. [I] [O] et Mme [J] [O], une indemnité d'occupation journalière de 18,82 euros (régularisations de charges en sus) du 15 mars 2018 à la date de libération effective des lieux, à savoir le 2 septembre 2021 ;

Condamner Mme [E] [P] à payer à M. [I] [O] et Mme [J] [O] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner Mme [E] [P] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître Jean-Paul Yildiz, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.



L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 mai 2022.



Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu'elles ont remises au greffe et au jugement déféré.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur l'opposabilité du congé :



Mme [S] épouse [P] dénonce l'inopposabilité du congé délivré à son égard, précisant que la procédure n'a pas été diligentée à son encontre.



Aux termes de l'article l'article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989, nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du titre I par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l'existence de ce partenaire ou de ce conjoint n'a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. Ce texte fait peser sur le preneur une obligation d'information impliquant une démarche positive de sa part envers le bailleur. Dès lors que le locataire ne justifie pas avoir informé le bailleur de son mariage célébré antérieurement ou en cours du bail, le congé pour vente qui lui est notifié est opposable à son épouse.



Il s'en déduit que la simple connaissance de la part du bailleur, par quelque moyen que ce soit, de la situation matrimoniale de son locataire ne suffit pas et qu'il y a lieu d'exiger une information par le locataire. L'article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 fait ainsi peser sur le locataire une obligation d'information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur. La preuve que cette information a bien été donnée incombe au preneur.



Il résulte des pièces produites que lors de la conclusion du bail d'habitation le 15 mars 1985 puis lors de son renouvellement le 21 mai 1991, seul M. [C] [P] était présent et signataire, le bail n'indiquant ni une co-titularité, ni sa situation matrimoniale.



Aucun autre élément ne vient justifier de la connaissance par le bailleur de l'existence du lien matrimonial de M. [P], le courrier de Mme [P] daté du 3 septembre 2018 étant postérieur à la délivrance du congé pour vendre du 9 janvier 2017. De même, la simple mention sur certaines quittances de loyer de l'année 2015 des termes 'M. et Mme [P] [C]' ne suffit pas à justifier de cette connaissance par le bailleur, en dehors de toute démarche positive du locataire.



Mme [S] ne rapporte pas la preuve que son époux ou elle-même aurait informé son bailleur de la situation matrimoniale dont elle se prévaut, antérieurement à la délivrance du congé le 9 janvier 2017.



Dès lors, il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré le congé pour vendre signifié au seul M. [C] [P] opposable à sa conjointe, Mme [E] [P] née [S].







Sur la validité du congé pour vendre :



Ainsi que l'a justement rappelé le premier juge, le respect de l'accord collectif du 16 mars 2005 relatif aux congés pour vente par lots aux locataires dans les ensembles immobiliers d'habitation rendu obligatoire par décret du 10 novembre 2006, s'apprécie en la personne du bailleur auteur du congé pour vendre, en l'espèce la société Montely, et non en celle de la personne venant aux droits de cet auteur, de sorte que M. et Mme [O] ne peuvent soutenir que ces textes ne leur sont pas applicables au motif de leur qualité de personnes physiques.



Sur la prorogation du contrat de bail :



L'article 3.2 de l'accord collectif du 16 mars 2005 portant sur les congés adressés aux locataires lors de vente par lots dans les ensembles immobiliers d'habitation dispose que 'sauf opposition du locataire, la prorogation du bail est de droit si le locataire occupe le logement depuis plus de six ans à la date de l'offre de vente prévue par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975. La durée de l'occupation résultant de la prorogation du bail est calculée à raison d'un mois par année d'ancienneté. (...)

Dans tous les cas, la prorogation ne peut être supérieure à trente mois à compter de la date de l'offre de vente susvisée'.



En l'espèce, M. [P] occupait les lieux depuis le 15 mars 1985, soit depuis 31 ans à la date de réception de l'offre de vente du 5 juillet 2016.



Il avait donc droit à une prorogation de 30 mois à compter de la date de l'offre de vente, soit jusqu'au 5 janvier 2019.



L'accord collectif de 2005 prévoit expressément que « le non-respect des dispositions prévues aux paragraphes 3.2, 3.3, 4.1 à 4.4 de l'accord entraîne de plein droit la nullité du congé pour vendre ».



En l'espèce, les dispositions de l'article 3.2 de l'accord relatif à la prorogation du contrat de bail n'ont pas été respectées.



Ainsi, il y a lieu de constater la nullité du congé pour vendre du 9 janvier 2017, en raison du non respect de la prorogation du contrat de bail, qui est de droit, sans qu'il soit nécessaire d'étudier les autres moyens soulevés par Mme [S].



Il y a donc lieu d'infirmer le jugement de ce chef.



Le congé pour vendre étant nul, le bail a été renouvelé le 15 juin 2018 et le 15 juin 2021, jusqu'au départ des lieux de Mme [S] le 2 septembre 2021.



Les demandes subséquentes de M. et Mme [O] relatives à la déchéance du droit au maintien dans les lieux et aux indemnités d'occupation seront donc rejetées.



De même, la demande de Mme [S] sollicitant la prorogation du bail jusqu'au 15 mars 2024 est sans objet, au vu de son départ des lieux.



Sur l'article 700 du code de procédure civile :



Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [S] la totalité des frais qu'elle a dû supporter au cours de la présente instance.



Les époux [O] seront donc condamnés à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.









PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire,



Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'opposabilité du congé pour vendre délivré le 9 janvier 2017 à M. [C] [P] et à son épouse, Mme [S] épouse [P] ;



L'infirme pour le surplus ;



Et statuant à nouveau et y ajoutant :



Prononce la nullité du congé pour vendre délivré le 9 janvier 2017 ;



Condamne in solidum M. [I] [O] et Mme [J] [O] à payer à Mme [E] [S] épouse [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne M. [I] [O] et Mme [J] [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel.



Rejette toutes autres demandes.



La Greffière Le Président

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