13 juillet 2022
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 19/17345

Chambre 1-8

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8



ARRÊT AU FOND

DU 13 JUILLET 2022



N° 2022/ 359









N° RG 19/17345



N° Portalis DBVB-V-B7D-BFEVK







[R] [U]





C/



[F] [I] épouse [K]









































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Virginie FONTES VICTORI



Me Sophie BAYARD







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal d'Instance de tarascon en date du 30 Août 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 11-19-0083.





APPELANTE



Madame [R] [U]

née le 06 Janvier 1968 à MARSEILLE (13), demeurant 12 rue de la Clastre 13150 BOULBON



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/014828 du 17/01/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)



représentée par Me Virginie FONTES VICTORI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





INTIMEE



Madame [F] [I] épouse [K]

née le 13 Mars 1920, demeurant Chemin du Plantier Major 1 Parc du Plantier Major 13210 SAINT REMY DE PROVENCE



représentée par Me Sophie BAYARD, membre de la SELARL CARDONNEL-BAYARD, avocat au barreau de TARASCON













*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR



L'affaire a été débattue le 10 Mai 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

qui en ont délibéré.





Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Juillet 2022.





ARRÊT



Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Juillet 2022, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




***



EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE



A compter du 1er janvier 1994, Madame [F] [I] épouse [K] a donné à bail d'habitation à Madame [R] [U] une ancienne maison de campagne édifiée sur un terrain de 5.000 mètres carrés dite Mas de L'Ancoule, située route d'Avignon sur la commune de Boulbon (13150).



Le 12 mai 2015, la bailleresse a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer l'arriéré de loyer visant la clause résolutoire du bail, puis elle a saisi la juridiction des référés aux fins d'entendre constater l'acquisition de ladite clause et voir ordonner son expulsion.



Par ordonnance rendue le 8 septembre 2016, le juge des référés a suspendu les effets de la clause résolutoire en accordant à la locataire des délais de paiement sur 36 mensualités ; à la demande de cette dernière, il a également ordonné une expertise afin de déterminer si le logement respectait les critères de décence fixés par la loi.



L'expert M. [H] [S] a remis son rapport le 13 juillet 2018, pointant plusieurs désordres de nature à affecter l'habitabilité du bien, et chiffrant le coût des travaux de réfection à la charge de la propriétaire.



Il a également évalué le coût d'autres travaux d'entretien imputables à la locataire, tant en ce qui concerne l'intérieur de la maison que le terrain attenant.



Par acte du 10 janvier 2019, Madame [U] a fait assigner Madame [K] à comparaître devant le tribunal d'instance de Tarascon pour l'entendre condamner sous astreinte à réaliser les travaux mis à sa charge par l'expert, outre le raccordement de l'immeuble au réseau public de distribution d'eau potable, ainsi qu'à l'indemniser de son préjudice de jouissance à hauteur de 50 % du montant du loyer à compter du 8 septembre 2016.



Toutefois le même jour elle restituait les clés du logement à la propriétaire, ayant fait part de son intention de résilier le bail par lettre de son conseil du 4 décembre 2018.



Madame [K] a conclu au rejet de l'ensemble de ces prétentions, et réclamé reconventionnellement paiement d'une indemnité compensatrice du défaut de préavis, ainsi que de dommages-intérêts en réparation de dégradations locatives mises en évidence par un constat d'huissier du 27 mars 2019.



Par jugement rendu le 30 août 2019, le tribunal a débouté Madame [U] de l'ensemble de ses demandes, considérant d'une part qu'elle n'avait plus qualité à poursuivre l'exécution de travaux du fait de la résiliation du bail, et que d'autre part elle n'avait pas soumis à l'appréciation de l'expert sa réclamation au titre d'un préjudice de jouissance.



En revanche le premier juge a fait partiellement droit aux demandes reconventionnelles de Madame [K], en condamnant la locataire sortante à lui payer la somme de 1.810,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de l'absence de préavis, celle de 1.988,52 euros en réparation des dégradations locatives occasionnées à l'intérieur du logement, et celle de 2.500 euros au titre des frais de remise en état du terrain, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, outre les entiers dépens comprenant les frais d'expertise.



Madame [R] [U], qui a reçu signification de cette décision le 4 novembre 2019, en a relevé appel par déclaration adressée le 13 novembre au greffe de la cour.





MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Aux termes de ses conclusions d'appel notifiées le 4 février 2020, Madame [R] [U] fait valoir :



- que l'expert a confirmé le caractère indécent du logement, de sorte que le premier juge ne pouvait rejeter sa demande d'indemnisation d'un préjudice de jouissance,



- que les désordres se sont encore aggravés après le dépôt du rapport, une analyse de l'eau provenant du forage existant sur la propriété ayant révélé qu'elle était impropre à la consommation, tandis que le mauvais état de l'escalier a provoqué sa chute,



- que les lieux s'avérant ainsi inhabitables, elle n'était pas tenue de respecter un préavis de trois mois pour donner congé,



- que le constat dressé le 27 mars 2019 ne lui est pas opposable en raison de son caractère non contradictoire, de sorte que la maison doit être présumée rendue en bon état de réparations locatives,



- qu'en tout état de cause elle n'est pas tenue des conséquences de la vétusté, le bail s'étant poursuivi durant 25 années sans que la propriétaire n'entretienne réellement l'immeuble,



- et que la somme réclamée au titre de la remise en état du terrain est manifestement excessive.





Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau :



- de débouter Madame [K] de ses prétentions,



- de la condamner en revanche à lui payer la somme de 12.223,17 euros en réparation de son préjudice de jouissance (soit l'équivalent de 50 % du montant du loyer à compter du 8 septembre 2016 jusqu'à la date de résiliation du bail),



- et de condamner en outre l'intimée aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise, ainsi qu'au paiement d'une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





Par conclusions en réplique et récapitulatives notifiées le 13 avril 2022, Madame [F] [I] épouse [K] soutient pour sa part :



- que l'état des lieux d'entrée décrivait une maison en très bon état après des travaux de rénovation complète, et qu'elle a régulièrement entretenu l'immeuble en cours de bail,



- que la locataire avait refusé le raccordement au réseau public de distribution d'eau, préférant consommer l'eau gratuite provenant du forage,



- qu'il lui avait également été proposé de placer une rampe dans l'escalier avant qu'elle ne chute, cet accident ne lui ayant occasionné au demeurant aucune blessure sérieuse,



- que toute réfaction du loyer serait injustifiée, les premières réclamations n'ayant été formulées par la locataire que pour s'opposer à l'action en résiliation du bail introduite en 2015,



- que Madame [U] n'a observé qu'un préavis d'un mois pour donner congé au lieu des trois mois stipulés par le bail, de sorte qu'elle est débitrice d'une indemnité équivalente à deux mois de loyer,



- et qu'en outre elle a quitté le logement sans permettre l'établissement d'un état des lieux contradictoire, la contraignant ainsi à requérir un huissier pour dresser constat des dégradations locatives, concernant à la fois la maison et le verger laissé à l'abandon.



Elle demande à la cour de confirmer le jugement querellé, et de condamner l'appelante aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.






DISCUSSION





Sur les obligations du bailleur :



En vertu des dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dans leur rédaction issue de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé des occupants, et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.



Les caractéristiques d'un logement décent sont définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, qui prévoit notamment que :



- 'Le gros oeuvre ... protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eau.' (article 2.1) ;



- ' Les dispositifs de retenue des personnes, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage' (article 2.3) ;



- 'Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation sont en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale' (article 2.6) ;



- ' Le logement comporte une installation permettant un chauffage normal' (article 3.1).



Ces dispositions d'ordre public sont devenues applicables au bail conclu entre les parties à compter de la première reconduction tacite ayant suivi leur entrée en vigueur, soit le 1er janvier 2003.



Or le rapport de l'expert M. [H] [S] indique en page 45 que le logement loué ne satisfait pas aux critères susdits en ce que :



- le gros-oeuvre ne protège pas les locaux des remontées d'eau,



- l'escalier intérieur n'est pas équipé d'un dispositif de retenue, et ses deux premières marches ne sont pas sûres,



- les garde-corps des fenêtres de l'étage ne sont plus conformes,



- il n'existe pas de dispositif de ventilation,



- et il n'existe aucun dispositif de chauffage dans les pièces du premier étage.



Il doit être ajouté que le logement ne satisfait pas non plus à l'article 3.2 du décret susvisé en ce qu'il n'est pas raccordé à un réseau public de distribution d'eau potable.



Le premier juge ne pouvait dès lors débouter la locataire de sa demande en paiement de dommages-intérêts au seul motif que celle-ci n'avait pas demandé à l'expert d'évaluer son préjudice de jouissance, et il lui appartenait de fixer le montant de la réparation au vu des éléments dont il disposait.



Considérant que la première réclamation de Madame [R] [U] a été formulée à l'occasion de la procédure de référé, il y a lieu de lui allouer une somme de 8.000 euros correspondant à une réfaction du montant du loyer à concurrence d'un tiers entre le 8 septembre 2016 et la date de son départ des lieux.





Sur les obligations du locataire :





- Sur le non respect du délai de préavis :



Conformément à l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le bail prévoit que le locataire pourra donner congé à tout moment en prévenant le bailleur trois mois à l'avance, ce délai étant ramené à un mois en cas de mutation ou de perte d'emploi, ou encore en cas de congé émanant d'un locataire âgé de plus de 60 ans et dont l'état de santé justifie un changement de domicile.



En l'espèce il est constant que Madame [U] n'a donné congé qu'un mois à l'avance, alors qu'elle ne se trouvait pas dans l'un des cas de figure précités.



Toutefois, lorsque le bailleur a manqué à son obligation de délivrer un logement décent, le locataire n'est pas tenu de respecter le délai normal de préavis, de sorte que Madame [K] doit être déboutée de sa demande d'indemnité compensatrice.





- Sur le défaut d'entretien des lieux loués :



Suivant l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, dont les dispositions sont reprises au contrat de bail, le locataire est obligé de répondre des dégradations et pertes qui surviennent pendant la durée du contrat dans les locaux dont il a la jouissance exclusive, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu par cas de force majeure, par la faute du bailleur ou par le fait d'un tiers qu'il n'a pas introduit dans le logement.



Il est également tenu de prendre à sa charge l'entretien courant du logement, des équipements mentionnés au contrat et les menues réparations ainsi que l'ensemble des réparations locatives définies par décret, sauf si elles sont occasionnées par vétusté, malfaçon, vice de construction, cas fortuit ou force majeure.



En l'espèce il est produit un état des lieux d'entrée décrivant un logement en bon état d'entretien, tandis que l'expert judiciaire a mis en évidence des dégradations imputables à la locataire portant sur les tapisseries des chambres Est et Ouest et une porte de placard, dont il évalue le coût de réfection à la somme de 1.750 euros, qui doit être mise à la charge de Madame [U].



L'expert pointe aussi un défaut d'entretien du terrain attenant dont une partie a été laissée en état de friche, et chiffre à 1.850 euros le coût des travaux de débroussaillage, qui incombe également à la locataire sortante.



En revanche le premier juge a justement relevé que, faute de clause particulière du bail, il ne pouvait être exigé de la locataire qu'elle entretienne 80 arbres fruitiers.



S'agissant enfin des menuiseries extérieures, dont un constat non contradictoire du 27 mars 2019 décrit l'état très dégradé, l'expert n'en attribue pas la responsabilité à la locataire, et leur remplacement ne constitue pas une réparation locative suivant le décret n° 87-712 du 26 août 1987.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire,



Infirme le jugement entrepris, et statuant à nouveau :



Condamne Madame [F] [I] épouse [K] à payer à Madame [R] [U] la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,



Condamne Madame [U] à payer à Madame [K] la somme de 3.600 euros au titre des réparations locatives,



Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,



Condamne Madame [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise,



Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.



LA GREFFIERELE PRESIDENT

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