7 juillet 2022
Cour d'appel de Lyon
RG n° 21/08640

6ème Chambre

Texte de la décision

N° RG 21/08640 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N7ES









Décision du Juge de l'exécution du TJ de LYON



du 23 novembre 2021



RG : 21/02589







Société ALLIADE HABITAT



C/



[K]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



6ème Chambre



ARRET DU 07 Juillet 2022







APPELANTE :



LA SOCIETEALLIADE HABITAT

173 Avenue Jean Jaurès

69364 LYON CEDEX 07



Représentée par Me Marie-josèphe LAURENT de la SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON, toque : 768





INTIMEE :



Mme [J] [K] épouse [L]

née le 24 Mars 1982 à OULLINS (69)

113 rue Anatole France

69100 VILLEURBANNE



Représentée par Me Hélène COGNE, avocat au barreau de LYON, toque : 87



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/004692 du 17/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)





******



Date de clôture de l'instruction : 31 Mai 2022



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Juin 2022



Date de mise à disposition : 07 Juillet 2022



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Dominique BOISSELET, président

- Evelyne ALLAIS, conseiller

- Stéphanie ROBIN, conseiller



assistés pendant les débats de Sylvie GIREL, greffier



A l'audience, Dominique BOISSELET a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.



Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Sylvie GIREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




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FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES



[J] [L], mère de quatre jeunes enfants (nés entre 2011 et 2015), est locataire depuis décembre 2011 d'un appartement type T3 à Villeurbanne.

A la suite de nombreux dégâts des eaux, le logement est partiellement insalubre et inutilisable.





Par ordonnance en date du 15 janvier 2021, le juge des contentieux et de la protection du tribunal de proximité de Villeurbanne, statuant en référé, a :

- condamné la société d'HLM Alliade Habitat à remettre en état le logement donné à bail à Mme [L] dans un délai de 30 jours à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard au-delà de ce délai,

- condamné la société Alliade Habitat à reloger la famille [L] pendant la durée des travaux,

- ordonne la suspension du loyer pendant la durée des travaux.





La decision a été signifiée à la société Alliade Habitat le 1er mars 2021.





Par acte d'huissier de justice en date du 26 avril 2021, la société Alliade Habitat a fait assigner Mme [L] à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon afin de voir :

- supprimer l'astreinte ordonnée par le juge des référés ;

- enjoindre à Mme [L] de quitter le logement avec sa famille pour être relogée le temps des travaux dès qu'il lui en sera fait sommation, sans formalité particulière, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- enjoindre à Mme [L] de régler son loyer jusqu'au redémarrage des travaux ;

- condamner Mme [L] à payer à Ia société Alliade Habitat la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





La société Alliade Habitat a fait valoir avoir proposé à plusieurs reprises des solutions de relogement à la locataire entre janvier et mars 2021, sans que celle-ci y donne suite. Elle estime que le refus de la locataire d'accepter le relogement constitue une cause étrangère devant conduire à la suppression de l'astreinte. Le juge de l'exécution ne peut pas modifier l'obligation et considérer que le relogement de la famille n'est pas indispensable pour la réalisation de la première partie des travaux. Il appartient à la locataire de permettre I'accès aux lieux loués pour les travaux, conformément à l'article 7 de la loi de 1989 et de verser le loyer qui n'est plus acquitté depuis l'ordonnance rendue, dès lors qu'elle est à l'origine de l'absence de réalisation des travaux.





Mme [L] a soulevé l'incompétence du juge de l'exécution.

Sur le fond, elle a conclu au débouté du demandeur en l'ensemble de ses prétentions.

A titre reconventionnel, elle réclame la condamnation de la société Alliade Habitat à lui verser la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 1.200 euros au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle, et subsidiairement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





Mme [L] que le juge de l'exécution n'était pas compétent du fait de l'absence de mesure d'exécution forcée et du fait du défaut de pouvoir pour modifier ou suspendre l'exécution du titre exécutoire.

Sur le fond, elle rappelait que les difficultés avec son bailleur sont anciennes, de nombreux travaux ayant du être réitérés dans son logement et des difficultés importantes de santé en ont résulté, tant pour elle que pour ses enfants. Les travaux de maçonnerie de façade qui sont préliminaires et qui peuvent être effectués sans relogement n'ont pas été exécutés.

Les solutions de relogement proposées ne correspondent pas à ses besoins, compte tenu de la présence de 4 jeunes enfants scolarisés à Villeurbanne. La société demanderesse n'avait pas mis en oeuvre les moyens nécessaires au relogement de la famille et ne démontre aucune impossibilité à ce titre.







Par jugement en date du 23 novembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon a :

- déclaré irrecevables les demandes d'injonction au préjudice de Mme [L] d'avoir à quitter le logement le temps des travaux sous astreinte et d'avoir à reprendre le paiement des loyers formées par la société Alliade Habitat,

- débouté la société Alliade Habitat de sa demande de suppression d'astreinte,

- débouté la société Alliade Habitat de sa demande d'indemnité formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné Ia société Alliade Habitat à payer à Me Hélène Cogné, avocat de Mme [L], la somme de 1.200 euros par application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

- condamné la société Alliade Habitat aux dépens,

- et rappelé que les decisions du juge de l'exécution bénéficient de l'exécution provisoire de droit.





La société Alliade Habitat a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 3 décembre 2021.



Par ordonnance du 3 janvier 2022, le président de la chambre, faisant application des dispositions des articles 905 du code de procédure civile et R.121-20 al.2 du code des procédures civiles d'exécution, a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 7 juin 2022 à 13h30.





En ses conclusions du 30 mai 2022, la SA d'HLM Alliade Habitat demande à la Cour ce qui suit :

infirmer le jugement du 23 novembre 2021 en ce qu'il :

- déboute la société Alliade Habitat de sa demande de suppression d'astreinte,

- déboute la société Alliade Habitat de sa demande d'indemnité formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Alliade Habitat à payer à Me Hélène Cogné, avocat de Mme [L], la somme de 1.200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

- condamné la société Alliade Habitat aux dépens ;

statuant à nouveau,

- supprimer purement et simplement l'astreinte ordonnée par le juge des référés ;

- condamner Mme [L] à payer à la société Alliade Habitat la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter Mme [L] de l'intégralité de ses demandes.





Par dernières conclusions du 30 mai 2022, [J] [K] épouse [L] demande à la Cour de statuer comme suit, au visa des articles L.213-6 du code de l'organisation judiciaire et R.121-1 du code des procédures civiles d'exécution :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Alliade Habitat de sa demande de suppression de l'astreinte ;



- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Alliade Habitat à payer à Maître Hélène Cogné la somme de 1.200 euros ttc en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre des frais de procédure devant le juge de l'exécution ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts

statuant à nouveau et y ajoutant,

- débouter la société Alliade Habitat de toutes demandes, fins et conclusions contraires ;

- condamner la société Alliade Habitat à verser à Maître Cogne la somme de 1.684,80 euros ttc au titre des frais de procédure devant la cour d'appel en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- condamner la société Alliade Habitat aux entiers dépens d'appel.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2022.





Il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Aux termes de I'article L.131-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'iI est établi que l'inexécution ou le retard dans I'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.



La société Alliade Habitat produit des courriels échangés avec le conseil de Mme [L] entre janvier et mars 2021.

Elle y justifie avoir proposé à la locataire un nouveau logement au mois de janvier 2021 avant le rendu de l'ordonnance de référé, logement qu'elle a refusé en raison de l'étage proposé, compte tenu des difficultés de son fils ayant des 'idées noires'.

Elle démontre par ailleurs avoir prévu un planning de travaux et proposé le 25 février 2021 un relogement temporaire en résidence hôtelière à Villeurbanne pour le mois de mars 2021. Cette solution n'a cependant pas pu se mettre en place en raison du refus de l'organisme gestionnaire de la résidence.

Une nouvelle proposition de relogement a donc été formulée le 9 mars 2021 à Lyon 8ème, portant sur un appartement de deux pièces et d'un studio, proposition refusée en raison de l'éloignement par rapport aux lieux de scolarisation des enfants.



Le juge a dit que la société Alliade Habitat a fait des efforts d'exécution de l'obligation mise à sa charge en février et mars 2021, en proposant un planning de travaux et en proposant deux solutions de relogement, la première annulée par le tiers hébergeur. la seconde refusée par la locataire, mais ces élément ne permettent pas de démontrer que l'inexécution de l'obligation provient d'une cause étrangère.

La société Alliade Habitat ne démontrait pas avoir poursuivi ses recherches depuis le mois d'avril 2021 pour exécuter son obligation, et ce alors d'une part, que le premier relogement a été annulé par un tiers, sans lien avec la locataire, et que, d'autre part, le second relogement n'était pas adapté à la situation familiale de la locataire. au vu de la distance du lieu de scolarisation des enfants et portait sur deux logements séparés pour une famille monoparentale. composée de jeunes enfants.

De surcroît, depuis l'assignation en suppression de I'astreinte, et alors que l'injonction fixée par l'ordonnance de référé persistait et ne pouvait être remise en cause par le juge de l'exécution, la société Alliade Habitat n'avait procédé à aucune autre démarche pour exécuter son obligation de travaux et de relogement, soit depuis plusieurs mois.

Dans ces conditions, la société Alliade Habitat n'établissait pas que l'inexécution résultait d'une cause étrangère, dès lors qu'il lui appartenait de formuler d'autres offres de relogement et un nouveau planning de travaux à réaliser.



Il est à noter que la société Alliade Habitat fait état d'une troisième proposition de relogement en un seul appartement formulée par message du 12 mars 2021 au conseil de Mme [L], resté sans réponse malgré un message de relance du 18 mars 2021.

Selon Mme [L], cette proposition se heurtait aux mêmes objections que la précédente et il apparaît que cette proposition portait effectivement sur un appartement de 3 pièces situé dans le 8ème arrondissement, donc éloigné des lieux de scolarisation des enfants.



En appel, la société Alliade Habitat fait état de courriers officiels récemment échangés entre les conseils des parties :



Le 27 mars 2022, Alliade Habitat a proposé trois nouveaux appartements à titre de relogement temporaire, à savoir :

- T4, 51 rue Descartes à Villeurbanne, de 77 m² au 6ème étage,

- T5, 37 rue Richelieu à Villeurbanne, de 82 m² au 5ème étage,

- T5, 4 allée H.G. Clouzot à Villeurbanne, de 105 m² au 4ème étage.

Les logements ne pouvant pas être meublés, la société Alliade Habitat proposait une prise en charge du déménagement.



Le 30 mars 2022, Mme [L] a refusé ces propositions, au regard du fait qu'un logement non meublé imposerait deux déménagements successifs. Elle souhaitait qu'il soit envisagé une location meublée, type AirBnb.



Le 27 avril 2022, Alliade Habitat acceptait de financer, par remboursement, un appartement à réserver par Mme [L] sur le site AirBnb.





Le 3 mai 2022, Alliade Habitat signalait que le logement actuel faisait l'objet d'une interdiction temporaire d'habiter selon arrêté préfectoral.



Le 4 mai 2022, Mme [L] acceptait de rechercher un logement sur le site AirBnb mais demandait que Alliade Habitat avance tous les frais.



Le 12 mai 2022, Alliade Habitat proposait de consigner sur le compte CARPA de son avocat une avance sur la location qui serait décaissée sur présentation de factures.



Le 20 mai 2022, Alliade Habitat relançait Mme [L] quant à l'acceptation de la proposition de relogement et de financement de ce dernier, rappelant qu'elle ne pouvait plus se maintenir dans son logement en raison de l'interdiction d'habiter selon l'arrêté préfectoral.



Le 25 mai 2022, Mme [L], ne trouvant pas de logement sur le site AirBnb, a accepté le relogement au 37 rue Richelieu à Villeurbanne.



En définitive, si Alliade Habitat s'est montrée efficiente depuis quelques mois, elle n'a fait aucune diligence pendant un an, entre mars 2021 et mars 2022.



Pour autant, le juge de l'exécution ne peut modifier le dispositif de l'ordonnance de référé du 15 janvier 2021, dont il ressort que la mesure d'astreinte porte sur l'exécution des travaux et non sur la mesure de relogement. Or ces travaux n'ont pu être exécutés du fait du refus de Mme [L] des diverses propositions de relogement, pour des raisons, bonnes ou mauvaises, qui sont liées à des contraintes personnelles et familiales et non à la carence du bailleur.



A tout le moins, la société Alliade Habitat a satisfait à son obligation en proposant le premier appartement que Mme [L] a refusé sans motifs sérieux, surtout au regard de l'urgence alléguée à quitter un logement insalubre, parce que le quartier était mal fréquenté et que son fils aurait eu des vélléités suicidaires à un 11ème étage alors que son appartement actuel est situé à un 3ème étage.



Par la suite, les exigences de Mme [L] peuvent se comprendre au regard de ses problèmes de santé, de la scolarisation et du jeune âge de ses enfants, mais elles constituent une cause étrangère au bailleur qui, de ce fait, n'a pas à supporter une mesure d'astreinte alors qu'il était empêché d'exécuter les travaux impliquant le départ de la locataire des lieux.



En conséquence, le jugement est réformé et l'astreinte est supprimée.



Les dépens sont laissés à la charge des parties qui les ont exposés et il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.





PAR CES MOTIFS :



La Cour,



Statuant dans les limites de sa saisine,



Réforme le jugement prononcé le 23 novembre 2021 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a :

- débouté la société Alliade Habitat de sa demande de suppression d'astreinte,

- condamné Ia société Alliade Habitat à payer à Me Hélène Cogné, avocat de Mme [L], la somme de 1.200 euros par application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

- condamné la société Alliade Habitat aux dépens ;



Statuant à nouveau,



Supprime l'astreinte assortissant la condamnation de la société d'HLM Alliade Habitat à remettre en état le logement donné à bail à Mme [L] dans un délai de 30 jours à compter de la signification de l'ordonnance, prononcée dans l'ordonnance de référé du 15 janvier 2021 du juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Villeurbanne ;





Laisse à chaque partie la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel ;



Déboute les parties du surplus de leurs demandes.





LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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