27 mai 2022
Cour d'appel de Douai
RG n° 20/00963

Sociale A salle 3

Texte de la décision

ARRÊT DU

27 Mai 2022







N° 768/22



N° RG 20/00963 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S5AL



BR/AL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

10 Janvier 2020

(RG F18/00174 -section )











































GROSSE :



aux avocats



le 27 Mai 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [D], [E] [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Philippe MOUGEOTTE, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT





INTIMÉE :



Société WILLIS TOWER FRANCE VENANT AUX DROITS DE SAS GRAS SAVOYE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me David-franck PAWLETTA, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Sophie GALLIER-LARROQUE, avocat au barreau de PARIS







DÉBATS :à l'audience publique du 05 Avril 2022



Tenue par Béatrice REGNIER

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER : Séverine STIEVENARD



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ







[G] [X]



: PRÉSIDENT DE CHAMBRE





Béatrice REGNIER



: CONSEILLER





[H] [Z]



: CONSEILLER









ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane [X], Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15 Mars 2022







M. [D] [V] a été engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée le 22 juin 1993 par la SAS Gras Savoye en qualité de technico-commercial.



Il indique être devenu chef du département construction/responsabilité civile en 1995.



Selon avenant du 5 avril 2017, il est devenu référent technique construction/responsabilité civile pour le compte de Gras Savoye Nord et Ile-de-France.



Après avoir été convoqué le 10 octobre 2017 à un entretien préalable fixé au 18 octobre suivant, il a été licencié pour motif personnel le 25 octobre 2017.



Contestant le bien-fondé de cette mesure, il a saisi le 13 février 2018 le conseil de prud'hommes de Lille qui, par jugement du 10 janvier 2020, a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, a débouté le salarié de ses prétentions et l'a condamné à payer à la SAS Gras Savoye la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par déclaration du 17 févier 2020, M. [V] a interjeté appel du jugement en visant expressément les dispositions attaquées.



Par conclusions transmises par voie électronique le 21 août 2020, M. [V] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de dire que le licenciement est nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SAS Gras Savoye à lui régler les sommes de 105 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement 98 204 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ces montants produisant intérêts au taux légal et les intérêts étant capitalisés.



Il soutient que :



- son licenciement est sans cause réelle et sérieuse en ce que les faits reprochés sont en partie prescrits, sont imprécis et inexacts et ne justifient pas un licenciement ;



- son licenciement est nul en ce qu'il s'agit d'une mesure discriminatoire liée à son âge.



Par conclusions transmises par voie électronique le 5 novembre 2020, la SAS Gras Savoye demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner M. [V] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle fait valoir que :



- le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse dès lors que les faits l'ayant motivé sont établis et justifient la rupture du contrat de travail ; que, s'agissant de faits d'insuffisance professionnelle, la prescription ne s'applique pas ;



- le licenciement n'est pas nul dès lors qu'il n'a aucun lien avec l'âge de M. [V] et n'est donc pas discriminatoire.



Lors de l'audience du 5 avril 2022, la cour a été informée d'un changement de dénomination sociale de la SAS Gras Savoye, devenue la SAS Willis Towers Watson France. Elle a dès lors invité les conseils des parties à préciser dans une note en délibéré pour quelle partie et à l'encontre de quelle partie elles formulent désormais leurs prétentions. Une note en délibéré a transmise par voie électronique en ce sens le 13 avril 2022 par la SAS Gras Savoye devenue la SAS Willis Towers Watson France.






SUR CE :





- Sur la nullité du licenciement :



Attendu qu'aux termes de l'article L.1132-l du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ;



Que l'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;



Attendu qu'en l'espèce M. [V] soutient que son licenciement a été prononcé en raison de son âge et est donc discriminatoire ; qu'il invoque à ce titre son évaluation de 2016 faisant état d'un défaut de management de l'équipe placée sous sa direction, l'avenant à son contrat de travail du 5 avril 2017 modifiant ses attributions et la décision de licenciement - mesures prises alors que depuis son embauche en 1993 il n'avait fait l'objet d'aucune remarque défavorable et avait été bien noté ;



Attendu toutefois que ces seuls éléments sont insuffisants à laisser supposer une quelconque discrimination en raison de l'âge du salarié, né en 1957 ; que, par suite, M. [V] n'est pas fondé à soutenir que son licenciement serait discriminatoire et à solliciter la nullité de cette mesure ;



- Sur le caractère réel et sérieux du licenciement :



Attendu que, selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que, si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables;



Que l'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification ; qu'elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi ;



Que si l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de l'employeur, pour justifier le licenciement, les griefs doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l'entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci ;



Attendu que par ailleurs la lettre de licenciement fixe les limites du litige;



Attendu qu'en l'espèce M. [V] a été licencié par courrier recommandé du 25 octobe 2017 pour les motifs suivants :



' Vous êtes entré au sein de Gras Savoye Lille le 22 juin 1993 et occupez actuellement les fonctions de Référent Technique Construction/Responsabilité Civile (RC), statut cadre, classification I pour le compte de la région Nord - Ile de France Centre. A ce titre, vous êtes le référent au sein de la région concernant la matière Construction/Responsabilité Civile. Vous assurez un rôle d'expert afin d'accompagner les équipes dans le placement et la négociation avec les compagnies d'assurances. Vous avez également pour rôle d'établir et de développer les relations avec les compagnies d'assurance et d'apporter votre soutien technique aux équipes dans l'activité de renouvellement et de placement des contrats. Enfin, en votre qualité d'expert sur ces risques, vous êtes l'interlocuteur privilégié des clients grands comptes Construction/Responsabilité Civile de la région. / Notre métier de courtier en assurance consiste à jouer le rôle d'intermédiaire entre les assureurs et nos clients afin de leur trouver la meilleure garantie pour couvrir leurs risques, au meilleur prix. / La qualité des relations entretenues avec nos clients et les assureurs est primordiale pour le bon exercice de nos missions. / Les faits que nous vous reprochons sont les suivants : /- Le manque d'implication dans la gestion de vos dossiers / Les demandes de vos clients ne sont pas traitées dans des délais raisonnables ce qui génère des insatisfactions fortes tant en interne que pour nos clients. / Par exemple, l'enquête de satisfaction client sur AGAPES en décembre 2016, important client du bureau de [Localité 5], a mis en évidence une remise tardive des conditions de renouvellement et de renégociation du contrat. Vous étiez censé vous en charger. En mars 2017, [K] [Y] était contraint de vous relancer à ce sujet, ce qui n'est pas tolérable compte-tenu de l'importance de ce compte. / Au sujet du client [F] [T], rencontré en mars dernier, le retour était très mauvais concernant les risques placés par vos soins sur l'ensemble des lignes RC. Les offres n'avaient pas été remises en heure et le client se plaignait également du manque de visibilité sur les relations avec les assureurs. / Vous êtes bien informé du sujet étant donné que [I] [U], contact de Gras Savoye travaillant chez ANALYSTS, nous et vous a écrit à plusieurs reprises pour faire part de leur insatisfaction. / Il vous a relancé directement le 5 mai 2017 concernant le retard sur l'émission des primes et des avenants. Il a ensuite écrit à [K] [Y] le 10 mai pour obtenir son aide sur ses précédentes demandes restées sans réponse indiquant « Déjà au moment de la remise des offres ce monsieur a été plus que limité et maintenant il ne donne pas les éléments », et une nouvelle fois le 27 juin pour demander le montant d'une prime indiquant dans son mail « monsieur [V] ayant du mal à être réactif». / Le 27 octobre 2016 au sujet de la solution « GS RC promoteur », [K] [Y], Directeur IARD de la région Nord, vous a alerté sur votre manque d'implication dans le travail. En effet, lorsqu'il vous a sollicité sur le sujet, vous lui avez répondu qu'il pouvait s'en charger lui-même puisque le mail lui était préalablement destiné. Ceci est parfaitement inadmissible. / Un volet important de la mission de Référent Technique consiste à piloter les relations avec les assureurs. [P] [J], Directeur de la région Nord - Ile de France Centre, vous a demandé de renégocier les taux de commission pratiqués avec les assureurs. Ce projet avait été initié début 2016. Malgré les relances et points de suivi, vous n'avez jamais entrepris d'actions sur ce projet qui a dû être reporté à l'année suivante et finalement confié à d'autres collaborateurs. Vous étiez pourtant le plus à même, de par votre expérience et votre réseau avec les compagnies d'assurance, de le mener à bien. Ce temps perdu est préjudiciable à l'entreprise dont les résultats sont également basés sur ce type d'actions qui permet d'augmenter notre rentabilité. / Vous n'accusez pas réception des demandes qui vous sont transmises, ce qui nécessite des relances par exemple avec [L] [M], Directeur TARD de la région Ile de France Centre, sur les dossiers construction Ile de France. Le 31 août 2016, [R] [A], Chargée de clientèle « grands comptes », qui supervise avec vous le client INTERMARCHE (ITM), compte majeur du groupe Gras Savoye, vous exprimait son mécontentement après avoir appris par hasard que la responsable de l'équipe gestion de Gras Savoye était partie en congé maternité sans que l'information ne lui ai été transmise, ni au client. / Ce compte étant très consommateur de temps sur l'activité « sinistres », la non transmission de cette information est inexplicable. / L'absence de visibilité sur l'exercice de vos missions / Votre hiérarchie a la plus grande des difficultés à obtenir de la visibilité sur votre activité. Vos collègues vous cherchent de manière régulière alors que vous devez impérativement prévenir quand vous n'êtes pas dans les locaux de l'entreprise, quelle qu'en soit la raison. Votre agenda n'est jamais renseigné, et vous n'avez d'ailleurs jamais consenti à en donner l'accès à votre hiérarchie malgré de multiples demandes. / Le 18 octobre 2017, vous avez indiqué à votre supérieur hiérarchique pendant l'entretien préalable que la demande du client AGAPES au sujet de la police Transport venait d'être traitée. Il est incroyable que l'entretien préalable soit le moment où votre hiérarchie puisse obtenir du feedback sur votre activité. / Plus grave, nous nous sommes aperçus que vous mentiez délibérément à votre hiérarchie concernant votre participation à des séminaires et réunions du Groupe. Ainsi, concernant la réunion de la filière RC du 12 octobre 2017, vous avez formellement indiqué à [K] [Y] que vous y participeriez plutôt que de vous rendre à une autre réunion à [Localité 5]. Mr [Y] vous a sollicité par mail pour avoir votre reporting auquel vous avez répondu. Il s'avère pourtant que vous n'avez jamais assisté à cette réunion, ce que nous avons fini par découvrir en discutant avec d'autres collaborateurs ! / L'ensemble de ces faits est préjudiciable à notre activité, ce qui ne nous permet plus de vous maintenir la confiance nécessaire à la poursuite de notre collaboration.' ;



Attendu que la cour observe en premier lieu que M. [V] ne peut valablement opposer la prescription d'une partie des faits contenus dans le courrier de rupture dans la mesure où, ainsi que l'indique la SAS Gras Savoye devenue Willis Towers Watson France sans être contredite par le salarié, ceux-ci relève de l'insuffisance professionnelle ;



Attendu que la cour retient en deuxième lieu que la matérialité des faits visés est suffisamment établie par les pièces fournies par la SAS Gras Savoye devenue Willis Towers Watson France, adoptant en celà les motifs pertinents du jugement déféré sauf à dire qu'il n'appartient pas à M. [V] d'apporter la preuve de son implication, de sa compétence ou encore de sa présence à la réunion du 12 octobre 2017 - la cour constatant que pour sa part l'employeur démontre la réalité du manque d'implication et du défaut de visibilité de l'activitédu salarié par les documents dont le conseil a fait l'analyse ;



Attendu que la cour estime en dernier lieu que les faits d'insuffisance professionnelle reprochés à M. [V] justifiaient son licenciement compte tenu de leurs incidences sur les relations de la SAS Gras Savoye avec ses clients et, partant, sur la bonne marche de l'entreprise ;



Attendu que, par suite, et par confirmation, la cour retient que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et déboute M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



- Sur les frais irrépétibles :



Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;





PAR CES MOTIFS,

LA COUR,





Confirme le jugement déféré, excepté en ce qu'il a condamné M. [D] [V] à payer à la SAS Gras Savoye devenue Willis Towers Watson France la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Statant à nouveau sur le chef réformé et ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,



Condamne M. [D] [V] aux dépens d'appel,











LE GREFFIER







Serge LAWECKI







LE PRESIDENT







[G] [X]

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