7 juillet 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-23.240

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C200771

Titres et sommaires

ACCIDENT DE LA CIRCULATION - Véhicule à moteur - Garde - Transfert - Applications diverses

N'a pas donné de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer le propriétaire d'un véhicule responsable, sur le fondement de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, de l'accident de la circulation ayant occasionné des dommages à l'un des passagers, retient que le fait que ce propriétaire ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne, en raison de son état d'ébriété, tout en restant passager dans son propre véhicule n'était pas de nature à transférer au conducteur les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde, ces seuls motifs étant impropres à exclure, en considération des circonstances de la cause, que le propriétaire non conducteur avait perdu tout pouvoir d'usage, de contrôle et de direction de son véhicule

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 juillet 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 771 FS-B

Pourvoi n° Z 20-23.240







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022

M. [K] [L], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° Z 20-23.240 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de gestionnaire des recours contre tiers de la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges,

3°/ à M. [X] [I], domicilié [Adresse 4],

4°/ à M. [P] [G], domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [L], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, MM. Besson, Martin, Mme Chauve, conseillers, MM. Talabardon, Ittah, Pradel, Mme Brouzes, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

Il est donné acte à M. [L] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges, M. [I] et M. [G].

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 septembre 2020), M. [L], qui avait consommé de l'alcool, a cédé à M. [I] le volant de son véhicule et un accident est survenu, occasionnant des blessures à M. [G], passager avant.

2. Poursuivi du chef de blessures involontaires, M. [L] a été relaxé par jugement d'un tribunal correctionnel, en l'absence de preuve de ce qu'il avait tiré le frein à main et provoqué l'accident. Par ce même jugement, M. [G] et la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges (la caisse des Vosges), parties civiles, ont été déboutés de leurs prétentions. Le désistement de l'appel formé par cette caisse contre ce jugement a été constaté par la cour d'appel.

3. La caisse des Vosges a assigné devant un tribunal de grande instance M. [L], en qualité de propriétaire et gardien du véhicule, en remboursement de ses débours.

4. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne (la caisse de la Haute-Marne) est intervenue volontairement à l'instance en tant que gestionnaire des recours de la caisse des Vosges.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. [L] fait grief à l'arrêt de le déclarer responsable de l'accident dont M. [G] a été victime et de le condamner à payer à la caisse de la Haute-Marne d'une part, une somme de 101 635,60 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2016 et des intérêts desdits intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, d'autre part, une indemnité de 1 080 euros, et, enfin, une indemnité de 2 000 euros, alors « que si le propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation est imputable, est présumé en être le gardien, il en va autrement lorsqu'il est établi qu'un tiers était, au moment de l'accident de la circulation, seul à même de prévenir le dommage que cet accident a causé ; qu'il résulte du jugement répressif rendu, le 1er octobre 2013 par le tribunal correctionnel d'Épinal que M. [L], propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation du 5 novembre 2010 est imputable, était assis, au moment de la sortie de route, à l'arrière de sa voiture et dans un état d'ébriété tel qu'il lui interdisait de prévenir le dommage qui est survenu, tandis que l'ancien propriétaire de la voiture, M. [I], en était alors le conducteur et disposait donc de tous les moyens qui auraient permis d'éviter ce même dommage ; qu'en énonçant dans ces conditions, de façon abstraite, que « le fait que le propriétaire de la voiture en ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'est pas de nature à transférer au profit du conducteur les pouvoirs de direction, d'usage et de contrôle qui caractérisent la garde », sans se demander qui, de M. [L] ou de ce conducteur, était objectivement à même d'empêcher l'accident, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :

7. Il résulte de ce texte que les victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d'un tiers par le conducteur ou le gardien de ce véhicule.

8. Pour déclarer M. [L] responsable de l'accident sur le fondement de cette loi et le condamner à payer certaines sommes à la caisse de la Haute-Marne, l'arrêt énonce que M. [L], qui n'était pas en état de conduire en raison de son état d'ivresse manifeste, a demandé à M. [I] de prendre le volant pour ramener ses amis et lui à leurs domiciles respectifs et que celui-ci, qui se trouvait aux commandes du véhicule dont il avait la maîtrise au moment de l'accident, doit être qualifié de conducteur. Il ajoute que le fait que le propriétaire de ce véhicule ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'était pas de nature à transférer au conducteur les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde.

9. En se déterminant par ces seuls motifs, impropres à exclure, en considération des circonstances de la cause, que le propriétaire non conducteur avait perdu tout pouvoir d'usage, de contrôle et de direction de son véhicule, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [L] responsable, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, de l'accident de la circulation dont M. [G] a été victime et le condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme de 101 635,60 euros, montant des prestations qu'elle a servies à M. [G], les intérêts au taux légal à valoir sur cette somme à compter du 26 février 2016, intérêts qui se capitaliseront dans la mesure où ils sont dus au moins pour une année entière et la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt rendu le 15 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour M. [L]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [K] [L] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR :

. déclaré responsable de l'accident de la circulation dont M. [P] [G] a été victime le 5 novembre 2010 ;

. condamné à payer à la Cpam de la Haute-Marne, d'une part, une somme de 101 635 € 60, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2016 et des intérêts desdits intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, d'autre part, une indemnité de 1 080 €, et, enfin, une indemnité de 2 000 € ;

. ALORS QUE le chef du dispositif du jugement répressif qui statue de façon irrévocable sur l'action civile, a autorité de la chose jugée au civil dans les conditions des articles 1354 du code civil et 480 du code de procédure civile ; que le dispositif du jugement rendu le 1er octobre 2013 par le tribunal correctionnel d'Épinal « déboute de sa demande » la Cpam des Vosges, aux droits de qui vient Cpam de la Haute-Marne, contre M. [K] [L], laquelle visait à le voir condamner à lui rembourser les débours qu'elle a exposés en conséquence de l'accident de la circulation dont M. [P] [G] a été victime le 5 novembre 2010 ; qu'en accueillant contre le même M. [K] [L] exactement la même demande, la cour d'appel de Nancy, juge civil saisi par la Cpam de la Haute-Marne après que celle-ci se fut désistée de l'appel qu'elle avait régularisé contre le jugement répressif du 1er octobre 2013, a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [K] [L] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR :

. déclaré responsable de l'accident de la circulation dont M. [P] [G] a été victime le 5 novembre 2010 ;

. condamné à payer à la Cpam de la Haute-Marne, d'une part, une somme de 101 635 € 60, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2016 et des intérêts desdits intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, d'autre part, une indemnité de 1 080 €, et, enfin, une indemnité de 2 000 € ;

. ALORS QUE, si le propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation est imputable, est présumé en être le gardien, il en va autrement lorsqu'il est établi qu'un tiers était, au moment de l'accident de la circulation, seul à même de prévenir le dommage que cet accident a causé ; qu'il résulte du jugement répressif rendu, le 1er octobre 2013 par le tribunal correctionnel d'Épinal que M. [K] [L], propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation du 5 novembre 2010 est imputable, était assis, au moment de la sortie de route, à l'arrière de sa voiture et dans un état d'ébriété tel qu'il lui interdisait de prévenir le dommage qui est survenu, tandis que l'ancien propriétaire de la voiture, M. [X] [I], en était alors le conducteur et disposait donc de tous les moyens qui auraient permis d'éviter ce même dommage ; qu'en énonçant dans ces conditions, de façon abstraite, que « le fait que le propriétaire de la voiture en ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'est pas de nature à transférer au profit du conducteur les pouvoirs de direction, d'usage et de contrôle qui caractérisent la garde », sans se demander qui, de M. [K] [L] ou de ce conducteur, était objectivement à même d'empêcher l'accident, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

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