6 juillet 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-13.225

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00886

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2022




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 886 F-D

Pourvoi n° J 21-13.225




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022

Mme [C] [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-13.225 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2020 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'Association d'éducation populaire (AEP) de l'Abbaye, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à Pôle emploi de Cherbourg La Noé, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'Association d'éducation populaire de l'Abbaye, après débats en l'audience publique du 1er juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 mai 2020), Mme [P] a été engagée par l'Association d'éducation populaire de l'Abbaye, à compter du 1er décembre 1988, en qualité de comptable. Le 11 février 2010, elle a été élue membre suppléant du comité d'entreprise. Elle a été déclarée inapte à son poste le 10 avril 2014.

2. Le 27 mai 2014, l'employeur a demandé l'autorisation de la licencier. Cette autorisation a été refusée le 23 juin 2014. Le 19 septembre 2014, l'employeur a, de nouveau, sollicité l'autorisation de licencier la salariée, ce que l'inspecteur du travail a accepté le 31 octobre 2014. Le 6 novembre 2014, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

3. Le 22 décembre 2014, la salariée a formé un recours hiérarchique contre l'autorisation de licenciement, implicitement rejeté le 30 avril 2015. Le 2 juin 2015, elle a saisi le tribunal administratif d'une requête tendant à annuler l'autorisation de licencier ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique. Le 29 juin 2015, le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 31 octobre 2014 et rejeté la demande d'autorisation de licenciement, au motif que la salariée ne bénéficiait d'aucune protection à la date à laquelle l'autorité administrative devait statuer à nouveau. Le 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Caen a dit n'y avoir lieu à statuer sur la requête du 2 juin 2015.

4. Le 16 juin 2014, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, qui, par jugement avant-dire droit du 21 mars 2018, a saisi le tribunal administratif d'une question préjudicielle relative à la conformité de la décision du ministre du 29 juin 2015 aux dispositions légales et jurisprudentielles. Par jugement du 14 juin 2018, le tribunal administratif a jugé que la décision du ministre, entachée d'illégalité, méconnaissait l'article L. 2411-8 du code du travail.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, en ce que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de licenciement abusif, de dommages-intérêts résultant du licenciement abusif, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail, de ses demandes relatives aux calculs, au rappel de salaire et à la remise des bulletins de paie pour la période de mai 2013 à avril 2014

6. Le moyen, inopérant en ce qu'il n'articule aucune critique à l'encontre de ces chefs de dispositif, ne peut être accueilli.


Sur le premier moyen, en ce que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de licenciement nul et d'indemnités au titre de la violation du statut protecteur

Enoncé du moyen

7. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de licenciement nul et d'indemnités au titre de la violation du statut protecteur, alors :

« 1°/ que, sauf à apprécier lui-même la légalité au regard du droit de l'Union, ou à constater le caractère manifeste de l'illégalité au vu d'une jurisprudence établie des juridictions administratives, le juge judiciaire, s'il ne statue pas en matière répressive, a l'obligation de transmettre au juge administratif la question préjudicielle portant sur la légalité de l'acte réglementaire ou de la décision administrative individuelle dont dépend la solution du litige ; qu'en refusant en l'espèce de renvoyer au juge administratif la question de la légalité de l'autorisation administrative de licenciement du 31 octobre 2014, la cour d'appel a violé le principe de séparation de séparation des autorités administratives et judiciaires, l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 49 du code de procédure civile ;

2°/ que la légalité d'une décision administrative individuelle peut être examinée sans condition de délai, par voie d'exception, dès lors que cette décision s'inscrit dans une opération complexe ; qu'il appartient à ce titre au juge administratif de décider de la recevabilité de l'exception d'illégalité dirigée contre un acte administratif individuel ; qu'en refusant de renvoyer au juge administratif la question de la légalité de la décision d'autorisation de licenciement du 31 octobre 2014 au motif que le délai de contestation de cette décision était expirée, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, en violation de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 49 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. L'annulation de l'autorisation administrative de licenciement par l'autorité hiérarchique ne laisse rien subsister de celle-ci, peu important l'annulation ou la déclaration d'illégalité ultérieure par la juridiction administrative de la décision de l'autorité hiérarchique.

9. Le salarié, qui a été licencié en vertu d'une autorisation administrative ultérieurement annulée et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, d'une part, à l'indemnisation de son préjudice depuis le licenciement et jusqu'à l'expiration du délai de deux mois qui suit la notification de la décision annulant l'autorisation de licenciement, d'autre part, au paiement des indemnités de rupture, s'il n'en a pas bénéficié au moment du licenciement et s'il remplit les conditions pour y prétendre, et enfin au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, s'il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais ne peut prétendre de ce seul fait à l'annulation du licenciement.

10. L'arrêt constate que, le 31 octobre 2014, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de la salariée, que celle-ci a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 6 novembre 2014 et que, le 29 juin 2015, le ministre du travail a annulé la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail du 31 octobre 2014 et a rejeté la demande d'autorisation de licenciement.

11. Il en résulte que la salariée licenciée en vertu d'une autorisation administrative ultérieurement annulée, et qui ne demande pas sa réintégration, ne peut prétendre de ce seul fait à l'annulation du licenciement.

12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle déboute la salariée de ses demandes de licenciement nul et d'indemnités au titre de la violation du statut protecteur.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour Mme [P]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt partiellement infirmatif attaqué par Mme [P] encourt la censure ;

EN CE QU' il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

ALORS QUE, premièrement, sauf à apprécier lui-même la légalité au regard du droit de l'Union, ou à constater le caractère manifeste de l'illégalité au vu d'une jurisprudence établie des juridictions administratives, le juge judiciaire, s'il ne statue pas en matière répressive, a l'obligation de transmettre au juge administratif la question préjudicielle portant sur la légalité de l'acte réglementaire ou de la décision administrative individuelle dont dépend la solution du litige ; qu'en refusant en l'espèce de renvoyer au juge administratif la question de la légalité de l'autorisation administrative de licenciement du 31 octobre 2014, la cour d'appel a violé le principe de séparation de séparation des autorités administratives et judiciaires, l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 49 du code de procédure civile ;

ET ALORS QUE, deuxièmement, la légalité d'une décision administrative individuelle peut être examinée sans condition de délai, par voie d'exception, dès lors que cette décision s'inscrit dans une opération complexe ; qu'il appartient à ce titre au juge administratif de décider de la recevabilité de l'exception d'illégalité dirigée contre un acte administratif individuel ; qu'en refusant de renvoyer au juge administratif la question de la légalité de la décision d'autorisation de licenciement du 31 octobre 2014 au motif que le délai de contestation de cette décision était expirée, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, en violation de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 49 du code de procédure civile.


SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt partiellement infirmatif attaqué par Mme [P] encourt la censure ;

EN CE QU' il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, et en particulier de sa demande tendant à voir annuler son licenciement à raison d'un harcèlement moral, et d'obtenir son indemnisation à raison de ce harcèlement et de l'absence de prévention des risques de harcèlement ;

ALORS QUE, premièrement, il appartient au juge, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, de vérifier d'abord si les faits matériellement établis par le salarié permettent, pris dans leur ensemble, de présumer l'existence d'un harcèlement moral, avant de vérifier, pour chacun d'eux, si les éléments avancés permettent de les justifier ; qu'à ce titre, les juges ne peuvent examiner les justifications fournies par l'employeur avant d'avoir déterminé si l'ensemble des faits matériellement établis permettaient de présumer le harcèlement ; qu'en retenant en l'espèce que, s'agissant de l'exclusion de certaines réunions, l'AEP de l'Abbaye expliquait que ces exclusions se justifiaient par leur objet, par leur annulation ou par l'arrêt de travail de Mme [P], pour en déduire que ce manquement n'était pas matériellement établi, quand il appartenait aux juges d'examiner les seuls éléments produits par la salariée pour vérifier la matérialité des faits dénoncés, de vérifier ensuite si l'ensemble des faits matériellement établis par la salariée permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, avant seulement de permettre à l'employeur de justifier de ces faits, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

ALORS QUE, deuxièmement, en retenant, s'agissant de la mise à l'écart et de l'isolement de la salariée, que l'AEP de l'Abbaye indiquait que, si Mme [P] n'avait pas accès à l'agenda de la direction, cela se justifiait par le fait que cet accès était réservé à la secrétaire, quand il appartenait aux juges de vérifier d'abord si les différents faits matériellement établis par la salariée était de nature à faire présumer dans leur ensemble un harcèlement moral, avant de déterminer ensuite si l'employeur justifiait de chacun de ces faits, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

ALORS QUE, troisièmement, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant notamment en compte les documents médicaux lorsqu'ils sont produits, de sorte à apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en extrayant en l'espèce les certificats médicaux de cette appréciation globale pour juger que les autres éléments pris dans leur ensemble ne laissaient pas présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

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