1 juillet 2022
Cour d'appel d'Amiens
RG n° 21/03506

TARIFICATION

Texte de la décision

ARRET

N°62





S.A.S. O-I FRANCE





C/



Organisme CARSAT RHONE-ALPES







JR





COUR D'APPEL D'AMIENS



TARIFICATION





ARRET DU 01 JUILLET 2022



*************************************************************



N° RG 21/03506 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IE6X









PARTIES EN CAUSE :





DEMANDEUR





La S.A.S. O-I FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

( salarié : M. [F])

2 rue Maurice Moisonnier

69120 VAULX EN VELIN





Représentée par Me MANDONNET, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Gabriel RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON











ET :







DÉFENDEUR





La CAISSE D'ASSURANCE RETRAITE ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL (CARSAT) RHONE-ALPES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

35 Rue Maurice Flandrin

69436 LYON CEDEX 03







Représentée par Mme [C] [W] dûment mandatée









DÉBATS :



A l'audience publique du 25 Mars 2022, devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président assisté de M. HAGEAUX et M. COURTOIS, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.



Mme Jocelyne RUBANTEL a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 01 Juillet 2022 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Blanche THARAUD



PRONONCÉ :



Le 01 Juillet 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Jocelyne RUBANTEL, Président et Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.



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* *



DECISION



M. [F], salarié de la société O-I France en qualité d'ouvrier-verrier a, le 15 novembre 2018, déclaré une maladie professionnelle au titre d'une « surdité de perception bilatérale », pathologie inscrite au tableau n°42 des maladies professionnelles, sur la base d'un certificat médical initial du 17 octobre 2018.



Par lettre du 29 janvier 2020, la caisse primaire d'assurance maladie a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle. La date administrative de la maladie a été fixée au 24 juillet 2018.



Les incidences financières de la maladie professionnelle de M. [F] ont été inscrites au compte employeur 2019 de la société O-I France.



Par courrier du 16 février 2020, la société O-I France a sollicité, auprès de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (ci-après la CARSAT ou la caisse), l'inscription au compte spécial des conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée le 15 novembre 2018 par M. [F].



La CARSAT a rejeté la demande de la société O-I France le 2 avril 2021.



Par acte d'huissier de justice délivré le 7 juin 2021, la société O-I France a fait assigner la CARSAT du Rhône-Alpes d'avoir à comparaître devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 7 janvier 2022.



Lors de l'audience du 7 janvier 2022, l'affaire a été renvoyée à l'audience des plaidoiries du 25 mars 2022.



Par conclusions visées par le greffe le 7 juillet 2021, la société O-I France prie la Cour de :



- la déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- infirmer la décision implicite de rejet de la CARSAT ;



Y faisant droit, de :

- déclarer que les frais liés à la maladie professionnelle du 24 juillet 2018 déclarée par M. [F] doivent être imputés au compte spécial des maladies professionnelles prévu par l'article D. 242-6-3 du Code de la sécurité sociale ;



En tout état de cause, de :

- ordonner à la CARSAT de procéder au retrait des relevés de comptes employeur annuels de la société de tous les frais liés à la maladie professionnelle du 25 juillet 2019 déclarée par M. [F], et de procéder à la révision des taux de cotisations AT/MP de l'employeur ;

- condamner la CARSAT aux entiers dépens de l'instance.



Au soutien de ses demandes, la société O-I France fait valoir que M. [F] a été exposé au risque du tableau n°42 auprès de tous ses précédents employeurs pendant près de dix ans, de telle sorte qu'il est impossible de déterminer chez lequel de ses employeurs il a contracté sa pathologie. La société demanderesse se fonde sur la déclaration de maladie professionnelle qui retrace l'ensemble des employeurs ayant exposé la victime au risque de sa maladie.



Elle précise que le questionnaire assuré et le courrier employeur indiquent que M. [F] a été exposé au risque chez ses précédents employeurs qui ne lui avaient pas fourni de protection contre le bruit.



En outre, la société requérante souligne que le salarié avait déjà des problèmes de surdité avant d'entrer chez elle comme cela ressort des 14 audiogrammes de dépistage effectués par le salarié depuis 1982, dont 3 avant son embauche.



Enfin, la société O-I France fait valoir que M. [F] s'adonne à la chasse de manière quasi-hebdomadaire, ce qui l'expose à de forts bruits.



Par conclusions visées par le greffe le 6 décembre 2021, la CARSAT prie la Cour de :




- constater que la société OI-France n'apporte pas la preuve de l'exposition de M. [F] au risque de sa maladie professionnelle du 24 juillet 2018 au sein d'autres entreprises ;

- dire et juger que les conditions d'application de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies ;



En conséquence, de :

- confirmer sa décision de maintenir sur le compte employeur de la société OI-France les incidences financières de la maladie professionnelle du 24 juillet 2018 de M. [F] ;

- rejeter le recours de la société OI-France.



Au soutien de ses prétentions, la CARSAT fait valoir que la société demanderesse se fonde sur les déclarations faites par le salarié dans le cadre de l'enquête diligentée par la CPAM et sur ses propres déclarations contenues dans le courrier adressé à la CPAM pour soutenir que le salarié aurait été exposé au risque au sein d'autres entreprises. Or, elle indique que de simples déclarations ne sauraient suffire à apporter la preuve de l'exposition du salarié au risque au sein d'autres sociétés. Elle ajoute qu'il en est de même concernant les références au contenu de la déclaration de maladie professionnelle dans laquelle le salarié se contente de reprendre son parcours professionnel sans faire état des conditions de travail en leur sein.



En outre, la CARSAT indique que le certificat médical, qui vient préciser que le salarié souffrait déjà de surdité avant son embauche, n'apporte pas la preuve que le salarié souffrait effectivement de surdité avant son embauche car celui-ci ne renseigne que des dates de dépistages auditifs sans en donner les résultats. De plus, elle précise que ce certificat ne permet pas d'établir un lien entre l'éventuelle surdité antérieure du salarié et son activité chez de précédents employeurs.



Enfin, la CARSAT souligne le fait que l'argument relatif à la pratique de la chasse par le salarié doit être écarté car il ne présente aucun intérêt dans le cadre d'une demande d'inscription au compte spécial puisque l'employeur doit démontrer la multi-exposition du salarié en milieu professionnel uniquement.






SUR CE LA COUR,



Sur la recevabilité du recours



Le recours est recevable pour avoir été fait dans les délais et formes prévus par la loi.





Sur l'inscription au compte spécial



Aux termes des articles D.242-6-5 et D.242-6-7 du Code de la sécurité sociale fixant les règles de tarification des risques des accidents du travail et maladies professionnelles, il est prévu que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais inscrites à un compte spécial.



L'article 2, alinéa 4, de l'arrêté du 16 octobre 1995 dispose que « sont inscrits au compte spécial conformément aux dispositions de l'article D.246-6-5, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes : (')



4°) La victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie ».



Les articles susvisés imposent à l'employeur de démontrer que le salarié a été exposé au risque chez les employeurs précédents sans qu'il y ait lieu de lui imposer de rapporter la preuve de la non exposition au risque de sa maladie dans son entreprise.



En effet, cette exposition au risque est présumée dans le cadre de la présente procédure dans la mesure où l'employeur, dès lors qu'il n'a pas contesté la prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels devant le contentieux général, est considéré avoir exposé son salarié au risque de la maladie professionnelle au sein de l'entreprise.



Il ressort donc des articles ci-dessus cités deux conditions cumulatives pour que soit possible l'inscription au compte spécial :



- le salarié doit avoir été exposé au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes ;

- il est impossible de déterminer l'entreprise au sein de laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.

Dans le cas d'une demande d'inscription au compte spécial, la charge de la preuve de la réunion de ces deux conditions incombe à l'employeur.



La société O-I France demande à ce que les incidences financières de la maladie professionnelle déclarée le 15 novembre 2018 par M. [J] [F] soient inscrites au compte spécial en application des dispositions de l'article 2-4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 précitées.



En l'espèce, le 29 janvier 2020, M. [F] a été reconnu atteint d'une « surdité de perception bilatérale », pathologie inscrite au tableau n°42 des maladies professionnelles et dont la date administrative a été fixée au 24 juillet 2018. La décision de prise en charge de la maladie a alors été notifiée à la société O-I France.



La société verse aux débats les pièces suivantes :



la déclaration de maladie professionnelle datée du 15 novembre 2018 (pièce n°1) ;

le certificat médical initial daté du 17 octobre 2018 (pièce n°2) ;

le questionnaire assuré (pièce n°3) ;

le courrier employeur à la CPAM du 24 janvier 2019 (pièce n°4) ;

le certificat médical faisant état des audiogrammes (pièce n°5) ;

la notification de prise en charge de la maladie (pièce n°6) ;

le compte employeur 2019 (pièce n°7) ;

la feuille de calcul du taux 2021 (pièce n°8) ;

le recours gracieux auprès de la CARSAT du 16 février 2020 (pièce n°9).



La cour estime qu'à lui seul, le moyen tiré de l'exercice d'autres activités similaires chez un autre employeur ne saurait suffire. En l'espèce, la société verse aux débats la déclaration de maladie professionnelle du 15 novembre 2018, dont la date administrative a été fixée au 24 juillet 2018. Cette déclaration rapporte les dires du salarié concernant une exposition chez ses précédents employeurs en qualité de cariste, menuisier ou vernisseur pendant près de dix années.



La société verse également aux débats le questionnaire assuré pour soutenir que le salarié aurait été exposé au risque au sein d'autres entreprises.



Cependant, les déclarations du salarié à travers ces deux documents ne sont pas de nature à démontrer que chez les précédents employeurs de M. [F], les conditions de travail auxquelles il était réellement soumis, étaient susceptibles de l'exposer au risque de sa maladie en cause.

Il s'agit en effet d'éléments purement déclaratifs.



La société soutient que la déclaration de maladie professionnelle et le questionnaire assuré font apparaître qu'antérieurement à son expérience en son sein, le salarié a été exposé au risque de la maladie en cause dans des entreprises successives, sans qu'il soit possible de déterminer celle au service duquel la maladie a été contractée.



Or, les références au contenu de la déclaration de maladie professionnelle et au contenu du questionnaire assuré ne peuvent constituer une preuve de cette exposition alors qu'il s'agit d'éléments purement déclaratifs. En effet, ce document ne rapporte que les déclarations du salarié qui souhaite que son sinistre fasse l'objet d'une prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie.

Cette seule déclaration est insuffisante à établir les conditions concrètes de travail du salarié chez ses différents employeurs et une potentielle exposition au risque pendant cette période d'emploi.



De même, la seule référence au métier est insuffisante dès lors que les conditions d'exercice peuvent être très différentes d'une entreprise à l'autre, selon son organisation, les moyens de productions mis à disposition des salariés, la cadence de travail et l'environnement général dans lequel les salariés évoluent.



Également, le courrier établi par la société elle-même à destination de la CPAM ne fait état que de ses propres déclarations. Or, les simples affirmations de la société ne sauraient suffire à apporter la preuve qu'elle n'a pas exposé le salarié au risque de sa maladie.



En outre, la requérante se fonde sur un certificat médical comportant la date de plusieurs audiogrammes pour préciser que le salarié souffrait déjà de surdité avant son embauche.



Ces audiogrammes étaient réalisés, environ tous les trois ans, dans le cadre des surveillances médicales périodiques des salariés de l'entreprise. Cela démontre, au contraire, que la société O-I France avait pleinement conscience du risque auquel étaient soumis ses salariés en leur faisant réaliser des audiogrammes de dépistage.



De surcroît, ce certificat médical ne permet pas d'apporter la preuve que M. [F] souffrait effectivement de surdité avant son embauche car celui-ci ne renseigne que sur les dates des dépistages auditifs sans en donner les résultats.



La cour constate également que les audiogrammes ont été presque tous réalisés durant l'activité du salarié au sein de la société O-I France.



A ce titre, aucun lien entre la surdité antérieure du salarié et son activité chez de précédents employeurs ne peut être établi.



Enfin, la société se prévaut d'une pratique de la chasse quasi-hebdomadaire du salarié pour démontrer que ce dernier était exposé à des bruits forts.

L'exercice d'une activité éventuellement susceptibles de générer des troubles de l'audition ne saurait avoir le moindre effet sur l'appréciation du litige, dès lors que dans le cadre d'une demande d'inscription d'une pathologie au compte spécial au titre de l'article 2, paragraphe 4, de l'arrêté du 16 octobre 1996, l'employeur doit démontrer l'exposition multiple du salarié au risque de sa maladie en milieu professionnel.



Il est en revanche suffisamment établi que M. [F] a été exposé au risque de sa maladie au sein de la société O-I France. La cour observe que le caractère professionnel de la maladie n'a pas été contesté devant les juridictions du contentieux général par la société demanderesse.



La cour constate qu'aucune des pièces versées aux débats par la société O-I France ne permet de constater une exposition antérieure du salarié chez d'autres employeurs au risque de sa maladie.



Sans éléments supplémentaires qui permettraient de justifier des conditions réelles de travail de M. [F] chez ses précédents employeurs, la société O-I France échoue donc à rapporter la preuve qui lui incombe de la réunion des conditions d'application de l'article 2, paragraphe 4, de l'arrêté du 16 octobre 1996 relatif à l'inscription des conséquences d'une maladie professionnelle au compte spécial.

Dès lors, il convient de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de maintenir les dépenses relatives à la maladie professionnelle sur le compte employeur de la société.



Sur les dépens



Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, la société O-I France sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.





PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, après débats publics, contradictoire, en premier et dernier ressort ;



DECLARE recevable mais mal fondé le recours exercé par la société O-I France à l'encontre de la décision de la CARSAT Rhône-Alpes ;



DIT que les conditions de l'article 2-4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies ;



DEBOUTE en conséquence la société O-I France de l'ensemble de ses demandes ;



CONDAMNE la société O-I France aux entiers dépens de l'instance.







Le Greffier,Le Président,

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