30 juin 2022
Cour d'appel de Limoges
RG n° 21/00461

Chambre civile

Texte de la décision

ARRÊT N° 258



N° RG 21/00461 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIGVP



AFFAIRE :



S.A.R.L. SOCIÉTÉ COMTESSE EMILIE



C/



Mme [E] [P] [W]









GS/MK







Demande en exécution formée par le client contre le prestataire de services









Grosse délivrée à Me Philippe PASTAUD, avocat





COUR D'APPEL DE LIMOGES

Chambre civile

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ARRÊT DU 30 JUIN 2022

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Le TRENTE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :



ENTRE :



S.A.R.L. SOCIÉTÉ COMTESSE EMILIE, dont le siège social est [Adresse 5]



représentée par Me Emilie ROUX de la SELARL SELARL VERGER-MORLHIGHEM ET ASSOCIES, avocat au barreau de LIMOGES

Me Adrien DEVONEC, avocat au barreau de PARIS





APPELANTE d'une décision rendue le 08 AVRIL 2021 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LIMOGES



ET :



Madame [E] [P] [W], née le 18 Mai 1964 à [Localité 6] (RUSSIE), demeurant [Adresse 4]



représentée par Me Philippe PASTAUD de la SELARL SELARL PASTAUD - WILD PASTAUD - ASTIER, avocat au barreau de LIMOGES

Me Alexis FOUCARD, avocat au barreau de PARIS

Me Sergey ALEKHIN, avocat au barreau de PARIS







INTIMEE







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Suivant avis de fixation de la Présidente de chambre chargée de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 19 Mai 2022. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2022.



La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Mme Mandana SAFI, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.





Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 30 Juin 2022 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.



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LA COUR

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FAITS et PROCÉDURE



Le 16 avril 2011, Mme [E] [W] [P] (Mme [P]) a confié des travaux d'aménagement intérieur à la société Comtesse Emilie, architecte d'intérieur, pour un montant de 200 000 euros.



Lors de la réception des travaux, fin 2014, Mme [P] s'est plainte de défauts.



Un litige a opposé les parties qui a été tranché par les juridictions de la fédération de Russie, à savoir:

- deux jugements de la cour municipale de Krasnogorsk des 15 juin et 22 août 2018 condamnant l'architecte à payer à Mme [P] 35 743 042 roubles,

- un arrêt confirmatif rendu le 7 novembre 2018 par la chambre civile de la cour régionale de [Localité 3].



Le 22 juillet 2019, Mme [P] a assigné la société d'architecte devant le tribunal judiciaire de Limoges pour obtenir l'exequatur des décisions de justice précitées ainsi que le paiement de dommages-intérêts.



Par jugement du 8 avril 2021, le tribunal judiciaire a accueilli la demande de Mme [P], sauf à rejeter sa demande de dommages-intérêts, après avoir retenu:

- la compétence des juridictions de la fédération de Russie qui ont rendu les décisions en cause,

- la conformité de ces décisions à l'ordre public ( respect des droit de la défense, du principe du contradictoire, de l'exigence de motivation),

- l'absence de fraude à la loi.



L'architecte a relevé appel de ce jugement.





MOYENS et PRÉTENTIONS



L'architecte sollicite l'annulation du jugement déféré pour violation du second alinéa de l'article 432 du code de procédure civile qui impose la reprise des débats en cas de changement dans la composition de la juridiction après leur ouverture. Sur le fond, il conclut au rejet de la demande de Mme [P] en faisant valoir que les décisions de justice, dont celle-ci réclame l'exequatur, ont été rendues par des juridictions de la fédération de Russie qui ne satisfont pas aux exigences d'impartialité et d'indépendance prévues par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et que l'arrêt confirmatif du 7 novembre 2018 n'est pas motivé.



Mme [P] conclut à la confirmation du jugement.






MOTIFS



Sur la nullité du jugement.



L'architecte soutient que le juge unique en charge du dossier a été remplacé après l'ouverture des débats sans que ceux-ci aient été utilement repris, en violation de l'article 432 alinéa 2, du code de procédure civile, et que la nullité du jugement est encourue de ce chef en vertu de l'article 446, alinéa 1er, du même code.



Il apparaît qu'un changement du juge unique en charge du dossier est effectivement intervenu après l'ouverture des débats. Dans une telle situation, l'article 432 alinéa 2, du code de procédure civile impose la reprise des débats devant le nouveau juge.



Le 29 mars 2021, le juge de la mise en état a donné avis aux parties que 'Compte tenu de l'indisponibilité du magistrat ayant présidé l'audience, il convient d'ordonner la ré-ouverture des débats à l'audience juge unique du mercredi 7 avril 2021 à 14h00, qui se tiendra sans votre présence'.



Cependant, à aucun moment des débats les parties, et notamment l'architecte, se sont plaintes, comme elles en avaient la possibilité, de la privation de leur droit de voir leur affaire plaidée devant le nouveau juge unique en charge du dossier. L'inobservation par le tribunal judiciaire des règles relatives à la reprise de débats ne peut donner lieu à nullité si elle n'a pas été invoquée avant la clôture des débats. Il s'ensuit que le moyen de l'architecte tiré de la nullité du jugement sera rejeté.



Sur la demande d'exequatur.



L'architecte ne critique pas le jugement déféré en ce qu'il retient que les parties ont valablement convenu de soumettre tout litige éventuel entre elles à la compétence territoriale des tribunaux de [Localité 3], sans désignation toutefois d'un tribunal spécifique.

Il n'est pas contesté que la cour municipale de Krasnogorsk, qui a rendu les jugements des 15 juin et 22 août 2018 dont l'exequatur est réclamée, figure au rang des juridictions de [Localité 3]. Cette cour municipale était donc compétente pour statuer sur le litige opposant les parties, tout comme la cour régionale de [Localité 3] qui a confirmé ses deux jugements le 7 novembre 2018.



Les critiques de l'architecte se concentrent essentiellement sur l'appréciation faite par le premier juge:

- de l'impartialité et de l'indépendance des juridictions de la fédération de Russie qui ont statué sur le litige,

- de l'exigence de motivation de l'arrêt confirmatif de la cour régionale de [Localité 3].



1) L'indépendance et l'impartialité des juridictions.



Le premier juge a utilement rappelé les termes de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme à laquelle la fédération de Russie a adhéré. Ce texte confère notamment à toute personne le droit de voir sa cause débattue équitablement et publiquement devant un tribunal indépendant et impartial. Ces exigences doivent faire l'objet d'une appréciation in concreto.



Tout d'abord, il sera constaté qu'il n'est pas contesté que les parties, qui étaient chacune assistées par leurs avocats respectifs, ont pu débattre librement de leur cause en développant leurs moyens et arguments de fait et de droit, tant en demande qu'en défense, devant les juges de la fédération de Russie, et ceci de manière contradictoire, aucune atteinte à ce principe fondamental de procédure n'étant démontré, ni même allégué.



S'agissant de l'indépendance et de l'impartialité des juridictions ayant rendu les décisions en cause, l'architecte produit divers articles de presse ou de médias en ligne - dont les sources ne sont pas toujours vérifiable et qui, comme tels, doivent être appréciés avec prudence- qui tendent à démontrer que Mme [P] entretiendrait des relations étroites avec les autorités judiciaires russes, notamment dans la magistrature, sur lesquelles elle exercerait une influence notoire en lien avec sa position de fortune et son emploi de responsable du service juridique d'une importante société pétrolière d'état.



Même si l'on peut admettre la réalité d'une proximité entre Mme [P], ou son mari, et la magistrature de son pays en raison des fonctions qu'elle a été amenée à exercer ou même des relations nouées lors de ses études universitaires, rien ne permet d'affirmer qu'elle ait pu exercer une quelconque influence sur les juges qui ont été amenés à statuer sur son litige avec l'architecte.

On observera sur ce point précis que l'architecte a obtenu gain de cause lors de la première instance qu'il a engagée à l'encontre de Mme [P] devant le tribunal de l'arrondissement de [Localité 2] à [Localité 3], obtenant la condamnation de cette dernière à lui payer 24 988 393,12 roubles par un jugement du 16 janvier 2017. Certes, Mme [P] a relevé appel de cette décision et obtenu de la juridiction d'appel le dessaisissement du tribunal de [Localité 2] au profit de celui de [Localité 1],.

L'architecte voit dans cet incident de procédure un exemple de l'influence de Mme [P] sur les juridictions, expliquant à ce sujet que cette dernière a motivé sa requête en dessaisissement par le conflit qui l'opposait à la présidente de la juridiction initialement saisie au sujet du stage de sa fille.

Or, il ne s'agit là que d'une adaptation de la faculté de récusation qui tend à garantir l'impartialité d'une juridiction et n'est donc pas contraire à l'ordre public international, le 'dépaysement' de l'affaire étant décidé par un arrêt qui n'est pas versé aux débats.

Si l'architecte estimait disposer d'éléments objectifs de nature à mettre en doute l'indépendance et l'impartialité du tribunal de Krasnogorsk eu égard à l'influence réelle ou supposée de Mme [P], il lui appartenait de mettre en oeuvre cette même faculté, ce qu'il n'a pas fait.

L'architecte ne rapporte donc pas la preuve des griefs qu'il allègue à l'encontre des juridictions ayant rendu les décisions dont l'exequatur est réclamée.



2) L'exigence de motivation.



Les critiques de l'architecte sont essentiellement dirigées contre l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de [Localité 3] du 7 novembre 2018 dont les motifs seraient, selon lui, un 'copier-coller' de la motivation des jugements.



Cependant, dans le cadre du double degré de juridiction, une cour d'appel dispose de la possibilité, sans méconnaître l'exigence de motivation, de confirmer la décision du premier juge en s'appropriant, au besoin en les reprenant textuellement, les motifs de celui-ci qu'elle estime pertinents.



En l'occurrence, la cour d'appel de [Localité 3], qui était saisie des mêmes éléments de fait et de droit que ceux soumis au tribunal de Krasnogorsk a analysé ceux-ci et approuvé l'appréciation qui en a été faite par les premiers juges, notamment sur la contestation par l'architecte de sa qualité de vendeur des marchandises à laquelle elle a répondu en se référant aux stipulations du contrat liant les parties.



Le grief de défaut de motivation n'apparaît donc pas fondé.



Il s'ensuit que le jugement, qui a accueilli la demande de Mme [P], sera confirmé.



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PAR CES MOTIFS

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LA COUR ,





Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi;





REJETTE la demande de la société Comtesse Emilie tendant à l'annulation du jugement rendu le 8 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Limoges;



CONFIRME ce jugement;



Vu l'équité, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;



CONDAMNE la société Comtesse Emilie aux dépens.











LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,











[B] [Z]. Corinne BALIAN.

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