29 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-84.321

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01007

Titres et sommaires

ETRANGER - Entrée et séjour - Entrée et séjour irréguliers - Pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire - Soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France - Caractérisation - Violation délibérée de l'interdiction et refus d'exécuter la mesure de refus d'entrée sur le territoire national - Exigence d'une mesure de contrainte (non)

Les infractions de pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire et de soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France sont caractérisées par la violation délibérée de cette interdiction judiciairement prononcée et par le refus d'exécuter la mesure de refus d'entrée en France. Distinctes de la soustraction à une mesure d'éloignement, elles n'entrent pas dans les prévisions de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2018 et n'exigent, pour être poursuivies, aucune mesure de contrainte particulière

Texte de la décision

N° N 21-84.321 F-B

N° 01007


GM
29 JUIN 2022


REJET



M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 JUIN 2022



M. [D] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-8, en date du 30 juin 2021,qui, pour entrée non autorisée, malgré interdiction judiciaire sur le territoire français et soustraction à une mesure de refus d'entrée en France, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement.

Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.

Sur le rapport de Mme Issenjou, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [D] [X], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 juin 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Issenjou, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 24 mars 2021, les services de police chargés du contrôle aux frontières à l'aéroport de [2] ont contrôlé un passager en provenance d'Istanbul, qui a présenté un passeport algérien, au nom de M. [D] [W].

3. Il est apparu que l'intéressé faisait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire français jusqu'au 9 septembre 2023, ordonnée par la cour d'appel de Versailles, suivant arrêt en date du 26 juin 2019. M. [W] a été placé en zone d'attente pour une durée de quatre-vingt seize heures, délai prolongé pour huit jours par décision du juge des libertés et de la détention en date du 28 mars 2021.

4. Il a refusé d'embarquer sur un vol devant le ramener à Istanbul. Il a été placé en garde à vue le 4 avril 2021 à 11 heures 25.

5. Le tribunal correctionnel de Bobigny, par jugement du 6 avril 2021, a rejeté l'exception de nullité soulevée par son avocat. Il a déclaré M. [W] coupable des infractions susvisées, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement, a ordonné son placement en détention et décerné mandat de dépôt à son encontre.

6. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens du mémoire personnel


7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen du mémoire ampliatif et le premier moyen du mémoire personnel

Enoncé des moyens

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité soulevée par lui, prise de l'irrégularité de sa garde à vue, et a déclaré M. [W] coupable des faits de pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire du territoire, commis le 4 avril 2021 à Roissy, et soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France, commis le 4 avril 2021 à Roissy, l'a condamné à un emprisonnement délictuel de trois mois, a ordonné son placement en détention, a décerné mandat de dépôt à son encontre, a ordonné son arrestation, a dit que tout aménagement de la peine de trois mois d'emprisonnement ferme infligée en répression était devenu sans objet et a ordonné le maintien en détention de ce dernier, alors « que la garde à vue ne peut être décidée qu'à l'égard d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ; qu'en vertu de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, notamment ses articles 8, 15 et 16, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, les infractions, passibles de peines d'emprisonnement, de pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire du territoire et de soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France, ne sont pas punissables lorsque l'étranger, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n'a pas été préalablement soumis à l'une des mesures coercitives prévues à l'article 8 de cette directive, soit a déjà fait l'objet d'un placement en rétention mais n'a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure, peu important que l'étranger exprimât de manière constante son refus de la mesure d'éloignement ; que la cour d'appel a refusé d'accueillir l'exception de nullité soulevée par M. [X] et tirée de ce que la mesure de garde à vue dont il avait fait l'objet, décidée pour les deux seules infractions susmentionnées, était entachée d'irrégularité, pour la circonstance que l'intéressé avait, d'une part, été placé en zone d'attente, d'autre part, exprimé de manière constante son refus d'être éloigné du territoire ; qu'en statuant ainsi quand l'opposition exprimée par l'intéressé était à ce stade indifférente, que le placement en zone d'attente était une mesure, à la supposer coercitive, insuffisante et qu'il avait surtout été constaté que la procédure d'éloignement n'avait pas été menée jusqu'à son terme, d'où il résultait que les infractions que M. [X] était soupçonné d'avoir commises n'étaient pas punissables et que la garde à vue était, partant, irrégulière, la cour d'appel a violé l'article 62-2 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 624-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à l'espèce, antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020, et les articles 8, 15 et 16 de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008. »

9. Le moyen du mémoire personnel critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement et écarté l'exception de nullité tenant à l'irrégularité de la garde à vue en violation des articles 8 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2018, L. 824-11 anciennement L. 624-1-1, alinéa 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et 62-2 du code de procédure pénale alors qu'il résulte des deux premiers textes susvisés que l'infraction de pénétration non autorisée sur le territoire français par un étranger ayant fait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire français ne peut être constituée que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de maintien en zone d'attente ayant pris fin sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement, de sorte que cette infraction ne peut être caractérisée que lorsque l'administration a mis en œuvre des mesures de contrainte dont elle disposait pour exécuter la mesure portant refus d'entrée sur le territoire français et que l'étranger qu'elle concerne s'est opposé à son départ.

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. L'article L. 824-11 du CESEDA, anciennement L. 624-1-1, punit le fait, pour un étranger, faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire français, de pénétrer de nouveau sans autorisation en France. Il punit également le fait pour un étranger de se soustraire ou de tenter de se soustraire à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France.

12. L'arrêt attaqué rappelle que la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2018, s'oppose à ce qu'un Etat membre soit amené à adopter une législation amenant à l'emprisonnement d'un étranger, au seul motif pris de son entrée ou de son séjour irrégulier, tant que la procédure de retour n'a pas été menée à son terme, ou sans que l'intéressé ait, au préalable, été soumis à une mesure coercitive, au sens de l'article 8 de cette même directive.

13. Les juges soulignent qu'il n'en demeure pas moins, au cas d'espèce, que, s'il est vrai que la procédure de retour n'a pas été diligentée jusqu'à son terme, M. [W] a été soumis à une mesure coercitive ayant précisément consisté en son placement puis son maintien en zone d'attente.

14. Ils ajoutent que les poursuites diligentées à raison de ces infractions, certes susceptibles d'amener à une reconnaissance de sa culpabilité et au prononcé d'une peine d'emprisonnement, ne sauraient, pour autant, être tenues pour incompatibles avec l'objectif d'éloignement recherché par le droit européen, à partir du moment où le prévenu a expressément manifesté puis n'a eu de cesse de réitérer son refus formel de voir mettre en oeuvre cette procédure, ainsi qu'il devait encore l'exprimer le 4 avril 2021.

15. C'est à tort que la cour d'appel a estimé que la situation du prévenu relevait de la procédure de retour organisée par la directive précitée.

16. L'arrêt attaqué, cependant, n'encourt pas la censure dès lors que les infractions de pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire et de soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France, reprochées au prévenu, qui sont caractérisées par la violation délibérée de cette interdiction judiciairement prononcée et par le refus d'exécuter la mesure de refus d'entrée en France, sont distinctes de la
soustraction à une mesure d'éloignement, et n'entrent pas dans les prévisions de la directive susvisée et n'exigent, pour être poursuivies, aucune mesure de contrainte particulière.

17. Les moyens seront, en conséquence, écartés.

Sur le second moyen du mémoire ampliatif et le deuxième moyen du mémoire personnel

Enoncé des moyens

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable des faits de pénétration non autorisée sur le territoire national après interdiction judiciaire du territoire, commis le 4 avril 2021 à Roissy, l'a condamné à un emprisonnement délictuel de trois mois, a ordonné son placement en détention, a décerné mandat de dépôt à son encontre, a ordonné son arrestation, a dit que tout aménagement de la peine de trois mois d'emprisonnement ferme infligée en répression était devenu sans objet et a ordonné le maintien en détention de ce dernier, alors « que l'infraction de pénétration non autorisée sur le territoire national commise par l'étranger ayant fait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire n'est pas caractérisée si l'étranger, placé en zone d'attente, est introduit sur le territoire par les forces de police pour y être placé en garde à vue ; qu'en déclarant M. [X] coupable d'une telle infraction, quand il avait été constaté que celui-ci avait été maintenu en zone d'attente et qu'il avait ensuite été placé en garde à vue puis immédiatement jugé en comparution immédiate, de sorte que M. [X] n'avait pas pénétré volontairement sur le territoire français et s'était borné à se soumettre à des actes commandés par l'autorité légitime, la cour d'appel a violé l'article L. 624-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ensemble les articles L. 221-1 du même code et 122-4 du code pénal. »

19. Le moyen du mémoire personnel critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement et déclaré M. [W] coupable d'avoir pénétré de nouveau sur le territoire français, en violation des articles 8 de la directive n°2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2018, L. 824-11 du CESEDA et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire français prononcée le 26 juin 2019 par la cour d'appel de Versailles et qu'il avait fait l'objet, le 24 mars 2021, d'une décision du ministre de l'Intérieur portant refus d'entrée sur le territoire français ainsi que maintien en zone d'attente de l'aéroport de [1], et que dès lors juridiquement, il ne pouvait être considéré comme étant entré en France.

Réponse de la Cour

20. Les moyens sont réunis.

21. Pour déclarer le prévenu coupable, l'arrêt attaqué énonce que les faits qui lui sont reprochés sont établis en leur matérialité et reconnus par l'intéressé.

22. Les juges relèvent notamment que le prévenu a manifesté sa ferme volonté, en violation de l'interdiction du territoire français exécutoire jusqu'au 9 septembre 2023, de rentrer en France où il vit depuis plusieurs années, pour y retrouver sa famille et exercer son emploi.

23. En se déterminant ainsi, et dès lors que, en embarquant volontairement à bord d'un avion à destination de la France, pays où il savait qu'il ne pouvait entrer en vertu d'une décision juridictionnelle, en débarquant de cet avion à son arrivée, où il a été placé en zone d'attente, lieu sous contrôle administratif et juridictionnel national, puis en refusant son réacheminement ce qui a justifié son placement en garde à vue, le prévenu a commis l'infraction d'entrée sur le territoire national en dépit d'une interdiction, la cour d'appel a justifié sa décision.

24. Les moyens seront donc écartés.

25. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf juin deux mille vingt-deux.

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