28 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.698

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01061

Titres et sommaires

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Tribunal - Impartialité - Juge des libertés et de la détention - Incompatibilités - Cas - Magistrat antérieurement juge d'instruction dans le même dossier

Il se déduit des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 137-1 du code de procédure pénale, le second lu à la lumière des travaux préparatoires de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, qu'un magistrat ayant porté, en tant que juge d'instruction, une appréciation sur l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation à la commission des infractions dont il est saisi ne peut, dans la suite de la procédure, intervenir en qualité de juge des libertés et de la détention, lequel est amené, pour statuer sur les mesures de sûreté, à s'assurer de l'existence de tels indices. Encourt la cassation la chambre de l'instruction qui, pour refuser d'annuler l'ordonnance rejetant la demande de mise en liberté rendue par un juge des libertés et de la détention qui avait précédemment mis en examen la personne concernée dans le même dossier, énonce qu'il n'existe aucune incompatibilité légale ou conventionnelle pour un magistrat à exercer successivement les fonctions de juge d'instruction puis de juge des libertés et de la détention

Texte de la décision

N° U 22-82.698 F-B

N° 01061


ECF
28 JUIN 2022


CASSATION


M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2022


M. [W] se disant [I] [K] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, en date du 7 avril 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de meurtre en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [W] se disant [I] [K] [C], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Suite à un incident grave survenu au centre pénitentiaire de [Localité 1], dans lequel M. [I] [K] [C] et M. [Y] [G] étaient impliqués, le premier a été mis en examen le 7 février 2020 pour tentative de meurtre en récidive sur la personne du second par le juge d'instruction, M. Bertrand Brusset, qui a saisi le juge des libertés de la détention aux fins de placement en détention provisoire.

3. M. [K] [C] a été placé en détention provisoire par ordonnance du même jour, mesure prolongée par la suite.

4. M. [K] [C] a formé une demande de mise en liberté le 10 mars 2022, qui a été rejetée par ordonnance du juge des libertés et de la détention, M. Bertrand Brusset, en date du 18 mars 2022.

5. Il a interjeté appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de rejet de la demande de mise en liberté de M. [K] [C], alors « que l'exigence d'impartialité objective est méconnue lorsque les appréhensions du justiciable sur le défaut d'impartialité d'un magistrat apparaissent comme objectivement justifiées ; que tel est nécessairement le cas lorsqu'un magistrat qui a eu à apprécier de l'existence d'indices graves ou concordants de la commission d'une infraction à l'encontre d'une personne est chargé de se prononcer sur son maintien en détention provisoire ; que dès lors, en rejetant le moyen tiré du défaut d'impartialité du juge des libertés et de la détention, lorsque ce magistrat, qui justifie notamment son ordonnance de rejet par « l'existence d'indices graves ou concordants à l'encontre de [W] se disant [I] [K] [C] », avait auparavant, en qualité de juge d'instruction, procédé à la mise en examen de ce dernier, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 137-1 du code de procédure pénale :

7. Il se déduit de ces textes, le second lu à la lumière des travaux préparatoires de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, qu'un magistrat ayant porté, en tant que juge d'instruction, une appréciation sur l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation à la commission des infractions dont il est saisi ne peut, dans la suite de la procédure, intervenir en qualité de juge des libertés et de la détention, lequel est amené, pour statuer sur les mesures de sûreté, à s'assurer de l'existence de tels indices.

8. Pour dire n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance rejetant la demande de mise en liberté formée par M. [K] [C], l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il n'existe aucune incompatibilité légale ou conventionnelle pour un magistrat à exercer successivement les fonctions de juge d'instruction puis de juge des libertés et de la détention.

9. Les juges ajoutent que la décision de placement en détention provisoire a été prise à l'époque par un magistrat indépendant du juge d'instruction ayant notifié la mise en examen, et que cette décision ne présume pas de parti pris de la part du magistrat.

10. Ils en concluent que le moyen de nullité doit être rejeté.

11. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, en l'absence de convocation ou de débat contradictoire, il n'est pas établi que M. [K] [C] ait eu connaissance de l'identité du juge des libertés et de la détention avant la notification de l'ordonnance, de sorte qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir engagé de procédure de récusation.

13. En second lieu, le juge d'instruction ayant mis en examen M. [K] [C] ne pouvait intervenir en qualité de juge des libertés et de la détention dans ce même dossier.

14. La cassation est par conséquent encourue .

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, en date du 7 avril 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit juin deux mille vingt-deux.

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