29 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-19.711

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00788

Titres et sommaires

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Conventions diverses - Convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010 - Articles 30 et 31 - Comission paritaire - Saisine - Salarié licencié pour faute grave ou lourde - Faculté - Garantie de fond (non)

Il résulte des articles 30, 31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010, d'une part, que la faculté, pour le salarié licencié pour faute grave ou lourde, de saisir la commission paritaire ayant uniquement mission de formuler un avis non suspensif sur le caractère « grave » ou « lourd » de la faute invoquée et non de se prononcer sur le principe du licenciement, dans les quinze jours qui suivent la notification de son licenciement, ne constitue pas une garantie de fond et, d'autre part, que les stipulations de la convention collective n'imposent pas à l'employeur d'informer le salarié de sa faculté de saisir la commission paritaire. Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ne constate ni la violation d'une garantie de fond, ni une irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Conventions diverses - Convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010 - Article 60 - Licenciement - Recours - Comission paritaire - Saisine - Faculté - Salarié licencié - Information - Obligation de l'employeur (non)

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Défaut - Caractérisation - Conditions - Garantie de fond ou procédure disciplinaire conventionnelle - Violation - Constatation - Portée

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 juin 2022




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 788 FS-B
sur le pourvoi principal

Pourvoi n° P 20-19.711




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 JUIN 2022

La société Compagnie financière Jacques Coeur, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-19.711 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à M. [O] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

M. [O] [E], a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours,le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Compagnie financière Jacques Coeur, de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mai 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette conseiller doyen, M. Pietton M. Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), M. [E] a été engagé le 19 août 2003 par la société Compagnie financière Jacques Coeur, en qualité de cadre commercial.

2. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010.

3. Licencié pour faute lourde le 16 février 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes portant sur l'exécution et la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour faute lourde du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de le condamner en conséquence à lui verser diverses sommes à raison de la rupture du contrat de travail, alors « que la faculté donnée par la convention collective nationale des activités de marchés financiers à un salarié licencié pour faute grave ou lourde de saisir, dans les quinze jours de la notification du licenciement, la commission paritaire, ne peut constituer une condition de validité du licenciement, dès lors que la saisine de la commission n'est prévue que postérieurement à la notification du licenciement et que l'avis de la commission éventuellement saisie n'est que consultatif ; qu'en jugeant qu'à défaut pour l'employeur d'avoir informé le salarié de la possibilité de saisir cette commission, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 du code du travail, ensemble les articles 30,31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 30,31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010 :

5. La consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.

6. L'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé en l'espèce une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur.

7. Aux termes de l'article 60 de la convention collective susvisée, relatif au licenciement, le salarié licencié pour faute grave ou lourde a la faculté de saisir, par lettre recommandée avec avis de réception, la commission paritaire prévue aux articles 30 et 31, dans les 15 jours qui suivent la notification du licenciement, ce recours n'étant pas suspensif.

8. Selon l'article 30 de cette même convention, la commission paritaire est compétente pour notamment formuler des avis en cas de licenciement individuel d'un salarié pour faute grave ou lourde, en se prononçant sur la qualification des fautes professionnelles invoquées.

9. Il en résulte, d'une part, que la faculté de saisir la commission paritaire ayant uniquement mission de formuler un avis non suspensif sur le caractère « grave » ou « lourd » de la faute invoquée et non de se prononcer sur le principe du licenciement, dans les quinze jours qui suivent la notification de son licenciement, ne constitue pas une garantie de fond et, d'autre part, que les stipulations de la convention collective n'imposent pas à l'employeur d'informer le salarié de sa faculté de saisir la commission paritaire.

10. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle, de donner son avis sur un licenciement pour faute décidé par l'employeur constitue pour le salarié une garantie de fond. Il ajoute que le licenciement prononcé pour un motif disciplinaire, sans que le salarié ait été avisé qu'il pouvait saisir cet organisme, ne peut avoir de cause réelle et sérieuse. Il conclut que le licenciement disciplinaire de l'intéressé survenu sans information par l'employeur de son droit à saisir la commission paritaire visée par l'article 30 précité est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait de ses constatations ni la violation d'une garantie de fond, ni une irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident du salarié, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande formée au titre de la rémunération variable, alors « qu'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation ; qu'en déboutant le salarié de sa demande au titre de la rémunération variable due sur l'exercice 2015, motif pris de ce qu'il ne produisait aucun élément sur ses résultats individuels, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code :

13. Aux termes de ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

14. Pour rejeter la demande formée par le salarié au titre de sa rémunération variable portant sur l'année 2015 et une partie de l'année 2016, l'arrêt relève que le contrat de travail régularisé entre les parties prévoit, outre le versement d'une rémunération brute annuelle de 60 000 euros, une prime de résultat annuelle en fonction d'objectifs individuels et collectifs fixés chaque année, le contrat prévoyant que cette prime peut représenter 60 000 euros si tous les objectifs sont atteints. Il ajoute qu'il ressort du document « entretien de fin d'année » signé par l'employeur et le salarié le 16 février 2015 que des objectifs pour l'année 2015 ont été fixés comme suit : « pour le salarié : générer plus de 350 K Eur de PNL pour CFJC se décomposant en 10 millions en AM sur l'Italie, 10 millions en AM sur la France dont 1 million sur MAM, 10 millions sur idinvest Digital et 20 millions sur sur idinvest fonds de dettes, pour l'employeur : 40 M € de levées au total dont 20 millions sur l'Italie (tout support confondu). »

15. Il retient que pour ces deux périodes, l'intéressé ne produit aucun élément sur ses résultats individuels qu'il se contente de qualifier d'excellents, notamment en rapport avec son activité déployée en Italie.

16. En statuant ainsi, alors qu'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

17. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement pour faute lourde dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à verser au salarié diverses sommes à raison de la rupture du contrat de travail n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par M. [E] au titre de la rémunération variable et en ce qu'il dit son licenciement pour faute lourde dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne en conséquence la société Compagnie financière Jacques Coeur à lui verser les sommes de 13 417,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 20 176,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 2 017,62 euros de congés payés afférents, 10 088,11 euros à titre de rappels de salaire sur mise à pied conservatoire outre 1 008,81 euros de congés payés afférents, 4 126,95 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés et 60 600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 27 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-deux. Moyen produit par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour la société Compagnie financière Jacques Coeur, demandeur au pourvoi principal

La société Compagnie financière Jacques Coeur, employeur, fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit le licenciement pour faute lourde de M. [E] dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de l'avoir condamnée en conséquence à verser différentes sommes à M. [E] à raison de la rupture du contrat de travail,

1/ Alors, d'une part, que la faculté donnée par la convention collective nationale des activités de marchés financiers à un salarié licencié pour faute grave ou lourde de saisir, dans les quinze jours de la notification du licenciement, la commission paritaire, ne peut constituer une condition de validité du licenciement, dès lors que la saisine de la commission n'est prévue que postérieurement à la notification du licenciement et que l'avis de la commission éventuellement saisie n'est que consultatif ; qu'en jugeant qu'à défaut pour l'employeur d'avoir informé le salarié de la possibilité de saisir cette commission, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 du code du travail, ensemble les articles 30,31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010 ;

2/ Alors, d'autre part, que la convention collective nationale des activités de marchés financiers se borne à donner au salarié licencié pour faute grave ou lourde la faculté de saisir, dans les quinze jours de la notification du licenciement, la commission paritaire chargée d'émettre un avis sur la qualification du licenciement, sans prévoir à la charge de l'employeur d'obligation d'informer le salarié de cette faculté ; qu'en retenant le contraire, pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 du code du travail, ensemble les articles 30,31 et 60 de la convention collective nationale des activités de marchés financiers du 11 juin 2010.



Moyen produit par la SCP Jérôme Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. [E], demandeur au pourvoi incident

M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 septembre 2017 en ce qu'il l'avait débouté de sa demande formulée au titre de la rémunération variable ;

1°) ALORS QU'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation ; que dans son contrat de travail du 30 juillet 2013 (cf. Prod.), il était prévu que M. [E] avait droit à une prime de résultat annuelle en fonction d'objectifs individuels et collectifs fixés chaque année et visait une prime pouvant représenter 60. 000 € si tous les objectifs étaient atteints ; que dans le document « entretien de fin d'année » signé par les parties le 16 février 2015 (cf. Prod), il était prévu s'agissant des objectifs pour 2015 que les objectifs quantitatifs étaient les suivants : « - pour le salarié : générer plus de 350 K Euros de PNL pour CFJC se décomposant en 10 millions en AM sur l'Italie, 10 millions en AM sur la France dont 1 million sur MAM, 10 millions sur Idinvest Digital et 20 millions sur Idinvest fonds de dettes et pour l'employeur : 40 M € de levées au total dont 20 millions sur l'Italie (tout support confondu) » ; qu'en déboutant le salarié de sa demande au titre de la rémunération variable due sur l'exercice 2015, motif pris de ce qu'il ne produisait aucun élément sur ses résultats individuels, sans avoir recherché, comme elle le devait, si l'employeur n'avait pas rempli ses propres objectifs fixés dans le document « entretien de fin d'année », de sorte que si tel était le cas, M. [E] avait droit à une partie de sa rémunération variable pour l'année 2015, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du code civil, devenu 1103 du même code ;

2°) ALORS QU'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation ; qu'en déboutant le salarié de sa demande au titre de la rémunération variable due sur l'exercice 2015, motif pris de ce qu'il ne produisait aucun élément sur ses résultats individuels, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code.

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