29 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.082

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100550

Titres et sommaires

PRET - prêt d'argent - caractère consensuel - portée

Il ressort de l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel, de sorte que c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat. Viole ce texte la cour d'appel qui, pour rejeter la demande d'annulation d'un prêt formée une épouse co-emprunteuse, retient que le fait qu'elle soit un tiers à l'entreprise de son mari et que les fonds aient une destination professionnelle importent peu dès lors que son obligation de restitution trouve sa cause dans la remise des fonds

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 juin 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 550 F-B

Pourvoi n° C 21-15.082






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JUIN 2022

1°/ M. [B] [M], domicilié [Adresse 4],

2°/ Mme [R] [M], épouse [V], domiciliée [Adresse 3],

3°/ M. [C] [M], domicilié [Adresse 5],

4°/ Mme [D] [M], domiciliée [Adresse 1],

5°/ Mme [L] [M],

6°/ M. [Z] [M],

tous deux domiciliés [Adresse 8], venant aux droits de leur père [H] [M], décédé,

agissant tous six en qualité d'héritiers de [E] [M], décédée,

7°/ M. [Y] [G], domicilié [Adresse 7], pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [B] [M],

ont formé le pourvoi n° C 21-15.082 contre l'arrêt rendu le 12 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), dans le litige les opposant à la société CIC Ouest, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de MM. [B], [C] et [Z] [M], de Mmes [R], [D] et [L] [M] et de M. [G], ès qualités, de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société CIC Ouest, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 février 2021), le 16 juillet 2009, la société CIC Ouest (la banque) a consenti à M. [B] [M], pour les besoins de son activité professionnelle d'architecte, un prêt de 180 000 euros remboursable en 84 mensualités au taux de 5,44 % l'an. [E] [M], son épouse, est intervenue en qualité de co-emprunteur.

2. A la suite de plusieurs échéances impayées, après mises en demeure et déchéance du terme, la banque a assigné en paiement [E] [M].

3. [E] [M] est décédée le [Date décès 6] 2014 en laissant pour lui succéder son époux et ses enfants, [C], [Z], [R], [D] et [L] (les consorts [M]), qui ont repris l'instance en leur qualité d'héritiers.

4. M. [M] a été placé en liquidation judiciaire et M. [G] est intervenu volontairement à l'instance en qualité de liquidateur judiciaire.

5. En appel, la banque a demandé à ce que sa créance soit fixée à hauteur d'une certaine somme à la liquidation judiciaire de M. [B] [M].

6. Les consorts [M] et M. [G], ès qualités, ont formé une demande reconventionnelle contre la banque.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Les consorts [M] et M. [G] ès qualités font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque les sommes de 133 376,40 euros au titre du capital restant dû et de 18 070,36 euros au titre des échéances impayées échues du 15 février 2011 au 15 août 2011, et de fixer la créance de la banque au passif de la liquidation judiciaire de M. [B] [M] à ces sommes, alors « que le prêt consenti par un professionnel du crédit n'étant pas un contrat réel, c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat ; qu'après avoir constaté que [E] [M] était un tiers à l'entreprise de son époux, dont elle était séparée de biens, et que les fonds avaient une destination purement professionnelle, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, retenir que l'obligation de restitution de [E] [M] trouve sa cause dans la remise des fonds, qu'en sa qualité de co-emprunteur, elle a sollicitée avec son époux. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Il ressort de ce texte que, le prêt consenti par un professionnel du crédit n'étant pas un contrat réel, c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat.

9. Pour rejeter la demande tendant à l'annulation du prêt à l'égard de [E] [M] pour absence de cause, l'arrêt retient que le fait que celle-ci soit un tiers à l'entreprise de son époux et que les fonds aient une destination professionnelle importent peu dès lors que son obligation de restitution trouve sa cause dans la remise des fonds, qu'en sa qualité de co-emprunteur, elle a sollicitée avec son époux, et qui constitue la raison immédiate les ayant conduit à souscrire le prêt.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Le moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de fixer la créance de la banque au passif de la liquidation judiciaire de M. [B] [M], la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiqués par ce moyen.

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt qui condamnent les consorts [M] à payer à la banque les sommes de 133 376,40 euros au titre du capital restant dû et de 18 070,36 euros au titre des échéances impayées échues du 15 février 2011 au 15 août 2011 entraîne la cassation du chef de dispositif qui condamne cette dernière à leur payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la déchéance partielle du droit aux intérêts, qui s'y rattache par un lien d'indivisibilité.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il fixe la créance de la société Banque CIC Ouest au passif de la liquidation judiciaire de M. [B] [M] à la somme de 133 376,40 euros au titre du capital restant dû, outre celle de 18 070,36 euros au titre des échéances impayées échues du 15 février 2011 au 15 août 2011, condamne la société Banque CIC Ouest à payer à M. [G], ès qualités, la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts et ordonne la compensation réciproque des sommes dues, l'arrêt rendu le 12 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne la société CIC Ouest aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CIC Ouest et la condamne à payer à MM. [C] et [Z] [M], ainsi qu'à Mmes [R], [D] et [L] [M], la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-deux.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour MM. [C] et [Z] [M] et Mmes [R], [D] et [L] [M].

Les consorts [M] et Me [G], ès qualité, font grief à l'arrêt attaqué

DE LES AVOIR condamnés à payer à la Banque CIC Ouest la somme de 133 376,40 € au titre du capital restant dû, outre 18 070,36 € au titre des échéances impayées échues du 15 février 2011 au 15 août 2011 et D'AVOIR fixé la créance de la Banque CIC Ouest au passif de la liquidation judiciaire de M. [B] [M] à cette somme ;

ALORS QUE le prêt consenti par un professionnel du crédit n'étant pas un contrat réel, c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat ; qu'après avoir constaté que [E] [M] était un tiers à l'entreprise de son époux, dont elle était séparée de biens, et que les fonds avaient une destination purement professionnelle, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, retenir que son obligation de restitution de [E] [M] trouve sa cause dans la remise des fonds, qu'en sa qualité de co-emprunteur, elle a sollicitée avec son époux.

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