22 juin 2022
Cour d'appel de Rouen
RG n° 20/03092

1ère ch. civile

Texte de la décision

N° RG 20/03092 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISBV







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 22 JUIN 2022









DÉCISION DÉFÉRÉE :



18/02995

Tribunal judiciaire d'Evreux du 08 septembre 2020





APPELANT :



Monsieur [D] [C]

né le 24 octobre 1961 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 9]



représenté par Me Céline BART de la Selarl EMMANUELLE BOURDON CELINE BART Avocats Associés, avocat au barreau de Rouen







INTIMES :



Monsieur [Z] [E]

né le 10 mai 1955 à Brighton (Royaume Uni)

[Adresse 2]

[Localité 9]



représenté par Me Jean-Michel EUDE de la Scp DOUCERAIN-EUDE-SEBIRE, avocat au barreau de l'Eure





Madame [F] [U] épouse [E]

née le 01 janvier 1947 à [Localité 7] (Maroc)

[Adresse 2]

[Localité 9]



représentée par Me Jean-Michel EUDE de la Scp DOUCERAIN-EUDE-SEBIRE, avocat au barreau de l'Eure







COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 4 avril 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :



Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,





GREFFIER LORS DES DEBATS :



Mme Catherine CHEVALIER,





DEBATS :



A l'audience publique du 4 avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 22 juin 2022.





ARRET :



CONTRADICTOIRE



Rendu publiquement le 22 juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.






*

* *





EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE





Le 16 décembre 2011, M. [L], géomètre-expert, a procédé à la division et au bornage de parcelles appartenant à M. [K] [Y] à [Localité 9]. Il a dressé un document d'arpentage le 3 janvier 2012.



Le 30 janvier 2012, il a cédé à M. [D] [C] la parcelle n° [Cadastre 3], située [Adresse 1].



Le 19 octobre 2012, M. [Y] a cédé à M. [Z] [E] et Mme [F] [U], son épouse, les parcelles n° [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 4] situées [Adresse 2].



Considérant que M. [C] avait enlevé des poteaux et bornes matérialisant la limite séparative et construit une clôture empiétant sur leur propriété, les époux [E] ont requis l'intervention de M. [P], géomètre-expert, pour procéder à la pose des bornes.



Après rédaction d'un procès-verbal de carence, les époux [E] ont assigné

M. [C] devant le tribunal d'instance de Bernay.







Par jugement du 19 janvier 2018, le tribunal d'instance de Bernay a rejeté leur demande en bornage judiciaire au vu de l'existence du bornage effectué par

M. [L].



Les époux [E] ont ensuite fait citer M. [C] devant le tribunal judiciaire principalement aux fins de remise en état et appelé M. [Y] en garantie d'éviction.



Par jugement en date du 8 septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a notamment :

- dit que la détermination des limites entre les propriétés [E] et [C] résulte du bornage [L] effectué avant l'acquisition desdites propriétés,

- condamné M. [D] [C], sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 90 ème jour suivant la signification du jugement, à procéder à ses frais à la réinstallation des clôtures entre sa propriété et celle des époux [E] à l'endroit où elles se trouvaient en 2012 et à replanter la végétation qui se trouvait du côté [E] de la clôture et sur le talus à l'entrée des propriétés,

- condamné M. [D] [C] à reposer la borne 77 à l'endroit où elle avait été installée par M. [L] visible sur la photo n°5 du procès-verbal de constat du 29 juillet 2013 dressé par Me [M] et à repositionner le poteau en ciment enlevé par ses soins (ou matériel similaire),

- rejeté la demande de dommages et intérêts des époux [E],

- invité les parties à rencontrer un médiateur afin de mettre un terme définitif à leur litige,

- dit n'y avoir lieu à examiner la demande subsidiaire dirigée contre M. [Y],

- condamné M. [C] à verser aux époux [E] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens,

- rejeté la demande d'exécution provisoire,

- condamné M. [D] [C] aux dépens,

- rejeté toutes les autres demandes des parties.



Par déclaration reçue au greffe le 29 septembre 2020, M. [C] a interjeté appel de la décision.





EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Par dernières conclusions notifiées le 11 juin 2021, M. [C] demande à la cour d'appel, de réformer le jugement et de :

- débouter M. et Mme [E] de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamner M. et Mme [E] sous astreinte de 150 euros par jour de retard à modifier l'implantation de leur palissade bois entre les points 77 et 75 de telle sorte qu'elle ne soit plus sur le fond de M. [C] ;

subsidiairement, si la cour s'estimait insuffisamment informée, ordonner une mesure d'expertise ;

- condamner M. et Mme [E] à verser à M. [C] 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. et Mme [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.



Il soutient que :

- la borne 77 n' a jamais été positionnée à l'endroit visible sur le procès-verbal auquel le tribunal a fait référence et les parties en sont d'ailleurs convenues devant

M. [P] ;

- le plan de division et de bornage comporte en son sein une contradiction, puisqu'il place la limite séparative entre les bornes 75 et 77 en précisant que la clôture est sur la limite alors que la clôture n'a jamais été implantée sur la ligne entre les bornes 75 et 77 ;





- ce rapport démontre également que la clôture en panneau de bois implantée par les époux [E] entre les points 77 et 75 et qui forme un coude pour venir s'appuyer sur les pieux appartenant à M. [C] est, elle, sur la propriété de M. [C] ;

- il n'est pas responsable de la disparition des plantations qui procède de phénomènes naturels et du passage des ans ;

- il n'a jamais modifié l'emplacement des poteaux.



Par dernières conclusions notifiées le 11 mars 2021, M. et Mme [E] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts,

- condamner M. [D] [C] à leur payer une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner M. [D] [C] à payer à M. et Mme [E] une indemnité de

3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [D] [C] aux dépens d'appel.



Ils soutiennent que la détermination des limites entre les propriétés [E] et [C] résulte du bornage réalisé par le géomètre [L], de sorte que la clôture grillagée implantée sur la limite lors de l'acquisition entre les bornes 77 et 75 délimite les propriétés respectives des parties.



Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mars 2022.






MOTIFS



Sur les limites de propriété et leurs conséquences



- Sur la borne



Le tribunal, après avoir rappelé les termes de l'article 544 du code civil, a repris in extenso les termes, non contestés, de l'acte de vente du 19 octobre 2012, dont il résulte que M. [C] est tenu d'édifier et d'entretenir à ses frais la clôture grillagée séparant les parcelles.



Il a également rappelé, à juste titre, que la limite divisoire entre les parcelles avait été fixée définitivement par le géomètre [L] pour la section située entre les bornes 75 à 77, objet du présent litige. Les développements consacrés par les parties aux opérations de remembrement antérieures à la division des parcelles sont à cet égard dénués de portée.



L'appelant soutient que la clôture grillagée endommagée par ses soins ne se situait pas sur la limite séparative et que la borne visible sur la photographie n° 5 de son procès-verbal de constat du 29 juillet 2013 ne correspond pas au repère 77 du bornage [L].



La présence de la clôture est pourtant bien mentionnée sur le plan de division et de bornage du 16 décembre 2011qui s'impose à toutes les parties. Le cabinet Abac Géo, dans le procès-verbal de carence qu'il a dressé le 25 avril 2018, confirme, d'ailleurs, après visite des lieux que le 'grillage existant est la même que celle qui existait lorsque M. [L] a réalisé la division'.



Il indique également que les bornes implantées, et notamment les bornes 75 et 77, sont en 'bonne cohérence ' avec le système de coordonnées. M. [C] se prévaut, afin de le contester, d'une mention sur le procès-verbal de carence dressé le 19 décembre 2016 par un autre géomètre, M. [P], selon lequel les parties sont convenues devant lui que la borne OGE retrouvée au point 77 'n'était pas à sa place'. Cet avis des parties, qui ne disposent pas de compétence technique particulière, a nécessairement été induit par l'expert lui-même, qui ne précise pas la raison de cette appréciation. Le cabinet Abac Géo a ensuite rendu un avis circonstancié, complet et précis, expliquant l'erreur de son prédécesseur par un problème de coordonnées. L'intervention de M. [B] au printemps 2018, qui a posé un nouvelle borne 77 sur demande de l'appelant, n'est pas efficace à contredire cet avis. Il ne résulte d'aucune pièce que M. [B] ait la qualité de géomètre expert, et il n'explique absolument pas la méthode suivie pour procéder à l'implantation de la borne et au piquetage de la parcelle, qu'il a effectué unilatéralement.



Il ressort des données établies du litige que la borne retrouvée par M. [M] en photographie 5 de son procès-verbal de constat du 29 juillet 2013, dont M. [C] indique qu'il ne sait pas 'à quoi elle correspond', est bien la borne posée en exécution du plan de division pour matérialiser le point 77. Ce point de limite s'impose à tous les ayants droits de M. [Y], et aux deux parties au litige.



Les allégations de M. [C], selon lesquelles il ne serait pas responsable de la disparition de la borne, peuvent d'autant moins être retenues qu'elle était implantée sur l'angle du triangle de terrain qu'il revendique, et qu'il a lui-même fait intervenir M. [B] afin de poser une borne positionnée de façon plus conforme à ses souhaits.



La décision n'appelle pas de critique en ce que le tribunal l'a condamné à replacer cet équipement.





- Sur la clôture



Il découle de ce qui précède que l'implantation des brises-vue sur la parcelle des intimés, sur la ligne reliant les bornes 75 à 77, n'empiète pas sur la propriété de l'appelant, et qu'il n'y a pas lieu de condamner les intimés à les enlever, ni d'ordonner une expertise sur ce point.



Ainsi que l'a relevé le tribunal, et conformément aux constatations de M. [M] dans son procès-verbal du 5 septembre 2008, la clôture grillagée implantée sur la limite séparative a été enlevée sur 12 mètres dans l'angle de la parcelle n°[Cadastre 6].



M. [C], qui ne conteste pas être l'auteur de cet arrachage, est en toute hypothèse tenu à l'entretien de la clôture, et n'établit aucun motif d'infirmation de la décision en ce que le tribunal l'a condamné à ce titre.





- Sur la végétation et le poteau



La cour considère en revanche comme non établi qu'il serait responsable de la disparition de la végétation qui se trouvait du côté [E] de la clôture et sur le talus bordant le triangle extérieur. La nature exacte de cette végétation n'est d'ailleurs ni démontrée, ni précisée, les photographies 3 et 4 du procès-verbal de constat originel du 29 juillet 2013 ne faisant apparaître aucune particularité.







Le tribunal a en outre condamné l'appelant à enlever un poteau en ciment, visible sur la photographie n°4 du procès-verbal de constat dressé le 2 février 2017. Il ne résulte toutefois pas des débats avec certitude qu'il aurait été enlevé par l'appelant, ni même qu'il aurait été situé sur la parcelle [E]. Enfin, aux termes des acte de vente,

M. [C] a la charge de l'entretien de la clôture, mais n'est pas tenu de conserver tous les poteaux qui la soutiennent.



Il y a donc lieu d'infirmer la décision de ces deux chefs, les conditions probatoires requises afin de prononcer une condamnation n'étant pas réunies.





- Sur les dommages et intérêts



Le tribunal a rejeté la demande en dommages et intérêts formée par M. et Mme [E]. En cause d'appel, ils concluent d'une part à la confirmation, sauf en ce qu'ils ont été déboutés sur ce point, et d'autre part à la condamnation de l'appelant à leur payer une somme de 30 000 euros. La cour est donc bien saisie de la demande, contrairement à ce que fait plaider l'appelant.



S'il est exact, ainsi que l'a relevé le tribunal, que les parties ont pu adopter des comportements inappropriés les unes envers les autres, il n'existe pas d'équivalence entre l'attitude de M. [C] et celle des époux [E]. M. [C] s'est installé à plusieurs reprises dans des comportements relevant de la malveillance, notamment des nuisances sonores nocturnes répétitives, voire de la menace, en accrochant des drapeaux à tête de mort visibles depuis la parcelle voisine. Il ne conteste pas ces comportements fautifs, dont la nature et la gravité dépassent le cadre des attitudes admissibles dans un litige de cette nature. Le préjudice moral et de jouissance associé à ces fautes sera indemnisé par l'octroi, après infirmation, d'une somme de

1 500 euros à titre de dommages et intérêts.





Sur les dépens et frais irrépétibles



M. [C] succombe et sera condamné aux dépens.



L'équité commande qu'il soit en outre condamné à payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'artice 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,



Infirme le jugement en ce que le tribunal a condamné M. [D] [C] à replanter la végétation qui se trouvait du côté de la propriété de M. [Z] [E] et de Mme [F] [U], son épouse, de la clôture et sur le talus à l'entrée des propriétés, l'a condamné à repositionner le poteau en ciment enlevé par ses soins (ou matériel similaire) et a rejeté la demande en dommages et intérêts formée par

M. [Z] [E] et son épouse Mme [F] [U] ;



Le confirme pour le surplus des chefs déférés ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Condamne M. [D] [C] à payer à M. [Z] [E] et Mme [F] [U], son épouse, la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;



Condamne M. [D] [C] à payer à M. [Z] [E] et Mme [F] [U], son épouse la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Déboute les parties de leurs autres demandes ;



Condamne M. [D] [C] aux dépens d'appel.





Le greffier,La présidente de chambre,

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