22 juin 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/11282

Pôle 6 - Chambre 4

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 22 JUIN 2022



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11282 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6ET



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 17/09290



APPELANTE



SELARL JSA (ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE GAUTHIER-SOHM) Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SAS DEROUT »

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Nathalie CHEVALIER, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC143



INTIMEES



Madame [J] [D] épouse [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Mathieu PORÉE, avocat au barreau de TOULOUSE, toque : 37



Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST représentée par sa Directrice Nationale, Madame [Z] [B]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne-france DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R186



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre, chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président

Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère



Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD







ARRET :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




EXPOSÉ DU LITIGE :



La société Derout a pour activité l'exploitation d'un restaurant à [Localité 7], sous l'enseigne '141".

La société a été placée en redressement judiciaire par jugement du 6 septembre 2016.



Mme [J] [D] épouse [K] a été embauchée en qualité de chef de cuisine par la société Derout, sans l'assistance de l'administrateur judiciaire, selon contrat à durée indéterminée 'à compter du 21novembre 2016", moyennant une rémunération mensuelle de 4 618,12 euros pour 177,66 heures, de travail.



Par lettre du 9 juin 2017, Mme [J] [D] épouse [K] était convoquée à un entretien préalable fixé au 19 juin 2017 en vue d'un éventuel licenciement. Par le même courrier, il était notifié à la salariée sa mise à pied conservatoire. L'administrateur judiciaire ne figurait pas comme assistant le dirigeant dans ces démarches.



La rupture a été notifiée par lettre du 27 juin 2017 pour faute grave, toujours sans l'assistance de l'administrateur judiciaire.



Par un nouveau jugement du tribunal de commerce du 8 août 2017, la société a été placée en liquidation judiciaire. La SELARL JSA était désignée en qualité de liquidateur judiciaire.



Contestant la rupture, la salariée saisissait le conseil des prud'hommes de Paris le 14 novembre 2017, aux fins d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

- 9.326,24 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive ;

- 4.618,12 euros d'indemnité de préavis ;

- 461,81 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 13.864,36 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et licenciement vexatoire ;

- 169,05 euros de rappel de salaire au titre de la journée de travail du 18 novembre 2016 ;

- 12.162,95 euros de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;

- 27.708,72 euros d'indemnité de travail dissimulé ;

- 4.327,68 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire ;

- avec délivrance de l'attestation Pôle Emploi et de bulletins de paie sur préavis conformes à la décision à intervenir, à peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard et par document.



La SELARL JSA, ès qualité, s'est opposée à ces prétentions et a demandé la condamnation de la partie adverse à lui payer la somme de 1.000 en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par jugement du 25 juillet 2019, le conseil fixait au passif de la société les créances suivantes en faveur de la salariée :

- 4.327,68 euros de rappel de salaire sur mise à pied ;

- 4.618,12 euros d'indemnité de préavis ;

- 461,81 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 4.618,12 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive.



Les autres demandes de l'une et l'autre des parties ont été rejetées.



La SELARL JSA, ès qualité, a interjeté appel le 14 novembre 2019, contre la décision qui lui avait été notifiée le 31 octobre précédent.



Par conclusions remises via le réseau privé virtuel des avocats le 21 janvier 2020, l'appelante sollicite l'infirmation du jugement et prie la cour de prononcer la nullité du contrat de travail et de rejeter en conséquences l'ensemble des prétentions adverses. Subsidiairement, il demande que la procédure de licenciement menée sans l'assistance, ni la ratification de l'administrateur judiciaire, lui soit déclarée inopposable. En tout état de cause, il demande le rejet des prétentions adverses et la condamnation de la salariée à lui verser la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions remises via le réseau privé virtuel des avocats le 17 juillet 2020, l'AGS CGEA IDF Est sollicite le prononcé de la nullité du contrat de travail et subsidiairement que celui-ci soit déclaré inopposable aux organes de la procédure. Enfin, elle demande que les limites de sa garantie soient respectées.



Par conclusions remises via le réseau privé virtuel des avocats le 26 juin 2020, Mme [J] [D] épouse [K] sollicite l'infirmation partielle du jugement, reprend ses demandes de première instance sous réserve de la réduction de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral à la somme de 13.854,36 euros et de l'augmentation de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires à la somme de 12.162,72 euros.



Pour plus ample exposé sur le litige, la cour se réfère aux conclusions des parties en application de l'article 455 du Code de procédure civile.




MOTIFS :



La SELARL JSA, ès qualité, soulève la nullité du contrat de travail sur le fondement de l'article L. 632-1 du code de commerce, en rappelant que le conseil n'a pas répondu à cette demande déjà formée en première instance. Il soutient que le contrat de travail imposait à l'employeur des obligations dépassant notablement celle de la salariée, dès lors que la moyenne des trois derniers mois de salaire de l'intéressée dépassait largement le salaire conventionnel applicable à son niveau et son échelon, alors même que l'entreprise était en période suspecte et dans une situation obérée. L'AGS CGEA IDF Est conclut dans le même sens.



Mme [J] [D] épouse [K] oppose qu'au contraire son salaire était bien en rapport avec la grille de salaire conventionnelle, qu'il n'est pas démontré que cette embauche ait été conclue dans l'intention de frauder, d'autant plus que la salariée ignorait les difficultés économiques de l'employeur, que le contrat de travail remontait à près de 9 mois avant la déclaration de cessation de paiement et que bien d'autres embauches ont eu lieu après la sienne.

Elle conteste le licenciement et forme en conséquence diverses demandes chiffrées.



Sur ce



Aux termes de l'article L. 632-1 du code de commerce, est nul, lorsqu'il est intervenu depuis la date de cessation des paiements tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie.



La date de cessation des paiements a été fixée au 30 avril 2016 par le jugement de redressement judiciaire, de sorte que la société était en cessation de paiement, lors de la signature du contrat de travail.



Certes le contrat de travail stipule un salaire mensuel de '3 800 euros pour 177,66 heures, y compris la majoration au taux en vigueur de 10% pour les heures supplémentaires effectuées entre la 36éme heure et 39éme heure de travail et de 20% pour les heures supplémentaires effectuées entre la 40éme heure et la 41éme heure de travail'.



Toutefois, dés la première feuille de paie et jusqu'à la fin de la relation contractuelle, il apparaît que Mme [J] [D] épouse [K] était en réalité rémunérée sur la base d'un salaire de 4.102,49 euros pour 35 heures de travail hebdomadaire, à quoi s'ajoutait chaque mois, des heures supplémentaires majorées à 10 % ou à 20 %. Ce fait est corroboré par les photocopies de chèque émis en paiement des salaires et par l'attestation Pôle Emploi.



Ainsi le contrat de travail a été conclu sur la base d'un salaire fictif pour imposer à l'employeur le paiement d'une rémunération mensuelle de 4.102,49 euros, augmentée des heures supplémentaires régulièrement payées.



Il est constant que l'avenant n° 23 du 8 février 2016 à la convention collective, relatif aux salaires minima, prévoit pour une personne de l'échelon 1 du niveau IV, telle que Mme [J] [D] épouse [K] une rémunération minimale de 1.671,40 euros par mois.



Selon le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire rendu le 30 août 3016, moins de trois mois avant le contrat de travail litigieux, la société avait un passif exigible connu de 1 779 772 euros pour un actif disponible de 6 000 euros.



Selon le jugement de conversion de la procédure en liquidation judiciaire rendu le 8 août 2017, moins de neuf mois après le contrat de travail, l'activité de la société a engendré de nouvelles dettes.



L'ensemble de ces observations permet de conclure que les obligations du débiteur anormalement élevées, même en ne retenant que le salaire mensuel stipulé dans le contrat de travail, y compris les heures supplémentaires qu'il rémunère, excédait notablement l'obligation de travail de l'autre partie.



A fortiori en va-t-il de même si l'on retient le véritable salaire retenu par les parties de 4.102,49 euros pour 35 heures par semaine.



Par suite le contrat est nul et les demandes de Mme [J] [D] épouse [K] qui découlent toutes de l'existence d'un contrat de travail seront rejetées.



Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile de rejeter les demandes de Mme [J] [D] épouse [K] au titre des frais irrépétibles et de la condamner à payer à la SELARL JSA, ès qualité, la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d'appel.



Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.



Dans ces conditions les demandes de l'AGS CGEA IDF Est sont sans objet.



PAR CES MOTIFS :



La Cour statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;



Statuant sur l'omission de statuer ;



Déclare nul le contrat de travail liant Mme [J] [D] épouse [K] et la société Derout à compter du 21 novembre 2016 ;



Pour le surplus ;



Confirme le jugement déféré sur les demandes de Mme [J] [D] épouse [K] en paiement d'un rappel de salaire au titre de la journée du 18 novembre 2016, de dommages-intérêts pour préjudice moral et licenciement vexatoire, d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, d'une indemnité de congés payés y afférents et d'une indemnité de travail dissimulé ainsi que sur la demande de remise de bulletins de paie et d'attestation Pôle Emploi ;



Infirme pour le surplus ;



Statuant à nouveau ;



Rejette les demandes de Mme [J] [D] épouse [K] en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive, d'indemnité de préavis, d'indemnité de congés payés y afférents et de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;



Condamne Mme [J] [D] épouse [K] à payer à la SELARL JSA, prise en qualité de liquidateur de la société Derout la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



Condamne Mme [J] [D] épouse [K] aux dépens de première instance ;



Y ajoutant ;



Condamne Mme [J] [D] épouse [K] à payer à la SELARL JSA, prise en qualité de liquidateur de la société Derout, la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;



Condamne Mme [J] [D] épouse [K] aux dépens d'appel.



LA GREFFI'RE LE PR''SIDENT

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