23 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.886

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C200837

Texte de la décision

CIV. 2

COUR DE CASSATION



CM


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 23 juin 2022




NON-LIEU A RENVOI


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 837 F-D

Pourvoi n° J 21-24.886




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JUIN 2022

Par mémoire spécial présenté le 30 mars 2022, M. [U] [J], domicilié [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° J 21-24.886 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans une instance l'opposant :

1°/ à Mme [X] [O], domiciliée [Adresse 4],

2°/ à l'ordre des avocats du barreau de Marseille, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société SCP Roll Massard Noell Roll, dont le siège est [Adresse 2],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [J], de la SCP Spinosi, avocat de l'ordre des avocats du barreau de Marseille, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Sur le fondement de diverses décisions ayant condamné M. [J], avocat au barreau de Marseille, à payer à l'ordre des avocats du barreau de Marseille diverses sommes au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier, en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'ordre des avocats du barreau de Marseille a signifié à M. [J] un commandement aux fins de saisie-vente le 9 février 2018, que M. [J] a contesté devant un juge de l'exécution.

2. Ses contestations et demandes ont été rejetées par jugement du juge de l'exécution, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel, attaqué par le pourvoi.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, M. [J] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les articles L. 111-1, L. 111-2, L. 211-1, L. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution et 75, I de la loi n°91-647 du 10 Juillet 1991 relative à l'aide juridique portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et spécialement :

- au droit à la liberté en général comme droit naturel de l'homme et au droit à la liberté d'entreprendre consacrés par les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ci-après « DDH », et au droit à la liberté d'association en particulier ;

- au droit à la justice et aux droits de la défense garantis par l'article 16 DDH ;

- au droit à la liberté d'expression garanti par l'article 11 DDH ;

- à l'article 34 de la Constitution du 4 Octobre 1958 fixant, en partie, le domaine de la loi ;

- au principe d'égalité garanti par l'article 6 DDH et l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi qu'au principe d'égalité et d'universalité du suffrage (art. 3, al. 3 de la Constitution du 4 Octobre 1958), - au droit de concourir personnellement à la formation de la loi garanti par l'article 6 DDH, - au principe de la souveraineté nationale garanti par les articles 3 DDH et 3 de la Constitution du 4 Octobre 1958, - au droit à travailler sans discrimination notamment en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances, garanti par l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 Octobre 1946, - au droit de propriété et au droit de résistance à l'oppression, garantis par l'article 2 DDH, - au principe constitutionnel de fraternité, celle-ci qualifiée d'idéal commun par le préambule de la Constitution du 4 Octobre 1958 et reconnue comme l'une des composantes de la devise de la République par l'article 2, alinéa 4 de ladite Constitution,

en ce que :

1°) le juge peut, selon les dispositions attaquées (article 75, I de la loi n° 91-647 du 10 Juillet 1991 relative à l'aide juridique), dans toutes les instances, sans limitation légale et hors l'application d'une règle de droit, selon son intime conviction et son sens subjectif de l'équité, condamner discrétionnairement la partie tenue aux dépens, ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre ou aux autres parties, des sommes qu'elles réclament, sans exiger d'elles qu'elles établissent que la partie condamnée a commis un abus du droit d'agir en justice ou de se défendre ;

2°) l'absence de faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice (Cass. Com. Janvier 2022, n° 20-17.667) fait obstacle à la mise en oeuvre des règles de la responsabilité extra-contractuelle, les litigants demeurant, dès lors, dans les liens d'un quasi-contrat innommé (appauvrissement provoqué non fautif), auquel s'applique le régime des obligations naturelles dont l'exécution relève de la seule conscience de l'intéressé ;

3°) le juge peut, selon les dispositions attaquées (article 75, I de la loi n° 91-647 du 10 Juillet 1991 relative à l'aide juridique), dans toutes les instances, sans limitation légale et hors l'application d'une règle de droit, selon son intime conviction et son sens subjectif de l'équité, condamner discrétionnairement la partie tenue aux dépens, ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre ou aux autres parties, des sommes qu'elles réclament, sans exiger d'elles aucun justificatif ;

4°) le législateur n'a pas exclu du champ d'application des textes attaqués (articles L. 111-1, L. 111-2, L. 211-1 et L. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution) les situations régies par le JUS FRATERNITATIS, lesquelles donnent à voir des obligations naturelles aux lieu et place d'obligations civiles ;

5°) l'équité, à laquelle se réfère l'article 75, I de la loi n°91-647 du 10 Juillet 1991 relative à l'aide juridique n'est pas, dans le système romano-germanique, source d'obligations, mais légitimement suspectée d'arbitraire dans sa fonction supplétive de la règle de droit ;

6°) la confraternité (JUS FRATERNITATIS comme source d'une union fraternelle d'intérêts), que concrétisent notamment les « principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. » (article 3, alinéa 2 du décret n°2005-790 du 12 Juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'Avocat), s'oppose à l'exécution forcée sur le patrimoine d'un Avocat ou celui d'un Barreau ou autre groupement volontaire d'Avocats, d'obligations à objet pécuniaire, résultant de l'exercice des droits professionnels tels qu'ils sont expressément prévus notamment par les Chapitres II et III du Titre Ier de la loi n° 71-1130 du 31 Décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (articles 19, alinéa 2 ; 20 ; 21, alinéas 3 et 4 ; 21-1, alinéa 9 ; 22-1, alinéa 4 ; 23, alinéa 4 ; 24, alinéa 5 ; 25 ; 25-1) et le Chapitre Ier du Titre Ier du décret n° 91-1197 du 27 Novembre 1991 organisant la profession d'avocat (articles 12, alinéas 1er et 2 ; 15, alinéa 3 ; 16), lequel exercice est exempt de tous frais de justice (dépens et frais irrépétibles) ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. M. [J] demande à ce que soit constatée l'inconstitutionnalité de l'article 75, I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dans la mesure où il conteste sa condamnation, mise à exécution, à payer à l'ordre des avocats du barreau de Marseille une certaine somme au titre des frais irrépétibles exposés par lui.

5. La saisie étant poursuivie sur le fondement de titres irrévocables, dont le juge de l'exécution ne peut, en application de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, ni modifier le dispositif, ni en suspendre l'exécution, l'inconstitutionnalité alléguée des dispositions contestées, inapplicables à ce litige, serait dépourvue d'incidence sur sa solution.

6. Par ailleurs, l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution est relatif à la saisie-attribution. Le litige portant sur une mesure de saisie-vente, cette disposition n'est pas davantage applicable au litige.

7. Sont en revanche applicables au litige, qui concerne la contestation d'une mesure de saisie-vente, les articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 221-1 du code des procédures civiles d'exécution.

8. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

9. Cependant, d'une part, la question posée ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

10. D'autre part, la question n'est pas sérieuse, en ce que, s'agissant de l'exécution d'une décision de justice irrévocable en matière civile, les griefs d'inconstitutionnalité invoqués par M. [J] sont inopérants.

11. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE la question en ce qu'elle porte sur les articles 75, I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité pour le surplus ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt-deux.

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