22 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-23.723

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00408

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 juin 2022




Cassation sans renvoi


Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 408 F-D

Pourvoi n° Z 20-23.723




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JUIN 2022

La Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), dont le siège est [Adresse 2], agissant en qualité de coordonnateur d'un groupement de commande également composé de SNCF Voyageurs, a formé le pourvoi n° Z 20-23.723 contre le jugement rendu le 17 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Paris (selon la procédure accélérée au fond), dans le litige l'opposant à la société Alstom transport, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Régie Autonome des Transports Parisiens, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Alstom transport, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (Paris, 17 décembre 2020), par un avis d'appel public à la concurrence publié au Journal officiel de l'Union européenne, le 26 juin 2018, la Régie Autonome des Transports Parisiens (la RATP), agissant en qualité de coordonnateur d'un groupement de commandes conclu avec l'établissement public SNCF Mobilités, auquel a succédé, le 1er janvier 2020, la société SNCF Voyageurs, société anonyme à capitaux exclusivement publics, a lancé une procédure négociée avec mise en concurrence préalable pour la passation d'un accord-cadre à bons de commande relatif à « l'étude et fourniture de matériels roulants à destination de la ligne B du RER ».

2. La société Alstom transport a été invitée à participer aux négociations, à l'issue desquelles elle a remis une offre finale, le 22 juin 2019.

3. Invoquant des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, la société Alstom transport a assigné la RATP devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond, en demandant, d'une part, l'annulation de toutes les décisions se rapportant à la procédure de passation, d'autre part, d'enjoindre à la RATP et à la société SNCF Voyageurs de se conformer à leurs obligations de publicité et de mise en concurrence.

4. La RATP a demandé au juge délégué par le président du tribunal, notamment, de se déclarer matériellement incompétent pour connaître du litige et inviter la demanderesse à mieux se pourvoir devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La RATP fait grief au jugement de rejeter l'exception d'incompétence qu'elle a soulevée au profit du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris et de dire le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris compétent matériellement pour connaître du litige, alors :

« 1°/ que le principe selon lequel les contrats conclus par un établissement public industriel et commercial pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire ne s'applique qu'en l'absence de disposition législative contraire ; que la RATP faisait valoir que la qualification de contrat administratif du marché public en cause résultait des dispositions mêmes de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 qui lui était applicable, laquelle dispose en son article 3 que "les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs" ; qu'en se disant cependant compétent pour connaître de la demande, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris a violé le texte susvisé ;

2°/ que le contrat conclu par un établissement public industriel et commercial pour les besoins de ses activités qui comporte des clauses exorbitantes de droit commun est un contrat administratif ; qu'une clause de modification ou de résiliation unilatérale est exorbitante lorsqu'elle est susceptible de s'appliquer en l'absence de manquement du titulaire à ses obligations contractuelles ; qu'en énonçant qu'il n'était pas établi que les facultés de modification et de résiliation unilatérales de la RATP soient fondées sur l'intérêt général, tout en relevant que "ces clauses ne comportent aucune autre précision sur la résiliation ou la modification unilatérales", le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles il résultait que la modification ou la résiliation unilatérales étaient susceptibles d'intervenir pour tout motif, indépendant de l'existence d'une faute du cocontractant, à la seule discrétion de la RATP, et a ainsi violé les dispositions des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, ainsi que du décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

6. Saisi par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique,7 juillet 2021, pourvoi n° 20-23.723), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par décision du 10 janvier 2022 (n° 4230), énoncé que « Dans le cadre d'un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l'un d'entre eux le soin de conduire la procédure de passation, et où, l'un des acheteurs membres du groupement étant une personne publique, le marché qu'il est susceptible de conclure sera un contrat administratif par application de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure est le juge administratif, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé.
Le groupement [...], constitué en vue de la passation d'un marché par chaque membre du groupement, confie au coordonnateur du groupement le soin "de coordonner et organiser la passation du contrat [...]". La RATP, membre de ce groupement, est un établissement public et les marchés qu'elle est susceptible de conclure sont des contrats administratifs. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le juge administratif est compétent pour connaître de la procédure de passation litigieuse.
Dès lors le présent litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative. » (§ 5 à 7).

7. Conformément à l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, cette décision s'impose à toutes les juridictions judiciaires et administratives.

8. Il s'ensuit qu'en retenant sa compétence pour connaître du litige, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Sur la suggestion du mémoire ampliatif complémentaire, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. Il y a lieu de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

RENVOIE les parties à mieux se pourvoir ;

Condamne la société Alstom transport aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le tribunal judiciaire de Paris ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alstom transport et la condamne à payer à la Régie Autonome des Transports Parisiens la somme de 5 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la Régie Autonome des Transports Parisiens.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La RATP FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la RATP au profit du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris et d'avoir dit le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris compétent matériellement pour connaître du litige ;

1°) ALORS QUE le principe selon lequel les contrats conclus par un établissement public industriel et commercial pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire ne s'applique qu'en l'absence de disposition législative contraire ; que la RATP faisait valoir (p. 8 et suivantes de ses conclusions récapitulatives), que la qualification de contrat administratif du marché public en cause résultait des dispositions mêmes de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 qui lui était applicable, laquelle dispose en son article 3 que « les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs » ; qu'en se disant cependant compétent pour connaitre de la demande, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris a violé le texte susvisé ;

2°) ALORS QUE, en tout état de cause, le contrat conclu par un établissement public industriel et commercial pour les besoins de ses activités qui comporte des clauses exorbitantes de droit commun est un contrat administratif ; qu'une clause de modification ou de résiliation unilatérale est exorbitante lorsqu'elle est susceptible de s'appliquer en l'absence de manquement du titulaire à ses obligations contractuelles ; qu'en énonçant qu'il n'était pas établi que les facultés de modification et de résiliation unilatérales de la RATP soient fondées sur l'intérêt général, tout en relevant que « ces clauses ne comportent aucune autre précision sur la résiliation ou la modification unilatérales », le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles il résultait que la modification ou la résiliation unilatérales étaient susceptibles d'intervenir pour tout motif, indépendant de l'existence d'une faute du cocontractant, à la seule discrétion de la RATP, et a ainsi violé les dispositions des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, ainsi que du décret du 16 fructidor an III.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

La RATP FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir enjoint au groupement formé par l'établissement public Régie Autonome des Transports Parisiens et la société SNCF Voyageurs, s'il entend poursuivre la passation du marché, de :
- analyser les offres, lors des phases de notation à venir, au regard de l'article 8.1 du cahier des clauses administratives particulières et de l'article 12 du règlement de consultation tels que rédigés lors de la première mise à disposition de ces documents aux candidats en début de consultation, à l'exclusion de toutes modifications ultérieures,
- notifier à l'ensemble des candidats, aux fins d'information sur les critères applicables à l'évaluation des offres :
*la présente décision,
*l'article 8.1 du cahier des clauses administratives particulières et l'article 12 du règlement de consultation tels que rédigés lors de la première mise à disposition de ces documents aux candidats en début de consultation,
- permettre aux candidats au marché de modifier leur offre sur ce seul point, par un nouveau dépôt de celle-ci, dans un délai maximal de 15 jours à compter de la notification précitée ; en l'absence d'une telle modification, l'entité adjudicatrice est tenue de se rapporter à l'offre déposée initialement par le candidat,
- reprendre, à compter de l'expiration de ce délai, la procédure d'attribution du marché ;

1°) ALORS QUE seules sont fondées à saisir le juge du référé précontractuel pour mettre fin aux manquements d'une entité adjudicatrice à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, les personnes susceptibles d'être lésées par de tels manquements ; qu'il appartient au juge du référé précontractuel d'effectuer une appréciation in concreto de cette lésion ; qu'en l'occurrence, pour dire que la société Alstom transport SA justifiait d'un intérêt susceptible d'être lésé en raison de la modification du critère prix, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris s'est borné à considérer que l'appréciation de ce critère ne saurait être anticipée, neutralisant ainsi la condition tenant à la lésion dans toutes les hypothèses où le requérant introduit sa requête avant la désignation de l'attributaire ; que, ce faisant, en s'abstenant d'effectuer la recherche qui lui incombait et à laquelle il avait été invité (p. 16 et suivantes des conclusions récapitulatives de la RATP), il a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique ;

2°) ALORS QUE seule une modification substantielle des conditions de la consultation, et notamment des critères de sélection des offres, est susceptible de constituer un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'en se bornant à affirmer que la modification litigieuse dépassait les précisions nécessaires pour répondre aux éléments d'information complémentaires apparus au cours de la procédure, et s'analysait en une modification prohibée de la nature et des besoins de l'entité adjudicatrice, sans s'interroger sur le caractère substantiel de cette modification et son incidence éventuelle sur la présentation et le classement des offres, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

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