21 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-85.691

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00680

Titres et sommaires

HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois - Causalité indirecte - Condition de la responsabilité - Existence d'une faute délibérée - Cas - Articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du code du travail - Absence d'obligation particulière de prudence ou de sécurité

L'article 222-20 du code pénal ne qualifie de délit les blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois qu'en cas de manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. Il résulte des dispositions des articles L.4141-1 et L.4141-2 du code du travail que ces derniers ne comportent que des obligations générales de prudence et de sécurité. Encourt dès lors la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui déclare les employeurs, armateurs d'un navire de pêche, coupables du délit prévu par l'article 222-20 du code pénal en retenant que l'absence de formation à la sécurité constitue une faute caractérisée ayant exposé le salarié, victime d'un accident du travail, à une situation dangereuse et démontre une volonté délibérée de violer une obligation particulière de sécurité

Texte de la décision

N° B 21-85.691 FS-B

N° 00680


ODVS
21 JUIN 2022


CASSATION


M. SOULARD président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JUIN 2022


La société Armement [J] et M. [U] [J] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 8 septembre 2021, qui a condamné, la première, pour blessures involontaires et infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, à 8 000 euros et 1 000 euros d'amende, le second, pour blessures involontaires, à 2 000 euros d'amende.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Armement [J] et de M. [U] [J], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, conseillers de la chambre, MM. Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Lesclous, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [F] [H], victime d'un accident du travail à bord d'un navire de pêche, a déposé plainte à la gendarmerie maritime à l'encontre du mécanicien de bord et de la société Armement [J].

3. Son incapacité totale de travail a été évaluée à soixante jours.

4. A l'issue de l'enquête, la société Armement [J] et M. [U] [J], en sa qualité d'armateur, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et emploi de travailleur sans organisation et dispense d'une information et d'une formation pratique et appropriée en matière de santé et de sécurité.

5. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables de ces chefs.

6. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur les deuxième et troisième moyens

Enoncé des moyens

8. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable des faits de blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et l'a en conséquence condamné à une peine d'amende de 2 000 euros, alors :

« 1°/ que le délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois ne peut être caractérisé qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ; que l'article R. 4141-1 du code du travail qui dispose que « la formation à la sécurité concourt à la prévention des risques professionnels » n'édicte pas d'obligation particulière de sécurité ou de prudence à la charge de M. [J], au sens de l'article 222-20 du code pénal ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que l'auteur indirect d'une infraction involontaire ne peut être condamné que si la violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement qui lui est imputée se trouve à l'origine des blessures ou du décès de la victime ; qu'en déclarant M. [J] coupable des blessures causées à M. [H] aux motifs que l'absence de formation reçue par ce dernier était « incontestablement à l'origine de l'accident », bien qu'elle ait relevé que l'accident résultait de la mise en marche du treuil par M. [N] [O], sans vérifier si M. [H] avait terminé sa manoeuvre ni s'il s'était écarté du treuil, ce dont il résultait que l'absence de formation délivrée à ce dernier était sans rapport avec la survenance de l'accident, la cour d'appel a violé les articles 121-3 et 222-20 du code pénal. »

9. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Armement [J] coupable des faits de blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et l'a en conséquence condamnée à une peine d'amende de 8 000 euros, alors :

« 1°/ que le délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois suppose une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ; qu'en condamnant la société Armement [J] du chef de ce délit aux motifs que l'insuffisance de formation de M [H] était constitutif d'« une faute caractérisée », la cour d'appel a violé les articles 222-20 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en se bornant à relever que la société Armement [J] avait commis une faute caractérisée, sans rechercher si l'obligation de formation qu'il lui était reprochée de ne pas avoir respectée, prévue à l'article R. 4141-1 du code du travail, constituait une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 222-20 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'auteur indirect d'une infraction involontaire ne peut être condamné que si la violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement qui lui est imputée se trouve à l'origine des blessures ou du décès de la victime ; qu'en déclarant la société Armement [J] coupable des blessures causées à M. [H] aux motifs que l'absence de formation reçue par ce dernier était « incontestablement à l'origine de l'accident », bien qu'elle ait relevé que l'accident résultait de la mise en marche du treuil par M. [O], sans vérifier si M. [H] avait terminé sa manoeuvre ni s'il s'était écarté du treuil, ce dont il résultait que l'absence de formation délivrée à ce dernier était sans rapport avec la survenance de l'accident, la cour d'appel a violé les articles 121-3 et 222-20 du code pénal. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 222-20 du code pénal et les articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du code du travail :

11. Selon le premier de ces textes, est constitutif d'un délit le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois.

12. Selon les deux autres, l'employeur organise et dispense une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier et il organise une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice des travailleurs qu'il embauche mais aussi des travailleurs qui changent de poste de travail ou de technique, cette formation devant être répétée périodiquement.

13. Pour déclarer M. [J] et la société Armement [J] coupables de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois, l'arrêt attaqué énonce que M. [H] n'a reçu aucune formation pratique et appropriée à la manoeuvre dangereuse de virage de chalut à bord et que cette absence de formation est à l'origine de l'accident dont il a été victime, puisque son bras droit a été pris dans le treuil que le mécanicien a mis en marche.

14. Les juges ajoutent que les faits ont été commis par M. [J] en qualité de représentant de la société, s'agissant du président de cette dernière, et au nom et pour le compte de la société, qui a délibérément omis de délivrer une formation spécifique à la victime pour l'exercice d'une manoeuvre particulièrement délicate.

15. Ils rappellent que l'obligation de formation et d'information est une obligation de sécurité prévue par la loi et le règlement.

16. Ils en déduisent que cette absence de formation à la sécurité constitue une faute caractérisée ayant exposé la victime à une situation dangereuse de la part de la société Armement [J] et démontre une volonté délibérée de violer une obligation particulière de sécurité de la part de M. [J].

17. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

18. En effet, l'article 222-20 du code pénal ne qualifie de délit les blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois qu'en cas de manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, de sorte qu'il n'est pas possible de retenir que les manquements constatés constituent une faute caractérisée.

19. Or, les articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du code du travail ne comportent que des obligations générales de prudence et de sécurité.

20. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquence de la cassation

21. Lorsqu'à l'occasion d'une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les unes visées par l'article L. 4741-1 du code du travail, les autres prévues par l'article 222-20 du code pénal, les peines de même nature se cumulent.

22. La cassation sera limitée à la culpabilité et à la peine prononcées en application de l'article 222-20 du code pénal, dès lors que la déclaration de culpabilité au titre des infractions prévues par les dispositions susvisées du code du travail n'encourt pas la censure.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 8 septembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant déclaré la société Armement [J] et M. [J] coupables du délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois et ayant prononcé des peines de ce chef, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un juin deux mille vingt-deux.

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