16 juin 2022
Cour d'appel de Poitiers
RG n° 20/02313

Chambre Sociale

Texte de la décision

PC/LD































ARRET N° 405



N° RG 20/02313

N° Portalis DBV5-V-B7E-GDEL













S.A.R.L. [16]



C/



[N]

CPAM DE LA CORREZE

S.A.R.L. [19]

S.A. [15]

Société [18]

























RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale



ARRÊT DU 16 JUIN 2022







Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 septembre 2020 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de TULLE



APPELANTE :



S.A.R.L. [16]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 6]

[Adresse 20]

[Localité 2]



Représentée par Me Frédérique FROIDEFOND de la SELARL LABONNE ET ACDP, substituée par Me Aurélien AUCHABIE, tous deux avocats au barreau de BRIVE





INTIMÉS :



Monsieur [V] [N]

né le 24 Septembre 1994 à [Localité 17] (63)

[Adresse 13]

[Localité 4]



Ayant pour avocat postulant Me Anis RAHI, avocat au barreau de POITIERS



Représenté par Me Philippe CAETANO de la SELARL MARCHE CAETANO avocat plaidant au barreau de BRIVE, substitué par Me Mylène ORLIAGUET, avocat au barreau de TULLE



CPAM DE LA CORREZE

[Adresse 8]

[Localité 1]



Représentée par Mme [C] [J], munie d'un pouvoir



S.A.R.L. [19]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 7]

[Adresse 14]

[Localité 3]



Représentée par Me Nicolas PORTE de la SELARL LE FAUCHEUR AVOCATS, avocat au barreau de PARIS



S.A. [15]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 9]

[Adresse 5]

[Localité 12]



Représentée par Me Emilie BUTTIER de la SELARL RACINE, substituée par Me Eloïse MAHU, toutes deux avocats au barreau de NANTES





Société [18]

[Adresse 11]

[Localité 10]



Représentée par Me Frédérique FROIDEFOND de la SELARL LABONNE ET ACDP, substituée par Me Aurélien AUCHABIE, tous deux avocats au barreau de BRIVE



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2022, en audience publique, devant :



Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président qui a présenté son rapport



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller

Madame Valérie COLLET, Conseiller



GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE



- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




EXPOSÉ DU LITIGE :



Le 4 juillet 2014, M. [V] [N], travailleur intérimaire mis par la S.A.R.L. [19] à la disposition de la S.A.R.L. [16] en qualité de plieur (de tôles métalliques en atelier) a été victime d'un accident du travail ainsi décrit, dans la déclaration d'accident du travail établie le 4 juillet 2014 : mauvaise manipulation du Fenwick par un employé qui a entraîné la chute d'une palette de tôles et qui a coincé deux personnes entre la palette et la cisaille de la presse. Les tôles se sont déversées sur les jambes de M. [N]...



La CPAM de Corrèze a reconnu le caractère professionnel de cet accident.



Par jugement du 10 novembre 2016, le tribunal correctionnel de Brive la Gaillarde a condamné M. [I] [M] (conducteur du chariot Fenwick) pour des faits de blessure involontaire, condamné la S.A.R.L. [16] pour une infraction à la réglementation générale sur l'hygiène et la sécurité au travail (absence de signalisation et de matérialisation des allées de circulation dans le cadre de la conduite d'équipement de travail et notamment les appareils de levage) et prononcé une relaxe des fins de la poursuite à l'encontre de la S.A.R.L. [16] pour les faits de blessures involontaires.







M. [N] a saisi la CPAM de Corrèze d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et, après échec de la tentative de conciliation, il a, par acte du 30 mai 2018, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Corrèze d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et en indemnisation de ses préjudices.



Par jugement du 16 septembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Tulle a, pour l'essentiel :

- reconnu le caractère inexcusable de la faute commise par l'employeur dans la survenance de l'accident du travail dont M. [V] [N] a été victime le 4 juillet 2014,

- dit que la rente allouée à M. [N] sera majorée à son taux maximum,

- ordonné une expertise judiciaire,

- dit que la S.A.R.L. [16] devra relever indemne la société [19] de l'ensemble des sommes qui pourraient être mises à sa charge du fait de l'accident du 4 juillet 2014,

- réservé les autres demandes.



La S.A.R.L. [16] a interjeté appel de cette décision par LRAR du 14 octobre 2020.



L'affaire a été fixée à l'audience du 22 mars 2022 à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions remises les 22 mars 2022 (S.A. [15]), 14 mars 2022 (M. [N]), 20 janvier 2022 (S.A.R.L. [16] et S.A. [18]), 16 décembre 2021 (S.A.R.L. [19]) et 22 décembre 2021 (CPAM de Corrèze).



La S.A.R.L. [16] et la S.A. [18] demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu le caractère inexcusable de la faute commise par l'employeur dans la survenance de l'accident du travail dont M. [N] a été victime 4 juillet 2014, dit que la rente allouée à M. [N] sera majorée à son taux maximum, ordonné une expertise judiciaire, dit que la CPAM de Corrèze pourra demander le remboursement de l'ensemble des sommes versées auprès de la société [19], dit que la société [16] devra relever indemne la société [19] de l'ensemble des sommes qui pourraient être mises à sa charge du fait de l'accident du 4 juillet 2014,

- en conséquence, de dire qu'il n'y pas faute inexcusable de la part de la société [16], de dire n'y avoir lieu ni à majoration de capital ou de rente, ni à expertise, de débouter M. [N] de ses demandes, de déclarer la décision à intervenir opposable à la CPAM de la Corrèze et de condamner M. [N] à leur payer la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.



La S.A.R.L. [19] demande à la cour :

- à titre principal : de débouter M. [N] de ses demandes dès lors que le tribunal correctionnel de Brive la Gaillarde a déjà déterminé la responsabilité pénale d'une tierce personne, que M. [N] ne bénéficie pas de la présomption de reconnaissance de faute inexcusable et qu'il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la faute inexcusable alléguée,

- subsidiairement : considérant que si elle devait être retenue, la faute inexcusable a été commise par l'entreprise utilisatrice substituée dans la direction du salarié à la société [19], de condamner la société [16] à la garantir de toutes les conséquences financières qui résulteraient de la reconnaissance de la faute inexcusable tant en principal qu'en frais et intérêts y compris au titre de l'article 700 du C.P.C.,

- très subsidiairement : en cas de reconnaissance de la faute inexcusable et d'une quelconque condamnation pécuniaire à son encontre, de dire que la société [15], son assureur, devra assumer ses obligations contractuelles et de lui déclarer le 'jugement' à intervenir opposable,

- en toute hypothèse, de rendre le 'jugement' commun et opposable à la société [18].







La S.A. [15] demande à la cour :

- à titre principal, de rejeter la faute inexcusable de l'employeur [19],

- subsidiairement, de condamner la société [16] à garantir la société [19] de l'intégralité des conséquences financières de la faute inexcusable si elle devait être retenue, de confirmer la décision en ce qu'elle a alloué à M. [N] une majoration de rente, de dire que le recours de la caisse sur la majoration de rente ne pourra s'exercer qu'à hauteur du taux d'invalidité de 9 %, seul taux opposable à [19],

- de condamner M. [N] et/ou la société [16] à lui payer la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du C.P.C.



M. [N] conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la condamnation in solidum de la S.A.R.L. [16] et de la S.A.R.L. [19] à lui payer la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.



La CPAM de Corrèze demande à la cour, s'il est jugé que l'accident du 4 juillet 2014 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, de fixer le montant des indemnités devant revenir à M. [N] conformément aux dispositions des articles L452-1, L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale et de condamner expressément l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle devra faire l'avance, y compris les frais d'expertise.






MOTIFS



Sur l'existence même d'une faute inexcusable





1 - Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société [19] : 





Se prévalant de l'autorité de chose jugée au pénal, la société [19] conteste l'existence même d'une quelconque faute inexcusable de l'employeur en soutenant :

- que si la condamnation de l'employeur pour homicide et/ou blessures involontaires emporte présomption irréfragable de faute inexcusable qui lie le juge civil, sa relaxe doit nécessairement conduire le juge civil à l'exonérer de toute responsabilité,

- qu'en l'espèce, non seulement la société [16] a été relaxée des chefs de blessures involontaires dont elle était poursuivie mais l'un de ses salariés a été déclaré pénalement responsable de l'accident et condamné pour blessures involontaires.



M. [N] en réplique expose que la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence ou de négligence ou une faute inexcusable, la faute pénale non intentionnelle, au sens de l'article 121-3 du code pénal, étant dissociée de la faute inexcusable au sens des dispositions de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale.



Aucune des autres parties ne conclut expressément sur la fin de non recevoir du chef de l'autorité de chose jugée au pénal soulevé par la société [19].



En application des dispositions de l'article 4 du code de procédure pénale, le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil interdit à une juridiction civile de remettre en question ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par la juridiction répressive statuant sur l'action publique, sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, ainsi que sur sa qualification et la culpabilité de celui à qui il est imputé.









Cette autorité s'attache non seulement au dispositif, mais également à tous les motifs qui en sont le soutien nécessaire.



Par dérogation au principe susvisé, l'article 4-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil (devenu l'article 1241 du code civil) si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie, ou en application de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie.



Il résulte de ces dispositions que la faute pénale non intentionnelle étant dissociée de la faute inexcusable, la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, de sorte que la relaxe pénale est sans incidence sur la qualification de la faute inexcusable au sens de la législation sur les risques professionnels.



Il appartient dès lors au juge civil, compétent en matière de sécurité sociale, de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l'employeur, laquelle s'apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l'infraction pénale dès lors qu'il suffit que la faute inexcusable de l'employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation dudit dommage.



La fin de non-recevoir soulevée par la société [19] du chef de l'autorité de chose jugée par le jugement du tribunal correctionnel de Brive la Gaillarde sera en conséquence rejetée.





2 - Sur l'applicabilité, contestée, d'une présomption de faute inexcusable :





Il doit être rappelé :

- que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail),

- que la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés temporaires victimes d'un accident du travail, alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L. 4154-2 (article L. 4154-3 du code du travail),

- que pour l'appréciation des postes présentant des risques particuliers, le juge ne peut se contenter d'apprécier la liste des postes identifiés le cas échéant par l'employeur comme étant à risques, mais doit analyser les situations de travail et la dangerosité du poste,

- que la présomption de faute inexcusable instituée par l'article L. 4154-3 du code du travail ne peut être renversée que par la preuve que l'employeur a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue par l'article L. 4154-2 du même code,

- que la seule survenance d'un accident n'est pas en soi la preuve de l'existence d'un poste à risques particuliers.



En l'espèce, relevant la qualité de salarié temporaire de M. [N], les premiers juges ont considéré :





- que si le contrat de mission temporaire précise que le poste de travail ne relève pas de la liste de l'article L414-2 (sic) du code du travail, la société [16] n'a pas fourni la liste des postes de travail présentant des risques particuliers

pour la santé ou la sécurité qu'elle aurait dû établir avec la médecine du travail,

- que le travail en atelier pour effectuer le pliage de tôles implique nécessairement l'utilisation de machines dangereuses et la circulation dans un milieu de travail pouvant comporter des risques importants qui sont d'ailleurs relevés et soulignés dans le document unique d'évaluation,

- que la société [16] n'a pas contesté que le poste litigieux comportait des risques particuliers pour la santé,

- que M. [N] aurait dû bénéficier d'une formation à la sécurité renforcée et qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a délivré au salarié une formation complète et spécifique à son poste de travail et un accueil et une information adaptés à l'entreprise,

- que s'il ressort de l'audition de M. [N] qu'on lui avait fait part des consignes de sécurité lors de son premier jour de travail, la société [16] ne produit aucun document permettant d'établir qu'il avait reçu une formation renforcée à la sécurité.



La société [16] conteste cette analyse en soutenant :

- que le poste occupé par M. [N] n'était pas un poste de travail à risques au sens des articles L4624-2 et R4624-23 du code du travail nécessitant une formation renforcée à la sécurité, étant considéré que la tâche du salarié consistait à faire glisser les tôles sur la machine de pliage et ne présentait pas de risque particulier, ainsi que le confirme le D.U.E.R. qui précise que sont remis aux salariés des chaussures de sécurité et des gants, que les dommages pouvant survenir sont des blessures aux mains en déplaçant les tôles ou des écrasements de doigts insérés dans la machine et qu'il n'existe aucunes consignes particulières si ce n'est celles commandées par la logique et la prudence la plus élémentaire,

- que M. [N] n'était pas à son poste de travail lors de l'accident puisqu'exclusivement affecté au pliage, il se tenait à proximité d'une autre machine, non activée, pour examiner une feuille de commande avec le responsable de production,

- que M. [N] a suivi une formation à la sécurité correspondant aux caractéristiques de son poste de travail dès son premier jour dans l'entreprise et qu'il résulte de ses propres déclarations qu'il savait qu'il devait s'écarter lors de l'arrivée du chariot, ce qu'il n'a pas fait, le conducteur du chariot n'ayant pas attendu qu'il s'éloigne et ayant abaissé les fourches de l'engin.



La société [19] et la S.A. [18] concluent également à l'inapplicabilité de la présomption de faute inexcusable prévue à l'article L4154-3 du code du travail, en exposant, pour l'essentiel :

- que la société utilisatrice, sur laquelle reposent toutes les obligations en la matière, a considéré que le poste de M. [N] n'était pas à risque et n'imposait pas de formation renforcée à la sécurité, ce qui interdit toute présomption de faute inexcusable,

- que ce n'est pas l'utilisation de la presse plieuse qui a été à l'origine de l'accident mais le comportement d'un salarié qui circulait dans l'atelier au volant d'un chariot élévateur sans respecter les consignes de sécurité afférentes à l'utilisation de ce véhicule.



M. [N] conclut à la confirmation de la décision entreprise en soutenant, en substance :

- s'agissant des risques particuliers présentés par le poste auquel il était affecté :

> que la circonstance que le poste ne figure pas dans la liste prévue à l'article R4624-23 du code du travail est indifférente dès lors que cette liste n'est pas limitative ainsi qu'il s'évince de l'alinéa 3 de ce texte,

> qu'il résulte du D.U.E.R. lui-même que le poste litigieux impliquant la manipulation de tôles présentait des risques de coupures, blessures ou coincements présentant un niveau de probabilité de 3/4 et de gravité







de 2/4 ainsi qu'un risque d'écrasement par des matières premières coté à 3/4 (probabilité) et 3/4 (gravité),

> que le poste impliquait de se trouver à proximité d'un engin de manutention ayant vocation à déplacer, lever et décharger des matériaux lourds, contondants et coupants.





Sur ce,





Le contrat de mise à disposition renseigné par l'entreprise utilisatrice comporte les mentions suivantes :

- tâches à effectuer : pliage de tôles en atelier,

- risques professionnels : (non renseigné)

- équip. protection indiv. : chaussures de sécurité,

- accueil sécurité : livret de sécurité remis.

- ce poste de travail figure-t-il sur la liste de l'article L4154-2 ' Non



En pratique, les fonctions de  M. [N] consistaient à faire glisser des tôles sur la machine de pliage et les récupérer et aucun élément n'établit que ce poste présentait des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité, distincts de ceux inhérents à l'utilisation de toute machine-outil et/ou à la manutention des tôles, justifiant une formation renforcée à la sécurité excédant celle dispensée à l'embauche (cf. fiche d'accueil, pièce 28 de la société [16], mentionnant la remise des équipements de protection individuelle obligatoire au poste de travail, l'information sur le mode opératoire du poste de travail, les risques liés au poste de travail, outils, machines, produits, matériaux).



Il y a lieu en outre de considérer que M. [N] était exclusivement affecté à un poste (et une machine) de pliage et non de cisaillement présentant des risques particuliers et qu'au moment de l'accident il n'exécutait - ou ne devait exécuter - aucune tâche de cisaillement, consultant simplement, avec un collègue, un document se trouvant à proximité de la machine 'cisaille/guillotine'.



La décision déférée sera en conséquence réformée en ce qu'elle a jugé que les conditions d'application de la présomption de faute inexcusable instituée par l'article L4154-3 du code de travail sont réunies en l'espèce.



3 - sur la caractérisation d'une faute inexcusable :



En l'absence de présomption de faute inexcusable, il appartient au salarié victime de l'accident du travail d'établir que celui-ci est imputable, ne serait-ce même que partiellement, à une faute inexcusable de l'employeur résultant d'un manquement à son obligation contractuelle de sécurité de résultat, nécessitant pour sa caractérisation la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger et n'a pas pris les mesures de prévention ou de protection nécessaires pour en préserver son personnel.



La conscience du danger exigée s'apprécie objectivement en considération de celle qu'un employeur normalement avisé aurait dû avoir.



Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant ; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une faute intentionnelle, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.



M. [N] soutient à ce titre, après rappel du droit positif sur la caractérisation de la conscience du risque/danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur :







- qu'il se trouvait, au moment de l'accident et à la demande de son supérieur hiérarchique à un endroit qui ne constituait pas son poste de travail exclusif et

qu'il n'aurait jamais dû être exposé à un contexte de travail aussi dangereux,

- que l'environnement proche de la table de dépose alimentant la machine de cisaillement n'aurait pas dû être encombré par une palette posée sur des tréteaux par-dessus laquelle M. [M] a tenté de passer en inclinant la fourche du chariot élévateur, provoquant ainsi le glissement de l'ensemble des plaques,

- que l'employeur avait nécessairement conscience de ce risque puisque le document unique prévoit un protocole particulier pour l'approvisionnement du poste de travail qu'il appartenait à l'employeur de faire respecter,

- que l'employeur aurait dû prendre toutes dispositions pour éviter que du matériel soit stationné sur la table de dépose ou sur une desserte à côté de celle-ci, signalant une 'zone libre' dans laquelle aucun obstacle ne pouvait être maintenu, ce qui aurait évité que M. [M] gêné dans sa manoeuvre ait eu l'idée de contourner l'obstacle en passant par-dessus,

- qu'à cet égard, la société [16] n'avait installé aucune signalisation au sol,

- s'agissant du lien de causalité, que sans cet encombrement l'accident n'aurait pas eu lieu puisque M. [M] aurait pu déposer verticalement la palette qu'il transportait,

- qu'en outre, aucune information indiquant l'existence du D.U.E.R. n'était affichée sur les lieux de travail et aucun des salariés entendus dans le cadre de l'enquête n'en avait connaissance,

- qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, alors, d'une part, qu'il ne pouvait déduire, compte-tenu de son inexpérience, qu'il était impératif de s'éloigner d'un engin de déchargement en manoeuvre et, d'autre part, qu'il était sous l'autorité d'un supérieur hiérarchique expérimenté,

- que l'employeur a commis une faute inexcusable pour n'avoir établi aucun protocole de déchargement.



La société [16] et son assureur contestent l'existence de toute faute inexcusable de l'employeur en soutenant, pour l'essentiel :

- que les multiples erreurs commises par M. [M] (non utilisation du signal sonore, conduite du chariot fourches hautes, passage au-dessus d'un objet encombrant, dépôt de plaque par glissement et non à plat) sont la cause exclusive du dommage,

- que le plan de circulation n'est pas en cause dans la genèse de l'accident qui est intervenu dans le cadre d'une opération de déchargement et non dans le cadre d'un déplacement du chariot, de sorte que l'absence de matérialisation des zones de circulation n'a joué aucun rôle causal, l'accident ayant été provoqué par la non-attente par le conducteur du départ de M. [N], qu'il avait nécessairement vu, le non-départ de M. [N] de son poste dont il savait devoir impérativement partir et le basculement (au lieu de la dépose à plat) par le conducteur des plaques métalliques, fourches trop hautes,

- qu'une enquête de la CARSAT réalisée à la demande de l'Inspection du travail a conclu que la matérialisation et la signalisation des voies de circulation n'étaient en l'espèce pas nécessaires,

- que l'accident est dû à une succession exceptionnelle, rapide, très limités dans le temps, d'imprudences commises de manière imprévisible par un conducteur de chariot élévateur expérimenté, au comportement soudain inexplicable mais également à M. [N] qui n'a pas eu la réaction appropriée en ne se retirant pas de son poste.



En l'espèce, les circonstances, non contestées, de l'accident sont les suivantes :

- M. [M], salarié de la société [16], dans le cadre du déchargement d'une palette de plaques métalliques à l'aide d'un chariot élévateur, a entrepris une manoeuvre destinée à faire glisser la première plaque sur une table de dépose, située face à la machine-outil (cisaille) et devant laquelle se trouvaient M. [N] et un autre salarié qui consultaient une feuille de commande,

- cette manoeuvre a entraîné le glissement de la totalité de la palette dont les plaques sont venues percuter les deux salariés.



La description de l'accident, détaillée dans le jugement du tribunal correctionnel précité, n'est pas contestée, selon laquelle :







- M. [M] a circulé dans l'atelier au volant du chariot élévateur avec les fourches en hauteur alors que celles-ci devaient être baissées selon les consignes de sécurité dans l'entreprise,

- il n'a pas klaxonné pour prévenir ses deux collègues de son arrivée et du déchargement de la plaque,

- il a procédé à cette opération sans leur demander préalablement de quitter leur place,

- il n'a pas déposé la plaque selon la procédure habituelle (dépose à plat de la palette en bois chargée des plaques métalliques sur la table de dépose située face à la cisailleuse, puis transfert de la plaque sur la cisailleuse, la palette avec les plaques non utilisées devant être transportées, ensuite, sur un autre lieu pour stockage).



L'examen des pièces versées aux débats et notamment les auditions réalisées dans le cadre de l'enquête préliminaire permet de constater :

- que M. [M] a indiqué qu'il y avait une palette sur des tréteaux devant la table de dépose qu'il devait utiliser, qu'il a voulu passer au-dessus pour faire glisser une plaque afin qu'elle se positionne sur la table fixe, qu'il lui a bien été indiqué, dans le cadre de sa formation CACSES, qu'il était interdit de passer par-dessus des objets encombrants pour déposer une charge car la remise du mât à la perpendiculaire provoquerait un glissement de la charge, qu'il a cependant tenté de passer par-dessus la palette posée sur des tréteaux pour ne pas perdre de temps,

- que M. [G] [R], entendu en qualité de formateur CACSES, a indiqué aux enquêteurs qu'il ne peut pas y avoir de dépose de la charge en passant par-dessus des objets encombrants ce qui entraînerait une inclinaison du mât vers l'avant et un basculement de la charge, qu'il est interdit de passer par-dessus des objets pour déposer une charge, que l'inclinaison ferait basculer la charge et que cela serait impossible à récupérer, seul le mât s'inclinant et non les fourches.



Des manoeuvres d'évitement d'encombrants telles que celle réalisée par M. [M], même si elles sont prohibées dans le cadre de la formation des utilisateurs de chariots élévateurs, constituent un danger potentiel certain qu'un employeur normalement avisé ne peut ignorer et qui justifie de faire respecter une zone franche, libre de tout encombrement dans le périmètre de desserte des tables de dépose, compte-tenu des risques manifestes et importants de basculement de charge (en l'espèce vingt plaques d'un poids total de deux tonnes) en cas de manoeuvre intempestive d'évitement.



Or, M. [N] soutient, sans être objectivement démenti, qu'aucune mesure de prévention /protection face à un tel risque n'était mise en oeuvre dans l'entreprise, en termes tant de signalisation matérielle (marquage au sol, panneaux/affiches ou autres) que de rappel et application des consignes de sécurité (notes de service ou autres).



Certes, aucune mesure préventive n'est de nature à exclure totalement la survenance d'un accident lié à une imprudence individuelle, mais une absence totale de mise en oeuvre de telles mesures en présence d'un risque clairement identifié caractérise une faute inexcusable, en lien de causalité avec la survenance du dommage.



Dès lors, la faute inexcusable de la société [19] à laquelle s'est substituée la S.A.R.L. [16] dans la direction de M. [N] doit être reconnue, le jugement déféré étant pour ce motif confirmé en ce qu'il a reconnu la caractère inexcusable de la faute commise par l'employeur dans la survenance de l'accident du travail dont M. [V] [N] a été victime le 4 juillet 2014, étant considéré qu'aucune faute inexcusable, exclusive de la responsabilité de l'employeur, n'est caractérisée à l'encontre du salarié victime.











Sur la réparation :





Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la rente allouée à M. [N] sera, en application de l'article L452-2 du code de la sécurité sociale, majorée à son taux maximum et en ce qu'il a ordonné, avant dire droit sur la liquidation des préjudices indemnisables, une expertise médicale dans les termes énoncés dans son dispositif.



Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a dit que la CPAM de la Corrèze pourra demander le remboursement de l'ensemble des sommes versées auprès de la société [19].





Sur l'action récursoire de la S.A.R.L. [19] :





Il résulte des articles L. 241-5-1, L. 412-6, R. 242-6-1 et R. 242-6-3 du code de la sécurité sociale qu'en cas d'accident du travail imputable à la faute inexcusable d'une entreprise utilisatrice, l'entreprise de travail temporaire, seule tenue, en sa qualité d'employeur de la victime, des obligations prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-4 du même code, dispose d'un recours contre l'entreprise utilisatrice pour obtenir simultanément ou successivement le remboursement des indemnités complémentaires versées à la victime et la répartition de la charge financière de l'accident du travail.



Ni M. [N] ni la S.A.R.L. [16] n'allèguent ni ne démontrent à l'encontre de la S.A.R.L. [19] l'existence d'une quelconque faute à l'origine de l'accident.



Dès lors, la S.A.R.L. [16] sera condamnée à garantir intégralement la S.A.R.L. [19] de l'intégralité des conséquences financières de l'accident du travail dont M. [N] a été victime, en application de l'article L 412-6 du code de la sécurité sociale, tant en ce qui concerne la réparation complémentaire versée à ce dernier que le coût de l'accident.



La présente décision sera déclarée opposable aux assureurs respectifs des sociétés [19] (S.A. [15]) et [16] (S.A. [18]).





Sur les demandes accessoires :





L'équité commande d'allouer à M. [N], à la charge de la S.A.R.L. [16], une indemnité de 1 000 € au titre des frais irrépétibles par lui exposés en cause d'appel et de débouter les autres parties de leurs demandes de ce chef.



La S.A.R.L. [16] sera condamnée aux dépens d'appel.





PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :



Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Tulle en date du 16 septembre 2020,



Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,



Y ajoutant :









- Condamne la S.A.R.L. [16] à payer à M. [N], en application de l'article 700 du C.P.C., la somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles par lui exposés en cause d'appel,



- Rejette toutes autres demandes de ce chef,



- Condamne la S.A.R.L. [16] aux dépens d'appel.



LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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