17 juin 2022
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 18/20412

Chambre 4-1

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1



ARRÊT AU FOND

DU 17 JUIN 2022



N° 2022/238



Rôle N° RG 18/20412 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDRJN







[L] [X]





C/





[P] [J]









Copie exécutoire délivrée

le :



17 JUIN 2022



à :



Me Christine SIHARATH, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE



Me Isidore ARAGONES, avocat au barreau de MARSEILLE





















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 14 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/02538.





APPELANT



Monsieur [L] [X], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Manon STURA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





INTIME



Monsieur [P] [J], demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Isidore ARAGONES, avocat au barreau de MARSEILLE









*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR



L'affaire a été débattue le 03 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.



La Cour était composée de :



Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller



qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA



Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022 et prorogé au 17 juin 2022.





ARRÊT



Contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 juin 2022,



Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






***































































Monsieur [L] [X] a été embauché en qualité d'horloger le 2 mai 2013 par Monsieur [P] [J], qui exploite en son nom propre un fonds de commerce de vente et de réparation de montres sous l'enseigne TIME STORY.



La relation de travail a pris fin le 23 août 2017 suite à une rupture conventionnelle signée par les parties.



Contestant la validité de la rupture conventionnelle et réclamant le paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de dommages-intérêts pour discrimination, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et d'indemnités de rupture, Monsieur [L] [X] a saisi la juridiction prud'homale.



Par jugement du 14 décembre 2018, le conseil de prud'hommes de Marseille a jugé Monsieur [L] [X] recevable en son action, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté Monsieur [P] [J] de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et du surplus de ses demandes et a dit que les dépens seraient partagés par moitié entre les parties.



Ayant relevé appel, Monsieur [L] [X] demande à la Cour, aux termes de ses conclusions récapitulatives et responsives notifiées par voie électronique le 17 janvier 2022, de :

RÉFORMER le jugement entrepris,

Statuant de nouveau,

- JUGER Monsieur [X] recevable et bien fondé en son action.

- JUGER que le consentement de Monsieur [X] a été vicié dans le cadre de la rupture conventionnelle de son contrat de travail,

- CONDAMNER l'employeur pour violation de la procédure de rupture conventionnelle du contrat de travail,

- CONDAMNER l'employeur au titre du harcèlement moral et de discrimination subis,

- JUGER que les conditions élémentaires de sécurité ne sont pas réunies au sein des locaux,

En conséquence,

- ANNULER la rupture conventionnelle signée par les parties le 31 juillet 2017.

- PRONONCER la nullité de la rupture du contrat de travail ou dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- CONDAMNER Monsieur [J] au paiement de la somme de 45 323,04 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou à titre subsidiaire à 22 661,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- CONDAMNER Monsieur [J] au paiement de la somme de 5665,38 euros, et 566,65 euros de congés payés y afférents au titre du préavis conventionnel porté à trois mois en considération de la reconnaissance de salarié handicapé de Monsieur [X],

- CONDAMNER Monsieur [J] au paiement de la somme de 1637,67 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- CONDAMNER Monsieur [X] au paiement de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct de harcèlement moral ou, à tout le moins, pour exécution fautive du contrat de travail,

- CONDAMNER Monsieur [J] au paiement de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts au titre de la discrimination,

- CONDAMNER Monsieur [J] au paiement de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat,

- DIRE ET JUGER que toute condamnation prononcée produira les intérêts de droit à compter de la saisine de la juridiction avec capitalisation des intérêts.

- CONDAMNER Monsieur [J] à 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

- DÉBOUTER Monsieur [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

- Entendre la Cour ORDONNER la délivrance de bulletins de paie et documents de rupture rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard avec faculté de liquidation.



Monsieur [P] [J] demande à la Cour, aux termes de ses conclusions d'intimé notifiées par voie électronique le 16 décembre 2021, de :

- CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille en date du 14 décembre 2018.

- DÉBOUTER intégralement Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions





En tout état de cause,

- CONDAMNER Monsieur [X] au versement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- LE CONDAMNER aux entiers frais et dépens distraits au profit de Maître Aragones qui y a pourvu.



La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 10 février 2022.






SUR CE :



Sur le harcèlement moral :



Monsieur [L] [X] fait valoir que son employeur exerçait sur les salariés un contrôle permanent, notamment par le biais d'une caméra de surveillance placée dans l'atelier afin de surveiller les moindres faits et gestes de ses employés ; que contrairement à ce qu'avance Monsieur [J], la déclaration à la CNIL n'est pas obligatoire seulement dans les cas où la vidéosurveillance concerne des lieux accueillant du public, dès lors que les données recueillies font l'objet d'un traitement personnel et informatique, par exemple si elles sont conservées, le système doit alors être déclaré ; que Monsieur [J] n'a déclaré aucun des dispositifs de vidéosurveillance qu'il a installés dans le magasin ; qu'en l'espèce, les caméras étaient braquées sur Monsieur [X] de sorte que son employeur observait et contrôlait quotidiennement et de manière permanente ses faits et gestes ; que seul Monsieur [X] voyait son poste surveillé en permanence ; que la surveillance totale et permanente d'un salarié à son poste de travail porte nécessairement une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée ; que l'employeur a accru la pression sur Monsieur [X] en l'épiant en permanence et le rappelait à l'ordre à la moindre occasion ; que le fait d'avoir surveillé le salarié en permanence est assimilable à du harcèlement moral, d'autant que Monsieur [J] allait jusqu'à surveiller les moments où Monsieur [X] allait aux toilettes ainsi que le nombre de fois où il y allait ; que l'employeur obligeait le salarié à déposer à son arrivée son téléphone dans un panier et le gardait dans son bureau, ne le rendant à Monsieur [X] qu'à l'heure de son départ; que les insultes et les pressions constituaient des méthodes de management récurrentes ; que Monsieur [J] a adopté un comportement assimilable à un harcèlement moral ou, à tout le moins, à une exécution fautive du contrat de travail ; que cette situation a bien évidemment eu de lourdes répercussions sur le salarié notamment en termes de stress et d'anxiété au travail et qu'il convient de condamner Monsieur [J] à verser au concluant la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct de harcèlement moral ou, à tout le moins, pour exécution fautive du contrat de travail.



Monsieur [P] [J] soutient que, alors que les parties avaient dûment régularisé et signé la rupture conventionnelle le 13 juillet 2017 et qu'une possibilité de rétractation était offerte à Monsieur [X] jusqu'au 31 juillet 2017, celui-ci a fait savoir de façon très surprenante à son employeur que ses conditions de travail ne lui convenaient plus et qu'il souhaitait les voir s'améliorer alors même qu'une rupture conventionnelle avait été signée ; que Monsieur [X] n'a jamais fait état, au cours de ses quatre années d'ancienneté, d'un quelconque harcèlement moral à son égard ; que curieusement, alors même qu'une rupture conventionnelle avait été convenue entre les parties, Monsieur [X] a évoqué des faits de harcèlement moral, de manquement à une obligation de sécurité, d'utilisation de produits nocifs pour la santé ; qu'il est évident que ces éléments qui n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque alerte ont été inventés de toutes pièces ; qu'aucune attestation ou élément matériel ne permet de laisser penser que le salarié a été victime d'un harcèlement moral ; que contrairement à ce que rapporte Monsieur [X], les caméras ne sont en aucun cas braquées en permanence sur le salarié, mais ont été installées dans un but légal et légitime, à des fins de sécurité des biens et des personnes, à titre dissuasif, pour protéger le magasin contre des éventuels cambriolages ou pour identifier les auteurs de vols, de dégradations ou d'agressions; que la présence de caméras de vidéo surveillance est conforme aux préconisations énoncées par la CNIL, compte tenu que Monsieur [X] exerçait au sein de l'entreprise une activité d'horloger dans une zone où de la marchandise et des biens de valeur étaient entreposés ; que la présence de caméras n'est en aucun cas une atteinte aux droits et libertés fondamentaux des salariés et elle est par conséquent légale ; que les caméras étant situées dans un lieu non ouvert au public (l'atelier attenant au magasin), Monsieur [J] n'était tenu par aucune réglementation de justifier de démarches auprès de la CNIL et qu'il produit l'arrêté autorisant la mise en place d'un système de vidéo protection ; que les salariés avaient été informés de la mise en place du système de vidéo surveillance ; que la Cour déboutera Monsieur [X] de sa demande de reconnaissance d'un harcèlement moral et de condamnation au paiement de dommages-intérêts pour préjudice distinct de harcèlement moral.



*****



Monsieur [L] [X] produit les éléments suivants :

-le courrier recommandé 20 juillet 2017 qu'il a adressé à Monsieur [P] [J], en ces termes :

« Je fais suite à mon appel téléphonique d'hier, le mercredi 14 juin 2017. Je vous ai téléphoné pour savoir quels seraient mes horaires pour vendredi car vous ne me les aviez pas donnés.

Vous m'avez répondu sèchement : "tu me casses les couilles", "si tu reviens, c'est pour travailler comme je te dirai de le faire. T'as pas le droit de te lever. Je t'ai vu à la caméra la dernière fois te lever et revenir deux minutes après, qu'est-ce que tu as fait '''". A cela je vous ai répondu gue j'étais allé aux toilettes. Vous m'avez alors répondu que je n'avais qu'à me retenir et faire comme en Chine et mettre des couches...

Je vous ai alors indiqué que cette réflexion et le ton que vous employez n'étaient pas corrects et respectueux de ma personne.

Je vous ai ensuite précisé que les conditions de travail que vous m'imposiez n'étaient pas conformes et que votre comportement était du harcèlement moral.

En effet, je suis surveillé en permanence notamment par le biais du système de surveillance par caméra. C'est d'ailleurs grâce à cela que vous contrôlez le nombre de fois où je vais aux toilettes et le temps que j'y passe ... Vous m'insultez régulièrement me traitant toujours d'idiot ou d'incapable.

Pourtant cela fait 5 ans que je suis salarié chez vous et que j'ai toujours fait preuve d'une parfaite implication et d'un dévouement sans faille car j'ai besoin de travailler,

Après être tombé à plusieurs reprises dans les escaliers qui mènent à l'atelier (que j'emprunte très fréquemment pour monter et descendre les réparations), je vous ai fait constater l'absence de nez de marche.

Je ne comprends pas que je sois sanctionné de la sorte car je n'ai fait que vous alerter sur des éléments élémentaires de sécurité.

Je profite de ce courrier pour vous indiquer qu'outre ces problèmes, je dénonce l'utilisation de produits nocifs pour la machine à laver les montres (essence C, essence F) sans système d'aération.

Nous respirons donc ces produits toute la journée. Nous sommes exposés aux bruits ambiants causés notamment par le caisson de climatisation (qui n'a pas de protection) et les autres machines présentes dans la pièce, la température de l'atelier est extrêmement élevée et la pièce n'est pas ventilée.

Mon poste de travail n'est quant à lui pas adapté à mes fonctions d'horloger réparateur ; en l'état les positions adoptées me font mal au dos.

Je vous écris cette lettre car je souhaite que mes conditions de travail s'améliorent. J'ai besoin de garder mon emploi.

Je me permets de compter sur votre écoute afin de trouver la meilleure solution.

Dans l'absence d'une réponse favorable, je vous prie de croire Monsieur à l'expression de mon sincère dévouement,

Cordialement » ;

-le courrier recommandé en réponse de Monsieur [J] en date du 25 juillet 2017, en ces termes :

« J'ai bien reçu votre courrier, qui a retenu toute mon attention.

Vous vous plaigniez de vos conditions de travail, quant à l'utilisation de la machine à réviser les mouvements d'horlogerie, en particulier les bains dégraissants LR43.

Il existe deux modèles, avec ou sans ammoniaque.

Jusqu'à présent, vous utilisiez le modèle avec ammoniaque. Nous prenons bonne note de votre remarque, et nous commandons dès à présent chez notre fournisseur « Le Comptoir niçois » les références sans ammoniaque, pour une mise à disposition dès que possible.

Nous vous informons également que des masques filtrants sont à votre disposition au magasin.

Concernant notre discussion sur une éventuelle rupture conventionnelle, nous tenons à préciser que cette discussion s'est déroulée à votre initiative, vous-même vous nous avez sollicité pour cette éventuelle rupture.

Concernant l'utilisation des téléphones portables, nous prenons bonne note de vos remarques. Nous tenons également à préciser que nos échanges sur ce point vient du fait des nombreux abus en général par les salariés de l'utilisation du téléphone portable.

Nous vous informons que vous pouvez garder votre téléphone portable avec vous, mais qu'en tout état de cause, la note de service sur l'usage du téléphone portable en entreprise, qui vous a été remise le 01/03/2016 reste valable, en particulier :

- l'usage du téléphone portable personnel pendant les heures de travail est interdit, hormis cas de force majeure, après information préalable de la direction. Pendant les temps de pause et de repas, l'utilisation du téléphone portable personnel est autorisée.

Cependant, la direction précise que cette utilisation doit être discrète, que les communications doivent être faites dans un endroit isolé de la clientèle et sans occasionner de gêne pour le personnel présent, tant en service qu'en repos. »

Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'assurance de notre sincère considération » ;



-des photographies de la caméra et de captures d'écran de la vidéo, montrant que la caméra est dirigée notamment vers le poste de travail de Monsieur [X] ;

-des documents de la CNIL sur la vidéo surveillance-vidéo protection au travail.



Monsieur [L] [X] présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



Monsieur [P] [J] produit, outre certaines pièces déjà versées par le salarié (les échanges de courriers des 20 et 25 juillet 2017), les éléments suivants :

-la convention de rupture signée par les parties en date du 13 juillet 2017, mentionnant un entretien du 13 juillet 2017 et une date de rétractation du 31 juillet 2017 ;

-des documents de la CNIL sur la vidéosurveillance-vidéoprotection dans les commerces ;

-un courrier du 3 juin 2013 informant Monsieur [X] de l'installation de vidéosurveillance au rez-de-chaussée et à l'étage du magasin, courrier portant la mention "lu et approuvé" et la signature du salarié, ainsi que les courriers portant à la connaissance d'autres salariés l'installation de la vidéosurveillance ;

-l'arrêté du 5 décembre 2011 du Préfet des Bouches-du-Rhône autorisant l'installation d'un système de vidéoprotection dans le magasin "TIMESTORY".





Si Monsieur [P] [J] justifie que l'installation de son système de vidéo surveillance ne nécessitait pas de déclaration auprès de la CNIL dans la mesure où la caméra était installée et filmait un lieu non ouvert au public et qu'il avait effectué la déclaration auprès de l'autorité préfectorale, outre l'information auprès des salariés, il ne fournit toutefois aucune explication sur les raisons de l'orientation de la caméra en direction du poste de travail de Monsieur [X]. Dans son courrier en réponse en date du 25 juillet 2017, Monsieur [J] n'a pas démenti les dires de Monsieur [X] sur la surveillance dont celui-ci faisait l'objet pour contrôler ses déplacements et le temps passé aux toilettes, sur les propos tenus par l'employeur (selon lesquels le salarié n'a "qu'à (se) retenir et faire comme en Chine et mettre des couches"; "tu n'as pas le droit de te lever" ; "tu me casses les couilles" ; traitant le salarié "d'idiot ou d'incapable"). De même, Monsieur [J] n'a pas démenti qu'il confisquait le téléphone portable du salarié en début de journée et a même implicitement reconnu ce fait puisqu'il a indiqué au salarié qu'il prenait note de ses remarques et l'informait qu'il pourrait garder son téléphone portable (sous condition de ne pas en faire usage pendant les heures de travail). En tout état, Monsieur [P] [J] ne verse pas de pièce susceptible d'établir que la surveillance constante du salarié, la confiscation de son téléphone portable en début de journée de travail et les propos irrespectueux tenus envers son salarié seraient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



En conséquence, l'existence d'un harcèlement moral subi par Monsieur [X] est établie.



Le salarié invoque avoir subi un stress dans le cadre de son travail, sans verser d'élément probant sur son préjudice.



En considération des conditions de travail dégradées dans lesquelles Monsieur [X] a évolué, la Cour accorde à celui-ci la somme de 2000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.



Sur la discrimination :



Monsieur [L] [X] fait valoir que, par les man'uvres de Monsieur [J], il a quitté l'entreprise en septembre et qu'étrangement, la société venait de recruter dans le courant de l'été un jeune homme, dénommé [K], âgé d'environ 20 ans ; que cette étrange coïncidence démontre à elle seule l'origine discriminatoire de la mesure qui visait à se débarrasser d'un senior handicapé et de prendre à la place un jeune homme en bonne santé ; en effet, sinon pourquoi Monsieur [J] était-il pressé que Monsieur [X] signe la rupture conventionnelle, si ce n'était pour ensuite le remplacer par un salarié plus jeune ; que la nullité est donc acquise et qu'il convient d'accorder au concluant 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi découlant de la discrimination.



Monsieur [P] [J] réplique que concernant la prétendue attitude discriminatoire, Monsieur [X] n'a aucun élément en sa possession ; que le simple fait d'embaucher une personne plus jeune à un poste vacant n'est pas constitutif d'une discrimination à l'égard d'un ancien salarié ; qu'il est évident qu'en aucun cas, l'âge de Monsieur [X] ne posait un quelconque problème et qu'il convient de débouter le salarié de sa demande d'indemnisation de ce chef.



***



Le simple fait que le salarié ait été remplacé, après la rupture de son contrat de travail, par un salarié plus jeune ne laisse pas supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte en raison de l'âge ou de l'handicap de Monsieur [X], lequel était âgé de 47 ans lors de son embauche et bénéficiait déjà d'une pension militaire d'invalidité attribuée depuis le 4 juillet 1989 (pièce 13 versée par le salarié).



Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur [X] au titre d'une indemnisation pour discrimination.



Sur le manquement à l'obligation de sécurité :



Monsieur [L] [X] soutient qu'il s'était inquiété à plusieurs reprises d'avoir à utiliser des produits particulièrement toxiques afin de procéder au nettoyage des montres dans l'atelier, sans pour autant que le moindre système d'aération ne soit utilisé ; qu'il était ainsi exposé à des vapeurs nocives émanant d'Essence C et d'essence F ; qu'il a fallu attendre plus de quatre ans pour que l'employeur reconnaisse que ces conditions étaient dangereuses et s'engage à changer les bains dégraissants des montres ; que par ailleurs, Monsieur [J] n'a jamais remédié aux autres problèmes pointés du doigt par Monsieur [X], à savoir une climatisation défaillante et dangereuse et l'absence d'aération et de ventilation au sein de l'atelier ; que l'employeur ne verse aucun justificatif de l'installation d'extracteurs d'air ; que plus encore, l'employeur n'a jamais non plus installé les nez de marche sur les escaliers alors même que le salarié avait chuté plusieurs fois dans ces escaliers escarpés qui conduisent à l'atelier ; qu'il appartient à Monsieur [J] de produire le Document unique d'évaluation des risques prévu par l'article R.4121-1 du code du travail ; que l'employeur doit être condamné à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice distinct résultant de la violation de l'obligation de sécurité de résultat.



Monsieur [P] [J] réplique que Monsieur [X] ne verse aucun élément probant venant corroborer ses allégations ; que la seule réclamation du salarié en 4 ans résulte du courrier postérieur à la signature de la rupture ; que néanmoins, Monsieur [J], à l'écoute de ses salariés, a pris bonne note de la remarque de Monsieur [X] ; qu'il est versé aux débats des factures et notices de produits, seuls disponibles sur le marché de l'horlogerie ; que Monsieur [X] disposait de protection pour l'utilisation de tels produits ; que comme relevé par le conseil de prud'hommes de Marseille dans sa décision en date du 14 décembre 2018, Monsieur [X] ne conteste pas que des masques filtrants étaient à sa disposition; qu'en tout état de cause, il n'est pas démontré les risques encourus par l'utilisation de ce produit et l'insuffisance des mesures prises ; qu'encore une fois, aucun élément n'est versé au débat par Monsieur [X] concernant les chutes dont il dit avoir été victime dans les escaliers ; que la réclamation du salarié ne saurait prospérer et que la Cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [X] de sa demande de condamnation de ce chef.



***



Monsieur [L] [X] produit, à l'appui du grief relatif au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le courrier recommandé du 20 juillet 2017 adressé à son employeur, dans lequel le salarié invoque pour la première fois, après 4 années d'emploi au service de Monsieur [P] [J], être tombé à plusieurs reprises dans les escaliers et être exposé à des produits nocifs (essence C, essence F) sans système d'aération dans la pièce, de même qu'il dénonce l'exposition "aux bruits ambiants causés notamment par le caisson de climatisation...", "la température de l'atelier extrêmement élevée" et son poste de travail inadapté.



Monsieur [X] ne verse aucun élément probant notamment quant à la survenance de chutes "à plusieurs reprises" dans les escaliers.



Monsieur [P] [J] a répondu au salarié, par courrier recommandé du 25 juillet 2017, uniquement sur l'utilisation de bains dégraissants avec ammoniaque, précisant que des masques filtrants étaient à disposition de Monsieur [X], ce qui n'est pas discuté par ce dernier.



Monsieur [P] [J] produit des factures de janvier 2016, de septembre 2016, de février 2017 et d'août 2017.



Il ne fournit aucune explication et ne verse aucune pièce quant à la sécurisation de l'escalier, l'exposition aux bruits, la climatisation et l'aération de l'atelier.



De surcroît, l'employeur ne justifie pas avoir établi le document unique d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs prévu par l'article R.4121-1 du code du travail et avoir effectué un inventaire des risques encourus par les salariés sur leur lieu de travail.



En conséquence, Monsieur [P] [J] ne justifie pas avoir respecté ses obligations légales et contractuelles de protection de la sécurité et de la santé de ses salariés.



Toutefois, Monsieur [X] ne verse aucun élément sur son préjudice.



À défaut de justifier de l'existence et de l'étendue de son préjudice qui résulterait d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, la Cour déboute Monsieur [L] [X] de sa demande en paiement de dommages-intérêts.



Sur la rupture du contrat de travail :



Monsieur [L] [X] soutient qu'à la suite de son courrier du 20 juillet 2017, Monsieur [P] [J] lui a répondu le 25 juillet 2017 en évoquant une prétendue sollicitation du salarié en vue d'une éventuelle rupture conventionnelle alors que le courrier de Monsieur [X] n'y faisait nullement référence; que manifestement agacé par le courrier du salarié, Monsieur [J] a convoqué oralement celui-ci le 28 juillet à un entretien devant se dérouler le 31 juillet, que cet entretien allait se révéler être une rencontre en vue d'une éventuelle rupture conventionnelle ; que cet entretien a effectivement eu lieu le 31 juillet 2017, tel qu'en atteste un compte rendu rédigé et signé par Monsieur [J] et par Monsieur [X] ; que face à l'insistance et à la pression de Monsieur [J], qui lui a indiqué que c'était la rupture conventionnelle ou le licenciement pour faute, Monsieur [X] signait les documents qui lui étaient présentés sans réellement en saisir les conséquences ; que le document CERFA était opportunément daté du 13 juillet 2017, dans le seul et unique objectif de priver Monsieur [X] de son droit au délai de réflexion de 15 jours afin éventuellement de se rétracter ; qu'acculé par le harcèlement moral et la discrimination dont il a fait l'objet, le salarié, violenté moralement, a été contraint de signer la rupture conventionnelle alors qu'il a été privé de la possibilité d'être assisté et de la possibilité de bénéficier du délai légal de rétractation ; qu'eu égard à la contrainte morale exercée sur le salarié, il convient d'annuler la rupture conventionnelle pour vice du consentement et de lui faire produire les effets d'un licenciement nul compte tenu de la discrimination et du harcèlement subi et, à titre subsidiaire, d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Monsieur [X] invoque également le non respect de la procédure de rupture conventionnelle, ayant été convoqué oralement, sans en connaître les raisons et sans être informé de la possibilité d'être assisté ; que cette première violation de la procédure suffit à elle seule à annuler la rupture conventionnelle intervenue; qu'il est manifeste par ailleurs que c'est bien le 31 juillet que la convention a été signée et qu'elle a été datée au 13 juillet dans le seul but de contourner les dispositions impératives destinées à protéger le salarié ; que la procédure de rupture conventionnelle n'a donc pas été respectée, ce qui, encore une fois, doit entraîner la nullité de la convention et faire produire à la rupture les effets d'un licenciement nul compte tenu de la discrimination et du harcèlement subi et, à titre subsidiaire, d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.



Monsieur [P] [J] réplique que Monsieur [X], qui avait entamé à compter du mois de juin 2016 une formation financée par le FONGECIF, a fait savoir à l'issue de sa formation, courant du mois de juin 2017, qu'il souhaitait donner un nouvel élan à sa carrière et que pour des raisons personnelles, il sollicitait la rupture de son contrat de travail par le biais d'une rupture conventionnelle ; que Monsieur [J] a accueilli favorablement la demande de Monsieur [X] lors d'un premier entretien qui a eu lieu le 13 juillet 2017 ; qu'à cette date, les parties ont dûment régularisé, complété et signé la rupture conventionnelle du contrat ainsi que le formulaire d'homologation ; que durant la période de rétractation, expirant le 31 juillet 2017, Monsieur [X] a fait savoir de façon très surprenante à son employeur que ses conditions de travail ne lui convenaient plus et qu'il souhaitait les voir s'améliorer, alors même qu'une rupture conventionnelle avait été signée et qu'il avait tout à fait la possibilité de se rétracter ; que Monsieur [X] n'a jamais contesté les indications données par l'employeur dans son courrier du 25 juillet 2017 sur la rupture conventionnelle telle qu'elle s'était déroulée ; qu'il résulte des échanges entre les parties et de la signature de la rupture conventionnelle que cette rupture a été librement consentie par Monsieur [X] et qu'elle est parfaitement régulière et qu'il convient de débouter Monsieur [X] de ses demandes de ce chef.



Monsieur [L] [X] verse aux débats les éléments suivants :

-un courrier daté du 31 juillet 2017 signé par les deux parties, ayant pour "objet : Réunion Rupture Conventionnelle entre [L] [X] et TIME STORY Mr [J] [P]", mentionnant :

« À l'issue d'un premier entretien le 28 (chiffre 9 transformé en 8) juillet à 8h30, les parties ont convenu de se revoir le 31 juillet 2017 à 14h00 - il a été décidé d'un commun accord qu'une somme transactionnelle de 10.000 € (Dix mille euros) incluant les indemnités de rupture conventionnelle et les congés payés » ;

-un courrier du 31 juillet 2017 signé par Monsieur [J], qui « atteste par la présente indemniser Mr [L] [X] d'une somme de 10.000 € (Dix mille euros) chq bancaire à titre de rupture conventionnelle - Ladite rupture sera adressée à la Dirrecte ce jour. Et nous attendrons l'avis de la Dirrecte, pour pouvoir valider l'accord et remettre le chq de 10.000 € à Mr [X]. Pendant ce délai Mr [X] continuera à exercer son activité d'horloger au sein de l'entreprise » ;

-la convention Cerfa de rupture conventionnelle datée du 13 juillet 2017, signée par les deux parties, mentionnant une date de premier entretien du 13 juillet 2017 et un délai de rétractation expirant le 31 juillet 2017.



La date mentionnée sur la convention de rupture du 13 juillet 2017 ne correspond pas à la date du 31 juillet 2017, qui est manifestement la date où les parties se sont entretenues et ont convenu de la rupture conventionnelle du contrat de travail de Monsieur [X] en contrepartie d'une indemnité transactionnelle de 10 000 euros, tel que cela résulte des courriers du 31 juillet 2017 cités ci-dessus. C'est également à cette date du 31 juillet 2017 que Monsieur [P] [J] a indiqué que la rupture serait adressée "ce jour" à la DIRRECTE pour homologation.



Monsieur [P] [J] ne peut donc prétendre que les parties auraient complété et signé la rupture conventionnelle du contrat à la date du 13 juillet 2017, version qui n'est aucunement corroborée par les éléments produits.



Monsieur [X], dans son courrier du 20 juillet 2017 adressant des reproches à son employeur, n'invoque aucunement une demande ou des pourparlers au sujet d'une rupture conventionnelle, indiquant au contraire qu'il souhaitait que ses conditions de travail s'améliorent et qu'il avait besoin de garder son emploi. Si Monsieur [P] [J], dans son courrier en réponse du 25 juillet 2017, invoque "une discussion sur une éventuelle rupture conventionnelle" à l'initiative du salarié, il ne fait aucunement état d'une convention de rupture qui aurait d'ores et déjà été signée le 13 juillet 2017.



Il résulte de ces éléments que le formulaire Cerfa de rupture conventionnelle adressé à la DIRRECTE porte une fausse date du 13 juillet 2017 au lieu du 31 juillet 2017 et n'a ainsi pas permis à Monsieur [X] d'exercer son droit à rétractation dont le délai était expiré le 31 juillet 2017. Le consentement donné par le salarié à la rupture conventionnelle de son contrat de travail a, dans ces circonstances, été vicié.



Il s'ensuit que la rupture du contrat de travail, ayant fait suite au harcèlement moral subi par le salarié, équivaut à un licenciement nul en application de l'article L.1152-3 du code du travail.



Il est dû à Monsieur [L] [X], eu égard à son ancienneté de 4 ans, 3 mois et de 22 jours dans l'entreprise, la somme de 1636,67 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, dont le calcul du montant n'est pas discuté.



Monsieur [L] [X] réclame le paiement d'une indemnité doublée de préavis au visa des dispositions de l'article L.5213-9 du code du travail, soit 3 mois de salaire, et produit sa carte d'invalidité du Ministère de la Défense, certificat des propositions émises par la Commission de Réforme du 30 juillet 1992 et le courrier du 26 janvier 1990 du Secrétariat d'État chargé des anciens combattants et des victimes de guerre l'informant de l'attribution d'une pension d'invalidité par arrêté ministériel du 30 novembre 1989.



Toutefois, l'attribution d'une pension d'invalidité n'a pas pour effet d'accorder au salarié la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, qui ne peut être décidée que par la MDPH (anciennnement COTOREP).



Par conséquent, la Cour accorde à Monsieur [L] [X] la somme brute de 3776,92 euros au titre de deux mois de préavis, ainsi que la somme de 377,69 euros de congés payés sur préavis.



Monsieur [L] [X] ne verse aucun élément sur l'évolution de sa situation professionnelle et sur son préjudice.

La Cour lui accorde, au vu de son ancienneté de 4 ans dans l'entreprise et du montant de son salaire mensuel brut, la somme de 11 500 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul.



Il convient d'ordonner la compensation des sommes allouées au salarié avec celle de 6185 euros déjà versée à Monsieur [X] à titre d'indemnité de rupture conventionnelle, telle que mentionnée sur la convention de rupture ainsi que sur le bulletin de salaire d'août 2017.



Sur l'article 700 du code de procédure civile :



Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.







PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et en matière prud'homale,



Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [L] [X] de sa demande au titre d'une discrimination,



Statuant à nouveau,



Dit que Monsieur [L] [X] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur,



Ordonne l'annulation de la rupture conventionnelle et dit que la rupture du contrat de travail de Monsieur [X] équivaut à un licenciement nul,



Condamne Monsieur [P] [J] à payer à Monsieur [L] [X] :

-2000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

-1636,67 euros d'indemnité légale de licenciement,

-3776,92 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

-377,69 euros de congés payés sur préavis,

-11 500 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul,



Dit que les sommes allouées de nature salariale produiront des intérêts au taux légal à compter de la citation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 8 novembre 2017, avec capitalisation des intérêts échus et dus pour plus d'une année à compter de la demande formée devant le bureau de jugement à l'audience du 12 septembre 2018,



Dit que les sommes allouées de nature indemnitaire produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, avec capitalisation des intérêts échus et dus pour plus d'une année,



Ordonne la compensation des sommes allouées à Monsieur [L] [X] avec l'indemnité de rupture conventionnelle d'un montant de 6185 euros versée par Monsieur [P] [J],



Condamne Monsieur [P] [J] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Monsieur [L] [X] 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Rejette tout autre prétention.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.