15 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-13.312

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00757

Titres et sommaires

REPRESENTATION DES SALARIES - Comité social et économique - Comité social et économique central - Attributions - Droit d'alerte économique - Exercice - Exercice exclusif - Portée

Dans les entreprises divisées en établissements distincts, l'exercice du droit d'alerte prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissement ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central. Viole dès lors les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64 et L. 2315-92, I, 2°, du code du travail le tribunal judiciaire qui retient que lorsque le comité social et économique central n'a pas mis en oeuvre la procédure d'alerte économique, un comité social et économique d'établissement peut exercer la procédure d'alerte économique s'il justifie de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise

REPRESENTATION DES SALARIES - Comité social et économique - Comité social et économique d'établissement - Attributions - Exclusion - Cas - Droit d'alerte économique

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (PRéVENTION ET RèGLEMENT AMIABLE) - Prévention - Procédures d'alerte - Droit d'alerte économique du comité social et économique central - Exercice par un comité social et économique d'établissement - Possibilité (non)

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 juin 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 757 F-B

Pourvoi n° D 21-13.312






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JUIN 2022

La société Kohler France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 21-13.312 contre le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 3 mars 2021 par le président du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, dans le litige l'opposant :

1°/ au comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à M. [K] [R], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de secrétaire du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4],

3°/ à la société Secafi, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Kohler France, de la SCP Didier et Pinet, avocat du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France et de M. [R], ès qualités, après débats en l'audience publique du 21 avril 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, 3 mars 2021), statuant selon la procédure accélérée au fond, la société Kohler France (la société) est constituée d'un siège social, de trois sites de production dont un à [Localité 4], d'un site de montage et de recherche et développement à Reims et d'un centre de distribution.

2. Envisageant, suite à des difficultés économiques, la réorganisation de l'activité conduisant notamment à l'arrêt de l'activité sur les sites de [Localité 4] et [Localité 5], la société a engagé la consultation des comités sociaux et économiques au niveau central et au niveau des établissements.

3. Lors de la réunion du comité social et économique central, qui s'est tenue le 2 décembre 2020, ce dernier a désigné un expert en application des dispositions de l'article L. 1233-34 du code du travail.

4. Lors d'une réunion extraordinaire qui s'est tenue le 21 décembre 2020, le comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] a désigné le cabinet SECAFI en qualité d'expert sur le fondement de l'article L. 2315-92, I, 2°, dans le cadre du droit d'alerte économique.

5. Par acte d'huissier du 29 décembre 2020, la société a assigné le comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] aux fins d'annulation de la délibération du 21 décembre 2020.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société fait grief au jugement de mettre hors de cause M. [R] pris en sa qualité de secrétaire du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4], et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « qu'au sein des entreprises divisées en établissements distincts, le comité social et économique central exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; que l'exercice du droit d'alerte économique prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissements ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central ; qu'au cas présent, après avoir constaté que la procédure d'alerte économique litigieuse avait été mise en oeuvre par le CSE d'établissement de [Localité 4], lequel n'est pas investi de cette prérogative, le tribunal a néanmoins refusé d'annuler la délibération du 21 décembre 2020 par laquelle le CSE d'établissement de [Localité 4] a décidé de recourir à une expertise-comptable dans le cadre d'une procédure de droit d'alerte économique aux motifs inopérants que ‘‘le comité central d'entreprise n'a pas mis en oeuvre la procédure d'alerte économique'', que la restructuration de la société Kohler France ‘‘aura des conséquences directes sur l'établissement de [Localité 4]'', ce dont il a déduit ‘‘le caractère préoccupant de la situation économique de l'entreprise, condition nécessaire et suffisante de la mise en oeuvre du droit d'alerte'' ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il avait constaté que la procédure d'alerte économique litigieuse avait été mise en oeuvre par le CSE d'établissement de [Localité 4], lequel n'est pas investi de cette prérogative, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64 et L. 2315-92 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64, L. 2315-92, I, 2°, du code du travail.

7. Dans les entreprises divisées en établissements distincts, l'exercice du droit d'alerte prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissement ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central.

8. Pour débouter la société de ses demandes, le jugement retient que lorsque le comité social et économique central n'a pas mis en oeuvre la procédure d'alerte économique, un comité social et économique d'établissement peut exercer la procédure d'alerte économique s'il justifie de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, ce qui est le cas en l'espèce, la société invoquant la nécessité d'une restructuration ayant des conséquences directes sur le site de l'établissement de [Localité 4] dont le principe de la fermeture a été arrêté et la recherche d'un repreneur mise en oeuvre dans le cadre du plan d'ajustement des effectifs compris comme un plan de licenciement collectif.

9. En statuant ainsi, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met hors de cause M. [R], pris en sa qualité de secrétaire du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4], le jugement rendu le 3 mars 2021, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, statuant selon la procédure accélérée au fond ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ANNULE la délibération du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France en date du 21 décembre 2020 portant sur le recours à une expertise dans le cadre de l'exercice d'une procédure d'alerte économique au sein du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France ;

Déclare la présente décision opposable à la société SECAFI ;

Condamne le comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] de la société Kohler France aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le président du tribunal judiciaire de Lons-le-Saulnier ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Kohler France


La société Kohler France fait grief au jugement attaqué d'AVOIR mis hors de cause M. [K] [R] pris en sa qualité de secrétaire du comité social et économique de l'établissement de [Localité 4] et d'AVOIR débouté la société Kohler de l'ensemble de ses demandes ;

1. ALORS QU'au sein des entreprises divisées en établissements distincts, le comité social et économique central exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement ; que l'exercice du droit d'alerte économique prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissements ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central ; qu'au cas présent, après avoir constaté que la procédure d'alerte économique litigieuse avait été mise en oeuvre par le CSE d'établissement de [Localité 4], lequel n'est pas investi de cette prérogative, le tribunal a néanmoins refusé d'annuler la délibération du 21 décembre 2020 par laquelle le CSE d'établissement de [Localité 4] a décidé de recourir à une expertise-comptable dans le cadre d'une procédure de droit d'alerte économique aux motifs inopérants que « le comité central d'entreprise n'a pas mis en oeuvre la procédure d'alerte économique », que la restructuration de la société Kohler France « aura des conséquences directes sur l'établissement de [Localité 4] », ce dont il a déduit « le caractère préoccupant de la situation économique de l'entreprise, condition nécessaire et suffisante de la mise en oeuvre du droit d'alerte » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il avait constaté que la procédure d'alerte économique litigieuse avait été mise en oeuvre par le CSE d'établissement de [Localité 4], lequel n'est pas investi de cette prérogative, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64 et L. 2315-92 du code du travail ;

2. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'à supposer même qu'un CSE d'établissement puisse invoquer une « carence » du CSE Central pour prétendre mettre en oeuvre un droit d'alerte économique, une telle carence ne saurait résulter du seul fait que le CSE Central n'a pas mis en oeuvre ladite procédure d'alerte économique et, en tout état de cause, ne saurait être caractérisée lorsque le CSE Central a décidé, dans le cadre de ses prérogatives propres, de recourir à des expertises sur d'autres fondements juridiques ; qu'au cas présent, il était acquis aux débats que le CSE central avait, lors de la réunion du 2 décembre 2020, décidé, dans le cadre de la procédure de projet de plan d'ajustement des effectifs, de désigner un expert-comptable pour l'assister dans le cadre de la procédure de licenciements collectifs pour motif économique, conformément aux articles L. 1233-34 et L. 2315-92 du code du travail, désigné un expert-comptable pour l'assister dans la recherche de repreneur pour les sites de [Localité 5] et de [Localité 4] et désigné ce même expert pour assister les organisations syndicales centrales dans la négociation du PSE (production n° 7, conclusions de la société, p. 11) ; qu'il en résultait que le CSE de l'établissement de [Localité 4] n'était pas fondé à invoquer une prétendue « carence » du CSE central pour s'arroger les prérogatives de celui-ci en matière d'alerte économique ; qu'en se fondant toutefois sur l'absence de mise en oeuvre d'une procédure d'alerte économique par le CSE central de la société Kohler France, malgré une situation préoccupante de l'entreprise, pour considérer que le CSE de l'établissement de [Localité 4] était compétent pour engager cette procédure, le tribunal a de plus fort violé les articles L. 2316-1, L. 2312-63, L. 2312-64 et L. 2315-92 du code du travail.

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