15 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.513

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100476

Titres et sommaires

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Discipline - Suspension provisoire - Procédure - Audition des parties - Ordre

L'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une suspension provisoire en application de l'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, ou son avocat, d'avoir la parole le dernier avant la clôture des débats

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Equité - Exigences - Matière disciplinaire - Droits de la défense - Exclusion - Officiers publics et ministériels - Suspension provisoire

Texte de la décision

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 juin 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 476 FS-B

Pourvoi n° G 21-16.513




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JUIN 2022

M. [U] [E], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° G 21-16.513 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (1re chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la chambre régionale de discipline des huissiers de justice du ressort de la cour, dont le siège est [Adresse 3], représentée par son président M. [R] [L],

2°/ à M. [F] [V], domicilié [Adresse 1], huissier de justice pris en qualité d'administrateur pour remplacer M. [U] [E] dans ses fonctions, désigné par l'ordonnance de référé en date du 28 juillet 2020 du tribunal judiciaire de Lille,

3°/ à M. [O] [I], domicilié [Adresse 2], huissier de justice associée au sein de la société Cuvillon Devernay [I] Trocme Vicongne en qualité d'administrateur pour remplacer M. [U] [E] dans ses fonctions, désignée par l'ordonnance de référé en date du 28 juillet 2020 du TJ de Lille,

4°/ au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lille, domicilié en son parquet, 13 avenue du Peuple Belge, 59000 Lille,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [E], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la chambre régionale de discipline des huissiers de justice du ressort de la cour, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Avel, Bruyére, Hascher, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 mars 2021), le 20 juillet 2020, la chambre régionale de discipline des huissiers de justice du ressort de la cour d'appel de Douai a assigné en référé M. [E], huissier de justice, devant le président du tribunal judiciaire afin que soit prononcée sa suspension provisoire en application de l'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. [E] fait grief à l'arrêt de prononcer sa suspension provisoire et de commettre MM. [I] et [V] en qualité d'administrateurs pour le remplacer dans ses fonctions, alors « que l'exigence d'un procès équitable commande que l'officier public dont la suspension provisoire est sollicitée, ou son avocat, soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ; qu'en ce qu'il ne constate pas que l'avocat de M. [E], huissier de justice, a pu avoir la parole en dernier, l'arrêt ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, de sorte qu'il est dépourvu de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

4. L'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels dispose :

« Tout officier public ou ministériel qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire peut se voir suspendre provisoirement l'exercice de ses fonctions.
En cas d'urgence, la suspension provisoire peut être prononcée, même avant l'exercice des poursuites pénales ou disciplinaires, si des inscriptions ou vérifications ont laissé apparaître des risques pour les fonds, effets ou valeurs qui sont confiés à l'officier public ou ministériel à raison de ses fonctions. »

5. Selon l'article 35 de l'ordonnance précitée, le tribunal judiciaire peut, à tout moment, à la requête soit du procureur de la République, soit de l'officier public ou ministériel, mettre fin à la suspension provisoire. Celle-ci cesse de plein droit dès que les actions pénale et disciplinaire sont éteintes et, dans le cas prévu au dernier alinéa de l'article 32 précité, si, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de son prononcé, aucune poursuite pénale ou disciplinaire n'a été engagée.

6. Il ressort de ces textes que cette suspension provisoire n'est pas une sanction, mais une mesure de sûreté conservatoire, d'une durée limitée à celle des actions pénale ou disciplinaire engagées.

7. Il s'en déduit que l'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une telle mesure, ou son avocat, d'avoir la parole le dernier avant la clôture des débats.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [E] et le condamne à payer à la chambre régionale de discipline des huissiers de justice du ressort de la cour d'appel de Douai la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux.



MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. [E]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué

D'AVOIR prononcé sa suspension provisoire de ses fonctions d'huissier de justice et commis Me [I] et Me [V] en qualité d'administrateurs pour le remplacer dans ses fonctions ;

ALORS QUE l'exigence d'un procès équitable commande que l'officier public dont la suspension provisoire est sollicitée, ou son avocat, soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ; qu'en ce qu'il ne constate pas que l'avocat de M. [E], huissier de justice, a pu avoir la parole en dernier, l'arrêt ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, de sorte qu'il est dépourvu de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué

D'AVOIR prononcé sa suspension provisoire de ses fonctions d'huissier de justice et commis Me [I] et Me [V] en qualité d'administrateurs pour le remplacer dans ses fonctions ;

1°) ALORS QUE la suspension provisoire de l'huissier de justice ne peut être ordonnée en référé que si, et dans la mesure où, il existe un risque caractérisé pour les fonds, effets ou valeurs qui sont confiés à l'officier public à raison de ses fonctions, à l'exclusion de toute autre irrégularité ou manquement déontologique ; qu'en retenant que la société a perçu des fonds sur un compte de gestion et non sur un compte affecté, qu'elle a placé temporairement des fonds sur un compte à terme, qu'elle s'est abstenue de reverser au débiteur le solde des fonds récupérés, qu'elle a procédé à une surfacturation d'honoraires et à une facturation de frais à la charge du débiteur et qu'elle a passé en comptabilité des actifs fictifs, la cour d'appel, qui a statué par des motifs tenant à l'existence de manquements déontologiques sans lien avec la représentation des fonds confiés, a violé les articles 32 et 33 de l'ordonnance du 28 juin 1945 ;

2°) ALORS QU'après avoir constaté que le rapport d'inspection révélait que, comptablement, le solde des comptes litigieux correspondait aux soldes des comptes affectés à la représentation des fonds clients et que la situation financière de la société était florissante, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de rechercher si la société ne disposait pas d'une trésorerie suffisante pour assurer la représentation des fonds détenus, ce qui était de nature à exclure tout risque de non-représentation des fonds qui lui avaient été confiés ; qu'en ne procédant pas à cette recherche déterminante, elle n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 32 et 33 de l'ordonnance du 28 juin 1945 ;

3°) ALORS QUE la suspension provisoire ne peut être prononcée en référé qu'en cas d'urgence ; qu'en se bornant à retenir que la nature et l'importance des irrégularités relevées justifient l'intervention du juge des référés, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'urgence à suspendre l'huissier de justice de ses fonctions, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 32 et 33 de l'ordonnance du 28 juin 1945.

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