14 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-86.635

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00641

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Mandat - Mandat d'arrêt - Personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt - Personne en fuite (non) - Personne résidant hors du territoire de la République - Condition - Mesure nécessaire et proportionnée

Il résulte de l'article 131 du code de procédure pénale que le juge d'instruction peut décerner un mandat d'arrêt à l'encontre d'une personne résidant hors du territoire de la République, même si elle n'est pas en fuite. Aux fins du prononcé de cette mesure de contrainte et en application de l'article préliminaire, III, quatrième alinéa, du code précité, le juge d'instruction n'a d'autre obligation que de s'assurer, en fonction des circonstances de l'espèce, qu'elle est strictement limitée aux nécessités de la procédure et proportionnée à la gravité de l'infraction reprochée. Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui énonce que la délivrance d'un mandat d'arrêt contre une personne qui n'a pas d'adresse sur le territoire français et est mise en cause dans une procédure d'escroqueries commises en bande organisée à très grande échelle, ayant causé de très nombreuses victimes dans plusieurs pays, était nécessaire et proportionnée, au regard de la peine encourue et du risque majeur de disparition des preuves et de dissimulation ou dissipation des fonds escroqués, sans avoir recherché si le juge d'instruction avait effectué des démarches pour entendre l'intéressé avant de décerner un tel mandat

Texte de la décision

N° C 21-86.635 FS-B

N° 00641


RB5
14 JUIN 2022


REJET


M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 JUIN 2022



M. [F] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 28 octobre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui notamment du chef d'escroqueries en bande organisée, a prononcé sur sa demande d'annulation d'actes de la procédure.

Par ordonnance en date du 10 janvier 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [F] [R], et les conclusions de Mme Philippe, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Michon, conseiller référendaire, Mme Philippe, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs
d'escroqueries en bande organisée, tentative, complicité et recel de ce délit,
le juge d'instruction a délivré un mandat d'arrêt contre M. [F] [R], qui a été interpellé en Israël le 10 novembre 2020.

3. L'avocat de M. [R] a déposé une requête en annulation par déclaration au greffe en date du 13 janvier 2021.

4. Après avoir été extradé vers la France, M. [R] a été mis en examen le 15 septembre 2021, des chefs d'escroqueries en bande organisée et recel, menaces avec ordre de remplir une condition et extorsions.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure jusqu'à la cote D 991, alors :

« 1°/ qu'il appartient à la chambre de l'instruction, avant de valider un mandat d'arrêt décerné par un juge d'instruction à l'encontre d'une personne résidant hors du territoire de la République, qui n'est pas en fuite, d'apprécier le caractère nécessaire de cette mesure en fonction des circonstances de l'espèce ; qu'en se bornant à relever le caractère proportionné du mandat d'arrêt sans apprécier le caractère nécessaire de cette mesure et sans rechercher, à ce titre, comme il lui était demandé, si le juge d'instruction avait effectué les démarches requises pour entendre le mis en examen cependant qu'elle relevait que ce dernier disposait d'une adresse en Israël à laquelle il aurait pu être convoqué, la chambre de l'instruction a violé les articles 131 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en retenant qu'il existait un risque de disparition des preuves ou de dissipation des fonds provenant de l'infraction, la chambre de l'instruction s'est prononcée par un motif impropre à caractériser un risque de fuite à même de justifier l'émission d'un mandat d'arrêt sans que le juge d'instruction ait réalisé les démarches requises pour entendre la personne concernée, et a violé les articles 131 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 131 du code de procédure pénale que le juge d'instruction peut décerner un mandat d'arrêt à l'encontre d'une personne résidant hors du territoire de la République, même si elle n'est pas en fuite.
7. Aux fins du prononcé de cette mesure de contrainte, et en application de l'article préliminaire, III, quatrième alinéa, du code précité, le juge d'instruction n'a d'autre obligation que de s'assurer, en fonction des circonstances de l'espèce, qu'elle est strictement limitée aux nécessités de la procédure et proportionnée à la gravité de l'infraction reprochée.

8. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité du mandat d'arrêt, l'arrêt attaqué énonce que M. [R], qui n'a pas d'adresse sur le territoire français, est mis en cause dans une procédure d'escroqueries commises en bande organisée à très grande échelle, dont le processus, très rôdé, comprend des usurpations d'identité et a causé de très nombreuses victimes dans plusieurs pays.

9. Les juges ajoutent que le fait que M. [R] dispose d'une adresse en Israël à laquelle il aurait pu être convoqué n'est pas pertinent au regard du risque majeur de disparition des preuves, d'une part, et de dissimulation ou dissipation des fonds escroqués, d'autre part, étant précisé que l'intéressé est extrêmement compétent dans l'usage des technologies numériques actuelles.

10. Ils en déduisent que la délivrance d'un mandat d'arrêt, au regard de la peine très importante encourue, était nécessaire et proportionnée.

11. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

12. D'une part, elle n'avait pas à rechercher si le juge d'instruction avait effectué des démarches pour entendre l'intéressé avant de décerner un mandat d'arrêt.

13. D'autre part, elle a caractérisé sans insuffisance la nécessité et la proportionnalité du recours à cette mesure de contrainte.

14. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure examinée jusqu'à la cote D 991, alors « que le droit au procès équitable et le respect des droits de la défense imposent que la procédure fasse apparaître quels sont les actes par lesquels les autorités étrangères, sollicitées dans le cadre de demandes d'entraide internationale, ont recueilli l'information ayant permis l'identification dela personne mise en examen et qui a, à ce titre, constitué le support des actes de la procédure visant cette dernière ; que, devant la chambre de l'instruction, le mis en examen faisait valoir que les éléments aux termes desquels il avait été désigné comme ayant participé aux infractions reposaient sur une enquête réalisée en Israël, qui allait au-delà des missions confiées par le magistrat français aux autorités israéliennes dans le cadre des commissions rogatoires internationales, et dont les actes, qui n'apparaissaient pas au dossier, demeuraient clandestins ; que, pour écarter ce moyen, la chambre de l'instruction énonce que « l'existence de cette enquête miroir reste à l'état d'allégation » ; qu'en se prononçant par ce motif, quand deux comptes rendus d'enquête indiquaient informer le juge d'instruction « suite aux informations transmises par les autorités israéliennes dans le cadre de leur enquête miroir […] » (D 596/157) et qu'il résultait ainsi des termes clairs et précis de ces pièces qu'une telle « enquête miroir » existait, la chambre del'instruction a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

16. C'est à tort que, pour écarter le moyen de nullité pris du défaut de versement des actes issus de l'enquête israélienne ayant conduit à l'identification de M. [R], les juges ont énoncé que l'existence d'une « enquête miroir » diligentée par les autorités israéliennes reste à l'état d'allégation, alors que des pièces de procédure cotées D. 596/154 et D. 596/157 s'y réfèrent expressément.

17. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.

18. En effet, le demandeur n'est pas fondé à critiquer, par une requête en annulation, l'absence, au dossier d'information judiciaire, de pièces dont l'existence est établie en procédure, dès lors qu'en sa qualité de personne mise en examen, il dispose, en application de l'article 82-1 du code de procédure pénale, du droit de présenter une demande auprès du juge d'instruction aux fins de versement desdites pièces au dossier et d'interjeter appel de l'ordonnance de refus qui pourrait lui être opposée.

19. Dès lors, le moyen doit être écarté.

20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze juin deux mille vingt-deux.

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